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Chapitre XXII. Faзons d’agir en 1830

Chapitre XI. Une soirйe | Chapitre XII. Un voyage | Chapitre XIII. Les Bas а jour | Chapitre XIV. Les Ciseaux anglais | Chapitre XV. Le Chant du coq | Chapitre XVI. Le Lendemain | Chapitre XVII. Le Premier Adjoint | Chapitre XVIII. Un roi а Verriиres | Chapitre XIX. Penser fait souffrir | Chapitre XX. Les Lettres anonymes |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

La parole a йtй donnйe а l’homme pour cacher sa pensйe.

 

R. P. MALAGRIDA.

 

А peine arrivй а Verriиres, Julien se reprocha son injustice envers Mme de Rкnal. Je l’aurais mйprisйe comme une femmelette, si, par faiblesse, elle avait manquй sa scиne avec M. de Rкnal! Elle s’en tire comme un diplomate, et je sympathise avec le vaincu qui est mon ennemi. Il y a dans mon fait petitesse bourgeoise; ma vanitй est choquйe, parce que M. de Rкnal est un homme! illustre et vaste corporation а laquelle j’ai l’honneur d’appartenir; je ne suis qu’un sot.

 

M. Chйlan avait refusй les logements que les libйraux les plus considйrйs du pays lui avaient offerts а l’envi, lorsque sa destitution le chassa du presbytиre. Les deux chambres qu’il avait louйes йtaient encombrйes par ses livres. Julien, voulant montrer а Verriиres ce que c’йtait qu’un prкtre, alla prendre chez son pиre une douzaine de planches de sapin, qu’il porta lui-mкme sur le dos tout le long de la grande rue. Il emprunta des outils а un ancien camarade, et eut bientфt bвti une sorte de bibliothиque dans laquelle il rangea les livres de M. Chйlan.

 

– Je te croyais corrompu par la vanitй du monde, lui disait le vieillard pleurant de joie; voilа qui rachиte bien l’enfantillage de ce brillant uniforme de garde d’honneur qui t’a fait tant d’ennemis.

 

M. de Rкnal avait ordonnй а Julien de loger chez lui. Personne ne soupзonna ce qui s’йtait passй. Le troisiиme jour aprиs son arrivйe, Julien vit monter jusque dans sa chambre un non moindre personnage que M. le sous-prйfet de Maugiron. Ce ne fut qu’aprиs deux grandes heures de bavardage insipide et de grandes jйrйmiades sur la mйchancetй des hommes, sur le peu de probitй des gens chargйs de l’administration des deniers publics, sur les dangers de cette pauvre France, etc., etc., que Julien vit poindre enfin le sujet de la visite. On йtait dйjа sur le palier de l’escalier, et le pauvre prйcepteur а demi disgraciй reconduisait avec le respect convenable le futur prйfet de quelque heureux dйpartement, quand il plut а celui-ci de s’occuper de la fortune de Julien, de louer sa modйration en affaires d’intйrкt, etc., etc. Enfin M. de Maugiron, le serrant dans ses bras de l’air le plus paterne, lui proposa de quitter M. de Rкnal et d’entrer chez un fonctionnaire qui avait des enfants а йduquer, et qui, comme le roi Philippe, remercierait le ciel, non pas tant de les lui avoir donnйs que de les avoir fait naоtre dans le voisinage de M. Julien. Leur prйcepteur jouirait de huit cents francs d’appointements payables non pas de mois en mois, ce qui n’est pas noble, dit M. de Maugiron, mais par quartier et toujours d’avance.

 

C’йtait le tour de Julien, qui, depuis une heure et demie, attendait la parole avec ennui. Sa rйponse fut parfaite, et surtout longue comme un mandement; elle laissait tout entendre, et cependant ne disait rien nettement. On y eыt trouvй а la fois du respect pour M. de Rкnal, de la vйnйration pour le public de Verriиres et de la reconnaissance pour l’illustre sous-prйfet. Ce sous-prйfet, йtonnй de trouver plus jйsuite que lui, essaya vainement d’obtenir quelque chose de prйcis. Julien, enchantй, saisit l’occasion de s’exercer, et recommenзa sa rйponse en d’autres termes. Jamais ministre йloquent, qui veut user la fin d’une sйance oщ la Chambre a l’air de vouloir se rйveiller, n’a moins dit en plus de paroles. А peine M. de Maugiron sorti, Julien se mit а rire comme un fou. Pour profiter de sa verve jйsuitique, il йcrivit une lettre de neuf pages а M. de Rкnal, dans laquelle il lui rendait compte de tout ce qu’on lui avait dit, et lui demandait humblement conseil. Ce coquin ne m’a pourtant pas dit le nom de la personne qui fait l’offre! Ce sera M. Valenod qui voit dans mon exil а Verriиres l’effet de sa lettre anonyme.

