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Chapitre XVII. Une vieille йpйe

Chapitre VI Maniиre de prononcer | Chapitre VII. Une attaque de goutte | Chapitre VIII. Quelle est la dйcoration qui distingue ? | Chapitre IX. Le Bal | Chapitre X. La Reine Marguerite | Chapitre XI. L’Empire d’une jeune fille! | Chapitre XII. Serait-ce un Danton ? | Chapitre XIII. Un complot | Chapitre XIV. Pensйes d’une jeune fille | Chapitre XV. Est-ce un complot ? |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

I now mean to be serious; – it is time,

Since laughter now-a-days is deem’d too serious

A jest at vice by virtue’s called a crime.

 

Don Juan, C. XIII.

 

Elle ne parut pas au dоner. Le soir elle vint un instant au salon, mais ne regarda pas Julien. Cette conduite lui parut йtrange; mais, pensa-t-il, je ne connais pas leurs usages, elle me donnera quelque bonne raison pour tout ceci. Toutefois, agitй par la plus extrкme curiositй, il йtudiait l’expression des traits de Mathilde; il ne put pas se dissimuler qu’elle avait l’air sec et mйchant. Йvidemment ce n’йtait pas la mкme femme qui, la nuit prйcйdente, avait ou feignait des transports de bonheur trop excessifs pour кtre vrais.

 

Le lendemain, le surlendemain, mкme froideur de sa part; elle ne le regardait pas, elle ne s’apercevait pas de son existence. Julien, dйvorй par la plus vive inquiйtude, йtait а mille lieues des sentiments de triomphe qui l’avaient seuls animй le premier jour. Serait-ce, par hasard, se dit-il, un retour а la vertu? Mais ce mot йtait bien bourgeois pour l’altiиre Mathilde.

 

Dans les positions ordinaires de la vie elle ne croit guиre а la religion, pensait Julien, elle l’aime comme trиs utile aux intйrкts de sa caste.

 

Mais par simple dйlicatesse ne peut-elle pas se reprocher vivement la faute qu’elle a commise? Julien croyait кtre son premier amant.

 

Mais, se disait-il dans d’autres instants, il faut avouer qu’il n’y a rien de naпf, de simple, de tendre dans toute sa maniиre d’кtre; jamais je ne l’ai vue plus altiиre. Me mйpriserait-elle? Il serait digne d’elle de se reprocher ce qu’elle a fait pour moi, а cause seulement de la bassesse de ma naissance.

 

Pendant que Julien, rempli de ses prйjugйs puisйs dans les livres et dans les souvenirs de Verriиres, poursuivait la chimиre d’une maоtresse tendre et qui ne songe plus а sa propre existence du moment qu’elle a fait le bonheur de son amant, la vanitй de Mathilde йtait furieuse contre lui.

 

Comme elle ne s’ennuyait plus depuis deux mois, elle ne craignait plus l’ennui; ainsi, sans pouvoir s’en douter le moins du monde, Julien avait perdu son plus grand avantage.

 

Je me suis donnй un maоtre! se disait Mlle de La Mole en proie au plus noir chagrin. Il est rempli d’honneur, а la bonne heure; mais si je pousse а bout sa vanitй, il se vengera en faisant connaоtre la nature de nos relations. Jamais Mathilde n’avait eu d’amant, et dans cette circonstance de la vie qui donne quelques illusions tendres mкme aux вmes les plus sиches, elle йtait en proie aux rйflexions les plus amиres.

 

Il a sur moi un empire immense, puisqu’il rиgne par la terreur et peut me punir d’une peine atroce, si je le pousse а bout. Cette seule idйe suffisait pour porter Mlle de La Mole а l’outrager. Le courage йtait la premiиre qualitй de son caractиre. Rien ne pouvait lui donner quelque agitation et la guйrir d’un fond d’ennui sans cesse renaissant que l’idйe qu’elle jouait а croix ou pile son existence entiиre.

 

Le troisiиme jour, comme Mlle de La Mole s’obstinait а ne pas le regarder, Julien la suivit aprиs dоner, et йvidemment malgrй elle, dans la salle de billard.

 

– Eh bien, monsieur, vous croyez donc avoir acquis des droits bien puissants sur moi, lui dit-elle avec une colиre а peine retenue, puisque en opposition а ma volontй bien йvidemment dйclarйe, vous prйtendez me parler?… Savez-vous que personne au monde n’a jamais tant osй?

 

Rien ne fut plaisant comme le dialogue de ces deux amants, sans s’en douter ils йtaient animйs l’un contre l’autre des sentiments de la haine la plus vive. Comme ni l’un ni l’autre n’avait le caractиre endurant, que d’ailleurs ils avaient des habitudes de bonne compagnie, ils en furent bientфt а se dйclarer nettement qu’ils se brouillaient а jamais.

 

– Je vous jure un secret йternel, dit Julien, j’ajouterais mкme que jamais je ne vous adresserai la parole, si votre rйputation ne pouvait souffrir de ce changement trop marquй. Il salua avec respect et partit.

 

Il accomplissait sans trop de peine ce qu’il croyait un devoir; il йtait bien loin de se croire fort amoureux de Mlle de La Mole. Sans doute il ne l’aimait pas trois jours auparavant, quand on l’avait cachй dans la grande armoire d’acajou. Mais tout changea rapidement dans son вme, du moment qu’il se vit а jamais brouillй avec elle.

 

Sa mйmoire cruelle se mit а lui retracer les moindres circonstances de cette nuit qui dans la rйalitй l’avait laissй si froid.

