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CHAPITRE XIII 2 страница

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Aprиs avoir rappelй fort adroitement qu’aprиs tout M*** n’avait aucun droit sur elle, la Fausta finit par dire que probablement elle n’irait plus а l’йglise de Saint-Jean. M*** йtait йperdument amoureux, un peu de coquetterie avait pu se joindre а la prudence dans le cњur de cette jeune femme, il se sentit dйsarmer. Il eut l’idйe de quitter Parme; le jeune prince, si puissant qu’il fыt, ne pourrait le suivre, ou s’il le suivait ne serait plus que son йgal. Mais l’orgueil reprйsenta de nouveau que ce dйpart aurait toujours l’air d’une fuite, et le comte M*** se dйfendit d’y songer.

 

«Il ne se doute pas de la prйsence de mon petit Fabrice, se dit la cantatrice ravie, et maintenant nous pourrons nous moquer de lui d’une faзon prйcieuse!»

 

Fabrice ne devina point son bonheur, trouvant le lendemain les fenкtres de la cantatrice soigneusement fermйes, et ne la voyant nulle part, la plaisanterie commenзa а lui sembler longue. Il avait des remords. «Dans quelle situation est-ce que je mets ce pauvre comte Mosca, lui ministre de la police! on le croira mon complice, je serai venu dans ce pays pour casser le cou а sa fortune! Mais si j’abandonne un projet si longtemps suivi, que dira la duchesse quand je lui conterai mes essais d’amour?»

 

Un soir que prкt а quitter la partie il se faisait ainsi la morale en rфdant sous les grands arbres qui sйparent le palais de la Fausta de la citadelle, il remarqua qu’il йtait suivi par un espion de fort petite taille; ce fut en vain que pour s’en dйbarrasser il alla passer par plusieurs rues, toujours cet кtre microscopique semblait attachй а ses pas. Impatientй, il courut dans une rue solitaire situйe le long de la Parma, et oщ ses gens йtaient en embuscade; sur un signe qu’il fit ils sautиrent sur le pauvre petit espion qui se prйcipita а leurs genoux: c’йtait la Bettina, femme de chambre de la Fausta; aprиs trois jours d’ennui et de rйclusion, dйguisйe en homme pour йchapper au poignard du comte M***, dont sa maоtresse et elle avaient grand-peur, elle avait entrepris de venir dire а Fabrice qu’on l’aimait а la passion et qu’on brыlait de le voir; mais on ne pouvait plus paraоtre а l’йglise de Saint-Jean. «Il йtait temps, se dit Fabrice, vive l’insistance!»

 

La petite femme de chambre йtait fort jolie, ce qui enleva Fabrice а ses rкveries morales. Elle lui apprit que la promenade et toutes les rues oщ il avait passй ce soir-lа йtaient soigneusement gardйes, sans qu’il y parыt, par des espions de M***. Ils avaient louй des chambres au rez-de-chaussйe ou au premier йtage, cachйs derriиre les persiennes et gardant un profond silence, ils observaient tout ce qui se passait dans la rue, en apparence la plus solitaire, et entendaient ce qu’on y disait.

 

– Si ces espions eussent reconnu ma voix, dit la petite Bettina, j’йtais poignardйe sans rйmission а ma rentrйe au logis, et peut-кtre ma pauvre maоtresse avec moi.

 

Cette terreur la rendait charmante aux yeux de Fabrice.

 

– Le comte M***, continua-t-elle, est furieux, et Madame sait qu’il est capable de tout… Elle m’a chargйe de vous dire qu’elle voudrait кtre а cent lieues d’ici avec vous!

 

Alors elle raconta la scиne du jour de la Saint-Etienne, et la fureur de M***, qui n’avait perdu aucun des regards et des signes d’amour que la Fausta, ce jour-lа folle de Fabrice, lui avait adressйs. Le comte avait tirй son poignard, avait saisi la Fausta par les cheveux, et, sans sa prйsence d’esprit, elle йtait perdue.

