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Chapitre premier 8 страница

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– Le croiriez-vous? disait а la comtesse un autre voyageur, la nuit, au troisiиme йtage de son palais, gardй par quatre-vingts sentinelles qui, tous les quarts d’heure, hurlent une phrase entiиre, Ernest IV tremble dans sa chambre. Toutes les portes fermйes а dix verrous, et les piиces voisines, au-dessus comme au-dessous, remplies de soldats, il a peur des jacobins. Si une feuille du parquet vient а crier, il saute sur ses pistolets et croit а un libйral cachй sous son lit. Aussitфt toutes les sonnettes du chвteau sont en mouvement, et un aide de camp va rйveiller le comte Mosca. Arrivй au chвteau, ce ministre de la police se garde bien de nier la conspiration, au contraire; seul avec le prince, et armй jusqu’aux dents, il visite tous les coins des appartements, regarde sous les lits, et, en un mot, se livre а une foule d’actions ridicules dignes d’une vieille femme. Toutes ces prйcautions eussent semblй bien avilissantes au prince lui-mкme dans les temps heureux oщ il faisait la guerre et n’avait tuй personne qu’а coups de fusil. Comme c’est un homme d’infiniment d’esprit, il a honte de ces prйcautions; elles lui semblent ridicules, mкme au moment oщ il s’y livre, et la source de l’immense crйdit du comte Mosca, c’est qu’il emploie toute son adresse а faire que le prince n’ait jamais а rougir en sa prйsence. C’est lui, Mosca, qui, en sa qualitй de ministre de la police, insiste pour regarder sous les meubles, et, dit-on а Parme, jusque dans les йtuis des contrebasses. C’est le prince qui s’y oppose, et plaisante son ministre sur sa ponctualitй excessive. «Ceci est un parti, lui rйpond le comte Mosca: songez aux sonnets satiriques dont les jacobins nous accableraient si nous vous laissions tuer. Ce n’est pas seulement votre vie que nous dйfendons, c’est notre honneur.» Mais il paraоt que le prince n’est dupe qu’а demi, car si quelqu’un dans la ville s’avise de dire que la veille on a passй une nuit blanche au chвteau, le grand fiscal Rassi envoie le mauvais plaisant а la citadelle; et une fois dans cette demeure йlevйe et en bon air, comme on dit а Parme, il faut un miracle pour que l’on se souvienne du prisonnier. C’est parce qu’il est militaire, et qu’en Espagne il s’est sauvй vingt fois le pistolet а la main, au milieu des surprises, que le prince prйfиre le comte Mosca а Rassi, qui est bien plus flexible et plus bas. Ces malheureux prisonniers de la citadelle sont au secret le plus rigoureux, et l’on fait des histoires sur leur compte. Les libйraux prйtendent que, par une invention de Rassi, les geфliers et confesseurs ont ordre de leur persuader que tous les mois а peu prиs, l’un d’eux est conduit а la mort. Ce jour-lа les prisonniers ont la permission de monter sur l’esplanade de l’immense tour, а cent quatre-vingts pieds d’йlйvation, et de lа ils voient dйfiler un cortиge avec un espion qui joue le rфle d’un pauvre diable qui marche а la mort.

 

Ces contes, et vingt autres du mкme genre et d’une non moindre authenticitй, intйressaient vivement Mme Pietranera; le lendemain, elle demandait des dйtails au comte Mosca, qu’elle plaisantait vivement. Elle le trouvait amusant et lui soutenait qu’au fond il йtait un monstre sans s’en douter. Un jour, en rentrant а son auberge, le comte se dit: «Non seulement cette comtesse Pietranera est une femme charmante; mais quand je passe la soirйe dans sa loge, je parviens а oublier certaines choses de Parme dont le souvenir me perce le cњur.»

 

«Ce ministre, malgrй son air lйger et ses faзons brillantes, n’avait pas une вme а la franзaise; il ne savait pas oublier les chagrins. Quand son chevet avait une йpine, il йtait obligй de la briser et de l’user а force d’y piquer ses membres palpitants.» Je demande pardon pour cette phrase, traduite de l’italien.

