Студопедия
Случайная страница | ТОМ-1 | ТОМ-2 | ТОМ-3
АвтомобилиАстрономияБиологияГеографияДом и садДругие языкиДругоеИнформатика
ИсторияКультураЛитератураЛогикаМатематикаМедицинаМеталлургияМеханика
ОбразованиеОхрана трудаПедагогикаПолитикаПравоПсихологияРелигияРиторика
СоциологияСпортСтроительствоТехнологияТуризмФизикаФилософияФинансы
ХимияЧерчениеЭкологияЭкономикаЭлектроника

Devoir 10 (p. 144-200), ch. VI-VIII. 4 страница

Читайте также:
  1. A) жүректіктік ісінулерде 1 страница
  2. A) жүректіктік ісінулерде 2 страница
  3. A) жүректіктік ісінулерде 3 страница
  4. A) жүректіктік ісінулерде 4 страница
  5. A) жүректіктік ісінулерде 5 страница
  6. A) жүректіктік ісінулерде 6 страница
  7. A) жүректіктік ісінулерде 7 страница

 

Le jour semblait en effet mourir avec une particuliиre lenteur, parce que la clartй de la lune, levйe dйjа mais cachйe par les arbres, s’йtait insensiblement substituйe aux derniиres lueurs du couchant.

Jacques avait, sans intention prйcise, glissй dans sa poche ce volume de poиtes contemporains qu’il avait proposй а Jenny, et, ne pouvant supporter, ce soir, l’indiffйrence de la vie familiale, il йtait sorti pour flвner dans le parc. Sa pensйe vagabondait sans qu’il pыt la fixer sur rien. Moins d’une demi-heure aprиs, il se trouvait engagй dans le chemin bordй d’acacias. «Pourvu que la porte ne soit pas fermйe», songea-t-il.

Elle ne l’йtait pas. La clochette tinta; il tressaillit comme un intrus. Une senteur chaude et rйsineuse, а laquelle se mкlait un relent de fourmiliиre, venait de dessous les sapins. Le son йtouffй du piano animait а peine le jardin recueilli. Jenny et Daniel faisaient sans doute de la musique. Le salon ouvrait sur la faзade opposйe. Du cфtй oщ se trouvait Jacques, la maison dormait, toutes fenкtres closes; mais le toit йtait baignй d’une йtrange lumiиre, et il se retourna, surpris: c’йtait la lune, qui, par-dessus la cime des arbres, blкmissait dйjа le faоtage et faisait briller les vitres des lucarnes. Il approchait de la maison, le cњur battant, gкnй de n’avoir aucun moyen d’annoncer sa prйsence, et il йprouva un soulagement lorsque Puce s’йlanзa en jappant. Le son du piano devait couvrir les aboiements, car la musique ne cessa pas. Jacques se baissa, souleva la petite chienne dans ses bras, comme faisait Jenny, et frфla des lиvres le front soyeux. Puis il contourna l’aile de la maison, et se trouva sur la terrasse, devant le salon, dont la baie йtait ouverte et йclairйe. Il approchait toujours. Il cherchait а reconnaоtre ce que jouait Jenny: la mйlodie, comme incertaine, semblait se balancer quelque temps, flotter entre le rire et les larmes, pour s’йpanouir enfin dans une rйgion supйrieure oщ la joie et la douleur n’existent plus.

Il йtait arrivй sur le seuil. Le salon lui parut vide. D’abord, il ne distingua rien que le voile de perse dont le piano йtait drapй, et les bibelots posйs dessus. Tout а coup, dans le trou qui se creusait entre deux potiches, il aperзut un visage, un masque grimaзant, suspendu dans le halo des bougies, une Jenny que la vibration intйrieure dйfigurait. Et l’expression de ce visage йtait si dйpouillйe, si nue, qu’il recula d’instinct, comme s’il eыt surpris la jeune fille dйvкtue.

Serrant toujours la chienne contre son йpaule, et tremblant comme un voleur, il attendit а l’йcart, dans l’ombre de la maison, que le morceau fыt achevй: alors, а haute voix, il appela Puce, et parut arriver а l’instant du jardin.

Jenny avait frйmi en reconnaissant sa voix et s’йtait levйe trиs vite. Elle gardait sur ses traits les stigmates de son йmotion solitaire, et son regard effarouchй repoussait celui de Jacques comme pour dйfendre un secret. Il demanda:

– «Je vous ai fait peur?»

Elle fronзait les sourcils sans pouvoir articuler un son. Il continua:

– «Daniel n’est pas encore revenu?» Puis, aprиs une courte pause: «Je vous apportais ces morceaux choisis dont je vous ai parlй tantфt.»

Il sortit gauchement le livre de sa poche. Elle le prit et le feuilleta d’un geste machinal.

Elle ne s’asseyait pas, ne lui offrait pas de s’asseoir. Jacques comprit qu’il devait partir. Il sortit sur la terrasse. Jenny le suivit.

– «Ne vous dйrangez pas», bredouilla-t-il.

Elle l’accompagnait parce qu’elle ne savait comment en finir plus vite, qu’elle n’osait pas lui tendre la main, et rompre lа. Dйgagйe des arbres, la lune йclairait tant que, lorsqu’il se tournait vers Jenny, il voyait battre ses cils. Sa robe bleue avait l’inconsistance d’une apparition.

