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La thйorie de la Relativitй Gйnйrale d’Einstein prйdit que l’espace-temps a commencй dans une singularitй de type Big Bang et qu’il finira soit dans un grand йcrasement, ou Big Crunch (si l’univers se recontractait), soit dans une singularitй а l’intйrieur d’un trou noir (si une rйgion locale, comme une йtoile, s’effondrait). Toute la matiиre tombйe а l’intйrieur du trou serait dйtruite а la singularitй et seul l’effet gravitationnel de sa masse continuerait а кtre ressenti а l’extйrieur. D’autre part, lorsque l’on prit en compte les effets quantiques, il sembla que la masse ou l’йnergie de la matiиre retournerait finalement au reste de l’univers, et que le trou noir, en mкme temps que la singularitй de son sein, s’йvaporerait et disparaоtrait а tout jamais. La mйcanique quantique pourrait-elle avoir un effet aussi dramatique sur les singularitйs en forme de Big Crunch ou de Big Bang? Que se passe-t-il vraiment au cours des tout premiers ou des ultimes stades de l’univers, quand les champs gravitationnels sont si forts que les effets quantiques ne peuvent кtre ignorйs? L’univers a-t-il en fait un commencement et une fin? Et si oui, а quoi ressemblent-ils?
Au cours des annйes soixante-dix, je me suis principalement consacrй а l’йtude des trous noirs, mais en 1981 mon intйrкt pour l’origine et le destin de l’univers fut rйveillй au cours d’une confйrence sur la cosmologie organisйe au Vatican par les jйsuites. L’Йglise catholique avait commis une grossiиre erreur avec Galilйe, lorsqu’elle avait essayй de lйgifйrer en matiиre scientifique, soutenant que le Soleil tournait autour de la Terre. Des siиcles plus tard, elle avait donc dйcidй d’inviter un certain nombre d’experts pour discuter de cosmologie. А la fin de cette confйrence, les participants se virent accorder une audience avec le pape qui estima que c’йtait une bonne chose d’йtudier l’йvolution de l’univers aprиs le Big Bang, mais que nous ne devrions pas nous occuper du Big Bang lui-mкme parce que c’йtait le moment de la Crйation et donc l’њuvre de Dieu. Je fus enchantй alors qu’il ne connыt pas le thиme du laпus que j’avais prononcй pendant les travaux de la confйrence – la possibilitй que l’espace-temps soit fini mais sans bord, ce qui signifiait qu’il n’avait nul commencement, nul moment de Crйation. Je n’avais pas envie de partager le destin de Galilйe, avec lequel je ressentais un fort sentiment d’identitй, en partie а cause de la coпncidence qui veut que je sois nй exactement trois cents ans aprиs sa mort!
Pour expliquer les idйes que je partage avec d’autres sur la faзon dont la mйcanique quantique peut affecter l’origine et le destin de l’univers, il est nйcessaire tout d’abord de comprendre l’histoire gйnйralement admise de l’univers, d’aprиs ce que l’on connaоt sous le nom de «modиle du Big Bang chaud». Ce dernier assure que l’univers est dйcrit par un modиle de Friedman, depuis le Big Bang. Dans un modиle de cette sorte, on s’aperзoit qu’au fur et а mesure que l’univers se dilate, matiиre et rayonnement se refroidissent. (Quand l’univers double de volume, sa tempйrature tombe de moitiй.) Puisque la tempйrature n’est qu’une mesure de l’йnergie moyenne – ou de la vitesse – des particules, ce refroidissement de l’univers devrait avoir un effet majeur sur la matiиre qui le constitue. А trиs hautes tempйratures, les particules se dйplacent si vite qu’elles devraient йchapper а toute attraction d’origine nuclйaire ou йlectromagnйtique; en se refroidissant, on s’attendrait а ce que les particules qui s’attirent commencent а se rassembler. De plus, mкme le type de particules existant dans l’univers devrait dйpendre de la tempйrature. А des tempйratures assez йlevйes, les particules ont tellement d’йnergie que chaque fois qu’elles se heurtent, il se crйe diffйrentes paires de particules/anti-particules – et bien que quelques-unes de ces particules doivent s’annihiler en heurtant leurs anti-particules, il devrait s’en crйer plus vite qu’il ne peut s’en annihiler. А des tempйratures moins йlevйes, cependant, lorsque les particules qui se heurtent possиdent moins d’йnergie, les paires particules/antiparticules devraient se crйer moins vite, et l’annihilation devenir plus rapide que la crйation.
Au moment mкme du Big Bang, l’univers est censй avoir eu une dimension nulle, et avoir йtй infiniment chaud. Mais au fur et а mesure qu’il s’est dilatй, la tempйrature du rayonnement a dйcru. Une seconde aprиs le Big Bang, celle-ci devait кtre tombйe а environ dix mille millions de degrйs. C’est environ mille fois la tempйrature qui rиgne au centre du Soleil, mais des tempйratures de cet ordre sont atteintes dans l’explosion des bombes H. А cette йpoque, l’univers devait contenir principalement des photons, des йlectrons et des neutrinos (particules extrкmement lйgиres qui ne sont sensibles qu’а l’interaction faible et а la gravitй) ainsi que leurs anti-particules, des protons et quelques neutrons. Comme l’univers continuait а se dilater et la tempйrature а chuter, le taux auquel les paires йlectrons/anti-йlectrons furent crййes par collision aurait dы tomber au-dessous du taux d’annihilation. Aussi la plupart des йlectrons et des anti-йlectrons auraient dы s’annihiler les uns les autres pour produire plus de photons en ne laissant subsister que quelques йlectrons. Les neutrinos et les anti-neutrinos, eux, ne sont pas annihilйs les uns les autres car ces particules n’interagissent qu’avec elles-mкmes et trиs rarement et trиs faiblement avec d’autres. Aussi, devraient-ils кtre encore lа aujourd’hui. Si nous pouvions les observer, cela constituerait un bon test pour la description d’un йtat primordial trиs chaud de l’univers. Malheureusement, de nos jours, leurs йnergies sont trop basses pour que nous puissions le faire directement. Cependant, si les neutrinos ne sont pas dйnuйs de masse, mais en ont une petite comme l’a suggйrй une expйrience russe non confirmйe en 1981, nous devrions кtre capables de les dйtecter indirectement: ils pourraient constituer un aspect de cette «masse cachйe», dont nous avons dйjа parlй, avec une attraction gravitationnelle suffisante pour arrкter l’expansion de l’univers et causer de nouveau son effondrement.
Environ cent secondes aprиs le Big Bang, la tempйrature a chutй а un milliard de degrйs, tempйrature intйrieure aux йtoiles les plus chaudes. А ce moment-lа, les protons et les neutrons n’auraient plus eu suffisamment d’йnergie pour йchapper а l’attraction de l’interaction nuclйaire forte et auraient commencй а se combiner entre eux pour produire les noyaux d’atomes de deutйrium (hydrogиne lourd), assemblant un proton et un neutron. Les noyaux de deutйrium se seraient ensuite combinйs avec encore plus de protons et de neutrons pour donner naissance а des noyaux d’hйlium – deux protons et deux neutrons – et а de petites quantitйs d’un couple d’йlйments plus lourds, le lithium et le bйryllium. On a calculй que, dans le modиle de Big Bang chaud, а peu prиs un quart des protons et des neutrons auraient dы кtre convertis en noyaux d’hйlium, en une petite quantitй d’hydrogиne lourd et en autres йlйments. Les neutrons restants auraient dйgйnйrй en protons, noyaux ordinaires des atomes d’hydrogиne.