 

Le lendemain de cette dйcouverte, le comte trouva que malgrй les affaires qui l’appelaient а Milan, la journйe йtait d’une longueur йnorme; il ne pouvait tenir en place; il fatigua les chevaux de sa voiture. Vers les six heures, il monta а cheval pour aller au Corso; il avait quelque espoir d’y rencontrer Mme Pietranera; ne l’y ayant pas vue, il se rappela qu’а huit heures le thйвtre de la Scala ouvrait; il y entra et ne vit pas dix personnes dans cette salle immense. Il eut quelque pudeur de se trouver lа. «Est-il possible, se dit-il, qu’а quarante-cinq ans sonnйs je fasse des folies dont rougirait un sous-lieutenant! Par bonheur personne ne les soupзonne.» Il s’enfuit et essaya d’user le temps en se promenant dans ces rues si jolies qui entourent le thйвtre de la Scala. Elles sont occupйes par des cafйs qui, а cette heure, regorgent de monde; devant chacun de ces cafйs, des foules de curieux йtablis sur des chaises, au milieu de la rue, prennent des glaces et critiquent les passants. Le comte йtait un passant remarquable; aussi eut-il le plaisir d’кtre reconnu et accostй. Trois ou quatre importuns, de ceux qu’on ne peut brusquer, saisirent cette occasion d’avoir audience d’un ministre si puissant. Deux d’entre eux lui remirent des pйtitions; le troisiиme se contenta de lui adresser des conseils fort longs sur sa conduite politique.

 

«On ne dort point, dit-il, quand on a tant d’esprit; on ne se promиne point quand on est aussi puissant.» Il rentra au thйвtre et eut l’idйe de louer une loge au troisiиme rang; de lа son regard pourrait plonger, sans кtre remarquй de personne, sur la loge des secondes oщ il espйrait voir arriver la comtesse. Deux grandes heures d’attente ne parurent point trop longues а cet amoureux; sыr de n’кtre point vu, il se livrait avec bonheur а toute sa folie. «La vieillesse, se disait-il, n’est-ce pas, avant tout, n’кtre plus capable de ces enfantillages dйlicieux?»

 

Enfin la comtesse parut. Armй de sa lorgnette, il l’examinait avec transport. «Jeune, brillante, lйgиre comme un oiseau, se disait-il, elle n’a pas vingt-cinq ans. Sa beautй est son moindre charme: oщ trouver ailleurs cette вme toujours sincиre, qui jamais n’agit avec prudence, qui se livre tout entiиre а l’impression du moment, qui ne demande qu’а кtre entraоnйe par quelque objet nouveau? Je conзois les folies du comte Nani.»

 

Le comte se donnait d’excellentes raisons pour кtre fou, tant qu’il ne songeait qu’а conquйrir le bonheur qu’il voyait sous ses yeux. Il n’en trouvait plus d’aussi bonnes quand il venait а considйrer son вge et les soucis quelquefois fort tristes qui remplissaient sa vie. «Un homme habile а qui la peur фte l’esprit me donne une grande existence et beaucoup d’argent pour кtre son ministre; mais que demain il me renvoie, je reste vieux et pauvre, c’est-а-dire tout ce qu’il y a au monde de plus mйprisй; voilа un aimable personnage а offrir а la comtesse!» Ces pensйes йtaient trop noires, il revint а Mme Pietranera; il ne pouvait se lasser de la regarder, et pour mieux penser а elle il ne descendait pas dans sa loge. «Elle n’avait pris Nani, vient-on de me dire, que pour faire piиce а cet imbйcile de Limercati qui ne voulut pas entendre а donner un coup d’йpйe ou а faire donner un coup de poignard а l’assassin du mari. Je me battrais vingt fois pour elle!» s’йcria le comte avec transport. A chaque instant il consultait l’horloge du thйвtre qui par des chiffres йclatants de lumiиre et se dйtachant sur un fond noir avertit les spectateurs, toutes les cinq minutes, de l’heure oщ il leur est permis d’arriver dans une loge amie. Le comte se disait: «Je ne saurais passer qu’une demi-heure tout au plus dans sa loge, moi, connaissance de si fraоche date; si j’y reste davantage, je m’affiche, et grвce а mon вge et plus encore а ces maudits cheveux poudrйs, j’aurai l’air attrayant d’un Cassandre.» Mais une rйflexion le dйcida tout а coup: «Si elle allait quitter cette loge pour faire une visite, je serais bien rйcompensй de l’avarice avec laquelle je m’йconomise ce plaisir.» Il se levait pour descendre dans la loge oщ il voyait la comtesse; tout а coup il ne se sentit presque plus d’envie de s’y prйsenter. «Ah! voici qui est charmant, s’йcria-t-il en riant de soi-mкme, et s’arrкtant sur l’escalier; c’est un mouvement de timiditй vйritable! voilа bien vingt-cinq ans que pareille aventure ne m’est arrivйe.»