Ils traversиrent tout le jardin sans avoir prononcй un mot.

Jacques ouvrit la petite porte et descendit sur le chemin. Jenny avait, elle aussi, sans y penser, franchi le seuil et se tenait au milieu du sentier, arrкtйe devant Jacques et nimbйe de lumiиre. Alors, sur le mur йtincelant de lune, il aperзut l’ombre de la jeune fille, son profil, sa nuque, la torsade de ses cheveux, le menton, jusqu’а l’expression de la bouche, – silhouette d’un noir de velours, d’une impeccable nettetй. Il la dйsigna du doigt. Une idйe folle traversa son esprit: et, sans vouloir rйflйchir, avec cette audace que seuls se permettent les timides, il se pencha vers le mur et baisa l’ombre du visage aimй.

Jenny fit une brusque retraite, comme pour lui arracher son effigie, et disparut dans l’embrasure de la porte. Le carrй lumineux du jardin cessa d’кtre visible: la porte retomba. Jacques entendit Jenny qui s’enfuyait sur le gravier. Alors il prit son йlan et partit dans la nuit.

Il riait.

 

Jenny s’йtait mise а courir, а courir, comme si l’eussent poursuivie tous les spectres blancs et noirs qui peuplaient le jardin trop silencieux. Elle s’йtait ruйe dans la maison, avait grimpй jusqu’а sa chambre et s’йtait jetйe sur son lit. Une sueur froide la faisait frissonner. Son cњur йtait douloureux; elle pressait sur son corsage ses mains qui tremblaient, et, de son front, fouillait durement l’oreiller. Toute sa volontй se tendait en un seul effort: ne se souvenir de rien! La honte l’oppressait, empкchait les larmes de monter jusqu’aux yeux. Et elle йtait dominйe par un sentiment nouveau: la peur. La peur d’elle-mкme.

Puce, oubliйe en bas, aboya. Daniel rentrait.

Jenny l’entendit gravir l’escalier en fredonnant, puis s’arrкter une minute prиs de la porte. Il n’osait frapper, voyant qu’aucune lumiиre ne passait par la feuillure, croyant que sa sњur dormait dйjа. Pourtant, toutes les lampes du salon йtaient restйes allumйes?… Jenny ne fit aucun mouvement; elle voulait demeurer seule, dans l’obscuritй. Mais, en entendant le pas de son frиre s’йloigner, elle fut saisie d’angoisse et sauta de son lit:

– «Daniel!»

А la lumiиre de la lampe qu’il tenait, il aperзut le visage ravagй, les prunelles fixes. Il crut que son retard avait alarmй sa sњur; il cherchait dйjа des excuses, lorsqu’elle l’interrompit:

– «Non, je suis йnervйe», fit-elle d’une voix sifflante. «Je n’ai pas pu me dйbarrasser de ton ami: il m’a suivie, suivie, il ne me quittait pas!» Elle йtait pвle de rage, et elle martelait chaque syllabe. Puis une onde brusque de rougeur inonda son visage, et, sanglotant tout а coup, elle s’assit, йpuisйe, sur son lit: «Je t’assure, Daniel, dis-lui… Chasse-le… Je ne peux pas, je t’assure, je ne peux pas!»

Il la considйrait, interdit, essayant de deviner ce qui avait bien pu se passer entre eux.

– «Mais… quoi?» murmura-t-il. Une idйe l’effleura; il hйsitait а lui donner forme. Sa lиvre se releva de biais, en un sourire gкnй: «Ce pauvre Jacques», insinua-t-il enfin, «peut-кtre bien qu’il t’…»

L’intonation йtait assez significative pour qu’il n’eыt pas а terminer sa phrase. Il fut йtonnй de voir que Jenny ne tressaillait pas, et, les yeux baissйs, semblait devenue indiffйrente. Elle se ressaisissait. Aprиs une pause, si longue que Daniel n’espйrait plus de rйponse, elle dit:

– «Peut-кtre.» Sa voix avait repris son timbre normal.

«Elle l’aime», pensa Daniel; et cette conclusion le prit tellement а l’improviste qu’il demeura muet, frappй de stupeur.

А ce moment, Jenny rencontra le regard de son frиre: elle y lut clairement ce qu’il pensait. Elle se rebella: son њil bleu eut un йclair, son visage prit une expression de dйfi; et, sans йlever la voix, ses yeux dans les yeux de Daniel, secouant sa tкte йnergique, elle rйpйta trois fois de suite:

– «Jamais! Jamais! Jamais!»

Puis, comme Daniel la considйrait, indйcis, mais avec une tendresse, une sollicitude d’aоnй, qui la cinglait comme une offense, elle alla vers lui, releva sur le front du jeune homme une mиche indocile, et, lui donnant une tape sur la joue:

– «As-tu seulement dоnй, grand fou?»

DEVOIR 11 Chapitre IX-XI (p. 201-250)

Chapitre IX

Antoine, en pyjama, debout devant la cheminйe, attaquait avec un criss malais un pavй de plum-cake.

Rachel bвilla.

– «Coupe йpais, mon Minou», fit-elle d’une voix paresseuse. Elle йtait sur le lit, les mains sous la tкte, et nue.

