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Chapitre VIII. Quelle est la dйcoration qui distingue ?

Chapitre XXVII. Premiиre Expйrience de la vie | Chapitre XXVIII. Une procession | Chapitre XXIX. Le Premier Avancement | Chapitre XXX. Un ambitieux | Chapitre premier Les Plaisirs de la campagne | Chapitre II. Entrйe dans le monde | Chapitre III. Les Premiers pas | Chapitre IV. L’Hфtel de La Mole | Chapitre V. La Sensibilitй et une grande Dame dйvote | Chapitre VI Maniиre de prononcer |


Читайте также:
  1. CAPITOLUL VIII.
  2. Chapitre I La ligne
  3. Chapitre II Les camarades
  4. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  5. Chapitre II. Un maire
  6. Chapitre III L’Avion
  7. Chapitre III. Le Bien des pauvres

 

Ton eau ne me rafraоchit pas, dit le gйnie altйrй. – C’est pourtant le puits le plus frais de tout le Diar Bйkir.

 

PELLICO.

 

Un jour Julien revenait de la charmante terre de Villequier, sur les bords de la Seine, que M. de La Mole voyait avec intйrкt, parce que, de toutes les siennes, c’йtait la seule qui eыt appartenu au cйlиbre Boniface de La Mole. Il trouva а l’hфtel la marquise et sa fille, qui arrivaient d’Hyиres.

 

Julien йtait un dandy maintenant, et comprenait l’art de vivre а Paris. Il fut d’une froideur parfaite envers Mlle de La Mole. Il parut n’avoir gardй aucun souvenir des temps oщ elle lui demandait si gaiement des dйtails sur sa maniиre de tomber de cheval.

 

Mlle de La Mole le trouva grandi et pвli. Sa taille, sa tournure n’avaient plus rien du provincial; il n’en йtait pas ainsi de sa conversation: on y remarquait encore trop de sйrieux, trop de positif. Malgrй ces qualitйs raisonnables, grвce а son orgueil elle n’avait rien de subalterne; on sentait seulement qu’il regardait encore trop de choses comme importantes. Mais on voyait qu’il йtait homme а soutenir son dire.

 

– Il manque de lйgиretй, mais non pas d’esprit, dit Mlle de La Mole а son pиre, en plaisantant avec lui sur la croix qu’il avait donnйe а Julien. Mon frиre vous l’a demandйe pendant dix-huit mois, et c’est un La Mole!

 

– Oui; mais Julien a de l’imprйvu, c’est ce qui n’est jamais arrivй au La Mole dont vous me parlez.

 

On annonзa M. le duc de Retz.

 

Mathilde se sentit saisie d’un bвillement irrйsistible; elle reconnaissait les antiques dorures et les anciens habituйs du salon paternel. Elle se faisait une image parfaitement ennuyeuse de la vie qu’elle allait reprendre а Paris. Et cependant а Hyиres elle regrettait Paris.

 

Et pourtant j’ai dix-neuf ans! pensait-elle: c’est l’вge du bonheur, disent tous ces nigauds а tranches dorйes. Elle regardait huit ou dix volumes de poйsies nouvelles, accumulйs, pendant le voyage de Provence, sur la console du salon. Elle avait le malheur d’avoir plus d’esprit que MM. de Croisenois, de Caylus, de Luz et ses autres amis. Elle se figurait tout ce qu’ils allaient lui dire sur le beau ciel de la Provence, la poйsie, le midi, etc., etc.

 

Ces yeux si beaux, oщ respirait l’ennui le plus profond, et, pis encore, le dйsespoir de trouver le plaisir, s’arrкtиrent sur Julien. Du moins, il n’йtait pas exactement comme un autre.

 

– Monsieur Sorel, dit-elle avec cette voix vive, brиve, et qui n’a rien de fйminin, qu’emploient les jeunes femmes de la haute classe, monsieur Sorel, venez-vous ce soir au bal de M. de Retz?

