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Devoir 10 (p. 144-200), ch. VI-VIII. 5 страница

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Antoine qui avanзait sa tкte par-dessus l’йpaule de Rachel n’eut pas le temps de distinguer autre chose qu’un enchevкtrement de membres nus. Rachel lui avait brusquement appliquй la main sur les yeux; et la chaleur de cette paume contre ses paupiиres lui rappela, un peu moins crispй mais exactement le mкme, le geste qu’elle faisait а l’instant de son plaisir, pour dйrober а son amant la vue de son visage pвmй. Il se dйbattit en jouant. Mais elle s’йtait levйe d’un bond, serrant contre son peignoir une poignйe de photographies liйes ensemble.

Elle courut au secrйtaire, et, riant, glissa la liasse dans un tiroir qu’elle ferma d’un tour de clef…

– «D’abord, зa n’est pas а moi», dit-elle. «Je n’ai pas le droit d’en disposer.»

– «А qui sont-elles?»

– «А Hirsch.»

Elle revint s’asseoir auprиs d’Antoine:

– «Tu vas кtre sage, maintenant, tu promets? On continue. Зa ne t’ennuie pas?… Tiens: зa, c’est encore une expйdition… Une expйdition а вnes dans les bois de Saint-Cloud. Tu vois, on commenзait а porter des manches kimono. Ce qu’il йtait chic, mon petit costume!…»

X

 

«Je me mens sans cesse», pensait Mme de Fontanin, «si j’йtais franche avec moi-mкme, je n’espйrerais rien.»

Debout prиs d’une des fenкtres du salon, elle suivit un moment des yeux, sans soulever le rideau de tulle, les allйes et venues, dans le jardin, de Jйrфme, Daniel et Jenny.

«Comme les кtres les plus droits peuvent vivre а l’aise dans le mensonge!» se dit-elle. Mais, de mкme qu’il lui arrivait souvent de ne pouvoir s’empкcher de sourire, de mкme elle ne pouvait empкcher son bonheur de monter par moments en elle, comme un flot.

Elle quitta la croisйe et vint sur la terrasse. C’йtait l’heure oщ les yeux se fatiguent а vouloir discerner les contours; le ciel йtait moirй, et de pвles йtoiles y paraissaient dйjа. Mme de Fontanin s’assit. Ses regards errиrent un instant sur l’horizon familier. Elle soupira. Elle savait bien que Jйrфme ne continuerait pas а vivre auprиs d’elle, comme il faisait depuis deux semaines: elle savait bien que ce foyer retrouvй serait, une fois de plus, йphйmиre! Est-ce que, dans l’attitude mкme de Jйrфme а son йgard, dans sa tendresse empressйe, elle ne retrouvait pas, avec un plaisir mкlй de crainte, celui qu’il avait toujours йtй? N’йtait-ce pas une preuve qu’il n’avait pas changй, et qu’il s’en irait bientфt, ainsi qu’il avait toujours fait? Dйjа, il n’йtait plus le Jйrфme vieilli, prostrй, qu’elle avait ramenй de Hollande, et qui s’accrochait а elle comme un naufragй. Dйjа, malgrй les airs d’enfant puni qu’il prenait dиs qu’il йtait seul avec elle, malgrй les soupirs rйsignйs et dignes qu’il laissait йchapper dиs qu’il se souvenait de son deuil, dйjа il avait sorti de sa malle des costumes d’йtй, et pris, а son insu, une mine rajeunie. Ce matin mкme, lorsque avant le dйjeuner elle lui avait dit: «Allez donc chercher Jenny au club, cela vous promиnera un peu», il avait fait semblant de cйder avec indiffйrence а son conseil; mais il s’йtait levй sans se faire prier et, peu aprиs, elle l’avait vu sortir d’un pas rapide, en pantalon de flanelle blanche, la taille redressйe dans un veston clair; mкme, elle l’avait surpris cueillant au passage un brin de jasmin pour sa boutonniиre.

А ce moment, Daniel s’aperзut que sa mиre йtait seule et vint la rejoindre. Depuis le retour de son mari, Mme de Fontanin se sentait un peu gкnйe devant son fils. Daniel n’йtait pas sans l’avoir remarquй: aussi multipliait-il ses visites а Maisons et s’efforзait-il d’кtre plus attentionnй que jamais, dйsirant ainsi faire entendre qu’il devinait bien des choses et ne dйsapprouvait rien.

