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Devoir 8 (p. 29-94), Ch. II-III. 4 страница

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– «De l’eau chaude», dit-il, ne pensant mкme pas а la remercier.

– «Bouillie?»

– «Non. Pour tiйdir le sйrum. Vite.»

Il eut а peine le temps de dйvelopper le paquet, que dйjа elle йtait revenue tenant une casserole fumante. Cette fois, sans la regarder, il murmura:

– «Bien. Trиs bien.»

Le temps pressait. En quelques secondes, il eut brisй les pointes de l’ampoule et assujetti le tube de caoutchouc. Au mur pendait un baromиtre suisse, en bois sculptй. Il l’enleva d’une main, et de l’autre accrocha l’ampoule au clou. Puis il saisit la casserole d’eau chaude, hйsita un dixiиme de seconde, et enroula le caoutchouc au fond. «Le sйrum se chauffera en passant. Merveilleux!» songea-t-il; et il prit le temps de jeter un coup d’њil vers le mйdecin pour s’assurer que l’autre l’avait vu faire. Enfin, il revint а l’enfant, souleva le petit bras inanimй, le badigeonna d’iode, dйcouvrit le vaisseau d’un coup de bistouri, glissa la sonde dessous et piqua l’aiguille dans la veine.

– «Зa passe», cria-t-il. «Prenez le pouls. Moi, je ne bouge plus.»

Dix interminables minutes s’йcoulиrent, dans un absolu silence.

Antoine, le corps couvert de sueur, la respiration courte, les paupiиres plissйes, attendait. Son regard ne quittait pas l’aiguille.

Il leva enfin les yeux vers l’ampoule:

– «Oщ en sommes-nous?»

– «Presque un demi-litre.»

– «Et le pouls?»

Le mйdecin secoua la tкte, sans rйpondre.

Cinq autres minutes passиrent dans la mкme intolйrable anxiйtй.

Antoine reporta les yeux sur l’ampoule:

– «Oщ en sommes-nous?»

– «Reste un tiers de litre.»

– «Et le pouls?»

Le mйdecin hйsita:

– «Je ne sais pas. Je crois qu’il aurait plutфt tendance а… а revenir un peu…»

– «Pouvez-vous compter?»

Une pause.

– «Non.»

«Si le pouls revenait…», pensa Antoine. Il eыt donnй dix ans de sa propre vie pour ranimer ce petit cadavre. «Quel вge зa a-t-il? Sept ans? Si je la sauve, avant dix ans d’ici elle fera de la tuberculose, dans ce taudis. Mais la sauverai-je? Elle est а la limite – а l’extrкme limite… Nom de nom, j’ai pourtant tout fait! Le sйrum passe. Mais il est trop tard… Attendons… Rien а faire, rien а essayer: attendre… La rousse a йtй trиs bien. Belle crйature. Зa n’est pas la mиre. Qu’est-ce que c’est, alors? Chasle n’a jamais soufflй mot de tous ces gens. Зa n’est pas sa fille, pourtant? Je n’y comprends rien. Et la vieille, avec ses airs… En tout cas, ils m’ont bien fichu la paix. Cette autoritй qu’on prend tout d’un coup. Ils ont tous compris а qui ils avaient affaire. L’ascendant d’un type йnergique!… Mais il aurait fallu rйussir… Vais-je rйussir? Non, elle a dы perdre trop de sang dans le transport. En tout cas, pour l’instant aucun indice de mieux. Ah, nom de nom!»

Il regarda les lиvres dйcolorйes, et les deux fils d’or, qui, par intervalles, se soulevaient toujours. La respiration lui parut mкme un peu plus nette. Se trompait-il? Une demi-minute passa. Un imperceptible soupir sembla gonfler la poitrine et s’en exhaler lentement, comme s’il йpuisait un reste de vie. Antoine resta une seconde perplexe, l’њil fixe. Non, elle respirait toujours. Il fallait attendre, attendre, encore attendre.

Une minute plus tard, un autre soupir, presque distinct.

– «Oщ en кtes-vous?»

– «L’ampoule est presque vide.»

– «Et le pouls? Il revient?»

– «Oui.»

Antoine respira.

– «Vous pouvez compter?»

