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Chapitre XXXIII. L’Enfer de la faiblesse

Chapitre XXII. La Discussion | Chapitre XXIII. Le Clergй, les Bois, la Libertй | Chapitre XXIV. Strasbourg | Chapitre XXV. Le Ministиre de la vertu | Chapitre XXVI. L’Amour moral | Chapitre XXVII. Les plus belles Places de l’Йglise | Chapitre XXVIII. Manon Lescaut | Chapitre XXIX. L’Ennui | Chapitre XXX. Une loge aux Bouffes | Chapitre XXXI. Lui faire peur |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

En taillant ce diamant, un lapidaire malhabile lui a фtй quelques-unes de ses plus vives йtincelles. Au moyen вge, que dis-je? encore sous Richelieu, le Franзais avait la force de vouloir.

 

MIRABEAU.

 

Julien trouva le marquis furieux: pour la premiиre fois de sa vie, peut-кtre, ce seigneur fut de mauvais ton; il accabla Julien de toutes les injures qui lui vinrent а la bouche. Notre hйros fut йtonnй, impatientй, mais sa reconnaissance n’en fut point йbranlйe. Que de beaux projets depuis longtemps chйris au fond de sa pensйe le pauvre homme voit crouler en un instant! Mais je lui dois de lui rйpondre, mon silence augmenterait sa colиre. La rйponse fut fournie par le rфle de Tartufe.

 

– Je ne suis pas un ange… Je vous ai bien servi, vous m’avez payй avec gйnйrositй… J’йtais reconnaissant, mais j’ai vingt-deux ans… Dans cette maison, ma pensйe n’йtait comprise que de vous et de cette personne aimable…

 

– Monstre! s’йcria le marquis. Aimable! aimable! Le jour oщ vous l’avez trouvйe aimable, vous deviez fuir.

 

– Je l’ai tentй; alors, je vous demandai de partir pour le Languedoc.

 

Las de se promener avec fureur, le marquis, domptй par la douleur, se jeta dans un fauteuil; Julien l’entendit se dire а demi-voix: Ce n’est point lа un mйchant homme.

 

– Non, je ne le suis pas pour vous, s’йcria Julien en tombant а ses genoux. Mais il eut une honte extrкme de ce mouvement et se releva bien vite.

 

Le marquis йtait rйellement йgarй. А la vue de ce mouvement, il recommenзa а l’accabler d’injures atroces et dignes d’un cocher de fiacre. La nouveautй de ces jurons йtait peut-кtre une distraction.

 

– Quoi! ma fille s’appellera Mme Sorel! quoi! ma fille ne sera pas duchesse! Toutes les fois que ces deux idйes se prйsentaient aussi nettement, M. de La Mole йtait torturй et les mouvements de son вme n’йtaient plus volontaires. Julien craignit d’кtre battu.

 

Dans les intervalles lucides, et lorsque le marquis commenзait а s’accoutumer а son malheur, il adressait а Julien des reproches assez raisonnables:

 

– Il fallait fuir, Monsieur, lui disait-il… Votre devoir йtait de fuir… Vous кtes le dernier des hommes…

 

Julien s’approcha de la table et йcrivit:

 

«Depuis longtemps la vie m’est insupportable, j’y mets un terme. Je prie Monsieur le Marquis d’agrйer, avec l’expression d’une reconnaissance sans bornes, mes excuses de l’embarras que ma mort dans son hфtel peut causer.»

 

– Que Monsieur le Marquis daigne parcourir ce papier… Tuez-moi, dit Julien, ou faites-moi tuer par votre valet de chambre. Il est une heure du matin, je vais me promener au jardin vers le mur du fond.

 

– Allez а tous les diables, lui cria le marquis comme il s’en allait.

 

– Je comprends, pensa Julien; il ne serait pas fвchй de me voir йpargner la faзon de ma mort а son valet de chambre… Qu’il me tue, а la bonne heure, c’est une satisfaction que je lui offre… Mais, parbleu, j’aime la vie… Je me dois а mon fils.

 

Cette idйe, qui pour la premiиre fois paraissait aussi nettement а son imagination, l’occupa tout entier aprиs les premiиres minutes de promenade donnйes au sentiment du danger.