Il s’allongea dans un fauteuil de toile, trиs bas, un fauteuil qu’il affectionnait, et il sourit а sa mиre en allumant une cigarette. (Comme il avait les mains, les gestes de son pиre!)

– «Tu ne repars pas ce soir, mon grand?»

– «Mais si, maman. J’ai un rendez-vous de bonne heure, demain.»

Il se mit а parler de ses travaux, ce qu’il faisait rarement: il prйparait pour la rentrйe un numйro de l’Йducation esthйtique, consacrй aux plus jeunes йcoles de peinture en Europe, et le choix de nombreuses reproductions, qui devaient illustrer le texte, l’amusait fort. Puis la conversation tomba.

Le silence йtait plein des murmures du soir, que dominait, sous la terrasse, le crissement des grillons dans le saut-de-loup de la forкt; un goыt d’aromates brыlйs passait par moments dans le souffle qui traversait les sapins et qui faisait bruire sur le sable les feuilles fibreuses et les йcorces des platanes. Une chauve-souris vint, de son battement d’ailes prйcipitй et mou, frфler les cheveux de Mme de Fontanin; celle-ci ne put retenir un lйger cri.

– «Seras-tu lа, dimanche?» demanda-t-elle.

– «Oui je viendrai demain pour deux jours.»

– «Tu devrais inviter ton ami а dйjeuner… Je l’ai justement rencontrй hier, dans le village.» Elle ajouta, – un peu parce qu’elle le pensait rйellement, un peu parce qu’elle attribuait а Jacques les qualitйs qu’elle croyait remarquer chez Antoine, un peu aussi pour faire plaisir а Daniel: «Quelle nature sincиre et gйnйreuse! Nous avons fait un long bout de chemin ensemble.»

Le visage de Daniel s’assombrit. Il se rappela l’йtrange surexcitation de Jenny, le soir de la promenade en forкt avec Jacques.

«Petite вme mal poussйe, mal partie, sans йquilibre», songea-t-il avec chagrin; «trop mыrie par la rйflexion, la solitude, les lectures… Et tellement ignorante de la vie! Qu’y puis-je? Elle se dйfie un peu de moi, maintenant. Si seulement elle avait une santй solide: mais des nerfs de petite fille! Et ce romantisme! Ce besoin de se croire incomprise, ce perpйtuel refus de s’expliquer! Un orgueil silencieux qui envenime tout! А moins que ce ne soit un reste de l’вge ingrat?»

Il changea de siиge, vint s’asseoir plus prиs de sa mиre, et, par acquit de conscience:

– «Dis-moi, maman, tu n’as rien remarquй dans l’attitude de Jacques avec vous? Avec Jenny?»

– «Avec Jenny?» rйpйta Mme de Fontanin. Ces deux mots, jetйs par Daniel, cristallisaient soudain en elle une inquiйtude latente. Une inquiйtude? Moins que cela peut-кtre: une de ces impressions flottantes dont son extrкme sensibilitй avait enregistrй le message sans le bien traduire. Alors l’angoisse l’йtreignit; un йlan de ferveur йleva son cњur vers l’Esprit: «Ne nous abandonne pas!» pria-t-elle.

Les promeneurs revenaient.

– «Vous ne mettez rien sur vous, Amie?» s’йcria Jйrфme. «Mйfiez-vous, il fait bien moins chaud ce soir que les autres jours.»

Il pйnйtra dans le vestibule et revint avec une йcharpe dont il enveloppa les йpaules de sa femme. Puis, s’apercevant que Jenny traоnait sur le sable la chaise longue d’osier oщ elle avait ordre de s’йtendre aprиs les repas, et qui йtait restйe sous les platanes, il s’empressa d’accourir а son aide, et de l’installer.