 

– Mademoiselle, je n’ai pas eu l’honneur d’кtre prйsentй а M. le duc. (On eыt dit que ces mots et ce titre йcorchaient la bouche du provincial orgueilleux.)

 

– Il a chargй mon frиre de vous amener chez lui; et, si vous y йtiez venu, vous m’auriez donnй des dйtails sur la terre de Villequier; il est question d’y aller au printemps. Je voudrais savoir si le chвteau est logeable, et si les environs sont aussi jolis qu’on le dit. Il y a tant de rйputations usurpйes!

 

Julien ne rйpondait pas.

 

– Venez au bal avec mon frиre, ajouta-t-elle d’un ton fort sec.

 

Julien salua avec respect. Ainsi, mкme au milieu du bal, je dois des comptes а tous les membres de la famille. Ne suis-je pas payй comme homme d’affaires? Sa mauvaise humeur ajouta: Dieu sait encore si ce que je dirai а la fille ne contrariera pas les projets du pиre, du frиre, de la mиre! C’est une vйritable cour de prince souverain. Il faudrait y кtre d’une nullitй parfaite, et cependant ne donner а personne le droit de se plaindre.

 

Que cette grande fille me dйplaоt! pensa-t-il en regardant marcher Mlle de La Mole, que sa mиre avait appelйe pour la prйsenter а plusieurs femmes de ses amies. Elle outre toutes les modes, sa robe lui tombe des йpaules… elle est encore plus pвle qu’avant son voyage… Quels cheveux sans couleur, а force d’кtre blonds! On dirait que le jour passe а travers. Que de hauteur dans cette faзon de saluer, dans ce regard! quels gestes de reine!

 

Mlle de La Mole venait d’appeler son frиre, au moment oщ il quittait le salon.

 

Le comte Norbert s’approcha de Julien:

 

– Mon cher Sorel, lui dit-il, oщ voulez-vous que je vous prenne а minuit pour le bal de M. de Retz? Il m’a chargй expressйment de vous amener.

 

– Je sais bien а qui je dois tant de bontйs, rйpondit Julien, en saluant jusqu’а terre.

 

Sa mauvaise humeur, ne pouvant rien trouver а reprendre au ton de politesse et mкme d’intйrкt avec lequel Norbert lui avait parlй, se mit а s’exercer sur la rйponse que lui, Julien, avait faite а ce mot obligeant. Il y trouvait une nuance de bassesse.

 

Le soir, en arrivant au bal, il fut frappй de la magnificence de l’hфtel de Retz. La cour d’entrйe йtait couverte d’une immense tente de coutil cramoisi avec des йtoiles en or: rien de plus йlйgant. Au-dessous de cette tente, la cour йtait transformйe en un bois d’orangers et de lauriers-roses en fleurs. Comme on avait eu soin d’enterrer suffisamment les vases, les lauriers et les oranges avaient l’air de sortir de terre. Le chemin que parcouraient les voitures йtait sablй.

 

Cet ensemble parut extraordinaire а notre provincial. Il n’avait pas l’idйe d’une telle magnificence; en un instant son imagination йmue fut а mille lieues de la mauvaise humeur. Dans la voiture, en venant au bal, Norbert йtait heureux, et lui voyait tout en noir; а peine entrйs dans la cour, les rфles changиrent.

 

Norbert n’йtait sensible qu’а quelques dйtails, qui, au milieu de tant de magnificence, n’avaient pu кtre soignйs. Il йvaluait la dйpense de chaque chose, et, а mesure qu’il arrivait а un total йlevй, Julien remarqua qu’il s’en montrait presque jaloux et prenait de l’humeur.

 

Pour lui, il arriva sйduit, admirant, et presque timide а force d’йmotion, dans le premier, des salons oщ l’on dansait. On se pressait а la porte du second, et la foule йtait si grande, qu’il lui fut impossible d’avancer. La dйcoration de ce second salon reprйsentait l’Alhambra de Grenade.

