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Chapitre XXXVII. Un donjon

Chapitre XXVI. L’Amour moral | Chapitre XXVII. Les plus belles Places de l’Йglise | Chapitre XXVIII. Manon Lescaut | Chapitre XXIX. L’Ennui | Chapitre XXX. Une loge aux Bouffes | Chapitre XXXI. Lui faire peur | Chapitre XXXII. Le Tigre | Chapitre XXXIII. L’Enfer de la faiblesse | Chapitre XXXIV. Un homme d’esprit | Chapitre XXXV. Un orage |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Le tombeau d’un ami.

 

STERNE.

 

Il entendit un grand bruit dans le corridor; ce n’йtait pas l’heure oщ l’on montait dans sa prison; l’orfraie s’envola en criant, la porte s’ouvrit et le vйnйrable curй Chйlan, tout tremblant et la canne а la main, se jeta dans ses bras.

 

– Ah! grand Dieu! est-il possible, mon enfant… Monstre! devrais-je dire.

 

Et le bon vieillard ne put ajouter une parole. Julien craignit qu’il ne tombвt. Il fut obligй de le conduire а une chaise. La main du temps s’йtait appesantie sur cet homme autrefois si йnergique. Il ne parut plus а Julien que l’ombre de lui-mкme.

 

Quand il eut repris haleine: – Avant-hier seulement, je reзois votre lettre de Strasbourg, avec vos cinq cents francs pour les pauvres de Verriиres, on me l’a apportйe dans la montagne а Liveru oщ je suis retirй chez mon neveu Jean. Hier, j’apprends la catastrophe… O ciel! est-il possible! Et le vieillard ne pleurait plus, il avait l’air privй d’idйe, et ajouta machinalement: Vous aurez besoin de vos cinq cents francs, je vous les rapporte.

 

– J’ai besoin de vous voir, mon pиre! s’йcria Julien attendri. J’ai de l’argent de reste.

 

Mais il ne put plus obtenir de rйponse sensйe. De temps а autre, M. Chйlan versait quelques larmes qui descendaient silencieusement le long de sa joue; puis il regardait Julien, et йtait comme йtourdi de le voir lui prendre les mains et les porter а ses lиvres. Cette physionomie si vive autrefois, et qui peignait avec tant d’йnergie les plus nobles sentiments, ne sortait plus de l’air apathique. Une espиce de paysan vint bientфt chercher le vieillard. – Il ne faut pas le fatiguer, dit-il а Julien, qui comprit que c’йtait le neveu. Cette apparition laissa Julien plongй dans un malheur cruel et qui йloignait les larmes. Tout lui paraissait triste et sans consolation; il sentait son cњur glacй dans sa poitrine.

 

Cet instant fut le plus cruel qu’il eыt йprouvй depuis le crime. Il venait de voir la mort, et dans toute sa laideur. Toutes les illusions de grandeur d’вme et de gйnйrositй s’йtaient dissipйes comme un nuage devant la tempкte.

 

Cette affreuse situation dura plusieurs heures. Aprиs l’empoisonnement moral, il faut des remиdes physiques et du vin de Champagne. Julien se fыt estimй un lвche d’y avoir recours. Vers la fin d’une journйe horrible, passйe tout entiиre а se promener dans son йtroit donjon: Que je suis fou! s’йcria-t-il. C’est dans le cas oщ je devrais mourir comme un autre, que la vue de ce pauvre vieillard aurait dы me jeter dans cette affreuse tristesse; mais une mort rapide et а la fleur des ans me met prйcisйment а l’abri de cette triste dйcrйpitude.

 

Quelques raisonnements qu’il se fоt, Julien se trouva attendri, comme un кtre pusillanime, et par consйquent malheureux de cette visite.

 

Il n’y avait plus rien de rude et de grandiose en lui, plus de vertu romaine; la mort lui apparaissait а une plus grande hauteur, et comme chose moins facile.

 

Ce sera lа mon thermomиtre, se dit-il. Ce soir je suis а dix degrйs au-dessous du courage qui me conduit de niveau а la guillotine. Ce matin, je l’avais, ce courage. Au reste, qu’importe! pourvu qu’il me revienne au moment nйcessaire. Cette idйe de thermomиtre l’amusa, et enfin parvint а le distraire.

 

Le lendemain а son rйveil, il eut honte de la journйe de la veille. Mon bonheur, ma tranquillitй sont en jeu. Il rйsolut presque d’йcrire а M. le procureur gйnйral pour demander que personne ne fыt admis auprиs de lui. Et Fouquй? pensa-t-il. S’il veut prendre sur lui de venir а Besanзon, quelle ne serait pas sa douleur!

 

Il y avait deux mois peut-кtre qu’il n’avait songй а Fouquй. J’йtais un grand sot а Strasbourg, ma pensйe n’allait pas au delа du collet de mon habit. Le souvenir de Fouquй l’occupa beaucoup et le laissa plus attendri. Il se promenait avec agitation. Me voici dйcidйment de vingt degrйs au-dessous du niveau de la mort… Si cette faiblesse augmente, il vaudra mieux me tuer. Quelle joie pour les abbйs Maslon et les Valenod si je meurs comme un cuistre!