Il avait eu quelque peine а apprivoiser cet oiseau farouche. Jenny avait vйcu, toute son enfance, si prиs de sa mиre, qu’elle avait subi le contrecoup des souffrances maternelles, et qu’elle avait, trиs jeune, portй sur son pиre un jugement sans indulgence. Mais Jйrфme, ravi de retrouver une Jenny transformйe, presque une femme, avait multipliй les prйvenances et dйployй auprиs d’elle ses plus dйlicates sйductions, avec tant de bonne grвce et de discrйtion а la fois, que la jeune fille n’y йtait pas demeurйe insensible. Aujourd’hui, vraiment, le pиre et la fille avaient causй sans prйvention, comme deux amis, et Jйrфme en йtait encore tout remuй.

– «Vos roses embaument, ce soir, Amie», dйclara-t-il en s’abandonnant au va-et-vient d’un fauteuil а bascule; «les Gloire de Dijon du pigeonnier ne sont qu’une fleur.»

Daniel s’йtait levй.

– «C’est l’heure», dit-il; et s’approchant de sa mиre, il l’embrassa sur le front.

Elle prit а deux mains le visage du jeune homme, le considйra un instant de prиs, et murmura:

– «Mon grand fils!»

– «Eh bien, je t’accompagne jusqu’а la gare», proposa Jйrфme. Sa promenade du matin l’incitait а s’йvader un peu de ce jardin oщ il avait vйcu deux semaines cloоtrй. «Tu ne viens pas, Jenny?»

– «Je vais rester avec maman.»

– «Tiens, passe-moi une cigarette», dit Jйrфme en prenant le bras de Daniel. (Depuis son retour, ne voulant pas sortir pour acheter du tabac, il s’йtait privй de fumer.)

Mme de Fontanin accompagna du regard les deux hommes qui s’йloignaient. Elle entendit la voix de Jйrфme qui demandait:

– «Crois-tu que je trouverai du tabac d’Orient а la gare?» Puis ils disparurent dans l’ombre des sapins.

Jйrфme serrait contre lui le bras de ce bel adolescent qui йtait son fils. Quelle attraction tout кtre jeune exerзait sur lui! Mais quelle attraction empoisonnйe de regrets! C’йtait sa souffrance de chaque jour depuis qu’il йtait а Maisons: la vue de Jenny йveillait en lui, а tout instant, la nostalgie de sa propre jeunesse. Ce matin encore, au tennis, comme il avait souffert! Tous ces jeunes gens et ces jeunes filles au regard clair, йchevelйs par le jeu, le col dйgrafй, et les vкtements en dйsordre sans que rien pыt altйrer le charme triomphant de leur jeunesse; tous ces corps flexibles, baignйs de soleil, et dont la transpiration mкme йtait fraоche et rйpandait un parfum de santй! Ah! pendant les dix minutes qu’il avait passйes lа, comme il avait cruellement mesurй la disqualification de l’вge! Comme il avait eu honte et horreur de cette lutte quotidienne qu’il lui fallait maintenant mener contre lui-mкme, contre les flйtrissures, la malpropretй, l’odeur de la vieillesse! contre tous les signes avant-coureurs de cette dйcomposition finale, dйjа commencйe en lui! Et, comparant sa dйmarche engourdie, son souffle hвtif, ses efforts pour кtre encore alerte, aux foulйes йlastiques de son fils, il quitta brusquement le bras de celui-ci, et ne put retenir un cri d’envie:

– «Que je voudrais avoir tes vingt ans, mon petit!»

 

Mme de Fontanin n’avait pas protestй lorsque Jenny avait dйclarй qu’elle voulait lui tenir compagnie.

– «Tu as l’air fatiguйe, ma chйrie?» lui dit-elle, quand elles furent seules. «Ne veux-tu pas monter te coucher?»

– «Bah», fit Jenny, «les nuits sont dйjа assez longues.»

– «Tu ne dors pas bien, en ce moment?»

– «Pas trиs.»

– «Pourquoi donc, ma chйrie?»

L’accent que Mme de Fontanin avait donnй а ces mots dйpassait leur sens courant. Jenny, surprise, regarda sa mиre, et elle comprit, а l’instant, que celle-ci avait une arriиre-pensйe et souhaitait une explication. D’instinct, elle rйsolut de s’y soustraire; non qu’elle fыt dissimulйe, mais elle ne se livrait pas, dиs qu’on paraissait l’y engager.

Mme de Fontanin йtait inhabile а feindre: elle s’йtait tournйe vers sa fille et la considйrait franchement а travers les cendres du soir, espйrant faire cйder sous la tendresse de son regard ce roidissement de Jenny, qui mettait tant de distance entre elles.