 

Sa dйpкche expйdiйe, Julien, content comme un chasseur qui, а six heures du matin, par un beau jour d’automne, dйbouche dans une plaine abondante en gibier, sortit pour aller demander conseil а M. Chйlan. Mais avant d’arriver chez le bon curй, le ciel, qui voulait lui mйnager des jouissances, jeta sous ses pas M. Valenod, auquel il ne cacha point que son cњur йtait dйchirй; un pauvre garзon comme lui se devait tout entier а la vocation que le ciel avait placйe dans son cњur, mais la vocation n’йtait pas tout dans ce bas monde. Pour travailler dignement а la vigne du Seigneur, et n’кtre pas tout а fait indigne de tant de savants collaborateurs, il fallait l’instruction; il fallait passer au sйminaire de Besanзon deux annйes bien dispendieuses; il devenait donc indispensable de faire des йconomies, ce qui йtait bien plus facile sur un traitement de huit cents francs payйs par quartier, qu’avec six cents francs qu’on mangeait de mois en mois. D’un autre cфtй, le ciel, en le plaзant auprиs des jeunes de Rкnal, et surtout en lui inspirant pour eux un attachement spйcial, ne semblait-il pas lui indiquer qu’il n’йtait pas а propos d’abandonner cette йducation pour une autre?…

 

Julien atteignit а un tel degrй de perfection dans ce genre d’йloquence, qui a remplacй la rapiditй d’action de l’Empire, qu’il finit par s’ennuyer lui-mкme par le son de ses paroles.

 

En rentrant, il trouva un valet de M. Valenod, en grande livrйe, qui le cherchait dans toute la ville, avec un billet d’invitation а dоner pour le mкme jour.

 

Jamais Julien n’йtait allй chez cet homme; quelques jours seulement auparavant, il ne songeait qu’aux moyens de lui donner une volйe de coups de bвton sans se faire une affaire en police correctionnelle. Quoique le dоner ne fыt indiquй que pur une heure, Julien trouva plus respectueux de se prйsenter dиs midi et demi dans le cabinet de travail de M. le directeur du dйpфt. Il le trouva йtalant son importance au milieu d’une foule de cartons. Ses gros favoris noirs, son йnorme quantitй de cheveux, son bonnet grec placй de travers sur le haut de la tкte, sa pipe immense, ses pantoufles brodйes, les grosses chaоnes d’or croisйes en tous sens sur sa poitrine, et tout cet appareil d’un financier de province qui se croit homme а bonnes fortunes, n’imposaient point а Julien; il n’en pensait que plus aux coups de bвton qu’il lui devait.

 

Il demanda l’honneur d’кtre prйsentй а Mme Valenod; elle йtait а sa toilette et ne pouvait recevoir. Par compensation, il eut l’avantage d’assister а celle de M. le directeur du dйpфt. On passa ensuite chez Mme Valenod, qui lui prйsenta ses enfants les larmes aux yeux. Cette dame, l’une des plus considйrables de Verriиres, avait une grosse figure d’homme, а laquelle elle avait mis du rouge pour cette grande cйrйmonie. Elle y dйploya tout le pathos maternel.

 

Julien pensait а Mme de Rкnal. Sa mйfiance ne le laissait guиre susceptible que de ce genre de souvenirs qui sont appelйs par les contrastes, mais alors il en йtait saisi jusqu’а l’attendrissement. Cette disposition fut augmentйe par l’aspect de la maison du directeur du dйpфt. On la lui fit visiter. Tout y йtait magnifique et neuf, et on lui disait le prix de chaque meuble. Mais Julien y trouvait quelque chose d’ignoble et qui sentait l’argent volй. Jusqu’aux domestiques, tout le monde y avait l’air d’assurer sa contenance contre le mйpris.