Le mйdecin tira sa montre, rajusta son lorgnon, se tut pendant une minute, et dit:

– «Cent quarante… Cent cinquante peut-кtre.»

– «C’est mieux que rien», laissa йchapper Antoine.

Il se dйfendait de toutes ses forces, contre l’immense soulagement, qui dйjа, malgrй lui, l’envahissait. Pourtant, il ne rкvait pas, il y avait un mieux certain. Le souffle devenait plus rйgulier. Il dut faire effort pour ne pas changer de place; il avait une envie puйrile de siffler, de chanter. «C’est-mieux-que-rien-na-na-na-na», fredonna-t-il en lui-mкme, sur l’air qui l’obsйdait depuis le matin. «Dans mon cњur… Dans mon cњur dort… na-na-na-na… Dort quoi? – Ah, j’y suis!» songea-t-il brusquement: «Un clair de lune! Un clair de lune d’йtй!

Dans mon cњur dort un clair de lu-ne,

Un beau clair de lu-ne d’й-tй…»

Il eut une seconde de dйlivrance, de vйritable joie. «Et la petite est sauvйe», pensa-t-il. «Il faut qu’elle soit sauvйe!

Un beau clair de lu-ne d’й-tй…»

– «L’ampoule est vide», constata le docteur.

– «Parfait!»

А ce moment, l’enfant, qu’il ne quittait pas du regard, eut un frisson. Antoine se tourna quasi gaiement vers la jeune femme, qui, depuis un quart d’heure, adossйe au buffet, n’avait pas remuй un cil.

– «Eh bien, Madame», cria-t-il d’un ton bourru, «nous dormons? Et la bouillotte?» Il faillit sourire de sa stupйfaction. «Йvidemment, Madame, зa tombe sous le sens! Une boule, et bien chaude, pour rйchauffer les petons de cette enfant!»

Elle eut, au fond du regard, un bref йclair de joie, et disparut.

Alors Antoine, se penchant avec un redoublement de prйcaution, de tendresse, retira l’aiguille, et, du bout des doigts, mit une compresse sur la petite plaie. Puis il palpa le bras dont la main pendait, inerte encore.

– «Une autre ampoule d’huile camphrйe, mon cher, а tout hasard; et nous aurons йpuisй le grand jeu.» Il ajouta entre ses dents: «Je ne serais pas surpris que nous tenions le bon bout.» De nouveau, une force, une force allиgre, le soulevait.

La femme reparaissait dйjа, un cruchon entre les bras. Elle hйsitait; et, comme il ne disait rien, elle s’approcha des pieds de l’enfant.

– «Pas comme зa, Madame», reprit Antoine sur le mкme ton brusque et gai. «Vous allez la brыler! Donnez-moi зa. Dire qu’il faut que je vous apprenne а emmailloter une bouillotte!» Et, souriant cette fois, il prit une serviette roulйe qui traоnait, jeta le rond sur le haut du buffet, enveloppa le cruchon et le cala contre les pieds de la fillette. La rousse le regardait, surprise par le sourire juvйnile qui rajeunissait tout а coup ce visage.

– «Elle est… sauvйe?» hasarda-t-elle.

Il n’osa pas encore rйpondre oui.

– «Je vous dirai зa dans une heure», bougonna-t-il. Elle ne s’y mйprit point. Elle l’enveloppa d’un regard hardi, chargй d’admiration.

«Qu’est-ce que cette belle fille fait ici?» se demanda Antoine pour la troisiиme fois. Puis dйsignant la porte:

– «Et les autres?»

Elle sourit imperceptiblement:

– «Ils attendent.»

– «Rassurez-les un peu, dites-leur qu’ils se couchent. Qu’ils aillent dormir. Et vous aussi, Madame, il faut aller vous reposer.»

– «Oh, moi…», murmura-t-elle, en s’en allant.

– «Remettons la petite dans le lit», proposa Antoine au mйdecin. «Comme tout а l’heure. Soutenez la jambe. Enlevez le traversin; la tкte а plat. Maintenant, le moment est venu d’organiser un appareil… Donnez-moi cette serviette. Et la ficelle du paquet. Nous allons improviser un extenseur. Faites passer la corde entre les barreaux. Bien. C’est commode, ces lits de fer. Maintenant, un poids. N’importe! Ce pot. Non, voilа mieux: ce fer а repasser. Il y a tout ce qu’il faut ici. Mais oui, donnez. Lа! Demain, nous perfectionnerons. En attendant, зa va suffire а faire un peu d’extension… N’est-ce pas votre avis?»