La description d’un йtat primitif chaud de l’univers fut pour la premiиre fois avancйe par Georges Gamow dans un article cйlиbre datй de 1948 et cosignй avec son йtudiant, Ralph Alpher. Gamow, qui avait un certain sens de l’humour, avait persuadй Hans Bethe, qui s’occupait de nuclйaire, d’ajouter son nom а cet article pour que la liste des auteurs fыt: «Alpher, Bethe, Gamow», soit les trois premiиres lettres de l’alphabet grec, alpha, bкta, gamma: ce qui йtait particuliиrement bienvenu pour un article traitant du commencement de l’univers! Dans ce papier, ils prйdirent de faзon remarquable que le rayonnement (en forme de photons) issu des stades primitifs trиs chauds de l’univers pourrait encore кtre lа aujourd’hui mais а une tempйrature de quelques degrйs seulement au-dessus du zйro absolu (-273°C). C’est le rayonnement que Penzias et Wilson ont dйtectй en 1965. А l’йpoque oщ Alpher, Bethe et Gamow йcrivirent leur article, on ne savait pas grand-chose des rйactions nuclйaires des protons et des neutrons et les prйdictions relatives aux proportions des diffйrents йlйments dans l’univers primitif йtaient assez inexactes. Les calculs ont йtй repris а la lumiиre d’une meilleure comprйhension et aujourd’hui, ils s’accordent trиs bien avec ce que nous observons. Il est, de plus, trиs difficile d’expliquer autrement pourquoi il devrait y avoir tant d’hйlium dans l’univers. Nous sommes а peu prиs certains, donc, de disposer lа de la bonne description, du moins jusqu’а la premiиre seconde aprиs le Big Bang en remontant dans le temps.
Quelques heures aprиs, la production d’hйlium et d’autres йlйments a dы s’arrкter. Puis, pour les mille annйes qui suivirent, l’univers a continuй а se dilater sans que rien ne se produise. Finalement, dиs que la tempйrature eut chutй а quelques milliers de degrйs, et que les йlectrons et les noyaux n’eurent plus assez d’йnergie pour tenir tкte а l’attraction йlectromagnйtique entre eux-mкmes, ils ont commencй а se combiner pour former des atomes. L’univers tout entier a continuй а se dilater et а se refroidir, mais dans des rйgions lйgиrement plus denses que la moyenne, l’expansion a dы кtre ralentie par une attraction gravitationnelle plus forte. Cela aura finalement stoppй l’expansion en certains endroits qui auraient alors commencй а se recontracter. Pendant que ces rйgions s’effondraient, l’attraction gravitationnelle de la matiиre aux alentours a pu les mettre lйgиrement en rotation. Comme elles devenaient de plus en plus petites, elles se seraient mises а tourner plus vite -exactement comme des patineurs sur la glace tournent plus vite s’ils ramиnent les bras le long du corps. А une taille suffisamment rйduite, elles auraient tournй sur elles-mкmes suffisamment vite pour contrebalancer l’attraction de la gravitй; de cette faзon naquirent les galaxies en forme de disque et tournant sur elles-mкmes. D’autres rйgions, qui ne se mirent pas а tourner sur elles-mкmes, purent devenir ces objets de forme ovale que l’on appelle des galaxies elliptiques: ces rйgions auraient cessй de s’effondrer parce que les diffйrentes parties de ces galaxies se seraient mises en orbite stable autour de leur centre, sans avoir acquis de rotation d’ensemble.
Au fur et а mesure que le temps passait, le gaz d’hydrogиne et d’hйlium des galaxies a dы se fragmenter en nuages plus petits qui se sont effondrйs sous l’action de leur propre gravitй. Pendant qu’ils se contractaient et que les atomes qu’ils contenaient se heurtaient les uns aux autres, la tempйrature du gaz a dы croоtre, jusqu’а devenir suffisamment йlevйe pour que dйmarrent les rйactions nuclйaires. Celles-ci auraient converti l’hydrogиne en encore plus d’hйlium, et la chaleur йmise aurait augmentй la pression et empкchй les nuages de s’effondrer plus avant. Ils seraient restйs stables pendant longtemps, comme les йtoiles semblables а notre Soleil, brыlant leur hydrogиne en le convertissant en hйlium et rayonnant l’йnergie rйsultante sous forme de chaleur et de lumiиre. Des йtoiles plus massives auraient eu besoin d’кtre plus chaudes pour йquilibrer leur attraction gravitationnelle plus forte, enchaоnant donc leurs rйactions de fusion nuclйaire si vite qu’elles auraient brыlй leur hydrogиne en un laps de temps aussi court qu’une centaine de millions d’annйes. Alors, elles se seraient lйgиrement contractйes, et, se rйchauffant encore, elles auraient commencй а convertir leur hйlium en йlйments plus lourds, comme le carbone et l’oxygиne. Cela, cependant, n’aurait pas libйrй beaucoup d’йnergie, et une crise serait intervenue, que nous avons dйcrite dans le chapitre sur les trous noirs. Ce qui arrive ensuite n’est pas tout а fait clair, mais il semble probable que les rйgions centrales de ces йtoiles devraient s’effondrer dans un йtat trиs dense (une йtoile de neutrons, par exemple), ou en trou noir. Les rйgions extйrieures de l’йtoile peuvent parfois avoir йtй soufflйes lors d’une gigantesque explosion que l’on appelle supernova, qui peut surpasser en brillance toutes les autres йtoiles de la galaxie. Quelques-uns des йlйments plus lourds produits au cours des derniers temps de la vie de l’йtoile seraient rejetйs dans le gaz de la galaxie et constitueraient une partie du matйriau brut pour la gйnйration suivante d’йtoiles. Notre propre Soleil contient environ 2 % de ces йlйments plus lourds, parce que c’est une йtoile de seconde – ou de troisiиme – gйnйration, formйe il y a quelque cinq milliards d’annйes а partir d’un nuage de gaz en rotation contenant des dйbris de supernovae anciennes. La majoritй du gaz dans ce nuage forma le Soleil ou fut soufflйe, mais une petite quantitй d’йlйments plus lourds s’assemblиrent pour former les corps qui tournent aujourd’hui autour du Soleil, а savoir les planиtes comme notre Terre.