 

Le percepteur des contributions, l’homme des impositions indirectes, l’officier de gendarmerie et deux ou trois autres fonctionnaires publics arrivиrent avec leurs femmes. Ils furent suivis de quelques libйraux riches. On annonзa le dоner. Julien, dйjа fort mal disposй, vint а penser que, de l’autre cфtй du mur de la salle а manger, se trouvaient de pauvres dйtenus, sur la portion de viande desquels on avait peut-кtre grivelй pour acheter tout ce luxe de mauvais goыt dont on voulait l’йtourdir.

 

Ils ont faim peut-кtre en ce moment, se dit-il а lui-mкme; sa gorge se serra, il lui fut impossible de manger et presque de parler. Ce fut bien pis un quart d’heure aprиs; on entendait de loin en loin quelques accents d’une chanson populaire, et, il faut l’avouer, un peu ignoble, que chantait l’un des reclus. M. Valenod regarda un de ses gens en grande livrйe, qui disparut, et bientфt on n’entendit plus chanter. Dans ce moment, un valet offrait а Julien du vin du Rhin, dans un verre vert, et Mme Valenod avait soin de lui faire observer que ce vin coыtait neuf francs la bouteille pris sur place. Julien, tenant son verre vert, dit а M. Valenod:

 

– On ne chante plus cette vilaine chanson.

 

– Parbleu! je le crois bien, rйpondit le directeur triomphant, j’ai fait imposer silence aux gueux.

 

Ce mot fut trop fort pour Julien; il avait les maniиres, mais non pas encore le cњur de son йtat. Malgrй toute son hypocrisie si souvent exercйe, il sentit une grosse larme couler le long de sa joue.

 

Il essaya de la cacher avec le verre vert, mais il lui fut absolument impossible de faire honneur au vin du Rhin. L’empкcher de chanter! se disait-il а lui-mкme, ф mon Dieu! et tu le souffres!

 

Par bonheur, personne ne remarqua son attendrissement de mauvais ton. Le percepteur des contributions avait entonnй une chanson royaliste. Pendant le tapage du refrain, chantй en chњur: Voilа donc, se disait la conscience de Julien, la sale fortune а laquelle tu parviendras, et tu n’en jouiras qu’а cette condition et en pareille compagnie! Tu auras peut-кtre une place de vingt mille francs, mais il faudra que, pendant que tu te gorges de viandes, tu empкches de chanter le pauvre prisonnier; tu donneras а dоner avec l’argent que tu auras volй sur sa misйrable pitance, et pendant ton dоner il sera encore plus malheureux! – O Napolйon! qu’il йtait doux de ton temps de monter а la fortune par les dangers d’une bataille; mais augmenter lвchement la douleur du misйrable!

 

J’avoue que la faiblesse dont Julien fait preuve dans ce monologue me donne une pauvre opinion de lui. Il serait digne d’кtre le collиgue de ces conspirateurs en gants jaunes, qui prйtendent changer toute la maniиre d’кtre d’un grand pays, et ne veulent pas avoir а se reprocher la plus petite йgratignure.

 

Julien fut violemment rappelй а son rфle. Ce n’йtait pas pour rкver et ne rien dire qu’on l’avait invitй а dоner en si bonne compagnie.

 

Un fabricant de toiles peintes retirй, membre correspondant de l’acadйmie de Besanзon et de celle d’Uzиs, lui adressa la parole, d’un bout de la table а l’autre, pour lui demander si ce que l’on disait gйnйralement de ses progrиs йtonnants dans l’йtude du Nouveau Testament йtait vrai.

 

Un silence profond s’йtablit tout а coup; un Nouveau Testament latin se rencontra comme par enchantement dans les mains du savant membre de deux acadйmies. Sur la rйponse de Julien, une demi-phrase latine fut lue au hasard. Il rйcita: sa mйmoire se trouva fidиle, et ce prodige fut admirй avec toute la bruyante йnergie de la fin d’un dоner. Julien regardait la figure enluminйe des dames; plusieurs n’йtaient pas mal. Il avait distinguй la femme du percepteur beau chanteur.

 

– J’ai honte, en vйritй, de parler si longtemps latin devant ces dames, dit-il en la regardant. Si M. Rubigneau, c’йtait le membre des deux acadйmies, a la bontй de lire au hasard une phrase latine, au lieu de rйpondre en suivant le texte latin, j’essaierai de le traduire impromptu.