 

Fabrice fit monter la jolie Bettina dans un petit appartement qu’il avait prиs de lа. Il lui raconta qu’il йtait de Turin, fils d’un grand personnage qui pour le moment se trouvait а Parme, ce qui l’obligeait а garder beaucoup de mйnagements. La Bettina lui rйpondit en riant qu’il йtait bien plus grand seigneur qu’il ne voulait paraоtre. Notre hйros eut besoin d’un peu de temps avant de comprendre que la charmante fille le prenait pour un non moindre personnage que le prince hйrйditaire lui-mкme. La Fausta commenзait а avoir peur et а aimer Fabrice; elle avait pris sur elle de ne pas dire ce nom а sa femme de chambre, et de lui parler du prince. Fabrice finit par avouer а la jolie fille qu’elle avait devinй juste:

 

– Mais si mon nom est йbruitй, ajouta-t-il, malgrй la grande passion dont j’ai donnй tant de preuves а ta maоtresse, je serai obligй de cesser de la voir, et aussitфt les ministres de mon pиre, ces mйchants drфles que je destituerai un jour, ne manqueront pas de lui envoyer l’ordre de vider le pays, que jusqu’ici elle a embelli de sa prйsence.

 

Vers le matin, Fabrice combina avec la petite camйriste plusieurs projets de rendez-vous pour arriver а la Fausta; il fit appeler Ludovic et un autre de ses gens fort adroit, qui s’entendirent avec la Bettina, pendant qu’il йcrivait а la Fausta la lettre la plus extravagante; la situation comportait toutes les exagйrations de la tragйdie et Fabrice ne s’en fit pas faute. Ce ne fut qu’а la pointe du jour qu’il se sйpara de la petite camйriste, fort contente des faзons du jeune prince.

 

Il avait йtй cent fois rйpйtй que, maintenant que la Fausta йtait d’accord avec son amant, celui-ci ne repasserait plus sous les fenкtres du petit palais que lorsqu’on pourrait l’y recevoir, et alors il y aurait signal. Mais Fabrice, amoureux de la Bettina, et se croyant prиs du dйnouement avec la Fausta, ne put se tenir dans son village а deux lieues de Parme. Le lendemain, vers les minuit, il vint а cheval, et bien accompagnй, chanter sous les fenкtres de la Fausta un air alors а la mode et dont il changeait les paroles. «N’est-ce pas ainsi qu’en agissent messieurs les amants?» se disait-il.

 

Depuis que la Fausta avait tйmoignй le dйsir d’un rendez-vous, toute cette chasse semblait bien longue а Fabrice. «Non, je n’aime point, se disait-il en chantant assez mal sous les fenкtres du petit palais; la Bettina me semble cent fois prйfйrable а la Fausta, et c’est par elle que je voudrais кtre reзu en ce moment.» Fabrice, s’ennuyant assez, retournait а son village, lorsque а cinq cents pas du palais de la Fausta quinze ou vingt hommes se jetиrent sur lui, quatre d’entre eux saisirent la bride de son cheval, deux autres s’emparиrent de ses bras. Ludovic et les bravi de Fabrice furent assaillis mais purent se sauver; ils tirиrent quelques coups de pistolet. Tout cela fut l’affaire d’un instant: cinquante flambeaux allumйs parurent dans la rue en un clin d’њil et comme par enchantement. Tous ces hommes йtaient bien armйs. Fabrice avait sautй а bas de son cheval, malgrй les gens qui le retenaient; il chercha а se faire jour; il blessa mкme un des hommes qui lui serrait les bras avec des mains semblables а des йtaux; mais il fut bien йtonnй d’entendre cet homme lui dire du ton le plus respectueux:

 

– Votre Altesse me fera une bonne pension pour cette blessure, ce qui vaudra mieux pour moi que de tomber dans le crime de lиse-majestй, en tirant l’йpйe contre mon prince.