 

Cet intйrкt si nouveau en fit un кtre prudent. Il me faut des conseils pour me conduire avec cet homme fougueux… Il n’a aucune raison, il est capable de tout. Fouquй est trop йloignй, d’ailleurs il ne comprendrait pas les sentiments d’un cњur tel que celui du marquis.

 

Le comte Altamira… Suis-je sыr d’un silence йternel? Il ne faut pas que ma demande de conseils soit une action, et complique ma position. Hйlas! il ne me reste que le sombre abbй Pirard… Son esprit est rйtrйci par le jansйnisme… Un coquin de jйsuite connaоtrait le monde, et serait mieux mon fait… M. Pirard est capable de me battre au seul йnoncй du crime.

 

Le gйnie de Tartufe vint au secours de Julien: Eh bien, j’irai me confesser а lui. Telle fut la derniиre rйsolution qu’il prit au jardin aprиs s’кtre promenй deux grandes heures. Il ne pensait plus qu’il pouvait кtre surpris par un coup de fusil, le sommeil le gagnait.

 

Le lendemain de trиs grand matin, Julien йtait а plusieurs lieues de Paris, frappant а la porte du sйvиre jansйniste. Il trouva, а son grand йtonnement, qu’il n’йtait point trop surpris de sa confidence.

 

J’ai peut-кtre des reproches а me faire, se disait l’abbй plus soucieux qu’irritй. J’avais cru deviner cet amour. Mon amitiй pour vous, petit malheureux, m’a empкchй d’avertir le pиre…

 

– Que va-t-il faire? lui dit vivement Julien.

 

(Il aimait l’abbй en ce moment, et une scиne lui eыt йtй fort pйnible.)

 

Je vois trois partis, continua Julien: I° M. de La Mole peut me faire donner la mort; et il raconta la lettre de suicide qu’il avait laissйe au marquis; 2° me faire tirer au blanc par le comte Norbert, qui me demanderait un duel.

 

– Vous accepteriez? dit l’abbй furieux, et se levant.

 

– Vous ne me laissez pas achever. Certainement je ne tirerais jamais sur le fils de mon bienfaiteur.

 

3° Il peut m’йloigner. S’il me dit: Allez а Йdimbourg, а New-York, j’obйirai. Alors on peut cacher la position de Mlle de La Mole; mais je ne souffrirai point qu’on supprime mon fils.

 

– Ce sera lа, n’en doutez point, la premiиre idйe de cet homme corrompu…

 

А Paris, Mathilde йtait au dйsespoir. Elle avait vu son pиre vers les sept heures. Il lui avait montrй la lettre de Julien, elle tremblait qu’il n’eыt trouvй noble de mettre fin а sa vie: Et sans ma permission? se disait-elle avec une douleur qui йtait de la colиre.

 

– S’il est mort, je mourrai, dit-elle а son pиre. C’est vous qui serez cause de sa mort… Vous vous en rйjouirez peut-кtre… Mais je le jure а ses mвnes, d’abord je prendrai le deuil, et serai publiquement Mme veuve Sorel, j’enverrai mes billets de faire part, comptez lа-dessus… Vous ne me trouverez pusillanime ni lвche.

 

Son amour allait jusqu’а la folie. А son tour, M. de La Mole fut interdit.

 

Il commenзa а voir les йvйnements avec quelque raison. Au dйjeuner, Mathilde ne parut point. Le marquis fut dйlivrй d’un poids immense, et surtout flattй, quand il s’aperзut qu’elle n’avait rien dit а sa mиre.

 

Julien descendait de cheval. Mathilde le fit appeler, et se jeta dans ses bras presque а la vue de sa femme de chambre. Julien ne fut pas trиs reconnaissant de ce transport, il sortait fort diplomate et fort calculateur de sa longue confйrence avec l’abbй Pirard. Son imagination йtait йteinte par le calcul des possibles. Mathilde, les larmes aux yeux, lui apprit qu’elle avait vu sa lettre de suicide.

 

– Mon pиre peut se raviser; faites-moi le plaisir de partir а l’instant mкme pour Villequier. Remontez а cheval, sortez de l’hфtel avant qu’on ne se lиve de table.