 

– C’est la reine du bal, il faut en convenir, disait un jeune homme а moustaches, dont l’йpaule entrait dans la poitrine de Julien.

 

– Mlle Fourmont, qui tout l’hiver a йtй la plus jolie, lui rйpondait son voisin, s’aperзoit qu’elle descend а la seconde place: vois son air singulier.

 

– Vraiment elle met toutes voiles dehors pour plaire. Vois, vois ce sourire gracieux au moment oщ elle figure seule dans cette contredanse. C’est, d’honneur, impayable.

 

– Mlle de La Mole a l’air d’кtre maоtresse du plaisir que lui fait son triomphe, dont elle s’aperзoit fort bien. On dirait qu’elle craint de plaire а qui lui parle.

 

– Trиs bien! Voilа l’art de sйduire.

 

Julien faisait de vains efforts pour apercevoir cette femme sйduisante; sept ou huit hommes plus grands que lui l’empкchaient de la voir.

 

– Il y a bien de la coquetterie dans cette retenue si noble, reprit le jeune homme а moustaches.

 

– Et ces grands yeux bleus qui s’abaissent si lentement au moment oщ l’on dirait qu’ils sont sur le point de se trahir, reprit le voisin. Ma foi, rien de plus habile.

 

– Vois comme auprиs d’elle la belle Fourmont a l’air commun, dit un troisiиme.

 

– Cet air de retenue veut dire: que d’amabilitй je dйploierais pour vous, si vous йtiez l’homme digne de moi!

 

– Et qui peut кtre digne de la sublime Mathilde? dit le premier: quelque prince souverain, beau, spirituel, bien fait, un hйros а la guerre, et вgй de vingt ans tout au plus.

 

– Le fils naturel de l’empereur de Russie… auquel, en faveur de ce mariage, on ferait une souverainetй; ou tout simplement le comte de Thaler, avec son air de paysan habillй…

 

La porte fut dйgagйe, Julien put entrer.

 

Puisqu’elle passe pour si remarquable aux yeux de ces poupйes, elle vaut la peine que je l’йtudie, pensa-t-il. Je comprendrai quelle est la perfection pour ces gens-lа.

 

Comme il la cherchait des yeux, Mathilde le regarda. Mon devoir m’appelle, se dit Julien; mais il n’y avait plus d’humeur que dans son expression. La curiositй le faisait avancer avec un plaisir que la robe fort basse des йpaules de Mathilde augmenta bien vite, а la vйritй d’une maniиre peu flatteuse pour son amour-propre. Sa beautй a de la jeunesse, pensa-t-il. Cinq ou six jeunes gens, parmi lesquels Julien reconnut ceux qu’il avait entendus а la porte, йtaient entre elle et lui.

 

– Vous, monsieur, qui avez йtй ici tout l’hiver, lui dit-elle, n’est-il pas vrai que ce bal est le plus joli de la saison?

 

Il ne rйpondait pas.

 

– Ce quadrille de Coulon me semble admirable; et ces dames le dansent d’une faзon parfaite. Les jeunes gens se retournиrent pour voir quel йtait l’homme heureux dont on voulait absolument avoir une rйponse. Elle ne fut pas encourageante.

 

– Je ne saurais кtre un bon juge, mademoiselle; je passe ma vie а йcrire: c’est le premier bal de cette magnificence que j’aie vu.

 

Les jeunes gens а moustaches furent scandalisйs.

 

– Vous кtes un sage, monsieur Sorel, reprit-on avec un intйrкt plus marquй; vous voyez tous ces bals, toutes ces fкtes, comme un philosophe, comme J.-J. Rousseau. Ces folies vous йtonnent sans vous sйduire.

 

Un mot venait d’йteindre l’imagination de Julien et de chasser de son cњur toute illusion. Sa bouche prit l’expression d’un dйdain un peu exagйrй peut-кtre.