– «Puisque nous sommes seules, ce soir», reprit-elle avec une lйgиre insistance, qui sembla demander pardon а l’enfant de la perturbation que le retour paternel avait jetйe dans leur intimitй, «il y a une chose dont je voudrais te parler, ma chйrie… Il s’agit de ce petit Thibault, que j’ai rencontrй hier…» Elle s’arrкta: elle avait йtй sans dйtours jusqu’au seuil du sujet, et ne savait comment aller plus loin; mais la sollicitude de sa pose penchйe prolongeait sa phrase et prйcisait l’interrogation.

Jenny ne rйpondit pas; et Mme de Fontanin, redressant peu а peu le buste, se mit а regarder devant elle le jardin qu’envahissait la nuit.

Cinq minutes passиrent.

Le vent fraоchissait. Mme de Fontanin crut remarquer que Jenny avait frissonnй.

– «Tu vas prendre froid, rentrons», dit-elle.

Sa voix avait retrouvй son timbre habituel. Elle venait de rйflйchir: а quoi bon insister? Elle йtait heureuse d’avoir parlй, sыre d’avoir йtй comprise, confiante en l’avenir.

Elles se levиrent, traversиrent le vestibule sans йchanger d’autre parole, et s’engagиrent dans l’escalier, oщ l’obscuritй йtait presque complиte. Mme de Fontanin, qui montait la premiиre, s’arrкta sur le palier devant la porte de Jenny, pour embrasser sa fille, comme chaque soir. Bien qu’elle ne distinguвt pas le visage de la jeune fille, elle sentit sous son baiser l’insurrection de ce corps contractй, et retint une minute la joue de l’enfant contre la sienne; geste de compassion, qui provoqua chez Jenny un mouvement de rйsistance. Mme de Fontanin s’йcarta avec douceur et continua son chemin vers sa chambre. Cependant elle s’aperзut que Jenny, au lieu d’ouvrir sa porte pour entrer chez elle, la suivait; et, au mкme instant, elle l’entendit derriиre elle qui s’йcriait tout d’une haleine et sur un ton exaltй:

– «Tu n’as qu’а кtre plus froide avec lui, maman, si tu trouves qu’il vient trop souvent!»

– «Qui donc?» fit Mme de Fontanin, se retournant. «Jacques? Trop souvent? Mais voilа plus de quinze jours que je ne l’ai vu ici!»

(En effet, ayant appris par Daniel l’arrivйe de M. de Fontanin et le bouleversement causй de ce fait dans leur vie de famille, Jacques avait tenu, par discrйtion, а ne pas reparaоtre chez eux.) D’autre part, comme Jenny se rendait beaucoup moins rйguliиrement au club, qu’elle йvitait Jacques le plus possible et attendait souvent qu’il fыt engagй dans une partie pour s’esquiver sans presque lui avoir parlй, les deux jeunes gens s’йtaient fort peu rencontrйs depuis une quinzaine.

Jenny йtait dйlibйrйment entrйe dans la chambre de sa mиre; elle avait refermй la porte et se tenait debout, muette, dans une attitude intrйpide.

Mme de Fontanin eut grand-pitiй d’elle, et ne songea qu’а faciliter la confidence:

– «Je t’assure, ma chйrie, que je ne vois pas bien ce que tu veux dire.»

– «Pourquoi aussi Daniel a-t-il amenй ces Thibault chez nous?», articula Jenny avec feu. «Tout зa ne serait pas arrivй sans l’incomprйhensible amitiй de Daniel pour ces gens-lа!»

– «Mais qu’est-il arrivй, ma chйrie?» demanda Mme de Fontanin, dont le cњur battait plus fort.

Jenny se cabra:

– «Il n’est rien arrivй, ce n’est pas зa que j’ai voulu dire! Mais si Daniel, et toi, maman, si vous n’aviez pas toujours attirй ces Thibault а la maison, je ne… je…» Et sa voix se rompit net.

Mme de Fontanin rassembla son courage:

– «Voyons, ma chйrie, explique-moi. Est-ce que tu as cru remarquer de la part de… un… un sentiment particulier?»

