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Chapitre XI. Une soirйe

LE ROUGE ET LE NOIR | Chapitre premier. Une petite ville | Chapitre II. Un maire | Chapitre III. Le Bien des pauvres | Chapitre IV. Un pиre et un fils | Chapitre V. Une nйgociation | Chapitre VI. L’Ennui | Chapitre VII. Les Affinitйs йlectives | Chapitre VIII. Petits йvйnements | Chapitre IX. Une soirйe а la campagne |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Yet Julia’s very coldness still was kind,

And tremulously gentle her small hand

Withdrew itself from his, but left behind

A little pressure, thrilling, and so bland

And slight, so very slight that to the mind

‘Twas but a doubt.

 

Don Juan, C. I, st. 71.

 

Il fallut pourtant paraоtre а Verriиres. En sortant du presbytиre, un heureux hasard fit que Julien rencontra M. Valenod auquel il se hвta de raconter l’augmentation de ses appointements.

 

De retour а Vergy, Julien ne descendit au jardin que lorsqu’il fut nuit close. Son вme йtait fatiguйe de ce grand nombre d’йmotions puissantes qui l’avaient agitйe dans cette journйe. Que leur dirai-je? pensait-il avec inquiйtude, en songeant aux dames. Il йtait loin de voir que son вme йtait prйcisйment au niveau des petites circonstances qui occupent ordinairement tout l’intйrкt des femmes. Souvent Julien йtait inintelligible pour Mme Derville et mкme pour son amie, et а son tour ne comprenait qu’а demi tout ce qu’elles lui disaient. Tel йtait l’effet de la force, et si j’ose parler ainsi de la grandeur des mouvements de passion qui bouleversaient l’вme de ce jeune ambitieux. Chez cet кtre singulier, c’йtait presque tous les jours tempкte.

 

En entrant ce soir-lа au jardin, Julien йtait disposй а s’occuper des idйes des jolies cousines. Elles l’attendaient avec impatience. Il prit sa place ordinaire, а cфtй de Mme de Rкnal. L’obscuritй devint bientфt profonde. Il voulut prendre une main blanche que depuis longtemps il voyait prиs de lui, appuyйe sur le dos d’une chaise. On hйsita un peu, mais on finit par la lui retirer d’une faзon qui marquait de l’humeur. Julien йtait disposй а se le tenir pour dit, et а continuer gaiement la conversation, quand il entendit M. de Rкnal qui s’approchait.

 

Julien avait encore dans l’oreille les paroles grossiиres du matin. Ne serait-ce pas, se dit-il, une faзon de se moquer de cet кtre, si comblй de tous les avantages de la fortune, que de prendre possession de la main de sa femme, prйcisйment en sa prйsence? Oui, je le ferai, moi, pour qui il a tйmoignй tant de mйpris.

 

De ce moment, la tranquillitй, si peu naturelle au caractиre de Julien, s’йloigna bien vite; il dйsira avec anxiйtй, et sans pouvoir songer а rien autre chose, que Mme de Rкnal voulыt bien lui laisser sa main.

 

M. de Rкnal parlait politique avec colиre: deux ou trois industriels de Verriиres devenaient dйcidйment plus riches que lui, et voulaient le contrarier dans les йlections. Mme Derville l’йcoutait, Julien irritй de ces discours approcha sa chaise de celle de Mme de Rкnal. L’obscuritй cachait tous les mouvements. Il osa placer sa main trиs prиs du joli bras que la robe laissait а dйcouvert. Il fut troublй, sa pensйe ne fut plus а lui, il approcha sa joue de ce joli bras, il osa y appliquer ses lиvres.