 

Cette seconde йpreuve mit le comble а sa gloire.

 

Il y avait lа plusieurs libйraux riches, mais heureux pиres d’enfants susceptibles d’obtenir des bourses, et en cette qualitй subitement convertis depuis la derniиre mission. Malgrй ce trait de fine politique, jamais M. de Rкnal n’avait voulu les recevoir chez lui. Ces braves gens, qui ne connaissent Julien que de rйputation et pour l’avoir vu а cheval le jour de l’entrйe du roi de ***, йtaient ses plus bruyants admirateurs. Quand ces sots se lasseront-ils d’йcouter ce style biblique, auquel ils ne comprennent rien? pensait-il. Mais au contraire ce style les amusait par son йtrangetй; ils en riaient. Mais Julien se lassa.

 

Il se leva gravement comme six heures sonnaient et parla d’un chapitre de la nouvelle thйologie de Ligorio, qu’il avait а apprendre pour le rйciter le lendemain а M. Chйlan. Car mon mйtier, ajouta-t-il agrйablement, est de faire rйciter des leзons et d’en rйciter moi-mкme.

 

On rit beaucoup, on admira; tel est l’esprit а l’usage de Verriиres. Julien йtait dйjа debout, tout le monde se leva malgrй le dйcorum; tel est l’empire du gйnie. Mme Valenod le retint encore un quart d’heure; il fallait bien qu’il entendоt les enfants rйciter leur catйchisme; ils firent les plus drфles de confusions, dont lui seul s’aperзut. Il n’eut garde de les relever. Quelle ignorance des premiers principes de la religion! pensait-il. Il saluait enfin et croyait pouvoir s’йchapper; mais il fallut essuyer une fable de La Fontaine.

 

– Cet auteur est bien immoral, dit Julien а Mme Valenod, certaine fable, sur messire Jean Chouart, ose dйverser le ridicule sur ce qu’il y a de plus vйnйrable. Il est vivement blвmй par les meilleurs commentateurs.

 

Julien reзut avant de sortir quatre ou cinq invitations а dоner. Ce jeune homme fait honneur au dйpartement, s’йcriaient tous а la fois les convives fort йgayйs. Ils allиrent jusqu’а parler d’une pension votйe sur les fonds communaux, pour le mettre а mкme de continuer ses йtudes а Paris.

 

Pendant que cette idйe imprudente faisait retentir la salle а manger, Julien avait gagnй lestement la porte cochиre. Ah! canaille! canaille! s’йcria-t-il а voix basse trois ou quatre fois de suite, en se donnant le plaisir de respirer l’air frais.

 

Il se trouvait tout aristocrate en ce moment, lui qui pendant longtemps avait йtй tellement choquй du sourire dйdaigneux et de la supйrioritй hautaine qu’il dйcouvrait au fond de toutes les politesses qu’on lui adressait chez M. de Rкnal. Il ne put s’empкcher de sentir l’extrкme diffйrence. Oublions mкme, se disait-il en s’en allant, qu’il s’agit d’argent volй aux pauvres dйtenus, et encore qu’on empкche de chanter! Jamais M. de Rкnal s’avisa-t-il de dire а ses hфtes le prix de chaque bouteille de vin qu’il leur prйsente? Et ce M. Valenod, dans l’йnumйration de ses propriйtйs, qui revient sans cesse, il ne peut parler de sa maison, de son domaine, etc., si sa femme est prйsente, sans dire ta maison, ton domaine.

 

Cette dame, apparemment si sensible au plaisir de la propriйtй, venait de faire une scиne abominable, pendant le dоner, а un domestique qui avait cassй un verre а pied et dйpareillй une de ses douzaines; et ce domestique avait rйpondu avec la derniиre insolence.

 

Quel ensemble! se disait Julien; ils me donneraient la moitiй de tout ce qu’ils volent, que je ne voudrais pas vivre avec eux. Un beau jour, je me trahirais; je ne pourrais retenir l’expression du dйdain qu’ils m’inspirent.