Jenny n’avait mкme pas attendu la fin de la question pour abaisser la tкte en un signe d’affirmation. Elle revit le jardin plein de lune, la petite porte, sa silhouette sur le mur, le geste outrageant de Jacques; mais le souvenir de cette seconde terrible qui jour et nuit l’obsйdait encore, elle йtait bien rйsolue а le taire, comme si, en le conservant ainsi enfermй dans son cњur, elle se fыt rйservй la libertй de s’en faire un sujet d’horreur ou simplement d’йmoi.

Mme de Fontanin sentait l’heure dйcisive et ne voulait pas laisser Jenny se murer а nouveau dans son silence. La pauvre femme s’appuyait d’un bras tremblant а la table qui se trouvait derriиre elle et se penchait de tout le corps vers Jenny, dont elle entrevoyait le visage, а peine йclairй par la fenкtre ouverte.

– «Ma chйrie», reprit-elle, «cela ne deviendrait grave que si tu… que si, toi aussi, tu…»

Cette fois, ce fut un signe nйgatif, rйpйtй plusieurs fois avec opiniвtretй; et Mme de Fontanin, dйlivrйe d’une anxiйtй atroce, soupira.

– «J’ai toujours dйtestй ces Thibault!», cria tout а coup Jenny d’une voix que sa mиre ne lui connaissait pas. «L’aоnй est une espиce de brute vaniteuse, et l’autre…»

– «Ce n’est pas vrai», interrompit Mme de Fontanin, dont le visage s’empourpra dans l’ombre.

– «… et l’autre a toujours йtй le mauvais dйmon de Daniel!» continua Jenny, reprenant un ancien grief dont elle avait elle-mкme depuis longtemps fait justice. «Ah, maman, ne les dйfends pas: tu ne peux pas les aimer, ce sont des gens trop diffйrents de toi! Je t’assure, maman, je ne me trompe pas: ce ne sont pas des gens de notre espиce! Ils sont… Je ne sais pas… Mкme quand ils ont l’air de penser comme nous, il ne faut pas s’y laisser prendre: c’est toujours d’une autre faзon, et pour d’autres motifs! Ah, c’est une race…» Elle hйsita: «Exйcrable!» lanзa-t-elle enfin. «Exйcrable!» Et, entraоnйe par le dйsordre de ses pensйes, elle poursuivit, tout d’un trait: «Je ne veux rien te cacher, maman. Non, jamais. Eh bien, quand j’йtais petite, je crois que j’ai eu un vilain sentiment… une espиce de jalousie contre Jacques. Je souffrais de voir Daniel entichй de ce garзon! Je me disais: Il n’est pas digne de lui! Un йgoпste, un orgueilleux! Et bourru, taquin, mal йlevй! Rien que son aspect physique, sa bouche, sa mвchoire… Je cherchais а ne pas penser а lui! Mais je ne pouvais pas: il m’avait toujours lancй quelque chose de blessant, que je me rappelais, qui me mettait en colиre! Il venait tout le temps а la maison: on aurait dit qu’il faisait exprиs de s’occuper de moi!… Mais зa, c’йtait autrefois. Je ne sais pas pourquoi j’y reviens toujours… Depuis ce temps-lа, je l’ai observй de plus prиs. Cette annйe surtout. Ce mois-ci. Et maintenant je le juge autrement. Je tвche d’кtre juste. Je vois bien ce qu’il y a malgrй tout, de bon en lui. Je vais mкme te dire une chose, maman: j’ai cru, plusieurs fois, oui, plusieurs fois, que moi aussi, sans m’en rendre compte, je… j’йtais comme attirйe… Mais non, non! Ce n’est pas vrai! Tout, en lui, m’est antipathique! Presque tout!»

