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Chapitre XVIII 6 страница

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– Je puis vouloir sa mort dиs demain, continua la duchesse, toujours du mкme air d’autoritй. Vous connaissez cet immense rйservoir d’eau qui est au coin du palais, tout prиs de la cachette que vous avez occupйe quelquefois; il est un moyen secret de faire couler toute cette eau dans la rue: hй bien! ce sera lа le signal de ma vengeance. Vous verrez, si vous кtes а Parme, ou vous entendrez dire, si vous habitez les bois, que le grand rйservoir du palais Sanseverina a crevй. Agissez aussitфt, mais par le poison, et surtout n’exposez votre vie que le moins possible. Que jamais personne ne sache que j’ai trempй dans cette affaire.

 

– Les paroles sont inutiles, rйpondit Ferrante avec un enthousiasme mal contenu: je suis dйjа fixй sur les moyens que j’emploierai. La vie de cet homme me devient plus odieuse qu’elle n’йtait, puisque je n’oserai vous revoir tant qu’il vivra. J’attendrai le signal du rйservoir crevй dans la rue.

 

Il salua brusquement et partit. La duchesse le regardait marcher.

 

Quand il fut dans l’autre chambre, elle le rappela.

 

– Ferrante! s’йcria-t-elle, homme sublime!

 

Il rentra, comme impatient d’кtre retenu; sa figure йtait superbe en cet instant.

 

– Et vos enfants?

 

– Madame, ils seront plus riches que moi; vous leur accordez peut-кtre quelque petite pension.

 

– Tenez, lui dit la duchesse en lui remettant une sorte de gros йtui en bois d’olivier, voici tous les diamants qui me restent; ils valent cinquante mille francs.

 

– Ah, Madame! vous m’humiliez!… dit Ferrante avec un mouvement d’horreur, et sa figure changea du tout au tout.

 

– Je ne vous reverrai jamais avant l’action: prenez, je le veux, ajouta la duchesse avec un air de hauteur qui atterra Ferrante; il mit l’йtui dans sa poche et sortit.

 

La porte avait йtй refermйe par lui. La duchesse le rappela de nouveau; il rentra d’un air inquiet: la duchesse йtait debout au milieu du salon; elle se jeta dans ses bras. Au bout d’un instant, Ferrante s’йvanouit presque de bonheur; la duchesse se dйgagea de ses embrassements, et des yeux lui montra la porte.

 

«Voilа le seul homme qui m’ait comprise, se dit-elle, c’est ainsi qu’en eыt agi Fabrice, s’il eыt pu m’entendre.»

 

Il y avait deux choses dans le caractиre de la duchesse, elle voulait toujours ce qu’elle avait voulu une fois; elle ne remettait jamais en dйlibйration ce qui avait йtй une fois dйcidй. Elle citait а ce propos un mot de son premier mari, l’aimable gйnйral Pietranera: «Quelle insolence envers moi-mкme! disait-il; pourquoi croirai-je avoir plus d’esprit aujourd’hui que lorsque je pris ce parti?»

 

De ce moment, une sorte de gaietй reparut dans le caractиre de la duchesse. Avant la fatale rйsolution, а chaque pas que faisait son esprit, а chaque chose nouvelle qu’elle voyait, elle avait le sentiment de son infйrioritй envers le prince, de sa faiblesse et de sa duperie; le prince, suivant elle, l’avait lвchement trompйe, et le comte Mosca, par suite de son gйnie courtisanesque, quoique innocemment, avait secondй le prince. Dиs que la vengeance fut rйsolue, elle sentit sa force, chaque pas de son esprit lui donnait du bonheur. Je croirais assez que le bonheur immoral qu’on trouve а se venger en Italie tient а la force d’imagination de ce peuple; les gens des autres pays ne pardonnent pas а proprement parler, ils oublient.