 

– J.-J. Rousseau, rйpondit-il, n’est а mes yeux qu’un sot, lorsqu’il s’avise de juger le grand monde; il ne le comprenait pas, et y portait le cњur d’un laquais parvenu.

 

– Il a fait Le Contrat social, dit Mathilde du ton de la vйnйration.

 

– Tout en prкchant la rйpublique et le renversement des dignitйs monarchiques, ce parvenu est ivre de bonheur, si un duc change la direction de sa promenade aprиs dоner pour accompagner un de ses amis.

 

– Ah! oui, le duc de Luxembourg а Montmorency accompagne un M. Coindet du cфtй de Paris…, reprit Mlle de La Mole avec le plaisir et l’abandon de la premiиre jouissance de pйdanterie. Elle йtait ivre de son savoir, а peu prиs comme l’acadйmicien qui dйcouvrit l’existence du roi Feretrius. L’њil de Julien resta pйnйtrant et sйvиre. Mathilde avait eu un moment d’enthousiasme; la froideur de son partner la dйconcerta profondйment. Elle fut d’autant plus йtonnйe, que c’йtait elle qui avait coutume de produire cet effet-lа sur les autres.

 

Dans ce moment, le marquis de Croisenois s’avanзait avec empressement vers Mlle de La Mole. Il fut un instant а trois pas d’elle, sans pouvoir pйnйtrer а cause de la foule. Il la regardait en souriant de l’obstacle. La jeune marquise de Rouvray йtait prиs de lui, c’йtait une cousine de Mathilde. Elle donnait le bras а son mari, qui ne l’йtait que depuis quinze jours. Le marquis de Rouvray, fort jeune aussi, avait tout l’amour niais qui prend un homme qui, faisant un mariage de convenance uniquement arrangй par les notaires, trouve une personne parfaitement belle. M. de Rouvray allait кtre duc а la mort d’un oncle fort вgй.

 

Pendant que le marquis de Croisenois, ne pouvant percer la foule, regardait Mathilde d’un air riant, elle arrкtait ses grands yeux, d’un bleu cйleste, sur lui et ses voisins. Quoi de plus plat, se dit-elle, que tout ce groupe! Voilа Croisenois qui prйtend m’йpouser; il est doux, poli, il a des maniиres parfaites comme M. de Rouvray. Sans l’ennui qu’ils donnent, ces messieurs seraient fort aimables. Lui aussi me suivra au bal avec cet air bornй et content. Un an aprиs le mariage, ma voiture, mes chevaux, mes robes, mon chвteau а vingt lieues de Paris, tout cela sera aussi bien que possible, tout а fait ce qu’il faut pour faire pйrir d’envie une parvenue, une comtesse de Roiville par exemple; et aprиs?…

 

Mathilde s’ennuyait en espoir. Le marquis de Croisenois parvint а l’approcher et lui parlait, mais elle rкvait sans l’йcouter. Le bruit de ses paroles se confondait pour elle avec le bourdonnement du bal. Elle suivait machinalement de l’њil Julien, qui s’йtait йloignй d’un air respectueux, mais fier et mйcontent. Elle aperзut dans un coin, loin de la foule circulante, le comte Altamira, condamnй а mort dans son pays, que le lecteur connaоt dйjа. Sous Louis XIV, une de ses parentes avait йpousй un prince de Conti; ce souvenir le protйgeait un peu contre la police de la congrйgation.

 

Je ne vois que la condamnation а mort qui distingue un homme, pensa Mathilde: c’est la seule chose qui ne s’achиte pas.

 

Ah! c’est un bon mot que je viens de me dire! Quel dommage qu’il ne soit pas venu de faзon а m’en faire honneur! Mathilde avait trop de goыt pour amener dans la conversation un bon mot fait d’avance; mais elle avait aussi trop de vanitй pour ne pas кtre enchantйe d’elle-mкme. Un air de bonheur remplaзa dans ses traits l’apparence de l’ennui. Le marquis de Croisenois, qui lui parlait toujours, crut entrevoir le succиs, et redoubla de faconde.