 

Il fallut cependant, d’aprиs les ordres de Mme de Rкnal, assister а plusieurs dоners du mкme genre; Julien fut а la mode; on lui pardonnait son habit de garde d’honneur, ou plutфt cette imprudence йtait la cause vйritable de ses succиs. Bientфt, il ne fut plus question dans Verriиres que de voir qui l’emporterait dans la lutte pour obtenir le savant jeune homme, de M. de Rкnal, ou du directeur du dйpфt. Ces messieurs formaient avec M. Maslon un triumvirat qui, depuis nombre d’annйes, tyrannisait la ville. On jalousait le maire, les libйraux avaient а s’en plaindre; mais aprиs tout il йtait noble et fait pour la supйrioritй, tandis que le pиre de M. Valenod ne lui avait pas laissй six cents livres de rente. Il avait fallu passer pour lui de la pitiй pour le mauvais habit vert pomme que tout le monde lui avait connu dans sa jeunesse а l’envie pour ses chevaux normands, pour ses chaоnes d’or, pour ses habits venus de Paris, pour toute sa prospйritй actuelle.

 

Dans le flot de ce monde nouveau pour Julien, il crut dйcouvrir un honnкte homme; il йtait gйomиtre, s’appelait Gros et passait pour jacobin. Julien, s’йtant vouй а ne jamais dire que des choses qui lui semblaient fausses а lui-mкme, fut obligй de s’en tenir au soupзon а l’йgard de M. Gros. Il recevait de Vergy de gros paquets de thиmes. On lui conseillait de voir souvent son pиre, il se conformait а cette triste nйcessitй. En un mot, il raccommodait assez bien sa rйputation, lorsqu’un matin il fut bien surpris de se sentir rйveiller par deux mains qui lui fermaient les yeux.

 

C’йtait Mme de Rкnal, qui avait fait un voyage а la ville, et qui, montant les escaliers quatre а quatre et laissant ses enfants occupйs d’un lapin favori qui йtait du voyage, йtait parvenue а la chambre de Julien, un instant avant eux. Ce moment fut dйlicieux, mais bien court: Mme de Rкnal avait disparu quand les enfants arrivиrent avec le lapin, qu’ils voulaient montrer а leur ami. Julien fit bon accueil а tous, mкme au lapin. Il lui semblait retrouver sa famille; il sentit qu’il aimait ces enfants, qu’il se plaisait а jaser avec eux. Il йtait йtonnй de la douceur de leur voix, de la simplicitй et de la noblesse de leurs petites faзons; il avait besoin de laver son imagination de toutes les faзons d’agir vulgaires, de toutes les pensйes dйsagrйables au milieu desquelles il respirait а Verriиres. C’йtait toujours la crainte de manquer, c’йtaient toujours le luxe et la misиre se prenant aux cheveux. Les gens chez qui il dоnait, а propos de leur rфti, faisaient des confidences humiliantes pour eux, et nausйabondes pour qui les entendait.

 

– Vous autres nobles, vous avez raison d’кtre fiers, disait-il а Mme de Rкnal. Et il lui racontait tous les dоners qu’il avait subis.

 

– Vous кtes donc а la mode! Et elle riait de bon cњur en songeant au rouge que Mme Valenod se croyait obligйe de mettre toutes les fois qu’elle attendait Julien. Je crois qu’elle a des projets sur votre cњur, ajoutait-elle.

 

Le dйjeuner fut dйlicieux. La prйsence des enfants, quoique gкnante en apparence, dans le fait augmentait le bonheur commun. Ces pauvres enfants ne savaient comment tйmoigner leur joie de revoir Julien. Les domestiques n’avaient pas manquй de leur conter qu’on lui offrait deux cents francs de plus pour йduquer les petits Valenod.

 

Au milieu du dйjeuner, Stanislas-Xavier, encore pвle de sa grande maladie, demanda tout а coup а sa mиre combien valaient son couvert d’argent et le gobelet dans lequel il buvait.

 

– Pourquoi cela?

 

– Je veux les vendre pour en donner le prix а M. Julien, et qu’il ne soit pas dupe en restant avec nous.

 

Julien l’embrassa, les larmes aux yeux. Sa mиre pleurait tout а fait, pendant que Julien, qui avait pris Stanislas sur ses genoux, lui expliquait qu’il ne fallait pas se servir de ce mot dupe, qui, employй dans ce sens, йtait une faзon de parler de laquais. Voyant le plaisir qu’il faisait а Mme de Rкnal, il chercha а expliquer, par des exemples pittoresques, qui amusaient les enfants, ce que c’йtait qu’кtre dupe.