Mme de Fontanin concйda:

– «Jacques, je ne sais pas. Tu as eu mieux que moi l’occasion de le juger. Pour ce qui est d’Antoine, en revanche, je peux t’affirmer…»

– «Mais», interrompit la jeune fille avec vivacitй, «pour Jacques je n’ai pas dit… je n’ai jamais niй qu’il ait, lui aussi, de trиs grandes qualitйs!» Elle avait peu а peu changй de ton, et parlait posйment. «D’abord, tout ce qu’il dit montre qu’il est trиs intelligent. Je le reconnais. Je vais mкme plus loin: son caractиre n’est pas pervers; il est capable, non seulement de sincйritй, mais d’йlйvation, de noblesse. Tu vois, maman, que je ne suis pas montйe contre lui! Et ce n’est pas tout: je crois», ajouta-t-elle, pesant ses mots avec gravitй, tandis que Mme de Fontanin, surprise, l’examinait avec attention, «je crois qu’il est appelй а une haute, peut-кtre а une trиs haute destinйe! Ainsi, tu vois que je tвche d’кtre juste! Je suis mкme presque sыre maintenant que cette force qui est en lui, eh bien, c’est зa qu’on appelle le gйnie: oui, parfaitement, le gйnie!» rйpйta-t-elle sur un ton quasi provocant, bien que sa mиre ne parыt pas songer а la contredire.

Puis tout а coup, avec une violence dйsespйrйe, elle cria:

– «Mais tout зa n’empкche rien! Il a la nature d’un Thibault! C’est un Thibault! Et je les hais!»

Mme de Fontanin demeura un instant muette, frappйe de stupeur.

– «Mais… Jenny…!» murmura-t-elle enfin.

Et Jenny reconnut dans l’intonation de sa mиre cette mкme pensйe qu’elle avait lue si clairement dans le regard de Daniel. Alors, comme une enfant, elle se prйcipita vers Mme de Fontanin, et lui mit la main sur la bouche:

– «Non! Non! Зa n’est pas vrai! Je te dis que зa n’est pas vrai!»

Puis, pendant que sa mиre l’attirait contre elle et l’entourait de ses bras comme pour la protйger, Jenny, dйlivrйe soudain de ce nњud qui lui serrait la gorge, put enfin sangloter, rйpйtant sans rйpit, de cette voix qu’elle avait jadis dans ses chagrins de petite fille:

– «Maman… Maman… Maman…»

Mme de Fontanin la berзait tendrement contre sa poitrine et balbutiait pour la calmer:

– «Ma chйrie… N’aie pas peur… Ne pleure pas… En voilа des idйes!… Mais personne ne t’oblige… Heureusement que tu ne…» (Elle se souvint de son unique rencontre avec M. Thibault, le lendemain de la disparition des deux gamins; elle revit le gros homme, entre les deux prкtres, dans son cabinet de travail; elle se l’imagina, refusant son consentement а l’amour de Jacques, infligeant а l’amour de Jenny les pires humiliations.) «Ah, heureusement que cela n’est pas!… Toi, tu n’as rien а te reprocher… Je lui parlerai, moi, а ce petit, je lui ferai comprendre… Ne pleure pas, ma chйrie… Tu vas oublier tout зa… C’est fini, fini… Ne pleure pas…»

Mais Jenny sanglotait de plus en plus fort, car chaque parole de sa mиre la dйchirait davantage. Et longtemps les deux femmes restиrent ainsi, debout, йtroitement embrassйes dans l’ombre; l’enfant, blottissant sa douleur dans les bras maternels; la mиre, psalmodiant ses consolations cruelles, et les yeux grands ouverts d’effroi: car, avec sa prescience coutumiиre, elle voyait se dйployer devant Jenny l’inйluctable destinйe, а laquelle ses craintes, ni sa tendresse, ni ses priиres, ne pourraient plus arracher son enfant. «Dans l’ascension sans fin des кtres vers l’Esprit», songeait-elle, accablйe, «chacun de nous doit s’avancer seul, d’йpreuve en йpreuve et souvent d’erreur en erreur, sur le chemin qui, de toute йternitй, lui est rйservй comme sien…»

Ce fut seulement en entendant fermer la porte d’en bas, et en reconnaissant le pas de Jйrфme sur le dallage du vestibule, qu’elles tressaillirent toutes les deux. Alors, Jenny, desserrant son йtreinte, s’enfuit, sans un mot, chancelant sous cette dйtresse qui lui йtait йchue et dont personne au monde ne pouvait plus allйger le poids.

XI

 

Une affiche monumentale arrкtait devant le cinйma les flвneurs du boulevard:

L’AFRIQUE INCONNUE

VOYAGE CHEZ LES OUOLOFFS, LES SЙRИRES, LES FOULBЙS, LES MOUNDANGS ET LES BAGUIRMIENS

– «Зa ne commence qu’а huit heures et demie», soupira Rachel.