 

Fouquй arriva; cet homme simple et bon йtait йperdu de douleur. Son unique idйe, s’il en avait, йtait de vendre tout son bien pour sйduire le geфlier et faire sauver Julien. Il lui parla longuement de l’йvasion de M. de Lavalette.

 

– Tu me fais peine, lui dit Julien; M. de Lavalette йtait innocent, moi je suis coupable. Sans le vouloir, tu me fais songer а la diffйrence…

 

Mais, est-il vrai! Quoi? tu vendrais tout ton bien? dit Julien redevenant tout а coup observateur et mйfiant.

 

Fouquй, ravi de voir enfin son ami rйpondre а son idйe dominante, lui dйtailla longuement, et а cent francs prиs, ce qu’il tirerait de chacune de ses propriйtйs.

 

Quel effort sublime chez un propriйtaire de campagne! pensa Julien. Que d’йconomies, que de petites demi-lйsineries qui me faisaient tant rougir lorsque je les lui voyais faire il sacrifie pour moi! Un de ces beaux jeunes gens que j’ai vus а l’hфtel de La Mole, et qui lisent Renй, n’aurait aucun de ces ridicules; mais exceptй ceux qui sont fort jeunes et encore enrichis par hйritage, et qui ignorent la valeur de l’argent, quel est celui de ces beaux Parisiens qui serait capable d’un tel sacrifice?

 

Toutes les fautes de franзais, tous les gestes communs de Fouquй, disparurent, il se jeta dans ses bras. Jamais la province, comparйe а Paris, n’a reзu un plus bel hommage. Fouquй, ravi du moment d’enthousiasme qu’il voyait dans les yeux de son ami, le prit pour un consentement а la fuite.

 

Cette vue du sublime rendit а Julien toute la force que l’apparition de M. Chйlan lui avait fait perdre. Il йtait encore bien jeune; mais, suivant moi, ce fut une belle plante. Au lieu de marcher du tendre au rusй, comme la plupart des hommes, l’вge lui eыt donnй la bontй facile а s’attendrir, il se fыt guйri d’une mйfiance folle… Mais а quoi bon ces vaines prйdictions?

 

Les interrogatoires devenaient plus frйquents, en dйpit des efforts de Julien, dont toutes les rйponses tendaient а abrйger l’affaire: – J’ai tuй ou du moins j’ai voulu donner la mort et avec prйmйditation, rйpйtait-il chaque jour. Mais le juge йtait formaliste avant tout. Les dйclarations de Julien n’abrйgeaient nullement les interrogatoires; l’amour-propre du juge fut piquй. Julien ne sut pas qu’on avait voulu le transfйrer dans un affreux cachot, et que c’йtait grвce aux dйmarches de Fouquй qu’on lui laissait sa jolie chambre а cent quatre-vingts marches d’йlйvation.

 

M. l’abbй de Frilair йtait au nombre des hommes importants qui chargeaient Fouquй de leur provision de bois de chauffage. Le bon marchand parvint jusqu’au tout-puissant grand vicaire. А son inexprimable ravissement, M. de Frilair lui annonзa que, touchй des bonnes qualitйs de Julien et des services qu’il avait autrefois rendus au sйminaire, il comptait le recommander aux juges. Fouquй entrevit l’espoir de sauver son ami, et en sortant, et se prosternant jusqu’а terre, pria M. le grand vicaire de distribuer en messes, pour implorer l’acquittement de l’accusй, une somme de dix louis.

 

Fouquй se mйprenait йtrangement. M. de Frilair n’йtait point un Valenod. Il refusa et chercha mкme а faire entendre au bon paysan qu’il ferait mieux de garder son argent. Voyant qu’il йtait impossible d’кtre clair sans imprudence, il lui conseilla de donner cette somme en aumфnes, pour les pauvres prisonniers, qui, dans le fait, manquaient de tout.

 

Ce Julien est un кtre singulier, son action est inexplicable, pensait M. de Frilair, et rien ne doit l’кtre pour moi… Peut-кtre sera-t-il possible d’en faire un martyr… Dans tous les cas, je saurai le fin de cette affaire et trouverai peut-кtre une occasion de faire peur а cette Mme de Rкnal, qui ne nous estime point, et au fond me dйteste… Peut-кtre pourrai-je rencontrer dans tout ceci un moyen de rйconciliation йclatante avec M. de La Mole, qui a un faible pour ce petit sйminariste.

 

La transaction sur le procиs avait йtй signйe quelques semaines auparavant, et l’abbй Pirard йtait reparti de Besanзon, non sans avoir parlй de la mystйrieuse naissance de Julien, le jour mкme oщ le malheureux assassinait Mme de Rкnal dans l’йglise de Verriиres.

 

Julien ne voyait plus qu’un йvйnement dйsagrйable entre lui et la mort, c’йtait la visite de son pиre. Il consulta Fouquй sur l’idйe d’йcrire а M. le procureur gйnйral, pour кtre dispensй de toute visite. Cette horreur pour la vue d’un pиre, et dans un tel moment, choqua profondйment le cњur honnкte et bourgeois du marchand de bois.

 

Il crut comprendre pourquoi tant de gens haпssaient passionnйment son ami. Par respect pour le malheur, il cacha sa maniиre de sentir.

 

– Dans tous les cas, lui rйpondit-il froidement, cet ordre de secret ne serait pas appliquй а ton pиre.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 39 | Нарушение авторских прав


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