 

Dans la nuit mкme qui suivit la dйclaration de brouille йternelle, Julien faillit devenir fou en йtant obligй de s’avouer qu’il aimait Mlle de La Mole.

 

Des combats affreux suivirent cette dйcouverte: tous ses sentiments йtaient bouleversйs.

 

Deux jours aprиs, au lieu d’кtre fier avec M. de Croisenois, il l’aurait presque embrassй en fondant en larmes.

 

L’habitude du malheur lui donna une lueur de bon sens, il se dйcida а partir pour le Languedoc, fit sa malle et alla а la poste.

 

Il se sentit dйfaillir quand, arrivй au bureau des malles-poste, on lui apprit que, par un hasard singulier, il y avait une place le lendemain dans la malle de Toulouse. Il l’arrкta et revint а l’hфtel de La Mole, annoncer son dйpart au marquis.

 

M. de La Mole йtait sorti. Plus mort que vif, Julien alla l’attendre dans la bibliothиque. Que devint-il en y trouvant Mlle de La Mole?

 

En le voyant paraоtre, elle prit un air de mйchancetй auquel il lui fut impossible de se mйprendre.

 

Emportй par son malheur, йgarй par la surprise, Julien eut la faiblesse de lui dire, du ton le plus tendre et qui venait de l’вme: Ainsi, vous ne m’aimez plus?

 

– J’ai horreur de m’кtre livrйe au premier venu, dit Mathilde en pleurant de rage contre elle-mкme.

 

– Au premier venu! s’йcria Julien, et il s’йlanзa sur une vieille йpйe du moyen вge, qui йtait conservйe dans la bibliothиque comme une curiositй.

 

Sa douleur, qu’il croyait extrкme au moment oщ il avait adressй la parole а Mlle de La Mole, venait d’кtre centuplйe par les larmes de honte qu’il lui voyait rйpandre. Il eыt йtй le plus heureux des hommes de pouvoir la tuer.

 

Au moment oщ il venait de tirer l’йpйe, avec quelque peine, de son fourreau antique, Mathilde, heureuse d’une sensation si nouvelle, s’avanзa fiиrement vers lui; ses larmes s’йtaient taries.

 

L’idйe du marquis de La Mole, son bienfaiteur, se prйsenta vivement а Julien. Je tuerais sa fille! se dit-il, quelle horreur! Il fit un mouvement pour jeter l’йpйe. Certainement, pensa-t-il, elle va йclater de rire а la vue de ce mouvement de mйlodrame: il dut а cette idйe le retour de tout son sang-froid. Il regarda la lame de la vieille йpйe curieusement et comme s’il y eыt cherchй quelque tache de rouille, puis il la remit dans le fourreau, et avec la plus grande tranquillitй la replaзa au clou de bronze dorй qui la soutenait.

 

Tout ce mouvement, fort lent sur la fin, dura bien une minute; Mlle de La Mole le regardait йtonnйe. J’ai donc йtй sur le point d’кtre tuйe par mon amant! se disait-elle.

 

Cette idйe la transportait dans les plus beaux temps du siиcle de Charles IX et de Henri III.

 

Elle йtait immobile devant Julien qui venait de replacer l’йpйe, elle le regardait avec des yeux oщ il n’y avait plus de haine. Il faut convenir qu’elle йtait bien sйduisante en ce moment, certainement jamais femme n’avait moins ressemblй а une poupйe parisienne (ce mot йtait la grande objection de Julien contre les femmes de ce pays).

 

Je vais retomber dans quelque faiblesse pour lui, pensa Mathilde; c’est bien pour le coup qu’il se croirait mon seigneur et maоtre, aprиs une rechute, et au moment prйcis oщ je viens de lui parler si ferme. Elle s’enfuit.

 

Mon Dieu! qu’elle est belle! dit Julien en la voyant courir: voilа cet кtre qui se prйcipitait dans mes bras avec tant de fureur il n’y a pas huit jours … Et ce instants ne reviendront jamais! Et c’est par ma faute! Et, au moment d’une action si extraordinaire, si intйressante pour moi, je n’y йtais pas sensible!… Il faut avouer que je suis nй avec un caractиre bien plat et bien malheureux.

 

Le marquis parut; Julien se hвta de lui annoncer son dйpart.

 

– Pour oщ? dit M. de La Mole.

 

– Pour le Languedoc.

 

– Non pas, s’il vous plaоt, vous кtes rйservй а de plus hautes destinйes, si vous partez ce sera pour le Nord… mкme, en termes militaires, je vous consigne а l’hфtel. Vous m’obligerez de n’кtre jamais plus de deux ou trois heures absent, je puis avoir besoin de vous d’un moment а l’autre.

 

Julien salua, et se retira sans mot dire, laissant le marquis fort йtonnй; il йtait hors d’йtat de parler, il s’enferma dans sa chambre. Lа, il put s’exagйrer en libertй toute l’atrocitй de son sort.

 

Ainsi, pensait-il, je ne puis pas mкme m’йloigner! Dieu sait combien de jours le marquis va me retenir а Paris; grand Dieu! Que vais-je devenir? Et pas un ami que je puisse consulter: l’abbй Pirard ne me laisserait pas finir la premiиre phrase, le comte Altamira me proposerait de m’affilier а quelque conspiration.

 

Et cependant je suis fou, je le sens; je suis fou!

 

Qui pourra me guider, que vais-je devenir?


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 61 | Нарушение авторских прав


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