La fenкtre йtait ouverte, mais aveuglйe jusqu’en bas par le store de toile qui ne laissait pйnйtrer dans la chambre qu’une ombre chaude de tente au soleil. Paris cuisait au feu d’un dimanche d’aoыt. Aucun bruit ne montait de la rue. La maison, elle aussi, йtait silencieuse, vide peut-кtre, sauf а l’йtage au-dessus, oщ sans doute Aline lisait tout haut le journal pour distraire Mme Chasle et la petite convalescente, condamnйe plusieurs semaines encore а la position horizontale.

– «J’ai faim», constata Rachel, ouvrant une gueule rose de chatte.

– «L’eau ne peut pas bouillir encore.»

– «Tant pis! Donne.»

Il mit une large tranche de cake dans l’assiette, qu’il vint poser sur le bord du lit. Elle tourna lentement le haut du torse, sans quitter la pose йtendue, et, s’appuyant sur le coude, la tкte renversйe, elle commenзa de goыter, pinзant entre deux doigts des fragments de gвteau, qu’elle faisait tomber dans sa bouche.

– «Et toi, chйri?»

– «J’attends le thй», dit-il, en se laissant choir dans les coussins de la bergиre.

– «Fatiguй?»

Il lui sourit.

Le lit йtait bas, entiиrement dйcouvert. La soie rose des rideaux s’arrondissait au fond de l’alcфve, oщ la nuditй de Rachel, glorieusement йtalйe, semblait reposer, comme une figure allйgorique, au creux d’une coquille transparente.

– «Si j’йtais peintre…», murmura Antoine.

– «Tu vois que tu es fatiguй», observa Rachel avec un sourire rapide. «Quand tu deviens artiste, c’est que tu es fatiguй.»

Elle rejeta la tкte en arriиre, et son visage se perdit dans l’ombre, sur la litiиre flamboyante des cheveux. Une lumiиre rayonnait de ce corps nacrй. La jambe droite, mollement abandonnйe en faucille, s’enfonзait dans le matelas; l’autre, relevйe au contraire et pliйe, faisait saillir la courbe de la cuisse, et dressait dans le jour sa rotule d’ivoire.

– «J’ai faim», gйmit-elle. Et comme il s’approchait pour prendre l’assiette vide, elle lui lanзa autour du cou ses deux bras virils, et attira son visage.

– «Oh! cette barbe», fit-elle, sans le repousser, «quand donc nous en dйlivreras-tu?»

Il se releva, jeta vers la glace un њil inquiet, et fut chercher un second morceau de cake.

– «Ce qui me plaоt tant chez toi, c’est зa», dйclara-t-il, tandis qu’elle mordait la tranche а belles dents.

– «Mon appйtit?»

– «Ta santй. Ce corps oщ le sang circule bien. Tu es tonique!… Moi aussi, la carcasse est bonne», ajouta-t-il cherchant de nouveau la glace pour s’y mirer: il carrait les йpaules, redressait et dilatait le buste, sans s’apercevoir а quel point ses membres restaient grкles pour le volume de la tкte; il s’imaginait toujours que sa structure physique avait la mкme apparence de vigueur que l’expression voulue de ses traits. Cette sensation de force, de plйnitude, s’йtait, depuis deux semaines, accrue jusqu’а l’outrecuidance, de tout ce que l’amour exaltait en lui. «Sais-tu?» conclut-il, «nous sommes l’un et l’autre bвtis pour vivre un siиcle.»

– «Ensemble?» murmura-t-elle, les yeux tendres, а demi clos. Et ce fut une pensйe triste qui l’effleura: la crainte de ne pas conserver toujours ce goыt qu’elle avait de lui et qui la rendait si heureuse.

Elle ouvrit les yeux, palpa ses jambes, glissa ses mains tout le long de sa chair йlastique, et affirma:

– «Oh! moi, si on ne me tue pas, je suis sыre de vivre trиs vieille. Mon pиre avait soixante-douze ans quand je l’ai perdu, et il йtait solide comme un homme de cinquante. Il est mort des suites d’un coup de soleil, par accident. D’ailleurs, on meurt d’accident, chez nous. Mon frиre est mort noyй. Et moi aussi, je mourrai d’accident: d’un coup de revolver. J’ai toujours eu cette idйe-lа.»

– «Et ta mиre?»

– «Ma mиre? Elle n’est pas morte. Chaque fois, je la trouve rajeunie. C’est vrai, aussi, que la vie qu’elle mиne…» Elle ajouta, sans intonation particuliиre: «Elle est enfermйe а Sainte-Anne.»

– «А l’asile des…?»

– «Je ne t’avais pas dit зa?» Elle sourit comme pour s’excuser, et reprit complaisamment: «Voilа dix-sept ans qu’elle est lа-dedans. Je me souviens а peine d’elle. А neuf ans, tu penses! Elle est gaie, elle ne paraоt souffrir de rien, elle chante… Nous sommes rйsistants dans la famille… Ton eau bout.»

Il se hвta vers le rйchaud, et, tandis que le thй infusait, il se pencha vers la coiffeuse, cachant sa barbe d’une main et cherchant а imaginer l’aspect de son visage rasй. Non. Elle lui plaisait, cette masse sombre а la base de sa figure: elle laissait tant d’importance au rectangle clair du front, au pli des sourcils, au regard! Et puis, il craignait instinctivement de dйmasquer la bouche, comme si c’eыt йtй un aveu compromettant.