– «Tu vois!»

Pour s’offrir du moins l’illusion d’un tкte-а-tкte, Antoine, qui n’avait pas renoncй sans regret а l’intimitй de la chambre rose, loua une des baignoires treillagйes du fond de la salle.

Rachel le rejoignit prиs du guichet.

– «J’ai dйjа dйcouvert une merveille», dit-elle en l’entraоnant sous le pйristyle oщ on exposait quelques vues des films: «Regarde.»

Antoine lut d’abord l’inscription: Jeune fille moundang vannant le mil au bord du fleuve Mayo Kabbi. Un corps de bronze, entiиrement nu, sauf un ruban de paille tressйe, en guise de ceinture. La belle moundang se tenait debout, appuyйe sur la jambe droite, le visage appliquй, le buste йtirй par sa besogne: son bras droit, levй en rond par-dessus sa tкte, inclinait une large calebasse pleine de grains qu’elle faisait couler, en un mince filet et d’aussi haut que possible, dans une seconde йcuelle en bois, tenue de la main gauche au niveau du genou. Rien de concertй dans sa pose: le port de la tкte lйgиrement rejetйe en arriиre, la gracieuse courbure des deux bras balancйs, le redressement du torse qui soulevait deux jeunes seins au contour ferme, et le pli de la taille, et l’effort de la hanche, et le jet en avant de la jambe libre qui ne touchait au sol que par le bout du pied, toute cette harmonie йtait naturelle, imposйe par le travail, et d’une йmouvante beautй.

– «Tiens, regarde ceux-ci!» reprit-elle, montrant а Antoine une dizaine d’adolescents noirs qui portaient sur leurs йpaules une pirogue effilйe. «Et ce petit-lа est-il beau! C’est un Ouoloff, tu vois: il a son gri-gri au cou, son boubou bleu, et son tarbouch.» Elle parlait ce soir avec une agitation particuliиre; elle souriait sans presque entrouvrir les lиvres, comme si les muscles de son visage se fussent, а son insu, contractйs; et, dans l’incision des paupiиres, son regard fiйvreux, glissant, avait des lueurs argentйes qu’Antoine ne reconnaissait pas.

– «Entrons», dit-elle.

– «Mais nous sommes en avance de plus d’un quart d’heure!»

– «Зa ne fait rien», rйpliqua-t-elle, avec une impatience d’enfant: «Entrons.»

La salle йtait vide. Dans l’antre de l’orchestre, quelques musiciens prйparaient leurs instruments. Antoine leva le treillage de la loge. Rachel restait debout contre lui.

– «Desserre donc cette cravate», fit-elle en riant; «tu as toujours l’air d’avoir voulu te pendre, et de t’кtre sauvй la corde au cou!» Il eut un imperceptible mouvement d’humeur. «Ah!» murmura-t-elle aussitфt, «ce que j’ai plaisir а venir voir зa avec toi!» Elle prit а deux mains le visage d’Antoine et l’attira vers ses lиvres. «Et puis, ce que je t’aime, depuis que tu n’as plus ta barbe!»

Elle retira son manteau, son chapeau, ses gants. Ils s’assirent. А travers le lattis, qui suffisait а les rendre invisibles, ils assistaient а la mйtamorphose de la salle qui, en quelques minutes, cessa d’кtre cette grotte silencieuse, poussiйreuse, rougeoyante, oщ surnageaient quelques йpaves, pour devenir une masse grouillante de figures, dans un doux tumulte de voliиre, que dominait, par instants, la gamme chromatique d’un instrument а vent. Malgrй la chaleur exceptionnelle de l’йtй, la seconde moitiй de septembre contraignait au retour beaucoup de Parisiens; et, dйjа, ce n’йtait plus ce Paris des vacances, que Rachel aimait, chaque annйe, comme une ville toujours nouvelle а dйcouvrir.

– «Йcoute…», dit-elle. L’orchestre venait d’entamer un fragment de la Walkyrie, le lied du printemps.

Elle avait abandonnй sa tкte sur l’йpaule d’Antoine, assis tout prиs d’elle; et il entendait, а travers les lиvres de Rachel et ses dents jointes, comme un йcho qui doublait le chant des violons.