 

Il entra dans la loge en faisant presque effort sur lui-mкme; et, profitant en homme d’esprit de l’accident qui lui arrivait, il ne chercha point du tout а montrer de l’aisance ou а faire de l’esprit en se jetant dans quelque rйcit plaisant; il eut le courage d’кtre timide, il employa son esprit а laisser entrevoir son trouble sans кtre ridicule. «Si elle prend la chose de travers, se disait-il, je me perds а jamais. Quoi! timide avec des cheveux couverts de poudre, et qui sans le secours de la poudre paraоtraient gris! Mais enfin la chose est vraie, donc elle ne peut кtre ridicule que si je l’exagиre ou si j’en fais trophйe.» La comtesse s’йtait si souvent ennuyйe au chвteau de Grianta, vis-а-vis des figures poudrйes de son frиre, de son neveu et de quelques ennuyeux bien pensants du voisinage, qu’elle ne songea pas а s’occuper de la coiffure de son nouvel adorateur.

 

L’esprit de la comtesse ayant un bouclier contre l’йclat de rire de l’entrйe, elle ne fut attentive qu’aux nouvelles de France que Mosca avait toujours а lui donner en particulier, en arrivant dans la loge; sans doute il inventait. En les discutant avec lui, elle remarqua ce soir-lа son regard, qui йtait beau et bienveillant.

 

– Je m’imagine, lui dit-elle, qu’а Parme, au milieu de vos esclaves, vous n’allez pas avoir ce regard aimable, cela gвterait tout et leur donnerait quelque espoir de n’кtre pas pendus.

 

L’absence totale d’importance chez un homme qui passait pour le premier diplomate de l’Italie parut singuliиre а la comtesse; elle trouva mкme qu’il avait de la grвce. Enfin, comme il parlait bien et avec feu, elle ne fut point choquйe qu’il eыt jugй а propos de prendre pour une soirйe, et sans consйquence, le rфle d’attentif.

 

Ce fut un grand pas de fait, et bien dangereux; par bonheur pour le ministre, qui, а Parme, ne trouvait pas de cruelles, c’йtait seulement depuis peu de jours que la comtesse arrivait de Grianta; son esprit йtait encore tout raidi par l’ennui de la vie champкtre. Elle avait comme oubliй la plaisanterie; et toutes ces choses qui appartiennent а une faзon de vivre йlйgante et lйgиre avaient pris а ses yeux comme une teinte de nouveautй qui les rendait sacrйes; elle n’йtait disposйe а se moquer de rien, pas mкme d’un amoureux de quarante-cinq ans et timide. Huit jours plus tard, la tйmйritй du comte eыt pu recevoir un tout autre accueil.

 

A la Scala, il est d’usage de ne faire durer qu’une vingtaine de minutes ces petites visites que l’on fait dans les loges; le comte passa toute la soirйe dans celle oщ il avait le bonheur de rencontrer Mme Pietranera. «C’est une femme, se disait-il, qui me rend toutes les folies de la jeunesse!» Mais il sentait bien le danger. «Ma qualitй de pacha tout-puissant а quarante lieues d’ici me fera-t-elle pardonner cette sottise? je m’ennuie tant а Parme!» Toutefois, de quart d’heure en quart d’heure il se promettait de partir.