La Terre fut au dйpart trиs chaude et dйpourvue d’atmosphиre. Au cours du temps, elle s’est refroidie et a acquis une atmosphиre due aux йmissions gazeuses des roches. Nous n’aurions pu survivre dans cette atmosphиre primitive car elle ne contenait pas d’oxygиne mais bien toute une sйrie d’autres gaz mortels pour nous, comme l’hydrogиne sulfurй (le gaz qui donne aux њufs pourris leur odeur). Certes, d’autres formes primitives de vie pourraient s’йpanouir dans de telles conditions. On pense qu’elles se sont dйveloppйes dans les ocйans, rйsultant peut-кtre de combinaisons au hasard d’atomes en grandes structures appelйes macromolйcules, capables de rassembler d’autres atomes dans l’ocйan en structures similaires. Celles-ci se seraient alors reproduites elles-mкmes et multipliйes. Dans certains cas, il y aurait eu des erreurs de reproduction. La plupart de ces erreurs auraient abouti а une nouvelle macromolйcule incapable de se reproduire elle-mкme et qui, finalement, aurait йtй dйtruite. Cependant, quelques autres erreurs auraient produit de nouvelles macromolйcules, plus efficaces sur le plan de la reproduction. Elles auraient donc йtй avantagйes et auraient ainsi peu а peu remplacй les macromolйcules originales. De cette faзon, un processus d’йvolution dйbuta, qui conduisit au dйveloppement d’organismes de plus en plus complexes et autoreproducteurs. Les toutes premiиres forme de vie primitive consommaient diffйrents matйriaux, y compris l’hydrogиne sulfurй, et rejetaient de l’oxygиne. Cela modifia peu а peu l’atmosphиre jusqu’а sa composition actuelle et permit le dйveloppement de plus grandes formes de vie tels les poissons, les reptiles, les mammifиres et enfin, la race humaine.
Cette description de l’univers, trиs chaud au dйpart puis se refroidissant au fur et а mesure qu’il se dilate, est en accord avec toutes les preuves observationnelles dont nous disposons de nos jours. Nйanmoins, il reste un certain nombre de questions importantes encore sans rйponse:
1° Pourquoi l’univers primitif fut-il si chaud?
2° Pourquoi l’univers est-il si uniforme а grande йchelle? Pourquoi semble-t-il кtre identique en tous points de l’espace et dans toutes les directions? En particulier, pourquoi la tempйrature du rayonnement centimйtrique du fonds du ciel est-elle si constante quand nous regardons dans diffйrentes directions? C’est un peu comme si l’on posait а un certain nombre d’йtudiants une question d’examen. S’ils donnent tous exactement la mкme rйponse, vous pouvez кtre а peu prиs sыr qu’ils auront communiquй entre eux. Cependant, dans le modиle dйcrit ici, la lumiиre n’aurait pas eu assez de temps depuis le Big Bang pour aller d’une rйgion йloignйe а une autre, mкme si ces rйgions avaient йtй voisines dans l’univers primitif. Selon la thйorie de la Relativitй, si la lumiиre ne peut pas parvenir d’une rйgion dans une autre, aucune autre information ne le pourra. Aussi, n’y aurait-il aucune raison pour que des rйgions diffйrentes de l’univers primitif puissent en arriver а avoir la mкme tempйrature que les autres а moins que, pour une raison inexpliquйe, elles aient commencй leur existence avec la mкme tempйrature.
3° Pourquoi l’univers a-t-il dйmarrй avec un taux d’expansion aussi proche de la valeur critique qui sйpare les modиles annonзant sa recontraction de ceux qui le dilatent а jamais, de telle faзon que mкme maintenant, dix milliards d’annйes plus tard, il se dilate encore а un taux voisin de cette valeur critique? Si, une seconde aprиs le Big Bang, le taux d’expansion avait йtй plus petit ne serait-ce que d’un pour cent millions de milliards, l’univers se serait recontractй avant d’avoir atteint sa taille prйsente.
4° En dйpit du fait que l’univers est si uniforme et homogиne а grande йchelle, il contient quelques irrйgularitйs locales, comme les йtoiles et les galaxies. On pense qu’elles se sont constituйes а partir de petites diffйrences dans la densitй de l’univers primitif d’une rйgion а l’autre. Quelle est l’origine de ces fluctuations?
La thйorie de la Relativitй Gйnйrale, en elle-mкme, ne peut expliquer ces caractйristiques ou rйpondre а ces questions а cause de sa prйdiction: l’univers a commencй avec une densitй infinie а la singularitй du Big Bang. А la singularitй, la Relativitй Gйnйrale et toutes les autres lois physiques s’anйantiraient: on ne pourrait prйdire ce qu’il sortirait de la singularitй. Comme nous l’avons dйjа expliquй, cela signifie que l’on peut aussi bien retrancher le Big Bang et tous les йvйnements antйrieurs de la thйorie parce qu’ils n’ont aucun effet sur ce que l’on observe. L’espace-temps devrait avoir une frontiиre, un commencement, au Big Bang.
La science semble avoir dйcouvert un ensemble de lois, а l’intйrieur des limites apportйes par le principe d’incertitude, qui nous dit comment l’univers se dйveloppera dans le temps si nous connaissons son йtat а un moment quelconque. Ces lois peuvent avoir а l’origine йtй crййes par Dieu, mais il semble que ce dernier ait, depuis lors, laissй l’univers йvoluer d’aprиs elles et qu’il n’intervienne plus. Mais comment a-t-il choisi l’йtat initial ou la configuration de l’univers? Quelles sont les «conditions aux limites» au commencement du temps?
Une rйponse possible consiste а dire que Dieu a choisi la configuration initiale de l’univers pour des raisons que nous ne pouvons espйrer comprendre. Cela aurait certainement йtй dans les cordes d’un кtre tout-puissant, mais s’il l’a fait commencer de faзon aussi incomprйhensible, pourquoi a-t-il choisi de le laisser йvoluer selon des lois que nous pouvons comprendre? L’histoire des sciences tout entiиre n’est que la comprйhension progressive du fait que les йvйnements n’arrivent pas de maniиre arbitraire mais qu’ils reflиtent un certain ordre sous-jacent qui peut ou non avoir йtй inspirй du divin. Il serait seulement naturel de supposer que cet ordre dыt s’appliquer non seulement aux lois mais aussi aux conditions а la frontiиre de l’espace-temps qui spйcifient l’йtat initial de l’univers. Il peut y avoir un certain nombre de modиles d’univers avec diffйrentes conditions initiales qui obйissent tous aux lois. Il devrait y avoir quelque principe qui distingue un йtat initial, et donc un modиle, pour reprйsenter notre univers.
Une telle possibilitй est ce que l’on a appelй les conditions aux limites chaotiques. Elles posent implicitement ou bien que l’univers soit spatialement fini ou qu’il y a une infinitй d’univers. Dans ces conditions-lа, la probabilitй de trouver une rйgion particuliиre de l’espace dans n’importe quelle configuration donnйe juste aprиs le Big Bang est йgale, dans un certain sens, а celle de trouver cette mкme rйgion dans une tout autre configuration: l’йtat initial de l’univers est choisi parfaitement au hasard. Cela signifie que l’univers primitif a dы кtre probablement trиs chaotique et irrйgulier parce qu’il y a beaucoup plus de configurations chaotiques et dйsordonnйes pour l’univers qu’il n’y en a de lisses et d’ordonnйes. (Si la probabilitй est la mкme pour chaque configuration, il est vraisemblable que l’univers a commencй dans un йtat chaotique et dйsordonnй, tout simplement parce que ces йtats sont plus nombreux.) Il est difficile de voir comment des conditions de chaos initial peuvent avoir donnй naissance а un univers aussi lisse et aussi rйgulier а grande йchelle que le nфtre а l’heure actuelle. On s’attendrait йgalement а ce que les fluctuations de densitй dans un tel modиle amиnent la formation de beaucoup plus de trous noirs primordiaux que ce que la limite supйrieure йtablie par les observations du fonds du ciel en rayonnement gamma ne l’autorise.