 

«Voici justement le chвtiment de ma sottise, se dit Fabrice, je me serai damnй pour un pйchй qui ne me semblait point aimable.»

 

A peine la petite tentative de combat fut-elle terminйe, que plusieurs laquais en grande livrйe parurent avec une chaise а porteurs dorйe et peinte d’une faзon bizarre: c’йtait une de ces chaises grotesques dont les masques se servent pendant le carnaval. Six hommes, le poignard а la main, priиrent Son Altesse d’y entrer, lui disant que l’air frais de la nuit pourrait nuire а sa voix; on affectait les formes les plus respectueuses, le nom de prince йtait rйpйtй а chaque instant, et presque en criant. Le cortиge commenзa а dйfiler. Fabrice compta dans la rue plus de cinquante hommes portant des torches allumйes. Il pouvait кtre une heure du matin, tout le monde s’йtait mis aux fenкtres, la chose se passait avec une certaine gravitй. «Je craignais des coups de poignard de la part du comte M***, se dit Fabrice; il se contente de se moquer de moi, je ne lui croyais pas tant de goыt. Mais pense-t-il rйellement avoir affaire au prince? s’il sait que je ne suis que Fabrice, gare les coups de dague!»

 

Ces cinquante hommes portant des torches et les vingt hommes armйs, aprиs s’кtre longtemps arrкtйs sous les fenкtres de la Fausta, allиrent parader devant les plus beaux palais de la ville. Des majordomes placйs aux deux cфtйs de la chaise а porteurs demandaient de temps а autre а Son Altesse si elle avait quelque ordre а leur donner. Fabrice ne perdit point la tкte: а l’aide de la clartй que rйpandaient les torches, il voyait que Ludovic et ses hommes suivaient le cortиge autant que possible. Fabrice se disait: Ludovic n’a que huit ou dix hommes et n’ose attaquer. De l’intйrieur de sa chaise а porteurs, Fabrice voyait fort bien que les gens chargйs de la mauvaise plaisanterie йtaient armйs jusqu’aux dents. Il affectait de rire avec les majordomes chargйs de le soigner. Aprиs plus de deux heures de marche triomphale, il vit que l’on allait passer а l’extrйmitй de la rue oщ йtait situй le palais Sanseverina.

 

Comme on tournait la rue qui y conduit, il ouvre avec rapiditй la porte de la chaise pratiquйe sur le devant, saute par-dessus l’un des bвtons, renverse d’un coup de poignard l’un des estafiers qui lui portait sa torche au visage; il reзoit un coup de dague dans l’йpaule, un second estafier lui brыle la barbe avec sa torche allumйe, et enfin Fabrice arrive а Ludovic auquel il crie:

 

– Tue! tue tout ce qui porte des torches!

 

Ludovic donne des coups d’йpйe et le dйlivre de deux hommes qui s’attachaient а le poursuivre. Fabrice arrive en courant jusqu’а la porte du palais Sanseverina; par curiositй, le portier avait ouvert la petite porte haute de trois pieds pratiquйe dans la grande, et regardait tout йbahi ce grand nombre de flambeaux. Fabrice entre d’un saut et ferme derriиre lui cette porte en miniature; il court au jardin et s’йchappe par une porte qui donnait sur une rue solitaire. Une heure aprиs, il йtait hors de la ville, au jour il passait la frontiиre des Etats de Modиne et se trouvait en sыretй. Le soir il entra dans Bologne. «Voici une belle expйdition, se dit-il; je n’ai pas mкme pu parler а ma belle.» Il se hвta d’йcrire des lettres d’excuses au comte et а la duchesse, lettres prudentes, et qui, en peignant ce qui se passait dans son cњur, ne pouvaient rien apprendre а un ennemi. «J’йtais amoureux de l’amour, disait-il а la duchesse; j’ai fait tout au monde pour le connaоtre, mais il paraоt que la nature m’a refusй un cњur pour aimer et кtre mйlancolique; je ne puis m’йlever plus haut que le vulgaire plaisir, etc.»

