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En matière de politique linguistique, la Révolution défend l’idée qu’il faut imposer la langue nationale à tous les Français (on considère que les grands principes de la Révolution impliquent l’unification linguistique) et que les autres langues parlées sur le territoire sont des facteurs de division: les révolutionnaires ont l’impression que les autres idiomes que le français sont les instruments de la contre-révolution: «cette diversité d’idiomes grossiers … prolongent l’enfance de la raison et la vieillesse des préjugés» (l’abbé Grégoire). Avec la Révolution naît donc une certaine idée de la France linguistique unifiée, idée qui ne laisse pas de place aux langues régionales.
La Révolution de 1789 va avoir deux incidences sur la langue: elle va, d’une part, marquer durablement le lexique français et, d’autre part, élaborer un discours idéologique sur les rapports entre langue et nation; ce discours fonde une nouvelle politique linguistique, essentiellement centraliste.
Quant au code lui-même du français, il ne changea pas beaucoup au XVIIIe siècle. Le français populaire ne remplaça pas la langue aristocratique. Tout vint d’en haut, c’est-à-dire de la bourgeoisie dont la variété de français n’était pas vraiment très différente de celle de l’Ancien Régime. L’influence populaire concernait la prononciation de l’ancienne diphtongue - oi qui, de wé (dans loi), passa à wa. Par ailleurs, le «tutoiement révolutionnaire» et le titre égalitariste de citoyen/citoyenne à la place de monsieur/madame ne persistèrent pas. Cependant, le vocabulaire subit un certain remue-ménage en raison des nouvelles réalités politiques et sociales. Mais le français ne fut pas envahi par des mots «populaires». Après tout, c’est la bourgeoisie qui dirigeait les assemblées délibérantes, qui orientait les débats, qui alimentait les idées révolutionnaires et qui contrôlait le pouvoir dont le peuple était écarté.
La période révolutionnaire mit en valeur le sentiment national, renforcé par la nécessité de défendre le pays contre les armées étrangères appelées par les nobles en exil qui n’acceptaient pas leur déchéance. Ce mouvement de patriotisme s’étendit aussi au domaine de la langue; pour la première fois, on associa langue et nation. Désormais, la langue devint une affaire d’État: il fallait doter d’une langue nationale la «République unie et indivisible» et élever le niveau des masses par l’instruction ainsi que par la diffusion du français.
«Guerre aux patois»
Or, l’idée même d’une «République unie et indivisible», ne pouvait se concilier avec le morcellement linguistique et le particularisme des anciennes provinces. Les révolutionnaires bourgeois y virent un obstacle à la propagation de leurs idées; ils déclarèrent la guerre aux patois. Bertrand Barère, membre du Comité de salut public, déclencha l’offensive en faveur de l’existence d’une langue nationale: «La monarchie avait des raisons de ressembler à la tour de Babel; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la langue nationale, incapables de contrôler le pouvoir, c’est trahir la patrie... Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous.»
Dans un rapport «sur les idiomes» qu’il présenta devant la Convention du 27 janvier 1794, Barère expliqua: «Combien de dépenses n’avons-nous pas faites pour la traduction des lois des deux premières assemblées nationales dans les divers idiomes de France! Comme si c’était à nous à maintenir ces jargons barbares et ces idiomes grossiers qui ne peuvent plus servir que les fanatiques et les contre-révolutionnaires!»
Il n’était pas le seul, les membres de la classe dirigeante de la Révolution étaient nombreux dans ce cas. L’un des plus célèbres d’entre eux fut l’abbé Henri-Baptiste Grégoire (1750 – 1831).