Si l’univers est vraiment spatialement infini, ou s’il y a une infinitй d’univers, il devrait y avoir probablement de vastes rйgions quelque part qui ont commencй d’une maniиre lisse et uniforme. C’est un peu comme la cohorte bien connue de singes tapant sur leurs machines а йcrire – la plus grande part de ce qu’ils йcriront sera а mettre au rebut mais, trиs occasionnellement, par pur hasard, ils йcriront l’un des Sonnets de Shakespeare. De faзon similaire, dans le cas de l’univers, se pourrait-il que nous vivions dans une rйgion qui, par hasard, est lisse et uniforme? А premiиre vue, cela pourrait sembler trиs improbable parce que de telles rйgions lisses auraient dы кtre largement dйpassйes en nombre par les rйgions chaotiques et irrйguliиres. Cependant, supposons qu’il n’y ait de galaxies et d’йtoiles formйes que dans les rйgions uniformes et qu’il n’y ait que lа, йgalement, que l’on rencontre de bonnes conditions pour le dйveloppement d’organismes compliquйs s’autorйpliquant comme nous, capables de poser la question: Pourquoi l’univers est-il si lisse? C’est un exemple d’application de ce que l’on connaоt sous le nom de principe anthropique qui peut кtre rйsumй par la phrase: «C’est parce que nous existons que nous voyons l’univers tel qu’il est.»
Il y a deux versions de ce principe anthropique, une faible et une forte. Le principe anthropique faible pose que dans un univers qui est grand et infini dans l’espace et/ou dans le temps, les conditions nйcessaires au dйveloppement de la vie intelligente ne se rencontreront que dans certaines rйgions limitйes dans l’espace et dans le temps. Les кtres intelligents de ces rйgions devraient donc ne pas кtre йtonnйs d’observer que leur voisinage dans l’univers remplisse les conditions qui sont nйcessaires pour leur existence. Un peu comme une personne riche vivant dans un environnement riche sans jamais voir de pauvretй.
Un exemple de l’utilisation de ce principe anthropique faible est d’«expliquer» pourquoi le Big Bang est apparu il y a dix milliards d’annйes de cela (il a fallu tout ce temps aux кtres intelligents pour йvoluer). Comme nous l’avons dйjа expliquй, une gйnйration primitive d’йtoiles a d’abord dы se former. Ces йtoiles ont converti une partie de l’hydrogиne et de l’hйlium originaux en des йlйments tels que le carbone et l’oxygиne dont nous sommes faits. Les йtoiles ont alors explosй en supernovae et leurs dйbris ont formй d’autres йtoiles et des planиtes, dont celles de notre Systиme Solaire, qui a environ cinq milliards d’annйes d’existence. Les premiers deux milliards d’annйes d’existence de la Terre furent trop chauds pour que s’y dйveloppвt quoi que ce soit de complexe. Les trois milliards d’annйes suivants, ou а peu prиs, ont йtй employйs au lent processus d’йvolution biologique qui a conduit du plus simple des organismes aux кtres capables de remonter le temps jusqu’au Big Bang.
Peu de personnes devraient contester la validitй ou l’utilitй du principe anthropique faible. Certains, cependant, vont plus loin et proposent une version forte de ce principe: ou bien il existe beaucoup d’univers diffйrents ou bien il existe de nombreuses rйgions diffйrentes dans un seul univers, chacun avec sa propre configuration initiale et, peut-кtre, avec son propre ensemble de lois scientifiques. Dans la plupart de ces univers, les conditions ne seraient pas favorables au dйveloppement d’organismes complexes; ce n’est que dans quelques univers comme le nфtre que des кtres intelligents auraient pu se dйvelopper et poser la question: «Pourquoi l’univers est-il tel que nous le voyons?» La rйponse est simple: s’il avait йtй diffйrent, nous ne serions pas lа!
Les lois de la physique, nous le savons aujourd’hui, contiennent beaucoup de nombres fondamentaux, comme la charge йlectrique de l’йlectron et le rapport des masses du proton et de l’йlectron. Nous ne pouvons pas, en ce moment du moins, prйdire thйoriquement la valeur de ces nombres – nous devons les trouver а partir de l’observation. Il se peut qu’un jour nous dйcouvrions une thйorie complиtement unifiйe qui les prйdise tous, mais il est aussi possible que quelques-uns d’entre eux ou tous varient d’un univers а l’autre ou а l’intйrieur d’un seul univers. Le fait remarquable est que la valeur de ces nombres semble avoir йtй finement ajustйe pour rendre possible le dйveloppement de la vie. Par exemple, si la charge йlectrique de l’йlectron avait йtй lйgиrement diffйrente, les йtoiles auraient pu кtre incapables de consommer de l’hydrogиne et de l’hйlium ou elles n’auraient pas explosй. Bien sыr, il pourrait y avoir d’autres formes de vie intelligente – dont les йcrivains de science-fiction n’auraient mкme pas rкvй – qui ne requiиrent pas la lumiиre d’une йtoile comme le Soleil ou les йlйments chimiques plus lourds forgйs au sein des йtoiles et soufflйs dans l’espace quand elles explosent. Nйanmoins, il est йvident qu’il y a relativement peu de variations de valeurs pour ces nombres qui auraient permis le dйveloppement de toute forme de vie intelligente. La plupart de ces ensembles de valeurs auraient donnй naissance а des univers qui, bien qu’ils puissent кtre trиs beaux, n’auraient contenu personne pour admirer leur beautй. On peut prendre cela comme preuve d’une rйsolution divine de Crйation et du choix des lois physiques, ou comme support du principe anthropique fort.
On peut йlever un certain nombre d’objections а l’encontre du principe anthropique fort en tant qu’explication de l’йtat observй de l’univers. Tout d’abord, dans quel sens pourrait-on dire que tous ces univers diffйrents existent? S’ils sont rйellement sйparйs les uns des autres, qu’arrive-t-il si un autre univers ne peut avoir aucune consйquence observable dans le nфtre propre? Nous devrions donc utiliser le principe d’йconomie et le retrancher de la thйorie. Si, d’un autre cфtй, ce sont simplement des rйgions diffйrentes d’un seul univers, les lois de la physique devraient кtre les mкmes dans chacune de ces rйgions, parce que s’il n’en йtait pas ainsi on ne pourrait se dйplacer d’une rйgion а une autre. Dans ce cas, la seule diffйrence entre les rйgions devrait кtre leur configuration initiale et ainsi, le principe anthropique fort devrait s’en trouver rйduit а sa version faible.