 

La duchesse ne revit Palla que vers les derniers temps de la prison de Fabrice. Comme on l’a devinй peut-кtre, ce fut lui qui donna l’idйe de l’йvasion: il existait dans les bois, а deux lieues de Sacca, une tour du Moyen Age, а demi ruinйe, et haute de plus de cent pieds; avant de parler une seconde fois de fuite а la duchesse, Ferrante la supplia d’envoyer Ludovic, avec des hommes sыrs, disposer une suite d’йchelles auprиs de cette tour. En prйsence de la duchesse il y monta avec les йchelles, et en descendit avec une simple corde nouйe; il renouvela trois fois l’expйrience, puis il expliqua de nouveau son idйe. Huit jours aprиs, Ludovic voulut aussi descendre de cette vieille tour avec une corde nouйe: ce fut alors que la duchesse communiqua cette idйe а Fabrice.

 

Dans les derniers jours qui prйcйdиrent cette tentative, qui pouvait amener la mort du prisonnier, et de plus d’une faзon, la duchesse ne pouvait trouver un instant de repos qu’autant qu’elle avait Ferrante а ses cфtйs; le courage de cet homme йlectrisait le sien; mais l’on sent bien qu’elle devait cacher au comte ce voisinage singulier. Elle craignait, non pas qu’il se rйvoltвt, mais elle eыt йtй affligйe de ses objections, qui eussent redoublй ses inquiйtudes. «Quoi! prendre pour conseiller intime un fou reconnu comme tel, et condamnй а mort! Et, ajoutait la duchesse, se parlant а elle-mкme, un homme qui, par la suite, pouvait faire de si йtranges choses!» Ferrante se trouvait dans le salon de la duchesse au moment oщ le comte vint lui donner connaissance de la conversation que le prince avait eue avec Rassi; et, lorsque le comte fut sorti, elle eut beaucoup а faire pour empкcher Ferrante de marcher sur-le-champ а l’exйcution d’un affreux dessein!

 

– Je suis fort maintenant! s’йcriait ce fou; je n’ai plus de doute sur la lйgitimitй de l’action!

 

– Mais, dans le moment de colиre qui suivra inйvitablement, Fabrice serait mis а mort!

 

– Mais ainsi on lui йpargnerait le pйril de cette descente: elle est possible, facile mкme, ajoutait-il; mais l’expйrience manque а ce jeune homme.

 

On cйlйbra le mariage de la sњur du marquis Crescenzi, et ce fut а la fкte donnйe dans cette occasion que la duchesse rencontra Clйlia, et put lui parler sans donner de soupзons aux observateurs de bonne compagnie. La duchesse elle-mкme remit а Clйlia le paquet de cordes dans le jardin, oщ ces dames йtaient allйes respirer un instant. Ces cordes, fabriquйes avec le plus grand soin, mi-parties de chanvre et de soie, avec des nњuds, йtaient fort menues et assez flexibles; Ludovic avait йprouvй leur soliditй, et, dans toutes leurs parties, elles pouvaient porter sans se rompre un poids de huit quintaux. On les avait comprimйes de faзon а en former plusieurs paquets de la forme d’un volume in-quarto; Clйlia s’en empara, et promit а la duchesse que tout ce qui йtait humainement possible serait accompli pour faire arriver ces paquets jusqu’а la tour Farnиse.

 

– Mais je crains la timiditй de votre caractиre; et d’ailleurs, ajouta poliment la duchesse, quel intйrкt peut vous inspirer un inconnu?

 

– M. del Dongo est malheureux, et je vous promets que par moi il sera sauvй!

 

Mais la duchesse, ne comptant que fort mйdiocrement sur la prйsence d’esprit d’une jeune personne de vingt ans, avait pris d’autres prйcautions dont elle se garda bien de faire part а la fille du gouverneur. Comme il йtait naturel de le supposer, ce gouverneur se trouvait а la fкte donnйe pour le mariage de la sњur du marquis Crescenzi. La duchesse se dit que, si elle lui faisait donner un fort narcotique, on pourrait croire dans le premier moment qu’il s’agissait d’une attaque d’apoplexie, et alors, au lieu de le placer dans sa voiture pour le ramener а la citadelle, on pourrait, avec un peu d’adresse, faire prйvaloir l’avis de se servir d’une litiиre, qui se trouverait par hasard dans la maison oщ se donnait la fкte. Lа se rencontreraient aussi des hommes intelligents, vкtus en ouvriers employйs pour la fкte, et qui, dans le trouble gйnйral, s’offriraient obligeamment pour transporter le malade jusqu’а son palais si йlevй. Ces hommes, dirigйs par Ludovic, portaient une assez grande quantitй de cordes, adroitement cachйes sous leurs habits. On voit que la duchesse avait rйellement l’esprit йgarй depuis qu’elle songeait sйrieusement а la fuite de Fabrice. Le pйril de cet кtre chйri йtait trop fort pour son вme, et surtout durait trop longtemps. Par excиs de prйcautions, elle faillit faire manquer cette fuite, ainsi qu’on va le voir. Tout s’exйcuta comme elle l’avait projetй avec cette seule diffйrence que le narcotique produisit un effet trop puissant; tout le monde crut, et mкme les gens de l’art, que le gйnйral avait une attaque d’apoplexie.