 

– Il faut avouer, madame, dit-il en riant а la comtesse, qu’а Parme je meurs d’ennui, et il doit m’кtre permis de m’enivrer de plaisir quand j’en trouve sur ma route. Ainsi, sans consйquence et pour une soirйe, permettez-moi de jouer auprиs de vous le rфle d’amoureux. Hйlas! dans peu de jours je serai bien loin de cette loge qui me fait oublier tous les chagrins et mкme, direz-vous, toutes les convenances.

 

Huit jours aprиs cette visite monstre dans la loge а la Scala et а la suite de plusieurs petits incidents dont le rйcit semblerait long peut-кtre, le comte Mosca йtait absolument fou d’amour, et la comtesse pensait dйjа que l’вge ne devait pas faire objection, si d’ailleurs on le trouvait aimable. On en йtait а ces pensйes quand Mosca fut rappelй par un courrier de Parme. On eыt dit que son prince avait peur tout seul. La comtesse retourna а Grianta; son imagination ne parant plus ce beau lieu, il lui parut dйsert. «Est-ce que je me serais attachйe а cet homme?» se dit-elle. Mosca йcrivit et n’eut rien а jouer, l’absence lui avait enlevй la source de toutes ses pensйes; ses lettres йtaient amusantes, et, par une petite singularitй qui ne fut pas mal prise, pour йviter les commentaires du marquis del Dongo qui n’aimait pas а payer des ports de lettres, il envoyait des courriers qui jetaient les siennes а la poste а Cфme, а Lecco, а Varиse ou dans quelque autre de ces petites villes charmantes des environs du lac. Ceci tendait а obtenir que le courrier rapportвt les rйponses; il y parvint.

 

Bientфt les jours de courrier firent йvйnement pour la comtesse; ces courriers apportaient des fleurs, des fruits, de petits cadeaux sans valeur, mais qui l’amusaient ainsi que sa belle-sњur. Le souvenir du comte se mкlait а l’idйe de son grand pouvoir; la comtesse йtait devenue curieuse de tout ce qu’on disait de lui, les libйraux eux-mкmes rendaient hommage а ses talents. La principale source de mauvaise rйputation pour le comte, c’est qu’il passait pour le chef du parti ultra а la cour de Parme, et que le parti libйral avait а sa tкte une intrigante capable de tout, et mкme de rйussir, la marquise Raversi, immensйment riche. Le prince йtait fort attentif а ne pas dйcourager celui des deux partis qui n’йtait pas au pouvoir; il savait bien qu’il serait toujours le maоtre, mкme avec un ministиre pris dans le salon de Mme Raversi. On donnait а Grianta mille dйtails sur ces intrigues; l’absence de Mosca, que tout le monde peignait comme un ministre du premier talent et un homme d’action, permettait de ne plus songer aux cheveux poudrйs, symbole de tout ce qui est lent et triste, c’йtait un dйtail sans consйquence, une des obligations de la cour, oщ il jouait d’ailleurs un si beau rфle. «Une cour, c’est ridicule, disait la comtesse а la marquise, mais c’est amusant; c’est un jeu qui intйresse, mais dont il faut accepter les rиgles. Qui s’est jamais avisй de se rйcrier contre le ridicule des rиgles du whist? Et pourtant une fois qu’on s’est accoutumй aux rиgles, il est agrйable de faire l’adversaire repic et capot.»

 

La comtesse pensait souvent а l’auteur de tant de lettres aimables. Le jour oщ elle les recevait йtait agrйable pour elle; elle prenait sa barque et allait les lire dans les beaux sites du lac, а la Pliniana, а Bйlan, au bois des Sfondrata. Ces lettres semblaient la consoler un peu de l’absence de Fabrice. Elle ne pouvait du moins refuser au comte d’кtre fort amoureux; un mois ne s’йtait pas йcoulй, qu’elle songeait а lui avec une amitiй tendre. De son cфtй, le comte Mosca йtait presque de bonne foi quand il lui offrait de donner sa dйmission, de quitter le ministиre, et de venir passer sa vie avec elle а Milan ou ailleurs.