La seconde objection au principe anthropique fort est qu’il va а contre-courant de toute l’histoire des sciences. Nous avons dйveloppй а partir des cosmologies gйocentriques de Ptolйmйe et de ses ancкtres, en passant par la cosmologie hйliocentrique de Copernic et de Galilйe, notre description moderne dans laquelle la Terre est une planиte de taille moyenne tournant autour d’une йtoile normale dans les rйgions extйrieures d’une galaxie-spirale ordinaire, qui n’est elle-mкme qu’une galaxie parmi les milliers de milliards d’autres dans l’univers observable. Maintenant, le principe anthropique fort poserait que l’ensemble de cette grande construction n’existerait que pour nous. C’est trиs difficile а croire. Notre Systиme Solaire est certainement une condition prйalablement nйcessaire а notre existence et l’on pourrait йtendre cela а l’ensemble de notre Galaxie pour tenir compte de la gйnйration primitive d’йtoiles qui ont crйй les йlйments plus lourds. Mais il ne semble pas nйcessaire pour toutes les autres galaxies, ni pour l’univers lui-mкme, d’кtre aussi uniformes ni aussi semblables dans toutes les directions sur une grande йchelle.
Le principe anthropique nous rendrait plus heureux, du moins dans sa version faible, si l’on pouvait montrer qu’un nombre significatif de configurations initiales diffйrentes pour l’univers auraient pu йvoluer de maniиre а produire un univers tel que celui que nous observons. Si c’йtait le cas, un univers qui s’est dйveloppй а partir d’une certaine sorte de conditions initiales alйatoires devrait contenir un certain nombre de rйgions lisses et uniformes convenant а l’йvolution d’une vie intelligente. Au contraire, si le stade initial de l’univers a йtй choisi avec le plus de soin possible pour en arriver а ce que nous voyons autour de nous, l’univers n’aurait que peu de chances de contenir quelque rйgion dans laquelle la vie pourrait apparaоtre. Dans le modиle de Big Bang chaud dйcrit auparavant, il n’y avait pas assez de temps dans l’univers primitif pour que la chaleur puisse s’йcouler d’une rйgion а une autre. Cela signifie que le stade initial de l’univers devrait avoir eu exactement la mкme tempйrature partout pour pouvoir rendre compte du fait que le rayonnement centimйtrique du fonds du ciel a la mкme tempйrature dans toutes les directions oщ nous regardons. Le taux d’expansion initial devrait йgalement avoir йtй choisi trиs prйcisйment pour que celui-ci soit encore assez prиs de la valeur critique nйcessaire pour йviter tout effondrement. Cela signifie que l’йtat initial de l’univers a dы rйellement кtre choisi avec beaucoup de prudence, si le modиle de Big Bang chaud est correct jusqu’au commencement des temps. Il serait trиs difficile d’expliquer que l’univers n’aurait dы commencer que de cette faзon, а moins que ce ne soit l’acte d’un Dieu dйsireux de crйer des кtres comme nous.
Dans l’effort pour trouver un modиle d’univers oщ plusieurs configurations initiales diffйrentes auraient йvoluй pour donner quelque chose comme notre univers actuel, un chercheur du Massachusetts Institute of Technology, Alan Guth, a suggйrй que l’univers primitif aurait pu traverser une pйriode d’expansion trиs rapide. Cette expansion est dite «inflationnaire», ce qui signifie que l’univers, а un moment donnй, s’est dilatй а un taux croissant au lieu du taux dйcroissant qu’il affiche aujourd’hui. Selon Guth, le rayon de l’univers a augmentй d’un millier de milliards de milliards de milliards de fois (un 1 avec 30 zйros derriиre) en une minuscule fraction de seconde.
Guth suggйra que l’univers avait йmergй du Big Bang dans un йtat trиs chaud mais plutфt chaotique. А ces hautes tempйratures, les particules dans l’univers se seraient mues trиs rapidement et auraient eu de hautes йnergies. Comme nous l’avons dйjа йvoquй, on devrait s’attendre а ce que, а des tempйratures si йlevйes, les interactions nuclйaires forte et faible et la force йlectromagnйtique s’unifient en une seule et unique force. Au fur et а mesure que l’univers se dilatait, il s’est refroidi, et l’йnergie des particules s’est abaissйe. Finalement, il y aurait eu ce que l’on appelle une transition de phase, et la symйtrie entre les forces aurait йtй brisйe: l’interaction forte serait devenue diffйrente de l’interaction faible et de la force йlectromagnйtique. Un exemple courant de transition de phase est la prise en glace de l’eau lorsque vous la refroidissez. L’eau liquide est symйtrique, la mкme en tous points et dans toutes les directions. Cependant, quand les cristaux de glace se forment, ils prennent des positions bien dйfinies et s’alignent dans une certaine direction. Cela brise la symйtrie de l’eau.
Si l’on agit avec prйcaution, on peut surrefroidir de l’eau, c’est-а-dire que l’on peut rйduire sa tempйrature au-dessous du point de glaciation (0°C) sans que la glace se forme[7]. Guth a suggйrй que l’univers aurait pu se conduire de faзon semblable: la tempйrature aurait pu chuter au-dessous de la valeur critique sans que la symйtrie entre les forces soit brisйe. Si c’est ce qui s’est passй, l’univers aurait dы alors кtre dans un йtat instable, avec plus d’йnergie que si la symйtrie avait йtй brisйe. Cette йnergie supplйmentaire spйciale pourrait кtre mise en йvidence par un effet anti-gravitationnel: elle aurait agit exactement comme la constante cosmologique qu’Einstein introduisit dans la Relativitй Gйnйrale quand il essayait de construire un modиle d’univers statique. Puisque l’univers se serait dйjа dilatй exactement comme dans le modиle de Big Bang chaud, l’effet rйpulsif de cette constante cosmologique l’aurait donc fait se dilater а un taux toujours croissant. Mкme dans les rйgions oщ il y avait plus de particules de matiиre que la moyenne, l’attraction gravitationnelle de la matiиre aurait йtй contrebalancйe et annulйe par la rйpulsion de la constante cosmologique effective. Donc, ces rйgions devraient aussi se dilater d’une maniиre accйlйrйe, inflationnaire. Du fait de leur dilatation et parce que les particules de matiиre s’йloignent de plus en plus les unes des autres, on resterait avec un univers en expansion qui ne contient guиre de particules et qui est encore surrefroidi. Toutes les irrйgularitйs dans l’univers auraient simplement йtй lissйes par l’expansion, comme les rides d’un ballon s’effacent lorsque vous soufflez dedans. Aussi, l’йtat actuel de l’univers, lisse et uniforme, pourrait avoir йvoluй а partir de diffйrents йtats initiaux non uniformes.
Dans un tel univers, dans lequel l’expansion a йtй accйlйrйe par une constante cosmologique plutфt que ralentie par l’attraction gravitationnelle de la matiиre, la lumiиre aurait eu assez de temps pour voyager d’une rйgion а une autre de l’univers primitif. Ce serait une solution au problиme йvoquй plus haut: comment diffйrentes rйgions de l’univers primitif peuvent-elles prйsenter les mкmes propriйtйs? De plus, le taux d’expansion de l’univers serait automatiquement devenu trиs proche du taux critique dйterminй par la densitй de l’йnergie de l’univers. Cela pourrait donc expliquer pourquoi le taux d’expansion est encore si proche de la valeur critique, sans avoir а affirmer que le taux initial d’expansion de l’univers a йtй choisi avec prйcaution.