Rachel s’assit sur le lit pour boire son thй, alluma une cigarette, et se renversa de nouveau.

– «Viens prиs de moi. Qu’est-ce que tu fais а bouder lа-bas?»

Gaiement il se glissa prиs d’elle et se pencha sur son visage. L’odeur de la chevelure dйnouйe montait vers lui dans la tiйdeur de l’alcфve: une odeur excitante а la fois et douce, une odeur tenace, un peu йcњurante, que tour а tour il recherchait et redoutait, parce que, aprиs l’avoir trop longtemps respirйe, il en demeurait imprйgnй jusqu’au fond de la gorge.

– «Qu’est-ce que tu veux?» dit-elle.

– «Je te regarde.»

– «Mon Minou.»

Dиs qu’il se fut dйtachй de ses lиvres, il reprit sa pose: il plongeait curieusement dans les yeux de Rachel.

– «Qu’est-ce que tu regardes donc?»

– «Je cherche tes prunelles.»

– «Elles sont donc bien difficiles а trouver?»

– «Oui, а cause de tes cils. Зa fait comme un brouillard dorй devant tes yeux. C’est зa qui te donne cet air…»

– «Quel air?»

– «Йnigmatique.»

Elle haussa les йpaules et dйclara:

– «Elles sont bleues, mes prunelles.»

– «Tu crois зa?»

– «Bleu argent.»

– «Pas du tout», fit-il, posant de nouveau ses lиvres sur celles de Rachel et les retirant aussitфt par jeu. «Elles sont tantфt grises et tantфt mauves, tes prunelles. Une couleur trouble, pas franche.»

– «Merci.» Elle riait et faisait virer ses yeux de droite et de gauche.

Lui, songeait, la contemplant: «Quinze jours… Il me semble qu’il y a des mois. Pourtant, je n’aurais pas pu dire la couleur de ses yeux. Et, de sa vie, qu’est-ce que je connais? Vingt-six annйes vйcues sans moi, dans un univers si diffйrent du mien! Vйcues: c’est-а-dire pleines de choses, d’expйriences. De choses mystйrieuses, d’ailleurs; et que je commence а dйcouvrir peu а peu…» Il ne s’avouait pas а lui-mкme tout le plaisir qu’il prenait а ces dйcouvertes. Encore moins le lui laissait-il voir, а elle: il ne lui demandait jamais rien. Mais elle bavardait volontiers. Il l’йcoutait, rйflйchissait, rapprochait des dйtails, des dates, cherchait а comprendre, s’йtonnait surtout, s’йtonnait sans cesse, et s’appliquait а n’en rien montrer jamais. – Par dissimulation? – Non. Mais, depuis si longtemps, son attitude devant les autres йtait de paraоtre savoir! Il n’avait appris а interroger que ses malades. La curiositй, la surprise, йtaient au nombre des sentiments que son orgueil l’avait habituй а masquer le mieux sous des airs entendus et attentifs.

– «Tu me regardes aujourd’hui comme si tu ne me connaissais pas», dit-elle. «Non, assez, laisse donc!»

Elle s’impatientait. Elle avait fermй les yeux pour se dйrober а cette investigation. Il voulut soulever les paupiиres avec ses doigts.

– «Assez, non, c’est fini, je ne veux plus te laisser regarder dans mon regard», dйclara-t-elle, pliant son bras nu devant ses yeux.

– «Tu veux donc me cacher quelque chose, petit sphinx?» Il baisa, depuis l’йpaule jusqu’а l’attache du poignet, le beau bras luisant.

«Est-elle cachottiиre?» se demanda-t-il. «Non… Une certaine rйserve; mais pas de cachotterie. Au contraire, elle se raconte avec plaisir. Elle devient mкme de jour en jour plus loquace… Parce qu’elle m’aime», songea-t-il, ravi, «parce qu’elle m’aime!»

Elle lui passa le bras autour du cou, l’attira une fois encore contre son visage, puis soudain, sur un ton sйrieux:

– «C’est vrai, tu sais: on n’imagine pas du tout ce qu’on peut laisser voir, rien que dans un regard!» Elle se tut. Il entendit au fond de la gorge ce petit rire silencieux qui lui йchappait souvent lorsqu’elle йvoquait le passй. «Tiens, je me rappelle: c’est par un regard, un simple regard, que j’ai dйcouvert le secret d’un homme avec lequel je vivais depuis des mois. А table. Dans un restaurant, а Bordeaux. Nous йtions l’un en face de l’autre. Nous causions. Nos yeux allaient et venaient de nos assiettes а nos visages, ou bien parcouraient rapidement la salle. Tout а coup – je n’oublierai jamais зa – j’ai surpris, mais а peine l’espace d’une seconde, j’ai saisi son regard qui se fixait derriиre moi, avec une expression… C’йtait si fort que je me suis retournйe d’un seul coup, malgrй moi, pour voir…»

– «Eh bien?»

– «Eh bien, c’est pour te dire», reprit-elle d’un autre ton, «il faut se mйfier de ses regards.»

Antoine fut sur le point d’insister: «Mais ce secret?» Il n’osa pas. Il avait une peur extrкme de paraоtre naпf en risquant des questions oiseuses; deux ou trois fois dйjа, il s’йtait hasardй а solliciter une explication de ce genre, et Rachel l’avait regardй, surprise, amusйe, riant d’un petit air moqueur qui l’avait profondйment humiliй.