Le mйdecin ne rйpondit pas. Il regardait Antoine, fixement, comme Marthe dut regarder le Sauveur lorsque Lazare se fut dressй hors du cercueil. Ses lиvres s’entrouvrirent. Il balbutia seulement:

– «Puis-je… ranger votre trousse?» Et, dans cette voix timide, rйsonnait un tel besoin de servir, de se dйvouer, qu’Antoine en йprouva l’enivrement des chefs. Ils йtaient seuls. Il alla vers le jeune homme et plongea son regard dans le sien.

– «Vous кtes un chic type, mon petit.»

L’autre en perdit le souffle. Antoine, plus intimidй encore que son jeune confrиre, ne lui laissa pas le temps de rйpondre.

– «Maintenant, rentrez chez vous, mon cher. Il est tard. Nous n’avons pas besoin d’кtre deux ici.» Il hйsita: «Je crois pouvoir dire qu’elle est sauvйe. Je crois. Cependant, а tout hasard, je passerai la nuit, lа, si vous permettez», continua Antoine, «car je n’oublie pas que c’est votre malade. Parfaitement. Je suis intervenu d’urgence parce que l’indication йtait formelle. N’est-ce pas? Mais, dиs demain, je laisse la petite entre vos mains. Et sans inquiйtude: ce sont de trиs bonnes mains.» Tout en parlant, il avait reconduit le mйdecin jusqu’а la porte. «Voulez-vous repasser vers midi?» ajouta-t-il. «Je reviendrai aprиs l’hфpital; nous conviendrons ensemble du traitement.»

– «Maоtre, je… je suis trop heureux d’avoir pu…»

C’йtait la premiиre fois qu’Antoine s’entendait saluer comme un «maоtre». Il huma tout entiиre cette bouffйe d’encens, et, spontanйment, il tendit au jeune homme ses deux mains. Il se ressaisit aussitфt:

– «Je ne suis pas un maоtre», dit-il d’une voix altйrйe. «Un йlиve, mon cher, un apprenti: un simple apprenti. Comme vous. Comme les autres. Comme tout le monde. On essaye, on tвtonne… On fait ce qu’on peut; et c’est dйjа bien.»

 

Antoine avait dйsirй, avec une sorte d’impatience, le dйpart du jeune mйdecin. Pour кtre seul? Cependant, lorsqu’il entendit le pas de la jeune femme qui revenait, son visage s’anima.

– «Vous n’allez donc pas vous coucher, vous?»

– «Non, docteur.»

Il n’insista pas.

La malade geignait; elle eut un hoquet et cracha.

– «Bien зa, Dйdette!» fit-il; «trиs bien!» Il prit le pouls. «Cent vingt. De mieux en mieux.» Il regarda la femme, sans sourire: «Cette fois, je crois vraiment que nous avons le dessus.»

Elle ne dit rien; il sentit qu’elle croyait en lui. Il ne savait comment entamer la conversation qu’il souhaitait.

– «Vous avez йtй bien courageuse», reprit-il. Et, comme toujours lorsqu’il йtait intimidй, il alla de l’avant: «Qu’est-ce que vous кtes, ici?»

– «Moi? Rien. Une voisine. Pas mкme une amie. C’est parce que j’habite l’appartement du cinquiиme.»

– «Mais alors, qui est la mиre de l’enfant? Je n’y comprends rien.»

– «Je crois que la mиre est morte. C’йtait une sњur d’Aline.»

– «Aline?»

– «La bonne.»

– «La vieille dont les doigts tremblaient?»

– «Oui.»

– «Alors, l’enfant n’est pas du tout parente des Chasle?»

– «Non. C’est une niиce qu’Aline йlиve ici; aux frais de M. Jules, bien entendu.»

Ils parlaient а mi-voix, lйgиrement penchйs l’un vers l’autre, et Antoine voyait de tout prиs les lиvres, les joues, cette chair йclatante, а laquelle la fatigue ajoutait une sorte de charme. Il se sentait а la fois dйprimй et fiйvreux, sans rйsistance contre ses instincts.