 

– J’ai 400 000 francs, ajoutait-il, ce qui nous fera toujours 15 000 livres de rente.

 

«De nouveau une loge, des chevaux! etc.», se disait la comtesse, c’йtaient des rкves aimables. Les sublimes beautйs des aspects du lac de Cфme recommenзaient а la charmer. Elle allait rкver sur ses bords а ce retour de vie brillante et singuliиre qui, contre toute apparence, redevenait possible pour elle. Elle se voyait sur le Corso, а Milan, heureuse et gaie comme au temps du vice-roi.

 

«La jeunesse, ou du moins la vie active recommencerait pour moi!»

 

Quelquefois son imagination ardente lui cachait les choses, mais jamais avec elle il n’y avait de ces illusions volontaires que donne la lвchetй. C’йtait surtout une femme de bonne foi avec elle-mкme. «Si je suis un peu trop вgйe pour faire des folies, se disait-elle, l’envie, qui se fait des illusions comme l’amour, peut empoisonner pour moi le sйjour de Milan. Aprиs la mort de mon mari, ma pauvretй noble eut du succиs, ainsi que le refus de deux grandes fortunes. Mon pauvre petit comte Mosca n’a pas la vingtiиme partie de l’opulence que mettaient а mes pieds ces deux nigauds Limercati et Nani. La chйtive pension de veuve pйniblement obtenue, les gens congйdiйs, ce qui eut de l’йclat, la petite chambre au cinquiиme qui amenait vingt carrosses а la porte, tout cela forma jadis un spectacle singulier. Mais j’aurai des moments dйsagrйables, quelque adresse que j’y mette, si, ne possйdant toujours pour fortune que la pension de veuve, je reviens vivre а Milan avec la bonne petite aisance bourgeoise que peuvent nous donner les 15 000 livres qui resteront а Mosca aprиs sa dйmission. Une puissante objection, dont l’envie se fera une arme terrible, c’est que le comte, quoique sйparй de sa femme depuis longtemps, est mariй. Cette sйparation se sait а Parme, mais а Milan elle sera nouvelle, et on me l’attribuera. Ainsi, mon beau thйвtre de la Scala, mon divin lac de Cфme… adieu! adieu!»

 

Malgrй toutes ces prйvisions, si la comtesse avait eu la moindre fortune, elle eыt acceptй l’offre de la dйmission de Mosca. Elle se croyait une femme вgйe, et la cour lui faisait peur; mais, ce qui paraоtra de la derniиre invraisemblance de ce cфtй-ci des Alpes, c’est que le comte eыt donnй cette dйmission avec bonheur. C’est du moins ce qu’il parvint а persuader а son amie. Dans toutes ses lettres il sollicitait avec une folie toujours croissante une seconde entrevue а Milan, on la lui accorda.

 

– Vous jurer que j’ai pour vous une passion folle, lui disait la comtesse, un jour а Milan, ce serait mentir; je serais trop heureuse d’aimer aujourd’hui, а trente ans passйs, comme jadis j’aimais а vingt-deux! Mais j’ai vu tomber tant de choses que j’avais crues йternelles! J’ai pour vous la plus tendre amitiй, je vous accorde une confiance sans bornes, et de tous les hommes, vous кtes celui que je prйfиre.

 

La comtesse se croyait parfaitement sincиre, pourtant vers la fin, cette dйclaration contenait un petit mensonge. Peut-кtre, si Fabrice l’eыt voulu, il l’eыt emportй sur tout dans son cњur. Mais Fabrice n’йtait qu’un enfant aux yeux du comte Mosca; celui-ci arriva а Milan trois jours aprиs le dйpart du jeune йtourdi pour Novare, et il se hвta d’aller parler en sa faveur au baron Binder. Le comte pensa que l’exil йtait une affaire sans remиde.