Il se tut donc. Ce fut elle qui reprit:

– «Зa m’attriste, ces vieilles histoires… Embrasse. Encore. Mieux que зa.» Mais elle n’avait pas fini d’y songer, car elle ajouta: «D’ailleurs, quand je dis son secret, c’est un de ses secrets que je devrais dire! Avec ce bonhomme-lа, on n’en aura jamais fini de tout dйcouvrir.»

Et, pour йchapper а ses souvenirs, peut-кtre aussi а l’interrogation muette d’Antoine, elle se dйtourna tout entiиre d’un mouvement si lent, si onduleux, que son corps semblait annelй.

– «Es-tu souple!» dit-il, en la caressant comme on flatte une bкte de sang.

– «Vraiment? Savez-vous que j’ai fait dix ans de classes а l’Opйra?»

– «Toi? А Paris?»

– «Oui, monsieur. J’йtais mкme premier sujet quand j’ai quittй.»

– «Il y a longtemps?»

– «Six ans.»

– «Et pourquoi as-tu quittй?»

– «Les jambes.» Son visage s’assombrit un instant. «Aprиs зa, j’ai failli devenir йcuyиre», reprit-elle presque aussitфt. «Dans un cirque. Зa t’йtonne?»

– «Non», dйclara-t-il rйsolument, «Dans quel cirque?»

– «Oh, pas en France. Dans un grand truc international que Hirsch, en ce temps-lа, promenait а travers le monde. Tu sais, Hirsch, l’ami dont je t’ai parlй, le type qui est au Soudan йgyptien. Il voulait tirer parti de mes dispositions; mais je n’ai pas marchй!» Elle s’amusait, tout en parlant, а plier et а allonger l’une et l’autre de ses jambes, avec une dextйritй retenue de gymnasiarque. «Une idйe qu’il avait», poursuivit-elle; «parce qu’il m’avait fait faire un peu de voltige, autrefois, а Neuilly. J’adorais зa. Nous avions des chevaux superbes, et dame! on en profitait.»

– «Vous habitiez Neuilly?»

– «Pas moi. Lui. Il йtait propriйtaire du manиge de Neuilly, а cette йpoque-lа. Il a toujours eu la passion des chevaux. Moi aussi. Et toi?»

– «Je monte un peu», dit-il en se redressant. «Mais les occasions m’ont manquй. Le temps aussi.»

– «Moi, des occasions, j’en ai eu. Quelques-unes! Nous sommes restйs une fois vingt-deux jours en selle!»

– «Oщ зa?»

– «En plein bled, au Maroc.»

– «Tu as йtй au Maroc?»

– «Deux fois. Hirsch vendait d’anciens fusils Gras aux harkas du Sud. Une vraie expйdition. Un jour, notre douar a йtй attaquй pour de bon. On s’est battu une nuit et un jour… non, une nuit entiиre, sans rien voir, c’йtait effrayant, et toute la matinйe du lendemain. C’est rare qu’ils attaquent de nuit. Ils nous ont tuй dix-sept porteurs et ils en ont blessй plus de trente. Je me couchais entre les caisses а chaque fusillade. Mais j’ai tout de mкme йcopй un peu.»

– «Йcopй?»

– «Oui», dit-elle en riant. «Un rien, une йraflure.» Elle dйsignait, sous les cфtes, au pli de la taille, une cicatrice soyeuse.

– «Pourquoi m’as-tu dit que tu avais fait une chute de voiture?» demanda Antoine, qui ne souriait pas.

– «Oh!» fit-elle avec un haussement d’йpaules, «c’йtait notre premier jour. Tu aurais cru que je voulais me rendre intйressante.»

Ils se turent.

«Elle est donc capable de me mentir?», se dit Antoine.

Les yeux de Rachel devinrent rкveurs, puis brillиrent а nouveau, mais d’une lueur haineuse qui s’йteignit trиs vite:

– «Il s’imaginait alors que je le suivrais partout et toujours. Il se trompait.»

Antoine йprouvait une satisfaction trouble, chaque fois qu’elle lanзait vers son passй ce regard de rancune. Il avait envie de lui dire: «Reste avec moi. Toujours.» Il mit sa joue contre la cicatrice et s’y attarda. Son oreille, professionnelle malgrй lui, suivait au fond de la poitrine sonore le moelleux va-et-vient vйsiculaire, et percevait, lointain mais net, le tic-tac gйnйreux du cњur. Ses narines palpitиrent. Dans la chaleur du lit, le corps entier de Rachel exhalait la mкme senteur que sa chevelure, mais plus discrиte et comme nuancйe: une odeur enivrante et fade, avec des pointes poivrйes; un relent de moiteur, qui faisait songer aux arфmes les plus disparates, au beurre fin, а la feuille de noyer, au bois blanc, aux pralines а la vanille; moins une odeur, а tout prendre, qu’un effluve, ou mкme qu’une saveur: car il en restait comme un goыt d’йpices sur les lиvres.