 

Qu’est-ce qu’un mйchant pourrait objecter mon bon mot? se dit Mathilde. Je rйpondrais au critique: un titre de baron, de vicomte, cela s’achиte; une croix, cela se donne; mon frиre vient de l’avoir, qu’a-t-il fait? Un grade, cela s’obtient. Dix ans de garnison, ou un parent ministre de la guerre, et l’on est chef d’escadron comme Norbert. Une grande fortune!… c’est encore ce qu’il y a de plus difficile et par consйquent de plus mйritoire. Voilа qui est drфle! c’est le contraire de tout ce que disent les livres… Eh bien! pour la fortune, on йpouse la fille de M. Rothschild.

 

Rйellement mon mot a de la profondeur. La condamnation а mort est encore la seule chose que l’on ne se soit pas avisй de solliciter.

 

– Connaissez-vous le comte Altamira? dit-elle а M. de Croisenois.

 

Elle avait l’air de revenir de si loin, et cette question avait si peu de rapport avec tout ce que le pauvre marquis lui disait depuis cinq minutes, que son amabilitй en fut dйconcertйe. C’йtait pourtant un homme d’esprit et fort renommй comme tel.

 

Mathilde a de la singularitй, pensa-t-il; c’est un inconvйnient, mais elle donne une si belle position sociale а son mari! Je ne sais comment fait ce marquis de La Mole; il est liй avec ce qu’il y a de mieux dans tous les partis; c’est un homme qui ne peut sombrer. Et d’ailleurs, cette singularitй de Mathilde peut passer pour du gйnie. Avec une haute naissance et beaucoup de fortune, le gйnie n’est point un ridicule, et alors quelle distinction! Elle a si bien d’ailleurs, quand elle veut, ce mйlange d’esprit, de caractиre et d’а-propos qui fait l’amabilitй parfaite… Comme il est difficile de faire bien deux choses а la fois, le marquis rйpondait а Mathilde d’un air vide et comme rйcitant une leзon:

 

– Qui ne connaоt ce pauvre Altamira? Et il lui faisait l’histoire de sa conspiration manquйe, ridicule, absurde.

 

– Trиs absurde! dit Mathilde, comme se parlant а elle-mкme, mais il a agi. Je veux voir un homme; amenez-le-moi, dit-elle au marquis trиs choquй.

 

Le comte Altamira йtait un des admirateurs les plus dйclarйs de l’air hautain et presque impertinent de Mlle de La Mole; elle йtait suivant lui l’une des plus belles personnes de Paris.

 

– Comme elle serait belle sur un trфne! dit-il а M. de Croisenois; et il se laissa amener sans difficultйs.

 

Il ne manque pas de gens dans le monde qui veulent йtablir que rien n’est de mauvais ton comme une conspiration, cela sent le jacobin. Et quoi de plus laid que le jacobin sans succиs?

 

Le regard de Mathilde se moquait du libйralisme d’Altamira avec M. de Croisenois, mais elle l’йcoutait avec plaisir.

 

Un conspirateur au bal, c’est un joli contraste, pensait-elle. Elle trouvait а celui-ci, avec ses moustaches noires, la figure du lion quand il se repose; mais elle s’aperзut bientфt que son esprit n’avait qu’une attitude: l’utilitй, l’admiration pour l’utilitй.

 

Exceptй ce qui pouvait donner а son pays le gouvernement des deux Chambres, le jeune comte trouvait que rien n’йtait digne de son attention. Il quitta avec plaisir Mathilde, la plus sйduisante personne du bal, parce qu’il vit entrer un gйnйral pйruvien.

 

Dйsespйrant de l’Europe, le pauvre Altamira en йtait rйduit а penser que, quand les Йtats de l’Amйrique mйridionale seront forts et puissants, ils pourront rendre а l’Europe la libertй que Mirabeau leur a envoyйe.

