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L’école fut le grand obstacle à la diffusion du français. L’État et l’Église estimaient que l’instruction était inutile pour le peuple et même dangereuse. Voici à ce sujet l’opinion d’un intendant de Provence (1782), opinion très révélatrice de l’attitude générale qu’on partageait alors face aux écoles: «Non seulement le bas peuple n’en a pas besoin, mais j’ai toujours trouvé qu’il n’y en eût point dans les villages. Un paysan qui sait lire et écrire quitte l’agriculture sans apprendre un métier, ce qui est un très grand mal!»
Pour l’Église, le désir de conquérir des âmes à Dieu ne passait pas non plus par le français; au contraire, le français était considéré comme une barrière à la propagation de la foi, et il fallait plutôt s’en tenir aux patois intelligibles au peuple. Sermons, instructions, confessions, exercices de toutes sortes, catéchismes et prières devaient être prononcés ou appris en patois.
De toute façon, il n’y avait pas ou fort peu de maîtres capables d’enseigner le français. La plupart des maîtres d’école étaient des miséreux qui travaillaient moyennant une très faible rétribution. S’ils connaissaient le français, cela ne voulait pas nécessairement dire qu’ils pouvaient l’écrire. De plus, les manuels en français étaient rares. On n’introduisit réellement l’enseignement de la grammaire, de l’écriture et de la lecture qu’en 1738, tout en conservant un système pédagogique complètement démodé: l’enfant devait se plier à la règle traditionnelle qui exigeait d’apprendre à lire en latin d’abord, avant de passer au français. Enfin, dans les collèges et universités, l’Église s’obstinait à utiliser son latin comme langue d’enseignement, langue qui demeurait encore au XVIIIe siècle la clé des carrières intéressantes. Dans de telles conditions, on ne se surprendra pas que l’école fut même la source principale de l’ignorance du français chez le peuple.
3. Une langue internationale.
Voltaire dans son «Siècle de Louis XIV» écrit que le français «est devenu la langue de l’Europe».
En 1714, lors du traité de Rastadt, le français «officiel» fut employé pour la première fois dans la rédaction d’un document juridique international. Désormais le latin est définitivement éliminé des rapports internationaux. Donc, au XVIII e s. le français devient la langue de civilisation et diplomatie européennes, cette fonction durera pendant deux siècles – jusqu’à la guerre de 1914 – 1918. L’extension de la langue «françoise» était alors considérable, en raison des conquêtes royales et de l’exode des protestants (huguenots) hors de France.
Le prestige de la langue classique et de sa littérature contribue à la diffusion du français surtout hors de France. Au XVIIIe s., un aristocrate qui se respectait se devait de parler le français et c’était presque une honte que de l’ignorer. Il s’agit d’une vraie «gallomanie» dans l’Europe aristocratique. Les Anglais ont inventé le mot gallomanie – du latin Gallus («Gaulois») et «manie», ce qui signifie «tendance à admirer aveuglément tout ce qui est français».
Cette langue est particulièrement diffusée en Angleterre et aux Pays-Bas, mais aussi en Allemagne, en Suisse, en Italie, dans les pays scandinaves (Danemark et Norvège), en Hongrie, en Pologne, en Russie tsariste et jusque dans les Amériques. Cette langue aristocratique était parlée dans presque toutes les chancelleries de l’Europe. En fait, il n’était pas une cour allemande ou italienne, où l’on ne trouvait pas des Français ministres, ingénieurs, fonctionnaires, chambellans, maîtres de ballet, académiciens, peintres ou architectes. Frédéric II (Prusse), le prince de Ligne (Autriche), Giovanni Giacomo Casanova (Italie), Jacob Grimm (Allemagne), l’abbé Ferdinando Galiani (Italie), Robert Walpole (Grande-Bretagne), Catherine II de Russie, Marie-Thérèse d’Autriche, Joseph II (Autriche) écrivaient en français excellent. Paris était alors la «capitale universelle». Le personnage le plus prestigieux de toute l’Europe, Frédéric II de Prusse, ordonne de publier en français les mémoires de l’Académie des sciences de Berlin (1743); motif: «Les Académies, pour être utiles, doivent communiquer leurs découvertes dans la langue universelle, et cette langue est le français.»
Voltaire explique ainsi l’universalité du français en son temps: «La langue française est de toutes les langues celle qui exprime avec le plus de facilité, de netteté, de délicatesse tous les objets de la conversation des honnêtes gens».
Cette question de l’universalité de la langue française fit même l’objet d’un concours organisé par l’Académie de Berlin, auquel Antoine de Rivarol prit part; son Discours sur l’universalité de la langue française (1784) fut couronné. Il y déclara notamment que «ce qui n’est pas clair n’est pas français; ce qui n’est pas clair est encore anglais, italien, grec ou latin». Mais cette période dite «glorieuse» allait prendre fin bientôt.
La position du français au XVII e s. fascinait bien des esprits régnants et exerçait encore au XVIII e s. une séduction certaine. Le latin étant tombé en désuétude, le français l’a remplacé comme langue de vulgarisation scientifique. Aucune autre langue ne pouvait rivaliser avec le français pour la quantité et la qualité des publications, traductions ou journaux. Non seulement le français servit comme instrument de communication international en Europe, au surplus normalisé et codifié, mais il constitua également un moyen d’identification pour les gens instruits. Connaître le français, c’était faire preuve de son appartenance au cosmopolitisme de son temps et, par le fait même, de son rang.
Le français demeura donc, par-delà les nationalités, une langue de classe à laquelle toute l’Europe aristocratique s’identifia.
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