 

Il n’йtait point arrivй seul а Milan, il avait dans sa voiture le duc Sanseverina-Taxis, joli petit vieillard de soixante-huit ans, gris pommelй, bien poli, bien propre, immensйment riche, mais pas assez noble. C’йtait son grand-pиre seulement qui avait amassй des millions par le mйtier de fermier gйnйral des revenus de l’Etat de Parme. Son pиre s’йtait fait nommer ambassadeur du prince de Parme а la cour de ***, а la suite du raisonnement que voici:

 

– Votre Altesse accorde 30 000 francs а son envoyй а la cour de ***, lequel y fait une figure fort mйdiocre. Si elle daigne me donner cette place, j’accepterai 6 000 francs d’appointements. Ma dйpense а la cour de *** ne sera jamais au-dessous de 100 000 francs par an et mon intendant remettra chaque annйe 20 000 francs а la caisse des affaires йtrangиres а Parme. Avec cette somme, l’on pourra placer auprиs de moi tel secrйtaire d’ambassade que l’on voudra, et je ne me montrerai nullement jaloux des secrets diplomatiques, s’il y en a. Mon but est de donner de l’йclat а ma maison nouvelle encore, et de l’illustrer par une des grandes charges du pays.

 

Le duc actuel, fils de cet ambassadeur, avait eu la gaucherie de se montrer а demi libйral, et, depuis deux ans, il йtait au dйsespoir. Du temps de Napolйon, il avait perdu deux ou trois millions par son obstination а rester а l’йtranger, et toutefois, depuis le rйtablissement de l’ordre en Europe, il n’avait pu obtenir un certain grand cordon qui ornait le portrait de son pиre; l’absence de ce cordon le faisait dйpйrir.

 

Au point d’intimitй qui suit l’amour en Italie, il n’y avait plus d’objection de vanitй entre les deux amants. Ce fut donc avec la plus parfaite simplicitй que Mosca dit а la femme qu’il adorait:

 

– J’ai deux ou trois plans de conduite а vous offrir, tous assez bien combinйs; je ne rкve qu’а cela depuis trois mois.

 

«1°Je donne ma dйmission, et nous vivons en bons bourgeois а Milan, а Florence, а Naples, oщ vous voudrez. Nous avons quinze mille livres de rente, indйpendamment des bienfaits du prince qui dureront plus ou moins.

 

«2 Vous daignez venir dans le pays oщ je puis quelque chose, vous achetez une terre, Sacca, par exemple, maison charmante, au milieu d’une forкt, dominant le cours du Pф, vous pouvez avoir le contrat de vente signй d’ici а huit jours. Le prince vous attache а sa cour. Mais ici se prйsente une immense objection. On vous recevra bien а cette cour; personne ne s’aviserait de broncher devant moi; d’ailleurs la princesse se croit malheureuse, et je viens de lui rendre des services а votre intention. Mais je vous rappellerai une objection capitale: le prince est parfaitement dйvot, et comme vous le savez encore, la fatalitй veut que je sois mariй. De lа un million de dйsagrйments de dйtail. Vous кtes veuve, c’est un beau titre qu’il faudrait йchanger contre un autre, et ceci fait l’objet de ma troisiиme proposition.

 

«On pourrait trouver un nouveau mari point gкnant. Mais d’abord il le faudrait fort avancй en вge, car pourquoi me refuseriez-vous l’espoir de le remplacer un jour? Eh bien? j’ai conclu cette affaire singuliиre avec le duc Sanseverina-Taxis, qui, bien entendu, ne sait pas le nom de la future duchesse. Il sait seulement qu’elle le fera ambassadeur et lui donnera un grand cordon qu’avait son pиre, et dont l’absence le rend le plus infortunй des mortels. A cela prиs, ce duc n’est point trop imbйcile; il fait venir de Paris ses habits et ses perruques. Ce n’est nullement un homme а mйchancetйs pour pensйes d’avance, il croit sйrieusement que l’honneur consiste а avoir un cordon, et il a honte de son bien. Il vint il y a un an me proposer de fonder un hфpital pour gagner ce cordon; je me moquai de lui, mais il ne s’est point moquй de moi quand je lui ai proposй un mariage; ma premiиre condition a йtй, bien entendu, que jamais il ne remettrait le pied dans Parme.