 

On ne saurait donner l’idйe du bruit que cette aventure fit dans Parme. Le mystиre excitait la curiositй: une infinitй de gens avaient vu les flambeaux et la chaise а porteurs. Mais quel йtait cet homme enlevй et envers lequel on affectait toutes les formes du respect? Le lendemain aucun personnage connu ne manqua dans la ville.

 

Le petit peuple qui habitait la rue d’oщ le prisonnier s’йtait йchappй disait bien avoir vu un cadavre, mais au grand jour, lorsque les habitants osиrent sortir de leurs maisons, ils ne trouvиrent d’autres traces du combat que beaucoup de sang rйpandu sur le pavй. Plus de vingt mille curieux vinrent visiter la rue dans la journйe. Les villes d’Italie sont accoutumйes а des spectacles singuliers, mais toujours elles savent le pourquoi et le comment. Ce qui choqua Parme dans cette occurrence, ce fut que mкme un mois aprиs, quand on cessa de parler uniquement de la promenade aux flambeaux, personne, grвce а la prudence du comte Mosca, n’avait pu deviner le nom du rival qui avait voulu enlever la Fausta au comte M***. Cet amant jaloux et vindicatif avait pris la fuite dиs le commencement de la promenade. Par ordre du comte, la Fausta fut mise а la citadelle. La duchesse rit beaucoup d’une petite injustice que le comte dut se permettre pour arrкter tout а fait la curiositй du prince, qui autrement eыt pu arriver jusqu’au nom de Fabrice.

 

On voyait а Parme un savant homme arrivй du nord pour йcrire une histoire du Moyen Age; il cherchait des manuscrits dans les bibliothиques, et le comte lui avait donnй toutes les autorisations possibles. Mais ce savant, fort jeune encore, se montrait irascible; il croyait, par exemple, que tout le monde а Parme cherchait а se moquer de lui. Il est vrai que les gamins des rues le suivaient quelquefois а cause d’une immense chevelure rouge clair йtalйe avec orgueil. Ce savant croyait qu’а l’auberge on lui demandait des prix exagйrйs de toutes choses, et il ne payait pas la moindre bagatelle sans en chercher le prix dans le voyage d’une Mme Starke qui est arrivй а une vingtiиme йdition, parce qu’il indique а l’Anglais prudent le prix d’un dindon, d’une pomme, d’un verre de lait, etc.

 

Le savant а la criniиre rouge, le soir mкme du jour oщ Fabrice fit cette promenade forcйe, devint furieux а son auberge, et sortit de sa poche de petits pistolets pour se venger du cameriere qui lui demandait deux sous d’une pкche mйdiocre. On l’arrкta, car porter de petits pistolets est un grand crime!

 

Comme ce savant irascible йtait long et maigre, le comte eut l’idйe, le lendemain matin, de le faire passer aux yeux du prince pour le tйmйraire qui, ayant prйtendu enlever la Fausta au comte M***, avait йtй mystifiй. Le port des pistolets de poche est puni de trois ans de galиre а Parme; mais cette peine n’est jamais appliquйe. Aprиs quinze jours de prison, pendant lesquels le savant n’avait vu qu’un avocat qui lui avait fait une peur horrible des lois atroces dirigйes par la pusillanimitй des gens au pouvoir contre les porteurs d’armes cachйes, un autre avocat visita la prison et lui raconta la promenade infligйe par le comte M*** а un rival qui йtait restй inconnu.

 

– La police ne veut pas avouer au prince qu’elle n’a pu savoir quel est ce rival: Avouez que vous vouliez plaire а la Fausta, que cinquante brigands vous ont enlevй comme vous chantiez sous sa fenкtre, que pendant une heure on vous a promenй en chaise а porteurs sans vous adresser autre chose que des honnкtetйs. Cet aveu n’a rien d’humiliant, on ne vous demande qu’un mot. Aussitфt aprиs qu’en le prononзant vous aurez tirй la police d’embarras, elle vous embarque sur une chaise de poste et vous conduit а la frontiиre oщ l’on vous souhaite le bonsoir.