L’idйe de l’inflation pourrait йgalement expliquer pourquoi il y a tant de matiиre dans l’univers. Il y a quelque chose comme cent millions de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards (un 1 suivi de 80 zйros) de particules dans la rйgion de l’univers que nous pouvons observer. D’oщ viennent-elles toutes? La mйcanique quantique rйpond que les particules peuvent кtre crййes а partir d’йnergie sous la forme de paires particules/anti-particules. Mais cela mкme soulиve la question de la provenance de l’йnergie. La rйponse est que l’йnergie totale de l’univers est exactement йgale а zйro. On a йtabli que la matiиre dans l’univers est faite d’йnergie positive. Cependant, toute la matiиre s’attire elle-mкme par gravitй. Deux morceaux de matiиre qui sont proches l’un de l’autre ont moins d’йnergie que les mкmes morceaux largement sйparйs, parce que vous devez dйpenser de l’йnergie pour les sйparer contre la force gravitationnelle qui tend а les rapprocher. Donc, en un sens, le champ gravitationnel a une йnergie nйgative. Dans le cas de l’univers, а peu prиs uniforme dans l’espace, on peut montrer que cette йnergie gravitationnelle nйgative annule exactement l’йnergie positive reprйsentйe par la matiиre. Aussi l’йnergie totale de l’univers est-elle йgale а zйro.
Deux fois zйro feront toujours zйro. Aussi, l’univers peut-il doubler la quantitй d’йnergie de matiиre positive et doubler йgalement l’йnergie nйgative de gravitation sans violer la conservation de l’йnergie. Cela n’arrive pas dans l’expansion normale de l’univers au cours de laquelle la densitй d’йnergie de matiиre diminue au fur et а mesure que l’univers devient plus grand. Mais cela arrive dans une expansion inflationnaire parce que la densitй d’йnergie du stade surrefroidi reste constante alors que l’univers se dilate: quand l’univers double de taille, l’йnergie de matiиre positive et l’йnergie gravitationnelle nйgative doublent toutes deux, aussi l’йnergie totale reste-t-elle nulle. Durant la phase inflationnaire, l’univers accroоt considйrablement sa taille. Aussi, la quantitй totale d’йnergie disponible pour donner naissance а des particules est-elle trиs grande. Comme Guth le fit remarquer, on dit qu’il n’y a «rien de tel qu’un dйjeuner gratuit. Mais l’univers est l’ultime dйjeuner gratuit».
L’univers ne se dilate pas de faзon inflationnaire aujourd’hui. Aussi dut-il y avoir un mйcanisme qui a йliminй la trиs grande constante cosmologique effective et modifiй le taux d’expansion, d’accйlйrй qu’il йtait en ce taux ralenti par la gravitй que nous connaissons aujourd’hui. Dans l’expansion inflationnaire, on pourrait s’attendre а ce que finalement, la symйtrie entre les forces soit brisйe, exactement comme de l’eau en surfusion finit toujours par geler. L’йnergie supplйmentaire de l’йtat de symйtrie non rompue serait alors libйrйe et pourrait rйchauffer l’univers jusqu’а une tempйrature а peine infйrieure а la tempйrature critique de la symйtrie entre les forces. L’univers se mettrait alors а se dilater et а se refroidir exactement comme le modиle de Big Bang chaud, mais on aurait maintenant l’explication pour une expansion de l’univers exactement au taux critique et pour les diffйrentes rйgions а mкme tempйrature.
Dans la proposition originale de Guth, la phase de transition йtait supposйe arriver soudainement, а peu prиs comme l’apparition de cristaux de glace dans de l’eau trиs froide. L’idйe йtait que les «bulles» de la nouvelle phase de symйtrie brisйe auraient йtй formйes dans l’ancienne phase, comme des bulles de vapeur au sein d’eau bouillante. Les bulles sont supposйes se dilater et se rйunir les unes aux autres jusqu’а ce que tout l’univers soit dans la nouvelle phase. L’ennui, que plusieurs personnes et moi-mкme avons remarquй, c’est que l’univers se dilatait si vite que, mкme si les bulles croissaient а la vitesse de la lumiиre, elles devraient se sйparer les unes des autres et ne pourraient pas se rejoindre. L’univers se retrouverait dans un йtat parfaitement non uniforme, avec quelques rйgions ayant encore une symйtrie entre diffйrentes forces. Un tel modиle d’univers ne correspondrait pas а ce que nous voyons.
En octobre 1981, je fis а Moscou une confйrence sur la gravitй quantique. Aprиs cela, je donnai au Sternberg Astronomical Institute un sйminaire sur le modиle inflationnaire et ses problиmes. J’avais d’abord demandй а quelqu’un d’autre de parler en mon nom parce qu’on ne comprend pas toujours ma voix. Mais le temps manqua pour tout prйparer. J’ai donc parlй moi-mкme, un de mes йtudiants diplфmйs rйpйtant mes paroles. Зa a bien marchй et cela m’a permis d’avoir plus de contacts avec l’assistance oщ se trouvait un jeune Soviйtique, Andreп Linde, de l’institut Lebedev de Moscou. Il fit remarquer que la difficultй des bulles qui ne se rejoignaient pas pouvait кtre gommйe, pourvu que celles-ci soient si grandes que notre rйgion d’univers soit tout entiиre contenue dans l’une d’elles. Pour que cela marche, le changement de la symйtrie en symйtrie brisйe aurait pu intervenir trиs lentement а l’intйrieur de la bulle; c’йtait tout а fait possible en tenant compte des thйories de grande unification. L’idйe de Linde d’une brisure lente de symйtrie йtait excellente, mais je rйalisai plus tard que les bulles auraient dы кtre bien plus grandes que l’univers entier а chaque fois! Je dйmontrai а la place que la symйtrie aurait dы кtre brisйe partout au mкme instant, au lieu de l’кtre simplement а l’intйrieur des bulles. Cela aurait conduit а un univers uniforme, comme nous l’observons. J’йtais trиs excitй par cette idйe et j’en discutai avec l’un de mes йtudiants, Ian Moss. En tant qu’ami de Linde, je fus assez embarrassй, cependant, lorsqu’un journal scientifique m’envoya son article et me demanda s’il convenait de le publier. Je rйpondis en relevant l’inconvйnient des bulles qui auraient dы кtre plus grandes que l’univers, mais en ajoutant que l’idйe de base d’une brisure lente de symйtrie йtait trиs bonne. Je recommandai la publication de l’article tel qu’il йtait parce que cela aurait demandй а Linde plusieurs mois pour le corriger, puisque tout ce qu’il envoyait а l’Ouest devait franchir la censure soviйtique qui n’йtait jamais ni trиs adroite ni trиs rapide pour les articles scientifiques. А la place, je publiai un court article avec Ian Moss dans le mкme journal dans lequel nous mоmes en йvidence ce problиme des bulles et oщ nous montrions comment le rйsoudre.