La fillette commenзait а s’agiter dans son sommeil. Ils s’approchиrent ensemble du lit. La petite entrouvrit et referma les yeux.

– «C’est peut-кtre la lumiиre qui la gкne», dit la jeune femme, en prenant la lampe pour la placer en retrait. Puis, elle revint au chevet de la malade afin d’essuyer le petit front oщ perlait la transpiration. Et, comme elle se penchait, Antoine, qui la suivait des yeux, eut un choc: en ombre chinoise, sous l’йtoffe du peignoir, il apercevait le corps de la jeune femme avec une prйcision aussi troublante que si elle se fыt tout а coup trouvйe nue devant lui. Il retenait son souffle; il regardait, avec une sensation de brыlure au fond des yeux, le sein, dans la demi-lumiиre, s’abaisser et se relever mollement, au rythme de l’haleine. Les mains d’Antoine, glacйes tout а coup, se crispиrent. Jamais il n’avait dйsirй aucune crйature avec cette soudaine frйnйsie.

– «Mademoiselle Rachel…», chuchota quelqu’un.

Elle se releva:

– «C’est Aline qui voudrait venir prиs de sa petite.»

Elle souriait et semblait intercйder pour la bonne. Il йtait dйpitй de la venue d’un tiers; mais il n’osa pas refuser.

– «Vous vous appelez Rachel?» balbutia-t-il. «Oui, oui: qu’elle entre.»

C’est а peine s’il vit la vieille s’agenouiller au bord du lit. Il s’approcha d’une des fenкtres ouvertes; ses tempes bourdonnaient; aucune fraоcheur n’entrait du dehors; au-dessus des toits, le clignement de quelques йclairs lointains blкmissait par instants le ciel. Il s’aperзut alors de sa fatigue; il йtait restй debout trois ou quatre heures de suite. Il chercha un siиge pour s’asseoir. Entre les croisйes, deux matelas d’enfant, posйs а mкme le carrelage, formaient une sorte de divan. Ce devait кtre la couchette habituelle de Dйdette, et la chambre devait кtre celle d’Aline. Il se laissa tomber sur ce grabat, appuya le dos au mur, et de nouveau, ce fut comme s’il se livrait sans dйfense а sa convoitise: apercevoir encore une fois, dans la transparence du peignoir, le ferme contour du sein, sa palpitation! Mais Rachel n’йtait plus placйe dans la lumiиre.

– «Est-ce que la petite n’a pas remuй la jambe?» murmura-t-il, sans se lever. Elle fit un pas vers le lit, et tout son corps ondula sous l’йtoffe.

– «Non.»

Les lиvres d’Antoine йtaient dessйchйes, et il sentait toujours cette brыlure au fond des yeux. Il ne savait comment faire avancer Rachel devant la lampe.

– «Est-elle toujours aussi pвle?»

– «Un peu moins.»

– «Mettez-lui la tкte bien droite, voulez-vous? А plat, et droite…»

Alors elle s’engagea dans la zone йclairйe, mais ne fit que passer entre le foyer lumineux et Antoine. Cette seconde suffit а dйchaоner de nouveau son dйsir. Il fut obligй de fermer les yeux, d’йcraser son dos contre la muraille; il restait lа, les dents serrйes, s’efforзant de garder les paupiиres closes sur sa secrиte vision. L’odeur des grandes villes pendant l’йtй – ce relent fait de fumйe, de crottin, de poussiиre d’asphalte – rendait l’air irrespirable. Les mouches frappaient l’abat-jour comme des balles et venaient harceler le visage moite d’Antoine. De temps а autre, le tonnerre continuait а gronder sur la banlieue.

Peu а peu, la chaleur, la fiиvre, l’excиs mкme de son trouble, triomphиrent de ses forces: il ne s’aperзut pas de la torpeur qui s’emparait de lui; ses muscles se dйtendirent, ses йpaules s’abandonnиrent contre le mur: il dormait.