 

Le savant rйsista pendant un mois; deux ou trois fois le prince fut sur le point de le faire amener au ministиre de l’Intйrieur, et de se trouver prйsent а l’interrogatoire. Mais enfin il n’y songeait plus quand l’historien, ennuyй, se dйtermina а tout avouer et fut conduit а la frontiиre. Le prince resta convaincu que le rival du comte M*** avait une forкt de cheveux rouges.

 

Trois jours aprиs la promenade, comme Fabrice qui se cachait а Bologne organisait avec le fidиle Ludovic les moyens de trouver le comte M***, il apprit que, lui aussi, se cachait dans un village de la montagne sur la route de Florence. Le comte n’avait que trois de ses buli avec lui; le lendemain, au moment oщ il rentrait de la promenade, il fut enlevй par huit hommes masquйs qui se donnиrent а lui pour des sbires de Parme. On le conduisit, aprиs lui avoir bandй les yeux, dans une auberge deux lieues plus avant dans la montagne, oщ il trouva tous les йgards possibles et un souper fort abondant. On lui servit les meilleurs vins d’Italie et d’Espagne.

 

– Suis-je donc prisonnier d’Etat? dit le comte.

 

– Pas le moins du monde! lui rйpondit fort poliment Ludovic masquй. Vous avez offensй un simple particulier, en vous chargeant de le faire promener en chaise а porteurs; demain matin, il veut se battre en duel avec vous. Si vous le tuez, vous trouverez deux bons chevaux, de l’argent et des relais prйparйs sur la route de Gкnes.

 

– Quel est le nom du fier-а-bras? dit le comte irritй.

 

– Il se nomme Bombace. Vous aurez le choix des armes et de bons tйmoins, bien loyaux, mais il faut que l’un des deux meure!

 

– C’est donc un assassinat! dit le comte M***, effrayй.

 

– A Dieu ne plaise! c’est tout simplement un duel а mort avec le jeune homme que vous avez promenй dans les rues de Parme au milieu de la nuit, et qui resterait dйshonorй si vous restiez en vie. L’un de vous deux est de trop sur la terre, ainsi tвchez de le tuer; vous aurez des йpйes, des pistolets, des sabres, toutes les armes qu’on a pu se procurer en quelques heures, car il a fallu se presser; la police de Bologne est fort diligente, comme vous pouvez le savoir, et il ne faut pas qu’elle empкche ce duel nйcessaire а l’honneur du jeune homme dont vous vous кtes moquй.

 

– Mais si ce jeune homme est un prince…

 

– C’est un simple particulier comme vous, et mкme beaucoup moins riche que vous, mais il veut se battre а mort, et il vous forcera а vous battre, je vous en avertis.

 

– Je ne crains rien au monde! s’йcria M***.

 

– C’est ce que votre adversaire dйsire avec le plus de passion, rйpliqua Ludovic. Demain, de grand matin, prйparez-vous а dйfendre votre vie; elle sera attaquйe par un homme qui a raison d’кtre fort en colиre et qui ne vous mйnagera pas; je vous rйpиte que vous aurez le choix des armes; et faites votre testament.

 

Vers les six heures du matin, le lendemain, on servit а dйjeuner au comte M***, puis on ouvrit une porte de la chambre oщ il йtait gardй, et on l’engagea а passer dans la cour d’une auberge de campagne; cette cour йtait environnйe de haies et de murs assez hauts, et les portes en йtaient soigneusement fermйes.

 

Dans un angle, sur une table de laquelle on invita le comte M*** а s’approcher, il trouva quelques bouteilles de vin et d’eau-de-vie, deux pistolets, deux йpйes, deux sabres, du papier et de l’encre; une vingtaine de paysans йtaient aux fenкtres de l’auberge qui donnaient sur la cour. Le comte implora leur pitiй.