 

Mme de Rкnal frйmit. Son mari йtait а quatre pas, elle se hвta de donner sa main а Julien, et en mкme temps de le repousser un peu. Comme M. de Rкnal continuait ses injures contre les gens de rien et les jacobins qui s’enrichissent, Julien couvrait la main qu’on lui avait laissйe de baisers passionnйs ou du moins qui semblaient tels а Mme de Rкnal. Cependant la pauvre femme avait eu la preuve, dans cette journйe fatale, que l’homme qu’elle adorait sans se l’avouer aimait ailleurs! Pendant toute l’absence de Julien, elle avait йtй en proie а un malheur extrкme, qui l’avait fait rйflйchir.

 

Quoi! j’aimerais, se disait-elle, j’aurais de l’amour! Moi, femme mariйe, je serais amoureuse! mais, se disait-elle, je n’ai jamais йprouvй pour mon mari cette sombre folie, qui fait que je ne puis dйtacher ma pensйe de Julien. Au fond ce n’est qu’un enfant plein de respect pour moi! Cette folie sera passagиre. Qu’importe а mon mari les sentiments que je puis avoir pour ce jeune homme! M. de Rкnal serait ennuyй des conversations que j’ai avec Julien, sur des choses d’imagination. Lui, il pense а ses affaires. Je ne lui enlиve rien pour le donner а Julien.

 

Aucune hypocrisie ne venait altйrer la puretй de cette вme naпve, йgarйe par une passion qu’elle n’avait jamais йprouvйe. Elle йtait trompйe, mais а son insu, et cependant un instinct de vertu йtait effrayй. Tels йtaient les combats qui l’agitaient quand Julien parut au jardin. Elle l’entendit parler, presque au mкme instant elle le vit s’asseoir а ses cфtйs. Son вme fut comme enlevйe par ce bonheur charmant qui depuis quinze jours l’йtonnait plus encore qu’il ne la sйduisait. Tout йtait imprйvu pour elle. Cependant aprиs quelques instants, il suffit donc, se dit-elle, de la prйsence de Julien pour effacer tous ses torts? Elle fut effrayйe; ce fut alors qu’elle lui фta sa main.

 

Les baisers remplis de passion, et tels que jamais elle n’en avait reзus de pareils, lui firent tout а coup oublier que peut-кtre il aimait une autre femme. Bientфt il ne fut plus coupable а ses yeux. La cessation de la douleur poignante, fille du soupзon, la prйsence d’un bonheur que jamais elle n’avait mкme rкvй, lui donnиrent des transports d’amour et de folle gaietй. Cette soirйe fut charmante pour tout le monde, exceptй pour le maire de Verriиres, qui ne pouvait oublier ses industriels enrichis. Julien ne pensait plus а sa noire ambition, ni а ses projets si difficiles а exйcuter. Pour la premiиre fois de sa vie, il йtait entraоnй par le pouvoir de la beautй. Perdu dans une rкverie vague et douce, si йtrangиre а son caractиre, pressant doucement cette main qui lui plaisait comme parfaitement jolie, il йcoutait а demi le mouvement des feuilles du tilleul agitйes par ce lйger vent de la nuit, et les chiens du moulin du Doubs qui aboyaient dans le lointain.

 

Mais cette йmotion йtait un plaisir et non une passion. En rentrant dans sa chambre il ne songea qu’а un bonheur, celui de reprendre son livre favori; а vingt ans, l’idйe du monde et de l’effet а y produire l’emporte sur tout.

 

Bientфt cependant il posa le livre. А force de songer aux victoires de Napolйon, il avait vu quelque chose de nouveau dans la sienne. Oui, j’ai gagnй une bataille, se dit-il, mais il faut en profiter, il faut йcraser l’orgueil de ce fier gentilhomme pendant qu’il est en retraite. C’est lа Napolйon tout pur. Il faut que je demande un congй de trois jours pour aller voir mon ami Fouquй. S’il me le refuse, je lui mets encore le marchй а la main, mais il cйdera.

 

Mme de Rкnal ne put fermer l’њil. Il lui semblait n’avoir pas vйcu jusqu’а ce moment. Elle ne pouvait distraire sa pensйe du bonheur de sentir Julien couvrit sa main de baisers enflammйs.