Il fut tirй de son sommeil par une sollicitation particuliиre; et, sans sortir d’une demi-somnolence, il eut l’impression d’йprouver quelque chose d’agrйable. Il demeura un long moment dans cet йtat de confuse bйatitude, avant de discerner par quelle partie de son corps, par quel point de sa frontiиre, s’insinuait cette tiиde sensation de bien-кtre. Par sa jambe. Au mкme instant, il prit conscience que quelqu’un йtait venu s’asseoir prиs de lui; que cette chaleur contre sa cuisse йmanait d’un corps vivant; que ce corps, cette chaleur йtaient de Rachel; et que ce qu’il йprouvait йtait en rйalitй un plaisir sensuel, lequel s’amplifiait encore depuis qu’il en avait constatй la source. La jeune femme avait dы glisser contre lui en dormant. Il eut la prйsence d’esprit de ne faire aucun geste. Il s’йveilla tout а fait. Le contact des deux cuisses s’йtablissait, а travers les йtoffes, par une surface moins large que la main, oщ toute la sensibilitй d’Antoine se trouvait pour l’instant concentrйe. Il demeurait haletant, immobile, prodigieusement lucide, et puisant dans la confusion de leurs deux chaleurs une voluptй plus irritante que dans le plus prolongй des baisers.

Tout а coup, Rachel s’йveilla, raidit les bras, s’йcarta de lui sans hвte, et se redressa. Il fit mine de s’йveiller aussi, parce qu’elle remuait. Elle avoua, souriant:

– «J’ai un peu dormi.»

– «Moi aussi.»

– «Il fait jour», constata-t-elle, levant la main pour rajuster ses cheveux.

Antoine regarda sa montre: il allait кtre quatre heures.

L’enfant reposait, presque calme. Aline, les mains jointes, semblait prier. Antoine s’approcha et dйcouvrit le lit. «Pas une goutte de sang: зa va.» Tout en suivant des yeux les mouvements de Rachel, il prit le poignet de la fillette, et compta cent dix.

«Comme sa jambe йtait chaude», pensa-t-il.

Rachel se contemplait dans un fragment de miroir fixй au mur par trois clous et riait. Avec son casque de cheveux roux, son col dйgrafй, ses robustes bras nus, son regard libre, hardi, un rien moqueur, elle йvoquait une figure de l’йmeute rйpublicaine: la Marseillaise sur des barricades.

– «Me voilа jolie!» murmura-t-elle en faisant la moue. Elle savait bien que son teint et sa jeunesse gardaient leur fleur mкme а l’instant du rйveil. Elle le lut clairement aussi sur la physionomie d’Antoine, lorsqu’il s’avanзa jusqu’auprиs d’elle et vint la regarder dans le miroir. Elle remarqua que ce regard d’homme ne cherchait pas ses yeux, mais ses lиvres.

Cependant, Antoine s’aperзut lui-mкme dans la glace, les manches relevйes sur ses bras brыlйs d’iode, la chemise fripйe et tachйe de sang.

– «Et moi qu’on attendait pour dоner chez Packmell!» dit-il.

Un sourire curieux illumina le visage de Rachel:

– «Tiens? Vous allez quelquefois chez Packmell?»

Leurs yeux riaient. Antoine se sentit tout joyeux: il n’avait guиre d’autre expйrience que celle des femmes de vie lйgиre. Rachel lui parut soudain moins distante de son dйsir.

– «Je redescends chez moi», dit-elle. Et se tournant vers Aline, qui les examinait: «Si je peux кtre utile, n’hйsitez pas а m’appeler.»

Puis, sans dire au revoir а Antoine, elle croisa les revers de son peignoir, et s’esquiva lйgиrement.

 

Dиs qu’elle fut sortie, il eut envie de partir. «Respirer l’air frais», songea-t-il en jetant, par-dessus les toits, un regard vers le ciel matinal. «Et puis, rentrer chez moi, expliquer а Jacques… Je reviendrai aprиs кtre passй а l’hфpital. Lavй, prйsentable. Je pourrai peut-кtre la faire demander, pour aider au pansement? Ou bien, la prйvenir, en montant? Mais je ne sais mкme pas si elle habite seule…»

Pour le cas oщ la petite malade s’йveillerait avant son retour, il fit quelques recommandations а Aline. Puis, au moment de partir, un scrupule lui vint: qu’йtait devenu M. Chasle?

– «Sa chambre donne dans le vestibule, prиs du poкle», expliqua la bonne.