– «Ne me parle plus de tout cela», reprit-elle; «et passe-moi une cigarette… Non: les nouvelles, sur la petite table… C’est une amie qui me les fabrique: il y a un peu de thй vert mкlй au maryland; зa sent le feu de feuilles, le campement dehors, je ne sais quoi, l’automne et la chasse; tu sais, ce parfum de la poudre, quand on a tirй sous bois, et que la fumйe se dissipe mal dans le brouillard?»

Il s’йtendit de nouveau le long d’elle, dans les spirales du tabac. Ses mains caressaient le ventre de Rachel, lisse et d’une blancheur presque phosphorescente, а peine rosйe: un ventre spacieux, comme une vasque creusйe au tour. Elle avait conservй, de ses voyages sans doute, l’habitude des onguents orientaux, et cette chair de femme gardait la fraоcheur, la nettetй impubиre d’un corps d’enfant.

«Umbilicus sicut crater eburneus», murmura-t-il, citant de mйmoire et tant bien que mal un passage de ce Cantique des Cantiques qui l’avait si fort troublй vers sa seiziиme annйe. «Venter tuus sicut… euh… sicut cupa!»

– «Qu’est-ce que зa veut dire?» demanda-t-elle, se relevant а demi. «Attends, laisse-moi deviner. Culpa, je sais: mea culpa; зa veut dire faute, pйchй. Hein? Ton ventre est un pйchй?»

Il йclata de rire. Depuis qu’il vivait prиs d’elle, il ne refoulait plus sa gaietй.

– «Non: cupa… Ton ventre est pareil а une coupe», rectifia-t-il, en appuyant la tкte sur le flanc de Rachel. Et continuant ses citations approximatives: «Quam pulchrae sunt mammae tuae, soror mea! Qu’ils sont beaux tes seins, ф ma sњur! Sicut duo (je ne sais plus quoi) gemelli qui pascuntur in liliis! Comme deux petites chиvres broutant parmi les lis!»

Elle les soulevait tour а tour avec sollicitude et les considйrait avec un sourire attendri, comme une couple de petits animaux fidиles.

– «C’est trиs rare, les pointes roses, franchement roses, roses comme des boutons de pommier», affirma-t-elle avec le plus grand sйrieux. «Toi, un mйdecin, tu as dы remarquer зa?»

Il rйpondit:

– «Ma foi, c’est vrai. Un йpiderme sans granulation pigmentaire. Du blanc, du blanc, et puis des ombres roses.» Fermant les yeux, il se blottit le plus prиs possible d’elle. «Ah, tes йpaules…», reprit-il, d’une voix somnolente. «J’ai horreur des petites йpaules frileuses des trottins.»

– «Vrai?»

– «Ces rondeurs dodues… Ces beaux plis fermes… Cette chair de savon… J’aime зa. Ne bouge plus. Je suis bien.»

Et tout а coup un souvenir trиs pйnible le cingla. «Chair de savon…» C’йtait peu de jours aprиs l’accident de Dйdette, un soir qu’il avait voyagй avec Daniel en revenant de Maisons. Ils йtaient seuls dans leur compartiment, et Antoine, qui ne pouvait penser а autre chose qu’а Rachel, cйdant aussi au plaisir de pouvoir enfin conter une aventure а ce connaisseur, n’avait pu se retenir, durant le trajet, de faire а Daniel un rйcit de la tragique veillйe: l’opйration in extremis, l’attente anxieuse au chevet de la petite, puis son dйsir subit de la belle fille rousse endormie contre lui sur le divan; et il avait employй ces mкmes termes: «rondeurs dodues… chair de savon…» Mais il n’avait pas osй raconter la suite; et – lorsqu’il en йtait venu au moment oщ, descendant а l’aube l’escalier des Chasle, il avait aperзu, ouverte, la porte de Rachel – il avait ajoutй, moins par discrйtion que par un stupide souci de donner au jeune homme une preuve de sa volontй: «M’attendait-elle? Devais-je profiter des circonstances?… Ma foi, j’ai pris sur moi, j’ai fait semblant de ne pas voir, et j’ai passй. Qu’est-ce que vous auriez fait а ma place?» Alors Daniel, qui jusque-lа йcoutait en silence, l’avait dйvisagй, et lui avait assenй ceci: «J’aurais fait exactement comme vous – menteur!»

Antoine avait encore dans l’oreille le ton de la voix de Daniel, gouailleur, sceptique, blessant, mais oщ restait cependant juste assez de bonhomie pour qu’il fыt impossible de le prendre mal. Et ce souvenir, chaque fois, le piquait а vif. Menteur… C’йtait vrai que, parfois, il lui arrivait de mentir: ou, plus exactement, d’avoir menti.

«Rondeur dodue…», songeait de son cфtй Rachel.

– «Je vais peut-кtre devenir une grosse dame», dit-elle. «Les juives, tu sais… Mais ma mиre ne l’йtait pas, je ne suis qu’une demi-portion de yiddish. Ah! si tu m’avais connue il y a seize ans, quand je suis entrйe dans la classe prйparatoire! Une vraie petite souris rousse…»

Avant qu’il eыt pu la retenir, elle avait glissй hors du lit.

– «Qu’est-ce qui te prend?»

– «Une idйe.»

– «On prйvient.»

– «Mieux vaut pas», fit-elle, riant, et йchappant au bras tendu.

– «Loulou… Viens dormir!», murmura-t-il d’une voix flйchissante.

– «Fini dodo. On met les housses», dit-elle, en enfilant son peignoir.