 

Tout а coup l’affreuse parole: adultиre, lui apparut. Tout ce que la plus vile dйbauche peut imprimer de dйgoыtant а l’idйe de l’amour des sens se prйsenta en foule а son imagination. Ces idйes voulaient tвcher de ternir l’image tendre et divine qu’elle se faisait de Julien et du bonheur de l’aimer. L’avenir se peignait sous des couleurs terribles. Elle se voyait mйprisable.

 

Ce moment fut affreux; son вme arrivait dans des pays inconnus. La veille elle avait goыtй un bonheur inйprouvй; maintenant elle se trouvait tout а coup plongйe dans un malheur atroce. Elle n’avait aucune idйe de telles souffrances, elles troublиrent sa raison. Elle eut un instant la pensйe d’avouer а son mari qu’elle craignait d’aimer Julien. C’eыt йtй parler de lui. Heureusement elle rencontra dans sa mйmoire un prйcepte donnй jadis par sa tante, la veille de son mariage. Il s’agissait du danger des confidences faites а un mari, qui aprиs tout est un maоtre. Dans l’excиs de sa douleur, elle se tordait les mains.

 

Elle йtait entraоnйe au hasard par des images contradictoires et douloureuses. Tantфt elle craignait de n’кtre pas aimйe, tantфt l’affreuse idйe du crime la torturait comme si le lendemain elle eыt dы кtre exposйe au pilori, sur la place publique de Verriиres, avec un йcriteau expliquant son adultиre а la populace.

 

Mme de Rкnal n’avait aucune expйrience de la vie; mкme pleinement йveillйe et dans l’exercice de toute sa raison, elle n’eыt aperзu aucun intervalle entre кtre coupable aux yeux de Dieu, et se trouver accablйe en public des marques les plus bruyantes du mйpris gйnйral.

 

Quand l’affreuse idйe d’adultиre et de toute l’ignominie que, dans son opinion, ce crime entraоne а sa suite lui laissait quelque repos, et qu’elle venait а songer а la douceur de vivre avec Julien innocemment, et comme par le passй, elle se trouvait jetйe dans l’idйe horrible que Julien aimait une autre femme. Elle voyait encore sa pвleur quand il avait craint de perdre son portrait, ou de la compromettre en le laissant voir. Pour la premiиre fois, elle avait surpris la crainte sur cette physionomie si tranquille et si noble. Jamais il ne s’йtait montrй йmu ainsi pour elle ou pour ses enfants. Ce surcroоt de douleur arriva а toute l’intensitй de malheur qu’il est donnй а l’вme humaine de pouvoir supporter. Sans s’en douter, Mme de Rкnal jeta des cris qui rйveillиrent sa femme de chambre. Tout а coup elle vit paraоtre auprиs de son lit la clartй d’une lumiиre et reconnut Йlisa.

 

– Est-ce vous qu’il aime? s’йcria-t-elle dans sa folie.

 

La femme de chambre, йtonnйe du trouble affreux dans lequel elle surprenait sa maоtresse, ne fit heureusement aucune attention а ce mot singulier. Mme de Rкnal sentit son imprudence: «J’ai la fiиvre, lui dit-elle, et, je crois, un peu de dйlire, restez auprиs de moi.» Tout а fait rйveillйe par la nйcessitй de se contraindre, elle se trouva moins malheureuse; la raison reprit l’empire que l’йtat de demi-sommeil lui avait фtй. Pour se dйlivrer du regard fixe de sa femme de chambre, elle lui ordonna de lire le journal, et ce fut au bruit monotone de la voix de cette fille, lisant un long article de La Quotidienne, que Mme de Rкnal prit la rйsolution vertueuse de traiter Julien avec une froideur parfaite quand elle le reverrait.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 56 | Нарушение авторских прав


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