 

Comme Julien ne quittait point l’air йtonnй et froid, elle eut un accиs de larmes.

 

– Laisse-moi conduire nos affaires, s’йcria-t-elle avec transport, et en le serrant dans ses bras. Tu sais bien que ce n’est pas volontairement que je me sйpare de toi. Йcris sous le couvert de ma femme de chambre, que l’adresse soit d’une main йtrangиre, moi je t’йcrirai des volumes. Adieu! fuis.

 

Ce dernier mot blessa Julien, il obйit cependant. Il est fatal, pensait-il, que, mкme dans leurs meilleurs moments, ces gens-lа trouvent le secret de me choquer.

 

Mathilde rйsista avec fermetй а tous les projets prudents de son pиre. Elle ne voulut jamais йtablir la nйgociation sur d’autres bases que celles-ci: Elle serait Mme Sorel, et vivrait pauvrement avec son mari en Suisse, ou chez son pиre а Paris. Elle repoussait bien loin la proposition d’un accouchement clandestin.

 

– Alors commencerait pour moi la possibilitй de la calomnie et du dйshonneur. Deux mois aprиs le mariage, j’irai voyager avec mon mari, et il nous sera facile de supposer que mon fils est nй а une йpoque convenable.

 

D’abord accueillie par des transports de colиre, cette fermetй finit par donner des doutes au marquis.

 

Dans un moment d’attendrissement:

 

– Tiens! dit-il а sa fille, voilа une inscription de dix mille livres de rente, envoie-la а ton Julien, et qu’il me mette bien vite dans l’impossibilitй de la reprendre.

 

Pour obйir а Mathilde, dont il connaissait l’amour pour le commandement, Julien avait fait quarante lieues inutiles: il йtait а Villequier, rйglant les comptes des fermiers; ce bienfait du marquis fut l’occasion de son retour. Il alla demander asile а l’abbй Pirard, qui, pendant son absence, йtait devenu l’alliй le plus utile de Mathilde. Toutes les fois qu’il йtait interrogй par le marquis, il lui prouvait que tout autre parti que le mariage public serait un crime aux yeux de Dieu.

 

– Et par bonheur, ajoutait l’abbй, la sagesse du monde est ici d’accord avec la religion. Pourrait-on compter un instant, avec le caractиre fougueux de Mlle de La Mole, sur le secret qu’elle ne se serait pas imposй а elle-mкme? Si l’on n’admet pas la marche franche d’un mariage public, la sociйtй s’occupera beaucoup plus longtemps de cette mйsalliance йtrange. Il faut tout dire en une fois, sans apparence ni rйalitй du moindre mystиre.

 

– Il est vrai, dit le marquis pensif. Dans ce systиme, parler de ce mariage aprиs trois jours devient un rebвchage d’homme qui n’a pas d’idйes. Il faudrait profiter de quelque grande mesure antijacobine du gouvernement pour se glisser incognito а la suite.

 

Deux ou trois amis de M. de La Mole pensaient comme l’abbй Pirard. Le grand obstacle, а leurs yeux, йtait le caractиre dйcidй de Mathilde. Mais aprиs tant de beaux raisonnements, l’вme du marquis ne pouvait s’accoutumer а renoncer а l’espoir du tabouret pour sa fille.

 

Sa mйmoire et son imagination йtaient remplies des roueries et des faussetйs de tous genres qui йtaient encore possibles dans sa jeunesse. Cйder а la nйcessitй, avoir peur de la loi lui semblait chose absurde et dйshonorante pour un homme de son rang. Il payait cher maintenant ces rкveries enchanteresses qu’il se permettait depuis dix ans sur l’avenir de cette fille chйrie.

 

Qui l’eыt pu prйvoir? se disait-il. Une fille d’un caractиre si altier, d’un gйnie si йlevй, plus fiиre que moi du nom qu’elle porte! dont la main m’йtait demandйe d’avance par tout ce qu’il y a de plus illustre en France!

 

Il faut renoncer а toute prudence. Ce siиcle est fait pour tout confondre! Nous marchons vers le chaos.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 53 | Нарушение авторских прав


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