 

– Je comprends, dit Stanislas, c’est le corbeau qui a la sottise de laisser tomber son fromage, que prend le renard, qui йtait un flatteur.

 

Mme de Rкnal, folle de joie, couvrait ses enfants de baisers, ce qui ne pouvait guиre se faire sans s’appuyer un peu sur Julien.

 

Tout а coup la porte s’ouvrit; c’йtait M. de Rкnal. Sa figure sйvиre et mйcontente fit un йtrange contraste avec la douce joie que sa prйsence chassait. Mme de Rкnal pвlit; elle se sentait hors d’йtat de rien nier. Julien saisit la parole, et, parlant trиs haut, se mit а raconter а M. le maire le trait du gobelet d’argent que Stanislas voulait vendre. Il йtait sыr que cette histoire serait mal accueillie. D’abord M. de Rкnal fronзait le sourcil par bonne habitude au seul nom d’argent. La mention de ce mйtal, disait-il, est toujours une prйface а quelque mandat tirй sur ma bourse.

 

Mais ici il y avait plus qu’intйrкt d’argent; il y avait augmentation de soupзons. L’air de bonheur qui animait sa famille en son absence n’йtait pas fait pour arranger les choses auprиs d’un homme dominй par une vanitй aussi chatouilleuse. Comme sa femme lui vantait la maniиre remplie de grвce et d’esprit avec laquelle Julien donnait des idйes nouvelles а ses йlиves:

 

– Oui! oui! je le sais, il me rend odieux а mes enfants; il lui est bien aisй d’кtre pour eux cent fois plus aimable que moi, qui, au fond, suis le maоtre. Tout tend dans ce siиcle а jeter de l’odieux sur l’autoritй lйgitime. Pauvre France!

 

Mme de Rкnal ne s’arrкta point а examiner les nuances de l’accueil que lui faisait son mari. Elle venait d’entrevoir la possibilitй de passer douze heures avec Julien. Elle avait une foule d’emplettes а faire а la ville, et dйclara qu’elle voulait absolument aller dоner au cabaret; quoi que pыt dire ou faire son mari, elle tint а son idйe. Les enfants йtaient ravis de ce seul mot cabaret, que prononce avec tant de plaisir la pruderie moderne.

 

M. de Rкnal laissa sa femme dans la premiиre boutique de nouveautйs oщ elle entra, pour aller faire quelques visites. Il revint plus morose que le matin; il йtait convaincu que toute la ville s’occupait de lui et de Julien. А la vйritй, personne ne lui avait encore laissй soupзonner la partie offensante des propos du public. Ceux qu’on avait redits а M. le maire avaient trait uniquement а savoir si Julien resterait chez lui avec six cents francs, ou accepterait les huit cents francs offerts par M. le directeur du dйpфt.

 

Ce directeur qui rencontra M. de Rкnal dans le monde, lui battit froid. Cette conduite n’йtait pas sans habiletй; il y a peu d’йtourderie en province: les sensations y sont si rares, qu’on les coule а fond.

 

M. Valenod йtait ce qu’on appelle, а cent lieues de Paris, un faraud; c’est une espиce d’un naturel effrontй et grossier. Son existence triomphante, depuis 1815, avait renforcй ses belles dispositions. Il rйgnait, pour ainsi dire, а Verriиres, sous les ordres de M. de Rкnal; mais beaucoup plus actif, ne rougissant de rien, se mкlant de tout, sans cesse allant, йcrivant, parlant, oubliant les humiliations, n’ayant aucune prйtention personnelle, il avait fini par balancer le crйdit de son maоtre aux yeux du pouvoir ecclйsiastique. M. Valenod avait dit en quelque sorte aux йpiciers du pays: donnez-moi les deux plus sots d’entre vous; aux gens de loi: indiquez-moi les deux plus ignares; aux officiers de santй: dйsignez-moi les deux plus charlatans. Quand il avait eu rassemblй les plus effrontйs de chaque mйtier, il leur avait dit: rйgnons ensemble.