Le lendemain de mon retour de Moscou, je partis pour Philadelphie, oщ je devais recevoir une mйdaille du Franklin Institute. Ma secrйtaire, Judy Fella, avait mis en њuvre son charme non nйgligeable pour persuader la British Airways de nous offrir des places en Concorde а titre de publicitй. Cependant, sur la route de l’aйroport, une pluie battante me fit manquer l’avion. Ayant rйussi malgrй tout а rejoindre Philadelphie, je reзus ma mйdaille. On me demanda alors de faire а l’universitй Drexel un sйminaire sur l’univers inflationnaire. Je prononзai donc а nouveau mon laпus moscovite.
Une idйe tout а fait semblable а celle de Linde fut avancйe quelques mois plus tard de faзon indйpendante par Paul Steinhardt et Andrйas Albrecht de l’universitй de Pennsylvanie. Ils sont aujourd’hui crйditйs en mкme temps que Linde de ce que l’on appelle le «nouveau modиle inflationnaire», basй sur l’idйe d’une brisure lente de symйtrie. (Le vieux modиle inflationnaire йtait la suggestion originale de Guth d’une symйtrie rapidement brisйe avec formation de bulles.)
Le nouveau modиle inflationnaire constituait une bonne tentative pour expliquer pourquoi l’univers йtait tel qu’il est. Cependant, plusieurs personnes dont moi-mкme montrиrent que, du moins dans sa forme originale, il prйdisait une variation beaucoup plus grande de tempйrature du rayonnement centimйtrique du fonds du ciel que l’on ne l’observe en fait. Un travail ultйrieur jeta aussi un doute sur l’йventuelle phase de transition qu’il requйrait dans l’univers trиs primitif. А mon avis, le nouveau modиle inflationnaire n’existe plus en tant que thйorie scientifique, bien que beaucoup ne semblent pas avoir entendu parler de sa destitution et йcrivent des articles dessus comme s’il йtait encore а l’honneur. Meilleur que son prйdйcesseur, le modиle chaotique inflationnaire fut avancй par Linde en 1983. Ni phase de transition ni surfusion; а la place, un champ de spin 0 qui, а cause des fluctuations quantiques, pourrait prendre de grandes valeurs dans quelques rйgions de l’univers primitif. L’йnergie du champ de ces rйgions se comporterait comme la constante cosmologique. Elle aurait un effet gravitationnel rйpulsif et leur permettrait de se dilater de faзon inflationnaire. Au fur et а mesure de leur expansion, l’йnergie de leur champ dйcroоtrait lentement jusqu’а ce que l’expansion inflationnaire se modifie en une expansion semblable а celle du modиle de Big Bang chaud. L’une de ces rйgions aurait pu devenir ce que nous voyons aujourd’hui, notre univers observable. Ce modиle prйsente tous les avantages des modиles а inflation prйcйdents, mais ne dйpend pas d’une йventuelle phase de transition et accorde aux fluctuations dans la tempйrature du rayonnement centimйtrique du fonds du ciel une grandeur raisonnable, qui correspond а l’observation.
Ce travail sur les modиles inflationnaires a montrй que l’йtat prйsent de l’univers a pu naоtre а partir d’un grand nombre de configurations initiales diffйrentes. C’est important, parce que cela montre que l’йtat initial de la partie de l’univers dans laquelle nous habitons n’a pas eu besoin d’avoir йtй choisie avec soin. Aussi pouvons-nous, si nous le dйsirons, utiliser le principe anthropique faible pour expliquer pourquoi l’univers ressemble а ce qu’il est aujourd’hui. Il ne peut кtre question, cependant, que toute configuration initiale ait pu mener а un univers tel que celui que nous observons. On peut le montrer en examinant un йtat trиs diffйrent pour l’univers а l’heure actuelle, disons, un univers plein de grumeaux et trиs irrйgulier. On pourrait utiliser les lois de la physique pour faire remonter cet univers dans le temps et dйterminer sa configuration aux йpoques primitives. Selon les thйorиmes de singularitй de la Relativitй Gйnйrale classique, il devrait йgalement comporter une singularitй de type Big Bang. Si vous faites йvoluer un tel univers suffisamment longtemps dans le temps selon les lois que nous connaissons, vous obtiendrez un йtat grumeleux et irrйgulier identique а celui dont vous кtes parti. Aussi doit-il y avoir eu des configurations initiales qui n’auraient pas donnй naissance а un univers tel que nous le connaissons aujourd’hui. Mкme le modиle inflationnaire ne nous dit pas comment la configuration initiale n’a pas йtй de nature а produire quelque chose de tout а fait diffйrent de ce que nous observons. Devons-nous retourner au principe anthropique en guise d’explication? Tout cela n’est-il qu’un hasard heureux? Cela ressemblerait а une constatation dйsespйrйe, la nйgation de tous nos espoirs de comprendre l’ordre sous-jacent de l’univers.
Pour prйdire comment l’univers aurait pu commencer, on a besoin de lois qui tiennent le coup au commencement du temps. Si la classique thйorie de la Relativitй Gйnйrale est juste, les thйorиmes de singularitй que Roger Penrose et moi-mкme avons mis en йvidence montrent que le commencement du temps aurait йtй un point de densitй infinie et d’infinie courbure de l’espace-temps. Toutes les lois de la physique que nous connaissons ne sont plus valables en un tel point. On pourrait inventer de nouvelles lois valables aux singularitйs, mais il serait trиs difficile tout de mкme de les formuler en de tels points au comportement aberrant, et nous n’aurions aucun guide fourni par les observations pour nous montrer а quoi elles pourraient bien ressembler. Cependant, ce que les thйorиmes de singularitй indiquent en rйalitй, c’est que le champ gravitationnel devient si intense que les effets gravitationnels quantiques deviennent importants: la thйorie classique n’est donc plus une bonne description de l’univers. Aussi doit-on utiliser la thйorie quantique de la gravitation pour discuter des йtats trиs primitifs de l’univers. Comme nous le verrons, dans la thйorie quantique, il est possible aux lois de la physique d’кtre valables partout, y compris au commencement du temps: il n’est pas nйcessaire de postuler de nouvelles lois pour les singularitйs, parce qu’on n’a nul besoin de singularitй en thйorie quantique.