 

Par bonheur, Clйlia, au dйsespoir, ne se douta en aucune faзon de la tentative si criminelle de la duchesse. Le dйsordre fut tel au moment de l’entrйe а la citadelle de la litiиre oщ le gйnйral, а demi-mort, йtait enfermй, que Ludovic et ses gens passиrent sans objection; ils ne furent fouillйs que pour la bonne forme au pont de l’esclave. Quand ils eurent transportй le gйnйral jusqu’а son lit, on les conduisit а l’office, oщ les domestiques les traitиrent fort bien; mais aprиs ce repas, qui ne finit que fort prиs du matin, on leur expliqua que l’usage de la prison exigeait que, pour le reste de la nuit, ils fussent enfermйs а clef dans les salles basses du palais; le lendemain au jour ils seraient mis en libertй par le lieutenant du gouverneur.

 

Ces hommes avaient trouvй le moyen de remettre а Ludovic les cordes dont ils s’йtaient chargйs, mais Ludovic eut beaucoup de peine а obtenir un instant d’attention de Clйlia. A la fin, dans un moment oщ elle passait d’une chambre а une autre, il lui fit voir qu’il dйposait des paquets de corde dans l’angle obscur d’un des salons du premier йtage. Clйlia fut profondйment frappйe de cette circonstance йtrange: aussitфt elle conзut d’atroces soupзons.

 

– Qui кtes-vous? dit-elle а Ludovic.

 

Et, sur la rйponse fort ambiguл de celui-ci, elle ajouta:

 

– Je devrais vous faire arrкter; vous ou les vфtres vous avez empoisonnй mon pиre!… Avouez а l’instant quelle est la nature du poison dont vous avez fait usage, afin que le mйdecin de la citadelle puisse administrer les remиdes convenables; avouez а l’instant, ou bien, vous et vos complices, jamais vous ne sortirez de cette citadelle!

 

– Mademoiselle a tort de s’alarmer, rйpondit Ludovic, avec une grвce et une politesse parfaites; il ne s’agit nullement de poison; on a eu l’imprudence d’administrer au gйnйral une dose de laudanum, et il paraоt que le domestique chargй de ce crime a mis dans le verre quelques gouttes de trop; nous en aurons un remords йternel; mais Mademoiselle peut croire que, grвce au ciel, il n’existe aucune sorte de danger: M. le gouverneur doit кtre traitй pour avoir pris, par erreur, une trop forte dose de laudanum; mais, j’ai l’honneur de le rйpйter а Mademoiselle, le laquais chargй du crime ne faisait point usage de poisons vйritables, comme Barbone, lorsqu’il voulut empoisonner Mgr Fabrice. On n’a point prйtendu se venger du pйril qu’a couru Mgr Fabrice; on n’a confiй а ce laquais maladroit qu’une fiole oщ il y avait du laudanum, j’en fais serment а Mademoiselle! Mais il est bien entendu que, si j’йtais interrogй officiellement, je nierais tout.

 

«D’ailleurs, si Mademoiselle parle а qui que ce soit de laudanum et de poison, fыt-ce а l’excellent don Cesare, Fabrice est tuй de la main de Mademoiselle. Elle rend а jamais impossibles tous les projets de fuite; et Mademoiselle sait mieux que moi que ce n’est pas avec du simple laudanum que l’on veut empoisonner Monseigneur; elle sait aussi que quelqu’un n’a accordй qu’un mois de dйlai pour ce crime, et qu’il y a dйjа plus d’une semaine que l’ordre fatal a йtй reзu. Ainsi, si elle me fait arrкter, ou si seulement elle dit un mot а don Cesare ou а tout autre, elle retarde toutes nos entreprises de bien plus d’un mois, et j’ai raison de dire qu’elle tue de sa main Mgr Fabrice.

