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Chapitre XXXIV. Un homme d’esprit

Chapitre XXIII. Le Clergй, les Bois, la Libertй | Chapitre XXIV. Strasbourg | Chapitre XXV. Le Ministиre de la vertu | Chapitre XXVI. L’Amour moral | Chapitre XXVII. Les plus belles Places de l’Йglise | Chapitre XXVIII. Manon Lescaut | Chapitre XXIX. L’Ennui | Chapitre XXX. Une loge aux Bouffes | Chapitre XXXI. Lui faire peur | Chapitre XXXII. Le Tigre |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Le prйfet cheminant sur son cheval se disait: Pourquoi ne serais-je pas ministre, prйsident du conseil, duc? Voici comment je ferai la guerre… Par ce moyen je jetterais les novateurs dans les fers…

 

LE GLOBE

 

Aucun argument ne vaut pour dйtruire l’empire de dix annйes de rкveries agrйables. Le marquis ne trouvait pas raisonnable de se fвcher, mais ne pouvait se rйsoudre а pardonner. Si ce Julien pouvait mourir par accident, se disait-il quelquefois… C’est ainsi que cette imagination attristйe trouvait quelque soulagement а poursuivre les chimиres les plus absurdes. Elles paralysaient l’influence des sages raisonnements de l’abbй Pirard. Un mois se passa ainsi sans que la nйgociation fоt un pas.

 

Dans cette affaire de famille, comme dans celles de la politique, le marquis avait des aperзus brillants dont il s’enthousiasmait pendant trois jours. Alors un plan de conduite ne lui plaisait pas parce qu’il йtait йtayй par de bons raisonnements; mais les raisonnements ne trouvaient grвce а ses yeux qu’autant qu’ils appuyaient son plan favori. Pendant trois jours il travaillait avec toute l’ardeur et l’enthousiasme d’un poиte а amener les choses а une certaine position; le lendemain il n’y songeait plus.

 

D’abord Julien fut dйconcertй des lenteurs du marquis; mais, aprиs quelques semaines, il commenзa а deviner que M. de La Mole n’avait, dans cette affaire, aucun plan arrкtй.

 

Mme de La Mole et toute la maison croyaient que Julien voyageait en province pour l’administration des terres; il йtait cachй au presbytиre de l’abbй Pirard, et voyait Mathilde presque tous les jours; elle, chaque matin, allait passer une heure avec son pиre, mais quelquefois ils йtaient des semaines entiиres sans parler de l’affaire qui occupait toutes leurs pensйes.

 

– Je ne veux pas savoir oщ est cet homme, lui dit un jour le marquis; envoyez-lui cette lettre. Mathilde lut:

 

«Les terres de Languedoc rendent 20.600 francs. Je donne 10.600 francs а ma fille, et 10.000 francs а M. Julien Sorel. Je donne les terres mкmes, bien entendu. Dites au notaire de dresser deux actes de donation sйparйs et de me les apporter demain; aprиs quoi, plus de relations entre nous. Ah! Monsieur, devais-je m’attendre а tout ceci?

 

Le marquis de La Mole.»

 

– Je vous remercie beaucoup, dit Mathilde gaiement. Nous allons nous fixer au chвteau d’Aiguillon, entre Agen et Marmande. On dit que c’est un pays aussi beau que l’Italie.

 

Cette donation surprit extrкmement Julien. Il n’йtait plus l’homme sйvиre et froid que nous avons connu. La destinйe de son fils absorbait d’avance toutes ses pensйes. Cette fortune imprйvue et assez considйrable pour un homme si pauvre en fit un ambitieux. Il se voyait, а sa femme ou а lui, 36.000 livres de rente. Pour Mathilde, tous ses sentiments йtaient absorbйs dans son adoration pour son mari, car c’est ainsi que son orgueil appelait toujours Julien. Sa grande, son unique ambition, йtait de faire reconnaоtre son mariage. Elle passait sa vie а s’exagйrer la haute prudence qu’elle avait montrйe en liant son sort а celui d’un homme supйrieur. Le mйrite personnel йtait а la mode dans sa tкte.

 

L’absence presque continue, la multiplicitй des affaires, le peu de temps que l’on avait pour parler d’amour vinrent complйter le bon effet de la sage politique autrefois inventйe par Julien.

 

Mathilde finit par s’impatienter de voir si peu l’homme qu’elle йtait parvenue а aimer rйellement.