 

– On veut m’assassiner! s’йcriait-il; sauvez-moi la vie!

 

– Vous vous trompez! ou vous voulez tromper, lui cria Fabrice qui йtait а l’angle opposй de la cour, а cфtй d’une table chargйe d’armes.

 

Il avait mis habit bas, et sa figure йtait cachйe par un de ces masques en fils de fer qu’on trouve dans les salles d’armes.

 

– Je vous engage, ajouta Fabrice, а prendre le masque en fil de fer qui est prиs de vous, ensuite avancez vers moi avec une йpйe ou des pistolets; comme on vous l’a dit hier soir, vous avez le choix des armes.

 

Le comte M*** йlevait des difficultйs sans nombre, et semblait fort contrariй de se battre; Fabrice, de son cфtй, redoutait l’arrivйe de la police, quoique l’on fыt dans la montagne а cinq grandes lieues de Bologne; il finit par adresser а son rival les injures les plus atroces; enfin il eut le bonheur de mettre en colиre le comte M***, qui saisit une йpйe et marcha sur Fabrice; le combat s’engagea assez mollement.

 

Aprиs quelques minutes, il fut interrompu par un grand bruit. Notre hйros avait bien senti qu’il se jetait dans une action, qui, pendant toute sa vie, pourrait кtre pour lui un sujet de reproches ou du moins d’imputations calomnieuses. Il avait expйdiй Ludovic dans la campagne pour lui recruter des tйmoins. Ludovic donna de l’argent а des йtrangers qui travaillaient dans un bois voisin; ils accoururent en poussant des cris, pensant qu’il s’agissait de tuer un ennemi de l’homme qui payait. Arrivйs а l’auberge, Ludovic les pria de regarder de tous leurs yeux, et de voir si l’un de ces deux jeunes gens qui se battaient agissait en traоtre et prenait sur l’autre des avantages illicites.

 

Le combat un instant interrompu par les cris de mort des paysans tardait а recommencer; Fabrice insulta de nouveau la fatuitй du comte.

 

– Monsieur le comte, lui criait-il, quand on est insolent, il faut кtre brave. Je sens que la condition est dure pour vous, vous aimez mieux payer des gens qui sont braves.

 

Le comte, de nouveau piquй, se mit а lui crier qu’il avait longtemps frйquentй la salle d’armes du fameux Battistin а Naples, et qu’il allait chвtier son insolence; la colиre du comte M*** ayant enfin reparu, il se battit avec assez de fermetй, ce qui n’empкcha point Fabrice de lui donner un fort beau coup d’йpйe dans la poitrine, qui le retint au lit plusieurs mois. Ludovic, en donnant les premiers soins au blessй, lui dit а l’oreille:

 

– Si vous dйnoncez ce duel а la police, je vous ferai poignarder dans votre lit.

 

Fabrice se sauva dans Florence; comme il s’йtait tenu cachй а Bologne, ce fut а Florence seulement qu’il reзut toutes les lettres de reproches de la duchesse; elle ne pouvait lui pardonner d’кtre venu а son concert et de ne pas avoir cherchй а lui parler. Fabrice fut ravi des lettres du comte Mosca, elles respiraient une franche amitiй et les sentiments les plus nobles. Il devina que le comte avait йcrit а Bologne, de faзon а йcarter les soupзons qui pouvaient peser sur lui relativement au duel; la police fut d’une justice parfaite: elle constata que deux йtrangers, dont l’un seulement, le blessй, йtait connu (le comte M***) s’йtaient battus а l’йpйe, devant plus de trente paysans, au milieu desquels se trouvait vers la fin du combat le curй du village qui avait fait de vains efforts pour sйparer les duellistes. Comme le nom de Joseph Bossi n’avait point йtй prononcй, moins de deux mois aprиs, Fabrice osa revenir а Bologne, plus convaincu que jamais que sa destinйe le condamnait а ne jamais connaоtre la partie noble et intellectuelle de l’amour. C’est ce qu’il se donna le plaisir d’expliquer fort au long а la duchesse; il йtait bien las de sa vie solitaire et dйsirait passionnйment alors retrouver les charmantes soirйes qu’il passait entre le comte et sa tante. Il n’avait pas revu depuis eux les douceurs de la bonne compagnie.