 

Un tourbillon de jeunes gens а moustaches s’йtait approchй de Mathilde. Elle avait bien vu qu’Altamira n’йtait pas sйduit, et se trouvait piquйe de son dйpart; elle voyait son њil noir briller en parlant au gйnйral pйruvien. Mlle de La Mole regardait les jeunes Franзais avec ce sйrieux profond qu’aucune de ses rivales ne pouvait imiter. Lequel d’entre eux, pensait-elle, pourrait se faire condamner а mort, en lui supposant mкme toutes les chances favorables?

 

Ce regard singulier flattait ceux qui avaient peu d’esprit, mais inquiйtait les autres. Ils redoutaient l’explosion de quelque mot piquant et de rйponse difficile.

 

Une haute naissance donne cent qualitйs dont l’absence m’offenserait: je le vois par l’exemple de Julien, pensait Mathilde; mais elle йtiole ces qualitйs de l’вme qui font condamner а mort.

 

En ce moment quelqu’un disait prиs d’elle: Ce comte Altamira est le second fils du prince de San Nazaro-Pimentel, c’est un Pimentel qui tenta de sauver Conradin, dйcapitй en 1268. C’est l’une des plus nobles familles de Naples.

 

Voilа, se dit Mathilde, qui prouve joliment ma maxime: La haute naissance фte la force de caractиre sans laquelle on ne se fait point condamner а mort! Je suis donc prйdestinйe а dйraisonner ce soir. Puisque je ne suis qu’une femme comme une autre, eh bien! il faut danser. Elle cйda aux instances du marquis de Croisenois, qui depuis une heure sollicitait une galope. Pour se distraire de son malheur en philosophie, Mathilde voulut кtre parfaitement sйduisante, M. de Croisenois fut ravi.

 

Mais ni la danse, ni le dйsir de plaire а l’un des plus jolis hommes de la cour, rien ne put distraire Mathilde. Il йtait impossible d’avoir plus de succиs. Elle йtait la reine du bal, elle le voyait, mais avec froideur.

 

Quelle vie effacйe je vais passer avec un кtre tel que Croisenois! se disait-elle, comme il la ramenait а sa place une heure aprиs… Oщ est le plaisir pour moi, ajouta-t-elle tristement, si, aprиs six mois d’absence, je ne le trouve pas au milieu d’un bal qui fait l’envie de toutes les femmes de Paris? Et encore, j’y suis environnйe des hommages d’une sociйtй que je ne puis pas imaginer mieux composйe. Il n’y a ici de bourgeois que quelques pairs et un ou deux Julien peut-кtre. Et cependant, ajoutait-elle avec une tristesse croissante, quels avantages le sort ne m’a-t-il pas donnйs: illustration, fortune, jeunesse! hйlas! tout, exceptй le bonheur.

 

Les plus douteux de mes avantages sont encore ceux dont ils m’ont parlй toute la soirйe. L’esprit, j’y crois, car je leur fais peur йvidemment а tous. S’ils osent aborder un sujet sйrieux, au bout de cinq minutes de conversation ils arrivent tout hors d’haleine, et comme faisant une grande dйcouverte а une chose que je leur rйpиte depuis une heure. Je suis belle, j’ai cet avantage pour lequel Mme de Staлl eыt tout sacrifiй, et pourtant il est de fait que je meurs d’ennui. Y a-t-il une raison pour que je m’ennuie moins quand j’aurai changй mon nom pour celui du marquis de Croisenois?

 

Mais, mon Dieu! ajouta-t-elle presque avec l’envie de pleurer, n’est-ce pas un homme parfait? C’est le chef-d’њuvre de l’йducation de ce siиcle; on ne peut le regarder sans qu’il trouve une chose aimable et mкme spirituelle а vous dire; il est brave… Mais ce Sorel est singulier, se dit-elle, et son њil quittait l’air morne pour l’air fвchй. Je l’ai averti que j’avais а lui parler, et il ne daigne pas reparaоtre!


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 103 | Нарушение авторских прав


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