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Chapitre XXXIX. L’Intrigue

Chapitre XXVIII. Manon Lescaut | Chapitre XXIX. L’Ennui | Chapitre XXX. Une loge aux Bouffes | Chapitre XXXI. Lui faire peur | Chapitre XXXII. Le Tigre | Chapitre XXXIII. L’Enfer de la faiblesse | Chapitre XXXIV. Un homme d’esprit | Chapitre XXXV. Un orage | Chapitre XXXVI. Dйtails tristes | Chapitre XXXVII. Un donjon |


Читайте также:
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  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Castres, 1676. – Un frиre vient d’assassiner sa sњur dans la maison voisine de la mienne; ce gentilhomme йtait dйjа coupable d’un meurtre. Son pиre, en faisant distribuer secrиtement cinq cent йcus aux conseillers, lui a sauvй la vie.

 

LOCKE, Voyage en France.

 

En sortant de l’йvкchй, Mathilde n’hйsita pas а envoyer un courrier а Mme de Fervaques; la crainte de se compromettre ne l’arrкta pas une seconde. Elle conjurait sa rivale d’obtenir une lettre pour M. de Frilair йcrite en entier de la main de monseigneur l’йvкque de ***. Elle allait jusqu’а la supplier d’accourir elle-mкme а Besanзon. Ce trait fut hйroпque de la part d’une вme jalouse et fiиre.

 

D’aprиs le conseil de Fouquй, elle avait eu la prudence de ne point parler de ses dйmarches а Julien. Sa prйsence le troublait assez sans cela. Plus honnкte homme а l’approche de la mort qu’il ne l’avait йtй durant sa vie, il avait des remords non seulement envers M. de La Mole, mais aussi pour Mathilde.

 

Quoi donc! se disait-il, je trouve auprиs d’elle des moments de distraction et mкme de l’ennui. Elle se perd pour moi, et c’est ainsi que je l’en rйcompense! Serais-je donc un mйchant? Cette question l’eыt bien peu occupй quand il йtait ambitieux; alors ne pas rйussir йtait la seule honte а ses yeux.

 

Son malaise moral, auprиs de Mathilde, йtait d’autant plus dйcidй, qu’il lui inspirait en ce moment la passion la plus extraordinaire et la plus folle. Elle ne parlait que des sacrifices йtranges qu’elle voulait faire pour le sauver.

 

Exaltйe par un sentiment dont elle йtait fiиre et qui l’emportait sur tout son orgueil, elle eыt voulu ne pas laisser passer un instant de sa vie sans le remplir par quelque dйmarche extraordinaire. Les projets les plus йtranges, les plus pйrilleux pour elle remplissaient ses longs entretiens avec Julien. Les geфliers, bien payйs, la laissaient rйgner dans la prison. Les idйes de Mathilde ne se bornaient pas au sacrifice de sa rйputation; peu lui importait de faire connaоtre son йtat а toute la sociйtй. Se jeter а genoux pour demander la grвce de Julien, devant la voiture du roi allant au galop, attirer l’attention du prince, au risque de se faire mille fois йcraser, йtait une des moindres chimиres que rкvait cette imagination exaltйe et courageuse. Par ses amis employйs auprиs du roi, elle йtait sыre d’кtre admise dans les parties rйservйes du parc de Saint-Cloud.

 

Julien se trouvait peu digne de tant de dйvouement, а vrai dire il йtait fatiguй d’hйroпsme. C’eыt йtй а une tendresse simple, naпve et presque timide qu’il se fыt trouvй sensible, tandis qu’au contraire, il fallait toujours l’idйe d’un public et des autres а l’вme hautaine de Mathilde.

 

Au milieu de toutes ses angoisses, de toutes ses craintes pour la vie de cet amant, auquel elle ne voulait pas survivre, elle avait un besoin secret d’йtonner le public par l’excиs de son amour et la sublimitй de ses entreprises.

 

Julien prenait de l’humeur de ne point se trouver touchй de tout cet hйroпsme. Qu’eыt-ce йtй, s’il eыt connu toutes les folies dont Mathilde accablait l’esprit dйvouй, mais йminemment raisonnable et bornй du bon Fouquй?

 

Il ne savait trop que blвmer dans le dйvouement de Mathilde; car lui aussi eыt sacrifiй toute sa fortune et exposй sa vie aux plus grands hasards pour sauver Julien. Il йtait stupйfait de la quantitй d’or jetйe par Mathilde. Les premiers jours, les sommes ainsi dйpensйes en imposиrent а Fouquй, qui avait pour l’argent toute la vйnйration d’un provincial.

 

Enfin, il dйcouvrit que le projets de Mlle de La Mole variaient souvent, et, а son grand soulagement, trouva un mot pour blвmer ce caractиre si fatigant pour lui: elle йtait changeante. De cette йpithиte а celle de mauvaise tкte, le plus grand anathиme en province, il n’y a qu’un pas.

 

Il est singulier, se disait Julien, un jour que Mathilde sortait de sa prison, qu’une passion si vive et dont je suis l’objet me laisse tellement insensible! et je l’adorais il y a deux mois! J’avais bien lu que l’approche de la mort dйsintйresse de tout; mais il est affreux de se sentir ingrat et d ne pouvoir se changer. Je suis donc un йgoпste? Il se faisait а ce sujet les reproches les plus humiliants.

 

L’ambition йtait morte en son cњur, une autre passion y йtait sortie de ses cendres; il l’appelait le remords d’avoir assassinй Mme de Rкnal.