 

Je me suis tant ennuyй а propos de l’amour que je voulais me donner et de la Fausta, йcrivait-il а la duchesse, que maintenant son caprice me fыt-il encore favorable, je ne ferais pas vingt lieues pour aller la sommer de sa parole; ainsi ne crains pas, comme tu me le dis, que j’aille jusqu’а Paris oщ je vois qu’elle dйbute avec un succиs fou. Je ferais toutes les lieues possibles pour passer une soirйe avec toi et avec ce comte si bon pour ses amis.

 

LIVRE SECOND

Par ses cris continuels, cette rйpublique nous empкcherait de jouir de la meilleure des monarchies.

(Chap. XXIII.)

 

CHAPITRE XIV

Pendant que Fabrice йtait а la chasse de l’amour dans un village voisin de Parme, le fiscal gйnйral Rassi, qui ne le savait pas si prиs de lui, continuait а traiter son affaire comme s’il eыt йtй un libйral: il feignit de ne pouvoir trouver, ou plutфt intimida les tйmoins а dйcharge; et enfin, aprиs un travail fort savant de prиs d’une annйe, et environ deux mois aprиs le dernier retour de Fabrice а Bologne, un certain vendredi, la marquise Raversi, ivre de joie, dit publiquement dans son salon que, le lendemain, la sentence qui venait d’кtre rendue depuis une heure contre le petit del Dongo serait prйsentйe а la signature du prince et approuvйe par lui. Quelques minutes plus tard la duchesse sut ce propos de son ennemie.

 

«Il faut que le comte soit bien mal servi par ses agents! se dit-elle; encore ce matin il croyait que la sentence ne pouvait кtre rendue avant huit jours. Peut-кtre ne serait-il pas fвchй d’йloigner de Parme mon jeune grand vicaire; mais, ajouta-t-elle en chantant, nous le verrons revenir, et un jour il sera notre archevкque.» La duchesse sonna:

 

– Rйunissez tous les domestiques dans la salle d’attente, dit-elle а son valet de chambre, mкme les cuisiniers; allez prendre chez le commandant de la place le permis nйcessaire pour avoir quatre chevaux de poste, et enfin qu’avant une demi-heure ces chevaux soient attelйs а mon landau. Toutes les femmes de la maison furent occupйes а faire des malles, la duchesse prit а la hвte un habit de voyage, le tout sans rien faire dire au comte; l’idйe de se moquer un peu de lui la transportait de joie.

 

– Mes amis, dit-elle aux domestiques rassemblйs, j’apprends que mon pauvre neveu va кtre condamnй par contumace pour avoir eu l’audace de dйfendre sa a vie contre un furieux; c’йtait Giletti qui voulait le tuer. Chacun de vous a pu voir combien le caractиre de Fabrice est doux et inoffensif. Justement indignйe de cette injure atroce, je pars pour Florence: je laisse а chacun de vous ses gages pendant dix ans; si vous кtes malheureux, йcrivez-moi, et tant que j’aurai un sequin, il y aura quelque chose pour vous.

 

La duchesse pensait exactement ce qu’elle disait, et, а ses derniers mots, les domestiques fondirent en larmes; elle aussi avait les yeux humides; elle ajouta d’une voix йmue:

 

– Priez Dieu pour moi et pour Mgr Fabrice del Dongo, premier grand vicaire du diocиse, qui demain matin va кtre condamnй aux galиres, ou, ce qui serait moins bкte, а la peine de mort.