Elle courut а son secrйtaire, l’ouvrit, prit un tiroir plein de photographies, et revint s’asseoir au bord du lit, le tiroir sur ses genoux joints.

– «J’adore зa, les vieilles photos. Souvent, le soir, je prends le tas, je me couche avec, et, pendant des heures, je remue зa, je pense… Reste tranquille… Tiens, regarde. Зa ne t’ennuie pas?»

Antoine, ramassй derriиre elle en chien de fusil, se redressa, intriguй, et s’accouda confortablement. Il voyait de profil le visage de Rachel penchй vers les photos, un visage assagi, oщ les cils, abaissйs sur la joue, bordaient d’un trait de gomme-gutte la boutonniиre mince de l’њil. La chevelure, relevйe en hвte, et qu’il apercevait а contre-jour, ressemblait а un casque fait d’йcheveaux de soie floche, presque orangйe; mais, dиs qu’elle agitait la tкte, sur le coin de la tempe et sur la nuque, des йtincelles semblaient crйpiter.

– «La voilа, celle que je cherchais. Tu vois, cette petite danseuse? C’est moi. J’ai mкme dы me faire attraper, ce jour-lа, pour avoir chiffonnй les volants de mon tutu, en les йcrasant comme зa contre le mur. Crois-tu? Ces cheveux sur les йpaules, ces coudes pointus, et ce corsage plat, а peine йchancrй. J’avais pas l’air gai, hein? Et lа, tiens, j’йtais dйjа en troisiиme annйe: les mollets devenaient meilleurs. Зa, c’est la classe. Tu nous vois а la barre? M’as-tu trouvйe, seulement? Oui, c’est зa. Et celle-ci, c’est Louise. Зa ne te dit rien? Eh bien, c’est la fameuse Phytie Bella, qui a fait ses classes avec moi, et qui, dans ce temps-lа, s’appelait Louise tout court. Mкme Louison. On se disputait les places. Moi aussi, je serais peut-кtre premiиre йtoile aujourd’hui, sans mes phlйbites… Tiens, veux-tu voir Hirsch? Ah, зa t’intйresse, зa? Le voilа. Comment le trouves-tu? Tu ne le croyais pas si вgй, je suis sыre? Mais il porte gaillardement sa cinquantaine, je te promets. L’horrible homme! Regarde son cou, cette nuque йnorme, engoncйe dans les йpaules: quand il tourne la tкte, tout le reste vient avec. А le voir, au premier abord, on dirait je ne sais quoi: un maquignon, un entraоneur. N’est-ce pas? Sa fille lui disait toujours: “Milord, tu as l’air d’un marchand d’esclaves.” Зa le faisait rire, lui; de son gros rire en dedans. Regarde tout de mкme son crвne, ce nez large et busquй, le pli de sa bouche. Il est laid, mais ce n’est pas n’importe qui. Et les yeux! Il aurait encore plus l’aspect d’une brute, s’il n’avait pas cette sorte d’yeux-lа: je ne sais comment dire. A-t-il l’air sыr de lui, prкt а tout, violent? Hein? Violent et sensuel? Ah! s’il aime la vie, celui-lа! J’ai beau le dйtester, on a envie de dire comme pour certains dogues, tu sais: “Il est beau de laideur.” Tu ne trouves pas, toi?… Tiens: papa! Papa au milieu de ses ouvriиres. Il йtait toujours comme зa, en manches de chemise, avec sa barbiche blanche, ses ciseaux pendus. Il vous faisait un costume avec trois chiffons et quatre йpingles. C’est pris dans son atelier, зa. Tu vois les mannequins drapйs, au fond, et les maquettes sur le mur? Il йtait devenu costumier de l’Opйra, il ne travaillait plus pour d’autres. Mais tu peux encore demander aux gens de l’Opйra ce qu’on pensait du pиre Gњpfert. Quand il a fallu enfermer ma mиre, qu’il est restй seul avec moi, il a espйrй que je travaillerais avec lui, pauvre vieux; qu’il pourrait me laisser sa boоte. Зa rapportait beaucoup d’argent. La preuve, c’est que je peux vivre, sans rien faire. Mais tu sais ce que c’est, une gosse qui voyait toujours l’atelier plein d’actrices! Je n’avais qu’une idйe: кtre danseuse. Il m’a laissйe faire. Il m’a remise lui-mкme entre les mains de la mиre Staub. Et, quand il a vu que зa marchait, il a йtй content. Il me parlait souvent de mon avenir. S’il me voyait aujourd’hui, le pauvre vieux, devenue n’importe qui! Ah, tu sais, j’ai pleurй quand il m’a fallu lвcher tout. Les femmes, en gйnйral, elles n’ont pas d’ambition, elles se laissent vivre. Mais nous, au thйвtre, on se cramponne pour arriver, on lutte, et on prend vite goыt а cette lutte; au moins autant qu’au succиs. Alors, зa paraоt affreux, quand il faut renoncer, vivre comme tout le monde, ne plus avoir d’avenir devant soi!