 

Clйlia йtait йpouvantйe de l’йtrange tranquillitй de Ludovic.

 

«Ainsi, me voilа en dialogue rйglй, se disait-elle, avec l’empoisonneur de mon pиre, et qui emploie des tournures polies pour me parler! Et c’est l’amour qui m’a conduite а tous ces crimes!…»

 

Le remords lui laissait а peine la force de parler; elle dit а Ludovic:

 

– Je vais vous enfermer а clef dans ce salon. Je cours apprendre au mйdecin qu’il ne s’agit que de laudanum; mais, grand Dieu! comment lui dirai-je que je l’ai appris moi-mкme? Je reviens ensuite vous dйlivrer.

 

«Mais, dit Clйlia revenant en courant d’auprиs de la porte, Fabrice savait-il quelque chose du laudanum?

 

– Mon Dieu non, Mademoiselle, il n’y eыt jamais consenti. Et puis, а quoi bon faire une confidence inutile? nous agissons avec la prudence la plus stricte. Il s’agit de sauver la vie а Monseigneur, qui sera empoisonnй d’ici а trois semaines; l’ordre en a йtй donnй par quelqu’un qui d’ordinaire ne trouve point d’obstacle а ses volontйs; et, pour tout dire а Mademoiselle, on prйtend que c’est le terrible fiscal gйnйral Rassi qui a reзu cette commission.

 

Clйlia s’enfuit йpouvantйe: elle comptait tellement sur la parfaite probitй de don Cesare, qu’en employant certaine prйcaution, elle osa lui dire qu’on avait administrй au gйnйral du laudanum, et pas autre chose. Sans rйpondre, sans questionner, don Cesare courut au mйdecin.

 

Clйlia revint au salon, oщ elle avait enfermй Ludovic dans l’intention de le presser de questions sur le laudanum. Elle ne l’y trouva plus: il avait rйussi а s’йchapper. Elle vit sur une table une bourse remplie de sequins, et une petite boоte renfermant diverses sortes de poisons. La vue de ces poisons la fit frйmir. «Qui me dit, pensa-t-elle, que l’on n’a donnй que du laudanum а mon pиre, et que la duchesse n’a pas voulu se venger de la tentative de Barbone?

 

«Grand Dieu! s’йcria-t-elle, me voici en rapport avec les empoisonneurs de mon pиre! Et je les laisse s’йchapper! Et peut-кtre cet homme, mis а la question, eыt avouй autre chose que du laudanum!»

 

Aussitфt Clйlia tomba а genoux, fondant en larmes, et pria la Madone avec ferveur.

 

Pendant ce temps, le mйdecin de la citadelle, fort йtonnй de l’avis qu’il recevait de don Cesare, et d’aprиs lequel il n’avait affaire qu’а du laudanum, donna les remиdes convenables qui bientфt firent disparaоtre les symptфmes les plus alarmants. Le gйnйral revint un peu а lui comme le jour commenзait а paraоtre. Sa premiиre action marquant de la connaissance fut de charger d’injures le colonel commandant en second la citadelle, et qui s’йtait avisй de donner quelques ordres les plus simples du monde pendant que le gйnйral n’avait pas sa connaissance.

 

Le gouverneur se mit ensuite dans une fort grande colиre contre une fille de cuisine qui, en lui apportant un bouillon, s’avisa de prononcer le mot d’“apoplexie”.

 

– Est-ce que je suis d’вge, s’йcria-t-il, а avoir des apoplexies? Il n’y a que mes ennemis acharnйs qui puissent se plaire а rйpandre de tels bruits. Et d’ailleurs, est-ce que j’ai йtй saignй, pour que la calomnie elle-mкme ose parler d’apoplexie?