Prиs du poкle, en effet, une porte de placard ouvrait sur un boyau qui s’йvasait en triangle, et qu’йclairait, dans le fond, un jour de souffrance percй dans la cloison de l’escalier. C’йtait lа. Tout habillй, йtendu sur une couchette de fer, la bouche ouverte, M. Chasle ronflait doucement.

«L’imbйcile, il s’est bien fourrй du coton dans l’oreille!» remarqua Antoine.

Il rйsolut de patienter quelques minutes, dans l’espoir que le bonhomme ouvrirait les yeux. Le long des murs, des images de piйtй йtaient collйes sur des cartons de couleur. Des livres – de piйtй, eux aussi, – garnissaient une йtagиre dont la planchette supйrieure portait une mappemonde, entre deux alignements de flacons de parfumerie vides.

«Le cas Chasle…», se dit Antoine. «J’ai la manie des cas. Beaucoup plus simple: visage insignifiant, vie d’imbйcile. Quand je m’applique а voir, je dйforme, j’amplifie. Se mйfier. C’est comme la bonne de Toulouse… Tiens, pourquoi ce rapprochement? Parce que sa soupente s’aйrait aussi par l’escalier? Non, а cause de ce relent de savon de toilette… Curieux, les associations d’idйes…» Il dйcouvrit qu’il йvoquait avec un vif plaisir la vision de cette servante d’hфtel, que, tout jeune homme encore, au cours d’un voyage avec son pиre pour un congrиs, il йtait allй retrouver une nuit dans sa mansarde. Il eыt payй cher, en cette minute, le corps potelй de cette fille, tel qu’il l’avait possйdй entre les draps rugueux.

M. Chasle ronflait toujours. Antoine renonзa а attendre et regagna le couloir qui menait sur le palier.

А peine eut-il mis le pied sur les marches, il se souvint que Rachel habitait au-dessous; et, dиs qu’il fut au tournant, il chercha des yeux la porte: elle n’йtait pas fermйe! C’йtait bien certainement la sienne, il n’y en avait pas d’autre. Pourquoi ouverte?

Il n’eut pas le temps d’hйsiter: il descendait sans oser ralentir le pas, il arrivait а l’йtage.

Rachel йtait dans son antichambre, et se retourna, par hasard, en l’entendant marcher. Elle йtait fraоche, recoiffйe; elle avait changй son peignoir rose pour un kimono de soie blanche. Ses cheveux roux, au sommet de cette blancheur, faisaient penser а la flamme d’un cierge.

Il dit:

– «Au revoir, Mademoiselle.»

Elle vint а lui, dans l’embrasure:

– «Voulez-vous prendre quelque chose avant de vous en aller, docteur? Je viens justement de faire du chocolat.»

– «Non, je suis trop sale. Vraiment. Au revoir!»

Il lui tendit la main. Elle souriait а demi, et ne lui donna pas la sienne.

Il rйpйta:

– «Au revoir!» Et, comme elle continuait а sourire sans prendre la main qu’il lui offrait, il ajouta: «Vous ne voulez pas me donner la main?»

Il vit le sourire de la jeune femme se figer et son regard durcir. А son tour, elle tendit la main. Mais elle ne lui laissa pas le temps de la serrer: elle avait saisi Antoine avec force et l’avait attirй d’un geste brusque dans le vestibule, repoussant le battant derriиre lui. Ils se trouvиrent debout, l’un devant l’autre. Elle ne souriait plus, et cependant elle n’avait pas rapprochй les lиvres: il vit luire ses dents. L’odeur des cheveux l’enveloppait. Il pensa au sein nu, а la jambe brыlante. Il approcha durement son visage, et plongea son regard dans les yeux de Rachel, йlargis tout prиs des siens. Elle ne recula pas; а peine s’il sentit ployer la taille qu’il avait entourйe de son bras: et ce fut elle qui jeta sa bouche sous les lиvres d’Antoine. Puis elle se dйgagea avec effort, baissa la tкte, et, souriant de nouveau, murmura:

– «Des nuits comme зa, йnervent…»

Il apercevait, dans le fond, par les portes ouvertes, un lit sous des soies roses; et le soleil levant faisait de cette alcфve lointaine et si proche, un vaste calice de fleur, baignй d’aurore.

IV


Дата добавления: 2015-11-26; просмотров: 92 | Нарушение авторских прав



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