 

Dans un moment d’humeur elle йcrivit а son pиre, et commenзa sa lettre comme Othello:

 

«Que j’aie prйfйrй Julien aux agrйments que la sociйtй offrait а la fille de M. le Marquis de La Mole, mon choix le prouve assez. Ces plaisirs de considйration et de petite vanitй sont nuls pour moi. Voici bientфt six semaines que je vis sйparйe de mon mari. C’est assez pour vous tйmoigner mon respect. Avant jeudi prochain, je quitterai la maison paternelle. Vos bienfaits nous ont enrichis. Personne ne connaоt mon secret que le respectable abbй Pirard. J’irai chez lui; il nous mariera, et une heure aprиs la cйrйmonie nous serons en route pour le Languedoc, et ne reparaоtrons jamais а Paris que d’aprиs vos ordres. Mais ce qui me perce le cњur, c’est que tout ceci va faire anecdote piquante contre moi, contre vous. Les йpigrammes d’un public sot ne peuvent-elles pas obliger notre excellent Norbert а chercher querelle а Julien? Dans cette circonstance, je le connais, je n’aurais aucune empire sur lui. Nous trouverions dans son вme du plйbйien rйvoltй. Je vous en conjure а genoux, ф mon pиre! Venez assister а mon mariage, dans l’йglise de M. Pirard, jeudi prochain. Le piquant de l’anecdote maligne sera adouci, et la vie de votre fils unique, celle de mon mari seront assurйes», etc., etc.

 

L’вme du marquis fut jetйe par cette lettre dans un йtrange embarras. Il fallait donc а la fin prendre un parti. Toutes les petites habitudes, tous les amis vulgaires avaient perdu leur influence.

 

Dans cette йtrange circonstance, les grands traits du caractиre, imprimйs par les йvйnements de la jeunesse, reprirent tout leur empire. Les malheurs de l’йmigration en avaient fait un homme а imagination. Aprиs avoir joui pendant deux ans d’une fortune immense et de toutes les distinctions de la cour, 1790 l’avait jetй dans les affreuses misиres de l’йmigration. Cette dure йcole avait changй une вme de vingt-deux ans. Au fond, il йtait campй au milieu de ses richesses actuelles, plus qu’il n’en йtait dominй. Mais cette mкme imagination qui avait prйservй son вme de la gangrиne de l’or, l’avait jetй en proie а une folle passion pour voir sa fille dйcorйe d’un beau titre.

 

Pendant les six semaines qui venaient de s’йcouler, tantфt, poussй par un caprice, le marquis avait voulu enrichir Julien; la pauvretй lui semblait ignoble, dйshonorante pour lui M. de La Mole, impossible chez l’йpoux de sa fille; il jetait l’argent. Le lendemain, son imagination prenant un autre cours, il lui semblait que Julien allait entendre le langage muet de cette gйnйrositй d’argent, changer de nom, s’exiler en Amйrique, йcrire а Mathilde qu’il йtait mort pour elle. M. de La Mole supposait cette lettre йcrite, il suivait son effet sur le caractиre de sa fille…

 

Le jour oщ il fut tirй de ces songes si jeunes par la lettre rйelle de Mathilde, aprиs avoir pensй longtemps а tuer Julien ou а le faire disparaоtre, il rкvait а lui bвtir une brillante fortune. Il lui faisait prendre le nom d’une de ses terres; et pourquoi ne lui ferait-il pas passer sa pairie? M. le duc de Chaulnes, son beau-pиre, lui avait parlй plusieurs fois, depuis que son fils unique avait йtй tuй en Espagne, du dйsir de transmettre son titre а Norbert…

 

L’on ne peut refuser а Julien une singuliиre aptitude aux affaires, de la hardiesse, peut-кtre mкme du brillant, se disait le marquis… Mais au fond de ce caractиre je trouve quelque chose d’effrayant. C’est l’impression qu’il produit sur tout le monde, donc il y a lа quelque chose de rйel (plus ce point rйel йtait difficile а saisir, plus il effrayait l’вme imaginative du vieux marquis).

 

Ma fille me le disait fort adroitement l’autre jour (dans une lettre supprimйe): «Julien ne s’est affiliй а aucun salon, а aucune coterie.» Il ne s’est mйnagй aucun appui contre moi, pas la plus petite ressource si je l’abandonne… Mais est-ce lа ignorance de l’йtat actuel de la sociйtй?… Deux ou trois fois je lui ai dit: Il n’y a de candidature rйelle et profitable que celle des salons…

 

Non, il n’a pas le gйnie adroit et cauteleux d’un procureur qui ne perd ni une minute ni une opportunitй… Ce n’est point un caractиre а la Louis XI. D’un autre cфtй, je lui vois les maximes les plus antigйnйreuses… Je m’y perds… Se rйpйterait-il ces maximes pour servir de digue а ses passions?

 

Du reste, une chose surnage: il est impatient du mйpris, je le tiens par lа.

 

Il n’a pas la religion de la haute naissance, il est vrai, il ne nous respecte pas d’instinct… C’est un tort; mais enfin, l’вme d’un sйminariste devrait n’кtre impatiente que du manque de jouissance et d’argent. Lui, bien diffйrent, ne peut supporter le mйpris а aucun prix.

 

Pressй par la lettre de sa fille, M. de La Mole vit la nйcessitй de se dйcider: – Enfin, voici la grande question: l’audace de Julien est-elle allйe jusqu’а entreprendre de faire la cour а ma fille, parce qu’il sait que je l’aime avant tout, et que j’ai cent mille йcus de rente?