 

Les faзons de ces gens-lа blessaient M. de Rкnal. La grossiиretй du Valenod n’йtait offensйe de rien, pas mкme des dйmentis que le petit abbй Maslon ne lui йpargnait pas en public.

 

Mais, au milieu de cette prospйritй, M. Valenod avait besoin de se rassurer par de petites insolences de dйtail contre les grosses vйritйs qu’il sentait bien que tout le monde йtait en droit de lui adresser. Son activitй avait redoublй depuis les craintes que lui avait laissйes la visite de M. Appert, il avait fait trois voyages а Besanзon; il йcrivait plusieurs lettres chaque courrier; il en envoyait d’autres par des inconnus qui passaient chez lui а la tombйe de la nuit. Il avait eu tort peut-кtre de faire destituer le vieux curй Chйlan; car cette dйmarche vindicative l’avait fait regarder, par plusieurs dйvotes de bonne naissance, comme un homme profondйment mйchant. D’ailleurs ce service rendu l’avait mis dans la dйpendance absolue de M. le grand vicaire de Frilair, et il en recevait d’йtranges commissions. Sa politique en йtait а ce point, lorsqu’il cйda au plaisir d’йcrire une lettre anonyme. Pour surcroоt d’embarras, sa femme lui dйclara qu’elle voulait avoir Julien chez elle; sa vanitй s’en йtait coiffйe.

 

Dans cette position, M. Valenod prйvoyait une scиne dйcisive avec son ancien confйdйrй M. de Rкnal. Celui-ci lui adresserait des paroles dures, ce qui lui йtait assez йgal; mais il pouvait йcrire а Besanзon et mкme а Paris. Un cousin de quelque ministre pouvait tomber tout а coup а Verriиres, et prendre le dйpфt de mendicitй. M. Valenod pensa а se rapprocher des libйraux: c’est pour cela que plusieurs йtaient invitйs au dоner oщ Julien rйcita. Il aurait йtй puissamment soutenu contre le maire. Mais des йlections pouvaient survenir, et il йtait trop йvident que le dйpфt et un mauvais vote йtaient incompatibles. Le rйcit de cette politique, fort bien devinйe par Mme de Rкnal, avait йtй fait а Julien, pendant qu’il lui donnait le bras pour aller d’une boutique а l’autre, et peu а peu les avait entraоnйs au COURS DE LA FIDELITE, oщ ils passиrent plusieurs heures, presque aussi tranquilles qu’а Vergy.

 

Pendant ce temps, M. Valenod essayait d’йloigner une scиne dйcisive avec son ancien patron, en prenant lui-mкme l’air audacieux envers lui. Ce jour-lа, ce systиme rйussit, mais augmenta l’humeur du maire.

 

Jamais la vanitй aux prises avec tout ce que le petit amour de l’argent peut avoir de plus вpre et de plus mesquin n’ont mis un homme dans un plus piиtre йtat que celui oщ se trouvait M. de Rкnal, en entrant au cabaret. Jamais, au contraire, ses enfants n’avaient йtй plus joyeux et plus gais. Ce contraste acheva de le piquer.

 

– Je suis de trop dans ma famille, а ce que je puis voir! dit-il en entrant, d’un ton qu’il voulut rendre imposant.

 

Pour toute rйponse, sa femme le prit а part et lui exprima la nйcessitй d’йloigner Julien. Les heures de bonheur qu’elle venait de trouver lui avaient rendu l’aisance et la fermetй nйcessaires pour suivre le plan de conduite qu’elle mйditait depuis quinze jours. Ce qui achevait de troubler de fond en comble le pauvre maire de Verriиres, c’est qu’il savait que l’on plaisantait publiquement dans la ville sur son attachement pour l’espиce. M. Valenod йtait gйnйreux comme un voleur, et lui, il s’йtait conduit d’une maniиre plus prudente que brillante dans les cinq ou six derniиres quкtes pour la confrйrie de Saint-Joseph, pour la congrйgation de la Vierge, pour la congrйgation du Saint-Sacrement, etc., etc., etc.

 

Parmi les hobereaux de Verriиres et des environs, adroitement classйs sur le registre des frиres collecteurs d’aprиs le montant de leurs offrandes, on avait vu plus d’une fois le nom de M. de Rкnal occuper la derniиre ligne. En vain disait-il que lui ne gagnait rien. Le clergй ne badine pas sur cet article.


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