 

Fabrice, tout occupй des prйparatifs de sa fuite, ne put concevoir les bruits йtranges qui remplissaient la citadelle au moment oщ l’on y rapportait le gouverneur а demi mort. D’abord il eut quelque idйe que sa sentence йtait changйe, et qu’on venait le mettre а mort. Voyant ensuite que personne ne se prйsentait dans sa chambre, il pensa que Clйlia avait йtй trahie, qu’а sa rentrйe dans la forteresse on lui avait enlevй les cordes que probablement elle rapportait, et qu’enfin ses projets de fuite йtaient dйsormais impossibles. Le lendemain, а l’aube du jour, il vit entrer dans sa chambre un homme а lui inconnu, qui, sans dire mot, y dйposa un panier de fruits: sous les fruits йtait cachйe la lettre suivante:

 

Pйnйtrйe des remords les plus vifs par ce qui a йtй fait, non pas, grвce au ciel, de mon consentement, mais а l’occasion d’une idйe que j’avais eue, j’ai fait vњu а la trиs sainte Vierge que si, par l’effet de sa sainte intercession, mon pиre est sauvй, jamais je n’opposerai un refus а ses ordres; j’йpouserai le marquis aussitфt que j’en serai requise par lui, et jamais je ne vous reverrai. Toutefois, je crois qu’il est de mon devoir d’achever ce qui a йtй commencй. Dimanche prochain, au retour de la messe oщ l’on vous conduira а ma demande (songez а prйparer votre вme, vous pouvez vous tuer dans la difficile entreprise); au retour de la messe, dis-je, retardez le plus possible votre rentrйe dans votre chambre; vous y trouverez ce qui vous est nйcessaire pour l’entreprise mйditйe. Si vous pйrissez, j’aurai l’вme navrйe! Pourrez-vous m’accuser d’avoir contribuй а votre mort? La duchesse elle-mкme ne m’a-t-elle pas rйpйtй а diverses reprises que la faction Raversi l’emporte? on veut lier le prince par une cruautй qui le sйpare а jamais du comte Mosca. La duchesse, fondant en larmes, m’a jurй qu’il ne reste que cette ressource: vous pйrissez si vous ne tentez rien. Je ne puis plus vous regarder, j’en ai fait le vњu; mais si dimanche, vers le soir, vous me voyez entiиrement vкtue de noir, а la fenкtre accoutumйe, ce sera le signal que la nuit suivante tout sera disposй autant qu’il est possible а mes faibles moyens. Aprиs onze heures, peut-кtre seulement а minuit ou une heure, une petite lampe paraоtra а ma fenкtre, ce sera l’instant dйcisif; recommandez-vous а votre saint patron, prenez en hвte les habits de prкtre dont vous кtes pourvu, et marchez.

 

Adieu, Fabrice, je serai en priиre, et rйpandant les larmes les plus amиres, vous pouvez le croire, pendant que vous courrez de si grands dangers. Si vous pйrissez, je ne vous survivrai point; grand Dieu! qu’est-ce que je dis? mais si vous rйussissez, je ne vous reverrai jamais. Dimanche, aprиs la messe, vous trouverez dans votre prison l’argent, les poisons, les cordes, envoyйs par cette femme terrible qui vous aime avec passion, et qui m’a rйpйtй jusqu’а trois fois qu’il fallait prendre ce parti. Dieu vous sauve et la sainte Madone!

 

Fabio Conti йtait un geфlier toujours inquiet, toujours malheureux, voyant toujours en songe quelqu’un de ses prisonniers lui йchapper: il йtait abhorrй de tout ce qui йtait dans la citadelle; mais le malheur inspirant les mкmes rйsolutions а tous les hommes, les pauvres prisonniers, ceux-lа mкmes qui йtaient enchaоnйs dans des cachots hauts de trois pieds, larges de trois pieds et de huit pieds de longueur et oщ ils ne pouvaient se tenir debout ou assis, tous les prisonniers, mкme ceux-lа, dis-je, eurent l’idйe de faire chanter а leur frais un Te Deum lorsqu’ils surent que leur gouverneur йtait hors de danger. Deux ou trois de ces malheureux firent des sonnets en l’honneur de Fabio Conti. O effet du malheur sur ces hommes! Que celui qui les blвme soit conduit par sa destinйe а passer un an dans un cachot haut de trois pieds, avec huit onces de pain par jour et jeыnant les vendredis.