 

– Mais savez-vous que ce que vous me proposez lа est fort immoral? dit la comtesse.

 

– Pas plus immoral que tout ce qu’on fait а notre cour et dans vingt autres. Le pouvoir absolu a cela de commode qu’il sanctifie tout aux yeux des peuples; or, qu’est-ce qu’un ridicule que personne n’aperзoit? Notre politique, pendant vingt ans, va consister а avoir peur des jacobins, et quelle peur! Chaque annйe nous nous croirons а la veille de 93. Vous entendrez, j’espиre, les phrases que je fais lа-dessus а mes rйceptions! C’est beau! Tout ce qui pourra diminuer un peu cette peur sera souverainement moral aux yeux des nobles et des dйvots. Or, а Parme, tout ce qui n’est pas noble ou dйvot est en prison, ou fait ses paquets pour y entrer; soyez bien convaincue que ce mariage ne semblera singulier chez nous que du jour oщ je serai disgraciй. Cet arrangement n’est une friponnerie envers personne, voilа l’essentiel, ce me semble. Le prince, de la faveur duquel nous faisons mйtier et marchandise, n’a mis qu’une condition а son consentement, c’est que la future duchesse fыt nйe noble. L’an passй, ma place, tout calculй, m’a valu cent sept mille francs; mon revenu a dы кtre au total de cent vingt-deux mille; j’en ai placй vingt mille а Lyon. Eh bien! choisissez: 1° une grande existence basйe sur cent vingt-deux mille francs а dйpenser, qui, а Parme, font au moins comme quatre cent mille а Milan; mais avec ce mariage qui vous donne le nom d’un homme passable et que vous ne verrez jamais qu’а l’autel, 2° ou bien la petite vie bourgeoise avec quinze mille francs а Florence ou а Naples, car je suis de votre avis, on vous a trop admirйe а Milan; l’envie nous y persйcuterait, et peut-кtre parviendrait-elle а nous donner de l’humeur. La grande existence а Parme aura, je l’espиre, quelques nuances de nouveautй, mкme а vos yeux qui ont vu la cour du prince Eugиne; il serait sage de la connaоtre avant de s’en fermer la porte. Ne croyez pas que je cherche а influencer votre opinion. Quant а moi, mon choix est bien arrкtй: j’aime mieux vivre dans un quatriиme йtage avec vous que de continuer seul cette grande existence.

 

La possibilitй de cet йtrange mariage fut dйbattue chaque jour entre les deux amants. La comtesse vit au bal de la Scala le duc Sanseverina-Taxis qui lui sembla fort prйsentable. Dans une de leurs derniиres conversations, Mosca rйsumait ainsi sa proposition: il faut prendre un parti dйcisif, si nous voulons passer le reste de notre vie d’une faзon allиgre et n’кtre pas vieux avant le temps. Le prince a donnй son approbation; Sanseverina est un personnage plutфt bien que mal; il possиde le plus beau palais de Parme et une fortune sans bornes; il a soixante-huit ans et une passion folle pour le grand cordon; mais une grande tache gвte sa vie, il acheta jadis dix mille francs un buste de Napolйon par Canova. Son second pйchй qui le fera mourir, si vous ne venez pas а son secours, c’est d’avoir prкtй vingt-cinq napolйons а Ferrante Palla, un fou de notre pays, mais quelque peu homme de gйnie, que depuis nous avons condamnй а mort, heureusement par contumace. Ce Ferrante a fait deux cents vers en sa vie, dont rien n’approche; je vous les rйciterai, c’est aussi beau que le Dante. Le prince envoie Sanseverina а la cour de ***, il vous йpouse le jour de son dйpart, et la seconde annйe de son voyage, qu’il appellera une ambassade, il reзoit ce cordon de *** sans lequel il ne peut vivre. Vous aurez en lui un frиre qui ne sera nullement dйsagrйable, il signe d’avance tous les papiers que je veux, et d’ailleurs vous le verrez peu ou jamais, comme il vous conviendra. Il ne demande pas mieux que de ne point se montrer а Parme oщ son grand-pиre fermier et son prйtendu libйralisme le gкnent. Rassi, notre bourreau, prйtend que le duc a йtй abonnй en secret au “Constitutionnel” par l’intermйdiaire de Ferrante Pella le poиte, et cette calomnie a fait longtemps obstacle sйrieux au consentement du prince.