– «Tu as entendu Zucco? Zucco, le tйnor?» fit-elle nonchalamment.

– «Oui, pourquoi?»

Elle continuait а rкvasser et ne rйpondit pas tout de suite; enfin, а mi-voix, comme si elle avait un scrupule tardif а lui cacher sa pensйe:

– «Il a йtй mon amant», dit-elle.

Antoine йprouvait une vive curiositй pour le passй de Rachel, sans aucune jalousie. Il comprenait fort bien ce qu’elle voulait dire, lorsqu’elle avouait: «Mon corps est sans mйmoire.» Cependant, Zucco… Il йvoqua une silhouette ridicule, en pourpoint de satin blanc, grimpйe sur un cube de bois, au troisiиme acte des Maоtres Chanteurs; un gros, trapu, qui conservait l’aspect d’un tzigane, malgrй sa perruque blonde, et qui posait encore la main sur son cњur, dans les duos d’amour. Antoine en voulut un peu а Rachel d’un choix si mйdiocre.

– «Tu l’as entendu chanter зa?» reprit-elle; son doigt levй dessinait dans l’air l’arabesque de la phrase musicale. «Je ne t’ai jamais racontй Zucco?»

– «Non.»

Il tenait la figure de Rachel contre sa poitrine, et il n’avait qu’а baisser les yeux pour la regarder. Elle n’avait pas cette expression йveillйe qu’elle prenait toujours а l’йvocation de ses souvenirs: les sourcils йtaient un peu froncйs, les paupiиres presque closes, et les coins de la bouche lйgиrement abaissйs. «Le beau masque de douleur qu’elle pourrait avoir», songea-t-il. Puis, remarquant qu’elle se taisait, et pour affirmer une fois de plus qu’il ne prenait nullement ombrage du passй, il insista:

– «Eh bien, ton Zucco?»

Elle tressaillit:

– «Quoi, Zucco?» dit-elle avec un languissant sourire. «Au fond, tu sais, зa n’est pas grand-chose, Zucco. Il a йtй le premier, voilа tout.»

– «Et moi?» fit-il, se forзant un peu.

– «Mais, le troisiиme», rйpondit-elle sans sourciller.

«Zucco, Hirsch et moi… Seulement?» pensa Antoine.

Elle reprit, s’animant davantage:

– «Alors, je raconte?… Tu vas voir si c’est simple. Papa venait de mourir: mon frиre travaillait а Hambourg. J’avais bien l’Opйra, qui me prenait toutes mes journйes; mais les soirs oщ je ne dansais pas, je me sentais seule. On est comme зa, а dix-huit ans. Lui, Zucco, il me courait aprиs, depuis longtemps. Moi, je le trouvais quelconque, assez prйtentieux.» Elle hйsita: «Un peu bкte. Oui, je crois qu’а cette йpoque-lа, dйjа, je le trouvais un peu bкte… Mais je ne savais pas que c’йtait une brute!» lanзa-t-elle soudain.

Elle jeta un coup d’њil vers la salle, oщ la lumiиre venait de s’йteindre.

– «Par quoi commence-t-on?»

– «Par des actualitйs.»

– «Et puis?»

– «Un film а grand spectacle, qui doit кtre idiot.»

– «Et l’Afrique?»

– «En dernier.»

– «Ah bon», fit-elle, remettant sur l’йpaule d’Antoine sa chevelure odorante. «Si зa en vaut la peine, tu m’avertiras. Зa ne te fatigue pas, mon Minou? Je suis si bien!»

Il vit sa bouche entrouverte, humide. Leurs lиvres se joignirent.

– «Et Zucco?» rйpйta-t-il.

Contrairement а ce qu’il attendait, elle ne sourit pas.

– «Je me demande aujourd’hui comment j’ai pu tout supporter. Il me traitait! Un charretier! Il avait conduit des mulets, autrefois, dans la province d’Oran… Mes amies me plaignaient; personne ne comprenait que je reste avec lui. Moi-mкme, je ne comprends plus… On dit toujours que certaines femmes aiment а кtre battues…» Elle se tut un instant, et ajouta: «Non; mais je crois que j’avais peur de me retrouver seule.»


Дата добавления: 2015-11-26; просмотров: 203 | Нарушение авторских прав



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