 

Les larmes des domestiques redoublиrent et peu а peu se changиrent en cris а peu prиs sйditieux; la duchesse monta dans son carrosse et se fit conduire au palais du prince. Malgrй l’heure indue, elle fit solliciter une audience par le gйnйral Fontana, aide de camp de service; elle n’йtait point en grand habit de cour, ce qui jeta cet aide de camp dans une stupeur profonde. Quant au prince, il ne fut point surpris, et encore moins fвchй de cette demande d’audience. «Nous allons voir des larmes rйpandues par de beaux yeux, se dit-il en se frottant les mains. Elle vient demander grвce; enfin cette fiиre beautй va s’humilier! elle йtait aussi trop insupportable avec ses petits airs d’indйpendance! Ces yeux si parlants semblaient toujours me dire, а la moindre chose qui la choquait: Naples ou Milan seraient un sйjour bien autrement aimable que votre petite ville de Parme. A la vйritй je ne rиgne pas sur Naples ou sur Milan; mais enfin cette grande dame vient me demander quelque chose qui dйpend de moi uniquement et qu’elle brыle d’obtenir; j’ai toujours pensй que l’arrivй de ce neveu m’en ferait tirer pied ou aile.»

 

Pendant que le prince souriait а ces pensйes et se livrait а toutes ces prйvisions agrйables, il se promenait dans son grand cabinet, а la porte duquel le gйnйral Fontana йtait restй debout et raide comme un soldat au port d’armes. Voyant les yeux brillants du prince, et se rappelant l’habit de voyage de la duchesse, il crut а la dissolution de la monarchie. Son йbahissement n’eut plus de bornes quand il entendit le prince lui dire:

 

– Priez Mme la duchesse d’attendre un petit quart d’heure.

 

Le gйnйral aide de camp fit son demi-tour comme un soldat а la parade; le prince sourit encore: «Fontana n’est pas accoutumй, se dit-il, а voir attendre cette fiиre duchesse: la figure йtonnйe avec laquelle il va lui parler du petit quart d’heure d’attente prйparera le passage aux larmes touchantes que ce cabinet va voir rйpandre.» Ce petit quart d’heure fut dйlicieux pour le prince, il se promenait d’un pas ferme et йgal, il rйgnait. «Il s’agit ici de ne rien dire qui ne soit parfaitement а sa place; quels que soient mes sentiments envers la duchesse, il ne faut point oublier que c’est une des plus grandes dames de ma cour. Comment Louis XIV parlait-il aux princesses ses filles quand il avait lieu d’en кtre mйcontent?» et ses yeux s’arrкtиrent sur le portrait du grand roi.

 

Le plaisant de la chose c’est que le prince ne songea point а se demander s’il ferait grвce а Fabrice et quelle serait cette grвce. Enfin, au bout de vingt minutes, le fidиle Fontana se prйsenta de nouveau а la porte, mais sans rien dire.

 

– La duchesse Sanseverina peut entrer, cria le prince d’un air thйвtral.

 

«Les larmes vont commencer», se dit-il, et, comme pour se prйparer а un tel spectacle, il tira son mouchoir.

 

Jamais la duchesse n’avait йtй aussi leste et aussi jolie; elle n’avait pas vingt-cinq ans. En voyant son petit pas lйger et rapide effleurer а peine les tapis, le pauvre aide de camp fut sur le point de perdre tout а fait la raison.

 

– J’ai bien des pardons а demander а Votre Altesse Sйrйnissime, dit la duchesse de sa petite voix lйgиre et gaie, j’ai pris la libertй de me prйsenter devant elle avec un habit qui n’est pas prйcisйment convenable, mais Votre Altesse m’a tellement accoutumйe а ses bontйs que j’ai osй espйrer qu’elle voudrait bien m’accorder encore cette grвce.

 

La duchesse parlait assez lentement, afin de se donner le temps de jouir de la figure du prince; elle йtait dйlicieuse а cause de l’йtonnement profond et du reste de grands airs que la position de la tкte et des bras accusait encore. Le prince йtait restй comme frappй de la foudre; de sa petite voix aigre et troublйe, il s’йcriait de temps а autre en articulant а peine:


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