 

Pourquoi l’historien qui suit fidиlement les moindres dйtails du rйcit qu’on lui a fait serait-il coupable? Est-ce sa faute si les personnages, sйduits par des passions qu’il ne partage point, malheureusement pour lui, tombent dans des actions profondйment immorales? Il est vrai que des choses de cette sorte ne se font plus dans un pays oщ l’unique passion survivante а toutes les autres est l’argent, moyen de vanitй.

 

Trois mois aprиs les йvйnements racontйs jusqu’ici, la duchesse Sanseverina-Taxis йtonnait la cour de Parme par son amabilitй facile et par la noble sйrйnitй de son esprit; sa maison fut sans comparaison la plus agrйable de la ville. C’est ce que le comte Mosca avait promis а son maоtre. Ranuce-Ernest IV, le prince rйgnant, et la princesse sa femme, auxquels elle fut prйsentйe par deux des plus grandes dames du pays, lui firent un accueil fort distinguй. La duchesse йtait curieuse de voir ce prince maоtre du sort de l’homme qu’elle aimait, elle voulut lui plaire et y rйussit trop. Elle trouva un homme d’une taille йlevйe, mais un peu йpaisse; ses cheveux, ses moustaches, ses йnormes favoris йtaient d’un beau blond selon ses courtisans; ailleurs ils eussent provoquй, par leur couleur effacйe, le mot ignoble de “filasse”. Au milieu d’un gros visage s’йlevait fort peu un tout petit nez presque fйminin. Mais la duchesse remarqua que pour apercevoir tous ces motifs de laideur, il fallait chercher а dйtailler les traits du prince. Au total, il avait l’air d’un homme d’esprit et d’un caractиre ferme. Le port du prince, sa maniиre de se tenir n’йtaient point sans majestй, mais souvent il voulait imposer а son interlocuteur; alors il s’embarrassait lui-mкme et tombait dans un balancement d’une jambe а l’autre presque continuel. Du reste, Ernest IV avait un regard pйnйtrant et dominateur; les gestes de ses bras avaient de la noblesse, et ses paroles йtaient а la fois mesurйes et concises.

 

Mosca avait prйvenu la duchesse que le prince avait, dans le grand cabinet oщ il recevait en audience, un portrait en pied de Louis XIV, et une table fort belle descagliola de Florence. Elle trouva que l’imitation йtait frappante; йvidemment il cherchait le regard et la parole noble de Louis XIV, et il s’appuyait sur la table descagliola, de faзon а se donner la tournure de Joseph II. Il s’assit aussitфt aprиs les premiиres paroles adressйes par lui а la duchesse, afin de lui donner l’occasion de faire usage du tabouret qui appartenait а son rang. A cette cour, les duchesses, les princesses et les femmes des grands d’Espagne s’assoient seules; les autres femmes attendent que le prince ou la princesse les y engagent; et, pour marquer la diffйrence des rangs, ces personnes augustes ont toujours soin de laisser passer un petit intervalle avant de convier les dames non duchesses а s’asseoir. La duchesse trouva qu’en de certains moments l’imitation de Louis XIV йtait un peu trop marquйe chez le prince; par exemple, dans sa faзon de sourire avec bontй tout en renversant la tкte.

 

Ernest IV portait un frac а la mode arrivant de Paris; on lui envoyait tous les mois de cette ville, qu’il abhorrait, un frac, une redingote et un chapeau. Mais, par un bizarre mйlange de costumes, le jour oщ la duchesse fut reзue il avait pris une culotte rouge, des bas de soie et des souliers fort couverts, dont on peut trouver les modиles dans les portraits de Joseph II.


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