 

Mathilde proteste du contraire… Non, mons Julien, voilа un point sur lequel je ne veux pas me laisser faire illusion.

 

Y a-t-il eu amour vйritable, imprйvu? Ou bien dйsir vulgaire de s’йlever а une belle position? Mathilde est clairvoyante, elle a senti d’abord que ce soupзon peut le perdre auprиs de moi, de lа cet aveu: c’est elle qui s’est avisйe de l’aimer la premiиre…

 

Une fille d’un caractиre si altier se serait oubliйe jusqu’а faire des avances matйrielles!… Lui serrer le bras au jardin, un soir, quelle horreur! Comme si elle n’avait pas eu cent moyens moins indйcents de lui faire connaоtre qu’elle le distinguait.

 

Qui s’excuse, s’accuse; je me dйfie de Mathilde… Ce jour-lа, les raisonnements du marquis йtaient plus concluants qu’а l’ordinaire. Cependant l’habitude l’emporta, il rйsolut de gagner du temps et d’йcrire а sa fille. Car on s’йcrivait d’un cфtй de l’hфtel а l’autre. M. de La Mole n’osait discuter avec Mathilde et lui tenir tкte. Il avait peur de tout finir par une concession subite.

 

LETTRE

 

«Gardez-vous de faire de nouvelles folies; voici un brevet de lieutenant de hussards pour M. le chevalier Julien Sorel de La Vernaye. Vous voyez ce que je fais pour lui. Ne me contrariez pas, ne m’interrogez pas. Qu’il parte dans vingt-quatre heures, pour se faire recevoir а Strasbourg, oщ est son rйgiment. Voici un mandat sur mon banquier; qu’on m’obйisse.»

 

L’amour et la joie de Mathilde n’eurent plus de bornes; elle voulut profiter de la victoire, et rйpondit а l’instant:

 

«M. de La Vernaye serait а vos pieds, йperdu de reconnaissance, s’il savait tout ce que vous daignez faire pour lui. Mais, au milieu de cette gйnйrositй, mon pиre m’a oubliйe; l’honneur de votre fille est en danger. Une indiscrйtion peut faire une tache йternelle, et que vingt mille йcus de rente ne rйpareraient pas. Je n’enverrai le brevet а M. de La Vernaye que si vous me donnez votre parole que, dans le courant du mois prochain, mon mariage sera cйlйbrй en public, а Villequier. Bientфt aprиs cette йpoque, que je vous supplie de ne pas outrepasser, votre fille ne pourra paraоtre en public qu’avec le nom de Mme de La Vernaye. Que je vous remercie, cher papa, de m’avoir sauvйe de ce nom de Sorel», etc., etc.

 

La rйponse fut imprйvue.

 

«Obйissez, ou je me rйtracte de tout. Tremblez, jeune imprudente. Je ne sais pas encore ce que c’est que votre Julien, et vous-mкme vous le savez moins que moi. Qu’il parte pour Strasbourg, et songe а marcher droit. Je ferai connaоtre mes volontйs d’ici а quinze jours.»

 

Cette rйponse si ferme йtonna Mathilde. Je ne connais pas Julien; ce mot la jeta dans une rкverie, qui bientфt finit par les suppositions les plus enchanteresses; mais elle les croyait la vйritй. L’esprit de mon Julien n’a pas revкtu le petit uniforme mesquin des salons, et mon pиre ne croit pas а sa supйrioritй, prйcisйment а cause de ce qui la prouve…

 

Toutefois si je n’obйis pas а cette vellйitй de caractиre, je vois la possibilitй d’une scиne publique; un йclat abaisse ma position dans le monde, et peut me rendre moins aimable aux yeux de Julien. Aprиs l’йclat… pauvretй pour dix ans; et la folie de choisir un mari а cause de son mйrite ne peut se sauver du ridicule que par la plus brillante opulence. Si je vis loin de mon pиre, а son вge, il peut m’oublier… Norbert йpousera une femme aimable, adroite: le vieux Louis XIV fut sйduit par la duchesse de Bourgogne…

 

Elle se dйcida а obйir, mais sa garda de communiquer la lettre de son pиre а Julien; ce caractиre farouche eыt pu кtre portй а quelque folie.

 

Le soir, lorsqu’elle apprit а Julien qu’il йtait lieutenant de hussards, sa joie fut sans bornes. On peut se la figurer par l’ambition de toute sa vie, et par la passion qu’il avait maintenant pour son fils. Le changement de nom le frappait d’йtonnement.

 

Aprиs tout, pensait-il, mon roman est fini, et а moi seul tout le mйrite. J’ai su me faire aimer de ce monstre d’orgueil, ajoutait-il en regardant Mathilde; son pиre ne peut vivre sans elle, et elle sans moi.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 47 | Нарушение авторских прав


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