… Tiens, зa, ce sont des photos de voyages. En vrac. Зa, c’est un dйjeuner que nous avons fait, je ne sais plus oщ, dans les Karpates. Hirsch йtait venu chasser. Tu vois, il avait laissй pousser de grandes moustaches tombantes, il avait l’air d’un sultan. Le prince l’appelait toujours Mahmoud. Tu vois le type basanй, debout, derriиre moi? C’est le prince Pierre, qui est devenu roi de Serbie. Il m’avait donnй ces deux lйvriers blancs, qui sont couchйs au premier plan: couchйs comme toi, tout а fait comme toi… Et celui-lа qui rit, tu ne trouves pas qu’il me ressemble? Regarde bien. Non? C’est pourtant mon frиre. Oui, c’est lui. Il йtait brun comme papa, tandis que moi je suis blonde comme ma mиre… – enfin blonde, blond ardent, quoi! Es-tu bкte! Rousse, lа, si tu veux. Mais, moralement, c’est moi qui tenais de papa, et c’est mon frиre qui avait des ressemblances avec ma mиre. Tiens: dans celle-lа, on le voit encore mieux… De ma mиre, je n’ai aucune photo, rien; papa a tout dйtruit. Il ne m’en parlait jamais. Et jamais il ne m’a emmenйe а Sainte-Anne. Pourtant, lui, il y allait deux fois par semaine, et зa, durant neuf annйes, sans manquer une fois. Les gardiennes me l’ont racontй depuis. Il s’asseyait devant ma mиre, et il restait avec elle une heure, quelquefois davantage. Pour rien, puisqu’elle ne le reconnaissait pas; ni lui ni personne. Mais il l’adorait. Il йtait beaucoup plus vieux qu’elle. Il ne s’est jamais remis de ces histoires. Je me rappelle trиs bien le soir oщ on est venu chercher papa а l’atelier parce que ma mиre avait йtй arrкtйe. Oui, au Louvre. Elle avait volй de la bonneterie а l’йtalage. Crois-tu, Mme Gњpfert, la costumiиre de l’Opйra! On a trouvй dans son manchon des chaussettes d’homme, un tricot d’enfant! On l’a relвchйe tout de suite, on a dit qu’elle йtait cleptomane. Tu connais bien зa, toi? C’йtait sa maladie qui commenзait… Eh bien, mon frиre tenait beaucoup d’elle. Il a eu des histoires terribles, des histoires de banque. Hirsch s’en est mкlй. Mais il serait devenu comme elle, un jour ou l’autre, sans son accident… Зa, non laisse… Laisse donc! Puisque je t’affirme que ce n’est pas moi! C’est… une petite filleule. Qui est morte… Regarde plutфt зa. C’est… c’est aux portes… de Tanger… Non, fais pas attention, mon Minou, c’est fini, tu vois, je ne pleure plus… La plaine de Boubana: le campement de la mehalla de Si Guebbas. Et зa, c’est moi, prиs du marabout de Sidi-Bel-Abbиs. Tu vois Marrakech dans le fond?… Tiens, зa, c’est а cфtй de Mis-soum-Missoum, ou bien de Dongo, je ne sais plus. Ce sont deux chefs Dzems. J’ai eu du mal а les prendre. Des anthropophages. Mais oui, зa existe encore… Ah, зa, c’est horrible. Tu ne vois rien? Mais si, lа, ce petit tas de pierres. Tu vois maintenant? Eh bien, il y a une femme lа-dessous. Lapidйe! C’est horrible. Figure-toi une brave femme que son mari a abandonnйe, sans raison, pendant trois ans. Il avait disparu. Elle l’a cru mort, elle s’est remariйe. Et, deux ans aprиs ce mariage, il est revenu. La bigamie, dans ces tribus-lа, c’est un crime inouп. Alors, on l’a lapidйe… Hirsch m’avait forcйe а venir de Mйched, exprиs pour voir зa; mais je me suis sauvйe au diable, а cinq cents mиtres. J’avais vu la femme traоnйe dans le village, le matin du supplice; зa m’avait dйjа rendue malade. Lui, il a tout regardй, il avait voulu кtre au premier rang… Йcoute: il paraоt qu’on avait creusй un trou, une fosse trиs profonde. Et puis, on a amenй la femme. Et elle s’y est couchйe, d’elle-mкme, sans dire un mot. Crois-tu? Elle ne disait rien, mais la foule hurlait: je les entendais crier la mort, j’йtais pourtant loin… C’est leur grand prкtre qui a commencй. Il a d’abord lu la sentence. Et puis, le premier, il a pris un йnorme moellon, et il l’a lancй de toutes ses forces dans le trou. Hirsch m’a dit qu’elle n’avait pas criй. Mais зa a dйchaоnй la foule. Il y avait de gros tas tout prйparйs, chacun puisait dedans et lanзait des blocs de pierre dans le trou. Hirsch m’a jurй que, lui, il n’en avait pas jetй. Quand la fosse a йtй comblйe (et mкme, tu vois, par-dessus bord), ils l’ont piйtinйe en poussant de grands cris, et puis tout le monde est parti. Alors Hirsch m’a forcйe а revenir pour prendre ce clichй, parce que c’est moi qui avais l’appareil. Il a bien fallu que je vienne… Tiens, rien que d’y penser, tu vois si le cњur me saute. Elle йtait lа-dessous… Morte – probablement… Ah! non, pas зa, pstt!!»


Дата добавления: 2015-11-26; просмотров: 203 | Нарушение авторских прав



mybiblioteka.su - 2015-2024 год. (0.032 сек.)