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Ernesto dit à sa mère qu’il ne retournera jamais à l’école vu qu’on lui y apprend des choses qu’il sait pas.
La mère réfléchit. Puis elle regarde Ernesto. Puis elle sourit. Ernesto sourit pareil.
La mère: En voilà une bien bonne.
Ernesto: Ouais.
Ernesto se lève, va prendre un couteau dans un tiroir et revient à la table.
Long regard de la mère sur son enfant Ernesto.
Silence.
Puis les deux, tout à coup, ils rient... oh la la. Ils rient. Ils épluchent, ils rient.
Silence.
Ernesto: Tu comprends, ce que je t’ai dit, m’man.
Silence. La mère réfléchit.
La mère: C’t-à-dire. Je peux pas dire comment je I’comprends... si c’est la bonne manière... mais quelque chose il m’semble que j’comprends quand même, oui.
Ernesto: Laisse tomber m’man...
La mère: Oui.
Silence.
La mère épluche de nouveau. De temps en temps elle regarde son enfant, Ernesto. […] Silence. Puis exaltation soudaine de la mère et d’Ernesto, leur amour I’un pour I’autre qui tout à coup éclate dans la joie.
La mère: C’est fou ce que le monde il est arriéré, des fois on sent combien... oh la la...
Ernesto: Oui, mais des fois, il I’est pas, arriéré... oh non, oh la la!
La mère, heureuse: C’est ça... des fois il est intelligent... oh la la...
Ernesto: Oh oui! L’est à un point... il le sait même pas...
Silence. Ils épluchent. Ils sont calmés.
La mère: Dis donc Ernestino, vaudrait mieux que tu rejoignes tes frères et sœurs... ton père il va rentrer... vaudrait p’t’être mieux que c’soit moi qui lui fait part de ta décision.
Ernesto: Mon père il me fera rien, il est brave, mon père, que c’en est incroyable...
La mère, dubitative: il est brave... il est brave... c’est vite dit ça... tu vas voir, il va t’dire: je t’comprends mon garçon, il aura I’air comme ça... tranquille, à plus rien chercher dans rien et puis tout à coup il t’cherche des poux mais alors à t’rendre fou.
Silence.
La mère, douceur: Va rejoindre tes brothers et tes sisters, Ernesto, vas-y... crois-moi...
Tout à coup une certaine méfiance traverse le regard d’Ernesto.
Ernesto: Au fait où c’est qu’ils sont mes brothers et sisters...
La mère: Où veux-tu qu’ils soient, à Prisu, tiens...
Ernesto, rit: Au bas des rayons, assis par tene à lire, à lire les alboums.
La mère: Ouais. (elle ne rit pas) On se demande quoi. Ils savent pas lire, alors...? Ils lisent quoi j’te I’demande. Depuis que t’as lu ce livre sur le roi ils sont à Prisu à essayer d’lire aussi... Mais font semblant... oui... voilà la vérité.
Ernesto crie tout à coup.
Ernesto, il crie: V’la qu’ils font semblant maintenant mes brothers and sisters!... jamais... tu entends m’man... font jamais semblant de rien les petits, jamais...
La mère, elle crie: C’est la meilleure ça. Et quoi ils lisent, hein? Savent pas lire! alors... lisent quoi les gamins...?
Les cris d’Ernesto et ceux de sa mère, les mêmes.
Ernesto, il crie: Lisent c’qu’ils veulent, tiens pardi!
La mère, elle crie: Mais ils lisent où à la fin des fins? Où c’èst qu’elle est la criture qu’ils lisent?
Ernesto: Elle est dans I’livre, la criture, tiens!
La mère: Liraient dans les astres pour un peu alors!
Le rire revient comme une moquerie.
Ernesto, calmé: J’aime pas qu’on touche à mes brothers and sisters excuse-moi, m’man...
Ernesto se lève et sort.
La mère reste immobile. Elle cesse d’éplucher. Songeuse. Gaie aussi. Intriguée.
Дата добавления: 2015-10-30; просмотров: 106 | Нарушение авторских прав
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Georges Arnaud. LE SALAIRE DE LA PEUR, pp. 89-91. | | | Daniel Pennac. AU BONHEUR DES OGRES, ch. 13, p. 81-84. |