Le 6 juin 1794 l’abbé Grégoire présenta devant la Convention son rapport intitulé «Sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française» où il examina la situation réelle de la langue française en France à la fin du XVIII е s. L’abbé y dénonça la situation linguistique de la France républicaine qui, «avec trente patois différents», en était encore «à la tour de Babel», alors que «pour la liberté» elle forme «l’avant-garde des nations». Avec une sorte d’effarement, l’abbé Grégoire révéla dans son rapport qu’on ne parlait «exclusivement» le français que dans «environ 15 départements» (sur 83). L’enquête avait fait ressortir que la langue française n’était vraiment en usage que le long de grands axes de communication, dans les villes et parlée par les classes supérieures, mais de larges parties du territoire et de grandes portions de la population ne la pratiquaient pas. Il lui paraissait paradoxal, et pour le moins insupportable, de constater que moins de trois millions de Français sur 25 parlaient la langue nationale, alors que celle-ci était utilisée et unifiée «même dans le Canada et sur les bords du Mississipi».
Un discours se développa dans lequel le terme langue reste l’apanage exclusif du français appelé «notre langue». Tout ce qui n’est pas français s’appelle patois ou idiomes féodaux: ce sont pour Grégoire le breton, le normand, le picard, le provençal, le gascon, le basque, etc. Il parle même de «l’italien de Corse» (corse) et de «l’allemand des Haut et Bas-Rhin» (alsacien) qu’il qualifie d’«idiomes très-dégénérés». Enfin, il signale que «les nègres de nos colonies» pratiquent «une espèce d’idiome pauvre» qu’il associe à la «la langue franque».
Dès lors, il devenait nécessaire d’imposer le français par des décrets rigoureux à travers toute la France.
Le décret du 2 Thermidor (20 juillet 1794) sanctionna la terreur linguistique. À partir de ce moment, les patois locaux furent pourchassés. Cette loi linguistique donna, au surplus, une bonne idée des intentions des dirigeants révolutionnaires.
Article 1. À compter du jour de la publication de la présente loi, nul acte public ne pourra, dans quelque partie que ce soit du territoire de la République, être écrit qu’en langue française.
Article 2. Après le mois qui suivra la publication de la présente loi, il ne pourra être enregistré aucun acte, même sous seing privé, s’il n’est écrit en langue française.
Article 3. Tout fonctionnaire ou officier public, tout agent du Gouvernement qui, dressera, écrira ou souscrira, dans l’exercice de ses fonctions, des procès-verbaux, jugements, contrats ou autres actes généralement quelconques conçus en idiomes ou langues autres que la française, sera traduit devant le tribunal de police correctionnelle de sa résidence, condamné à six mois d’emprisonnement, et destitué.
Le décret du 30 Vendémiaire an II (17 novembre 1794): «Dans toutes les parties de la République, l’instruction (primaire) ne se fait qu’en langue française.»
On voit dans l’école l’instrument le plus puissant d’imposer la langue française à tous les citoyens de la République. C’est Talleyrand (1754 – 1838), l’un des grands hommes politiques de l’époque, qui, le premier, abordant ce thème à l’Assemblée nationale, le 10 septembre 1791, proposa qu’il y ait une école primaire dans chacune des municipalités: «La langue de la Constitution et des lois y sera enseignée à tous; et cette foule de dialectes corrompus, dernier reste de la féodalité, sera contrainte de disparaître; la force des choses le commande». Par la suite, les différents projets de politique scolaire reprennent tous ces thèmes, proposant de remplacer le latin par le français dans l’enseignement.
Mais ni la «terreur linguistique», ni la scolarisation ne réussirent pas à détruire la «tour de Babel dialectale». Outre les résistances, la sécularisation des lieux ecclésiastiques entraîna la disparition de la plupart des écoles alors que l’État n’avait pas les moyens de les remplacer. L’enseignement du français demeura une ambition que les petites écoles de village ne purent se permettre de satisfaire, faute de moyens financiers et faute d’instituteurs.
Même à Paris les écoles publiques ne fonctionnèrent pas, sinon fort mal, en raison du manque d’enseignants (salaires trop bas, recrutement déplorable, absence de formation, etc.). Dans les écoles qui arrivaient à fonctionner, les administrations locales préférèrent traduire en patois ou en dialecte plutôt que d’utiliser le français; par souci de réalisme, le système de la traduction se poursuivit tout au long de la Révolution.
Дата добавления: 2015-08-03; просмотров: 139 | Нарушение авторских прав
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