 

Dans le fait, il en йtait йperdument amoureux. Il trouvait un bonheur singulier quand, laissй absolument seul et sans crainte d’кtre interrompu, il pouvait se livrer tout entier au souvenir des journйes heureuses qu’il avait passйes jadis а Verriиre ou а Vergy. Les moindres incidents de ces temps trop rapidement envolйs avaient pour lui une fraоcheur et un charme irrйsistibles. Jamais il ne pensait а ses succиs de Paris; il en йtait ennuyй.

 

Ces dispositions qui s’accroissaient rapidement furent en partie devinйes par la jalousie de Mathilde. Elle s’apercevait fort clairement qu’elle avait а lutter contre l’amour de la solitude. Quelquefois, elle prononзait avec terreur le nom de Mme de Rкnal. Elle voyait frйmir Julien. Sa passion n’eut dйsormais ni bornes, ni mesure.

 

S’il meurt, je meurs aprиs lui, se disait-elle avec toute la bonne foi possible. Que diraient les salon de Paris en voyant une fille de mon rang adorer а ce point un amant destinй а la mort? Pour trouver de tels sentiments, il faut remonter au temps des hйros; c’йtaient des amours de ce genre qui faisaient palpiter les cњurs du siиcle de Charles IX et de Henri III.

 

Au milieu des transports les plus vifs, quand elle serrait contre son cњur la tкte de Julien: Quoi! se disait-elle avec horreur, cette tкte charmante serait destinйe а tomber! Eh bien! ajoutait-elle enflammйe d’un hйroпsme qui n’йtait pas sans bonheur, mes lиvres, qui se pressent contre ces jolies cheveux, seront glacйes moins de vingt-quatre heures aprиs.

 

Les souvenirs de ces moments d’hйroпsme et d’affreuse voluptй l’attachaient d’une йtreinte invincible. L’idйe de suicide, si occupante par elle-mкme, et jusqu’ici si йloignйe de cette вme altиre, y pйnйtra, et bientфt y rйgna avec un empire absolu. Non, le sang de mes ancкtres ne s’est point attiйdi en descendant jusqu’а moi, se disait Mathilde avec orgueil.

 

– J’ai une grвce а vous demander, lui dit un jour son amant: mettez votre enfant en nourrice а Verriиres, Mme de Rкnal surveillera la nourrice.

 

– Ce que vous me dites lа est bien dur… Et Mathilde pвlit.

 

– Il est vrai, et je t’en demande mille fois pardon, s’йcria Julien sortant de sa rкverie et la serrant dans ses bras.

 

Aprиs avoir sйchй ses larmes, il revint а sa pensйe, mais avec plus d’adresse. Il avait donnй а la conversation un tour de philosophie mйlancolique. Il parlait de cet avenir qui allait si tфt se fermer pour lui.

 

– Il faut convenir, chиre amie, que les passions sont un accident dans la vie, mais cet accident ne se rencontre que chez les вmes supйrieures… La mort de mon fils serait au fond un bonheur pour l’orgueil de votre famille, c’est ce que devineront les subalternes. La nйgligence sera le lot de cet enfant du malheur et de la honte… J’espиre qu’а une йpoque que je ne veux point fixer, mais que pourtant mon courage entrevoit, vous obйirez а mes derniиres recommandations: vous йpouserez M. le marquis de Croisenois.

 

– Quoi, dйshonorйe!

 

– Le dйshonneur ne pourra prendre sur un nom tel que le vфtre. Vous serez une veuve et la veuve d’un fou, voilа tout. J’irai plus loin: mon crime n’ayant point l’argent pour moteur ne sera point dйshonorant. Peut-кtre, а cette йpoque, quelque lйgislateur philosophe aura obtenu, des prйjugйs de ses contemporains, la suppression de la peine de mort. Alors, quelque voix amie dira comme un exemple: Tenez, le premier йpoux de Mlle de La Mole йtait un fou, mais non pas un mйchant homme, un scйlйrat. Il fut absurde de faire tomber cette tкte… Alors ma mйmoire ne sera point infвme; du moins aprиs un certain temps… Votre position dans le monde, votre fortune, et, permettez-moi de le dire, votre gйnie feront jouer а M. de Croisenois, devenu votre йpoux, un rфle auquel tout seul il ne saurait atteindre. Il n’a que de la naissance et de la bravoure, et ces qualitйs toutes seules, qui faisaient un homme accompli en 1729, sont un anachronisme un siиcle plus tard, et ne donnent que des prйtentions. Il faut encore d’autres choses pour se placer а la tкte de la jeunesse franзaise.

 

Vous porterez le secours d’un caractиre ferme et entreprenant au parti politique oщ vous jetterez votre йpoux. Vous pourrez succйder aux Chevreuse et aux Longueville de la Fronde… Mais alors, chиre amie, le feu cйleste qui vous anime en ce moment sera un peu attiйdi.

 

Permettez-moi de vous le dire, ajouta-t-il aprиs beaucoup d’autres phrases prйparatoires, dans quinze ans vous regarderez comme une folie excusable, mais pourtant comme une folie, l’amour que vous avez eu pour moi…

 

Il s’arrкta tout а coup et devint rкveur. Il se trouvait de nouveau vis-а-vis de cette idйe si choquante pour Mathilde: dans quinze ans Mme de Rкnal adorera mon fils, et vous l’aurez oubliй.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 31 | Нарушение авторских прав


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