 

Clйlia, qui ne quittait la chambre de son pиre que pour aller prier dans la chapelle, dit que le gouverneur avait dйcidй que les rйjouissances n’auraient lieu que le dimanche. Le matin de ce dimanche, Fabrice assista а la messe et au Te Deum; le soir il y eut feu d’artifice, et dans les salles basses du chвteau l’on distribua aux soldats une quantitй de vin quadruple de celle que le gouverneur avait accordйe; une main inconnue avait mкme envoyй plusieurs tonneaux d’eau-de-vie que les soldats dйfoncиrent. La gйnйrositй des soldats qui s’enivraient ne voulut pas que les cinq soldats qui faisaient faction comme sentinelles autour du palais souffrissent de leur position; а mesure qu’ils arrivaient а leurs guйrites, un domestique affidй leur donnait du vin, et l’on ne sait par quelle main ceux qui furent placйs en sentinelle а minuit et pendant le reste de la nuit reзurent aussi un verre d’eau-de-vie, et l’on oubliait а chaque fois la bouteille auprиs de la guйrite (comme il a йtй prouvй au procиs qui suivit).

 

Le dйsordre dura plus longtemps que Clйlia ne l’avait pensй, et ce ne fut que vers une heure que Fabrice, qui, depuis plus de huit jours, avait sciй deux barreaux de sa fenкtre, celle qui ne donnait pas vers la voliиre, commenзa а dйmonter l’abat-jour; il travaillait presque sur la tкte des sentinelles qui gardaient le palais du gouverneur, ils n’entendirent rien. Il avait fait quelques nouveaux nњuds seulement а l’immense corde nйcessaire pour descendre de cette terrible hauteur de cent quatre-vingts pieds. Il arrangea cette corde en bandouliиre autour de son corps: elle le gкnait beaucoup, son volume йtant йnorme; les nњuds l’empкchaient de former masse, et elle s’йcartait а plus de dix-huit pouces du corps. «Voilа le grand obstacle», se dit Fabrice.

 

Cette corde arrangйe tant bien que mal, Fabrice prit celle avec laquelle il comptait descendre les trente-cinq pieds qui sйparaient sa fenкtre de l’esplanade oщ йtait le palais du gouverneur. Mais comme pourtant, quelque enivrйes que fussent les sentinelles, il ne pouvait pas descendre exactement sur leurs tкtes, il sortit, comme nous l’avons dit, par la seconde fenкtre de sa chambre, celle qui avait jour sur le toit d’une sorte de vaste corps de garde. Par une bizarrerie de malade, dиs que le gйnйral Fabio Conti avait pu parler, il avait fait monter deux cents soldats dans cet ancien corps de garde abandonnй depuis un siиcle. Il disait qu’aprиs l’avoir empoisonnй on voulait l’assassiner dans son lit, et ces deux cents soldats devaient le garder. On peut juger de l’effet que cette mesure imprйvue produisit sur le cњur de Clйlia: cette fille pieuse sentait fort bien jusqu’а quel point elle trahissait son pиre, et un pиre qui venait d’кtre presque empoisonnй dans l’intйrкt du prisonnier qu’elle aimait. Elle vit presque dans l’arrivйe imprйvue de ces deux cents hommes un arrкt de la Providence qui lui dйfendait d’aller plus avant et de rendre la libertй а Fabrice.

 

Mais tout le monde dans Parme parlait de la mort prochaine du prisonnier. On avait encore traitй ce triste sujet а la fкte mкme donnйe а l’occasion du mariage de la signora Giulia Crescenzi. Puisque pour une pareille vйtille, un coup d’йpйe maladroit donnй а un comйdien, un homme de la naissance de Fabrice n’йtait pas mis en libertй au bout de neuf mois de prison et avec la protection du premier ministre, c’est qu’il y avait de la politique dans son affaire. Alors, inutile de s’occuper davantage de lui, avait-on dit; s’il ne convenait pas au pouvoir de le faire mourir en place publique, il mourrait bientфt de maladie. Un ouvrier serrurier qui avait йtй appelй au palais du gйnйral Fabio Conti parla de Fabrice comme d’un prisonnier expйdiй depuis longtemps et dont on taisait la mort par politique. Le mot de cet homme dйcida Clйlia.

 


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