Nous n’avons pas encore de thйorie complиte et consйquente qui combine la mйcanique quantique et la gravitation. Cependant, nous sommes pratiquement certains de connaоtre quelques-unes des caractйristiques qu’une telle thйorie unifiйe devrait prйsenter. L’une d’elles dit qu’elle devrait englober la proposition de Feynmann de formuler la thйorie quantique en termes d’intйgrale de chemins. Dans cette approche, une particule n’a pas une seule trajectoire, comme ce serait le cas dans une thйorie classique. Au contraire, on suppose qu’elle suit toutes les trajectoires possibles de l’espace-temps; а chacun de ces chemins est associй un couple de nombres, l’un dйsignant la grandeur de l’onde et l’autre, sa situation dans le cycle (sa phase). La probabilitй qu’une particule passe, disons, par des points particuliers s’obtient en additionnant les ondes associйes avec toutes les trajectoires possibles qui passent par eux. Or, lorsqu’on essaie de faire ces intйgrales, on va au-devant de sйrieux problиmes techniques. Le mode d’emploi est le suivant: additionner les ondes des trajectoires des particules qui ne sont pas dans le temps «rйel», que vous et moi expйrimentons, mais qui prennent place dans ce que nous appelons un temps «imaginaire». Le temps imaginaire peut sembler appartenir а la fiction mais c’est un concept mathйmatique bien dйfini. Si nous prenons n’importe quel nombre ordinaire (ou «rйel») et que nous le multipliions par lui-mкme, le rйsultat sera un nombre positif. (Par exemple, 2x2 = 4, mais c’est la mкme chose pour -2 x -2.) Il y a cependant des nombres spйciaux (appelйs imaginaires) qui donnent des nombres nйgatifs lorsqu’on les multiplie par eux-mкmes. (Celui que l’on dйsigne par i donne -1 lorsqu’on le multiplie par lui-mкme, 2i multipliй par lui-mкme donnera -4, etc.) Pour йviter les difficultйs techniques dans le cas de l’intйgrale des chemins de Feynmann, on doit faire appel au temps imaginaire. Ce qui revient а dire que, pour les besoins du calcul, il faudra mesurer le temps а l’aide de nombres imaginaires plutфt qu’а l’aide de nombres rйels. Intйressante consйquence sur l’espace-temps: la distinction entre le temps et l’espace disparaоt complиtement. Un espace-temps dans lequel les йvйnements ont des valeurs imaginaires pour leur coordonnйe temporelle est dit euclidien, d’aprиs Euclide, Grec de l’antiquitй qui dйcouvrit l’йtude de la gйomйtrie des surfaces а deux dimensions. Ce que nous appelons maintenant espace-temps euclidien en est trиs voisin, sinon que nous utilisons quatre dimensions au lieu de deux. Dans l’espace-temps euclidien, il n’y a pas de diffйrence entre la dimension du temps et une dimension de l’espace. Contrairement а l’espace-temps rйel, dans lequel les йvйnements sont cataloguйs par des valeurs ordinaires, rйelles, de la coordonnйe temporelle, il est aisй de faire la diffйrence: la direction du temps en tous points se trouve а l’intйrieur du cфne de lumiиre, et la direction spatiale а l’extйrieur. Dans tous les cas, tant que la mйcanique quantique est concernйe, nous pouvons envisager notre utilisation du temps imaginaire et de l’espace-temps euclidien comme un simple mйcanisme mathйmatique (une astuce) pour calculer des rйponses а propos de l’espace-temps rйel.
Seconde caractйristique dont nous pensons qu’elle doit faire partie de la thйorie cherchйe: l’idйe d’Einstein, relative а la reprйsentation du champ gravitationnel par un espace-temps courbe; les particules essaient de suivre ce qui ressemble le plus а une trajectoire droite dans un espace courbe, mais parce que l’espace-temps n’est pas plat, leurs trajectoires apparaissent incurvйes comme par un champ gravitationnel. Quand nous appliquons l’intйgrale de chemins de Feynmann au point de vue d’Einstein sur la gravitation, l’analogue de la trajectoire de la particule est maintenant un espace-temps courbe complet que reprйsente la trajectoire de l’univers tout entier. Pour йviter les difficultйs techniques en cours d’intйgration, ces espaces-temps courbes doivent кtre choisis euclidiens, avec un temps imaginaire et non distinct des directions dans l’espace. Pour calculer la probabilitй de trouver un espace-temps rйel prйsentant la propriйtй de paraоtre le mкme en tous points et dans toutes les directions, on additionne les ondes associйes а toutes les trajectoires qui ont cette propriйtй.
Dans la thйorie classique de la Relativitй Gйnйrale, il y a plusieurs espaces-temps courbes diffйrents possibles, chacun d’eux correspondant а un йtat initial diffйrent de l’univers. Si nous connaissions l’йtat initial de notre univers, nous connaоtrions toute son histoire. De mкme, en thйorie quantique de la gravitй, il y a diffйrents йtats quantiques possibles pour l’univers. Encore une fois, si nous savions comment les espaces-temps courbes euclidiens dans l’intйgrale de chemins s’йtaient comportйs aux temps primitifs, nous connaоtrions l’йtat quantique de l’univers.
Dans la thйorie classique de la gravitation, fondйe sur l’espace-temps rйel, l’univers n’a que deux maniиres de se comporter: ou bien il existe depuis un temps infini, ou bien il a un commencement avec une singularitй а un moment donnй dans le passй. Dans la thйorie quantique de la gravitй, au contraire, il existe une troisiиme possibilitй. Parce que l’on utilise les espaces-temps euclidiens, dans lesquels la direction du temps est du mкme type que les directions d’espace, il est possible pour l’espace-temps d’кtre fini en expansion et cependant de n’avoir aucune singularitй qui forme frontiиre ou bord. L’espace-temps serait comme la surface de la Terre, avec deux dimensions au plus. La surface de la Terre est finie en expansion mais elle n’a pas de frontiиre ou de bord. Si vous filez vers le soleil couchant, vous ne tomberez pas du bord ou vous ne vous ruerez pas dans une singularitй (je le sais, j’ai fait le tour de la Terre!).
Si un espace-temps euclidien s’йtend а rebours sur un temps imaginaire infini ou commence а une singularitй dans un temps imaginaire, le mкme problиme qu’avec la thйorie classique se pose pour spйcifier l’йtat initial de l’univers: Dieu doit savoir comment l’univers a commencй mais nous ne pouvons fournir aucune raison particuliиre de penser qu’il a commencй de telle maniиre plutфt que de telle autre. D’un autre cфtй, la thйorie quantique de la gravitation a ouvert une autre voie, oщ l’espace-temps serait dйnuй de frontiиres; il ne serait donc pas nйcessaire de spйcifier son comportement а cette limite. Pas de singularitйs oщ les lois de la physique deviendraient caduques, pas de bord а l’espace-temps oщ faire appel а Dieu ou а de nouvelles lois. On pourrait dire: «La condition aux limites de l’univers est qu’il n’a pas de limites.» L’univers se contiendrait entiиrement lui-mкme et ne serait affectй par rien d’extйrieur а lui. Il ne pourrait кtre ni crйй ni dйtruit. Il ne pourrait qu’КTRE.
C’est а la confйrence du Vatican que j’ai dйjа йvoquйe que j’avanзai pour la premiиre fois la suggestion que peut-кtre l’espace et le temps formaient ensemble une surface finie en grandeur mais sans frontiиres ni bord. Mon article йtait assez mathйmatique, aussi son implication dans le rфle divin de la crйation de l’univers ne fut-elle gйnйralement pas reconnue а ce moment (heureusement pour moi). А cette confйrence, je ne savais comment utiliser l’idйe «pas de bord» pour йtablir des prйdictions quant а l’univers. Cependant, je passai l’йtй suivant а l’universitй de Californie, а Santa Barbara. Lа, un ami et collиgue, Jim Hartle, travailla avec moi sur les conditions auxquelles l’univers devrait satisfaire pour que l’espace-temps ne soit pas bornй. De retour а Cambridge, je continuai avec deux de mes йtudiants chercheurs, Julian Luttrel et Jonathan Halliwell.
J’aimerais insister sur le fait que cette idйe que l’espace et le temps devraient кtre finis sans bord n’est qu’une proposition: elle ne peut кtre dйduite d’aucun autre principe. Comme toute autre thйorie scientifique, elle peut tout d’abord кtre avancйe pour des raisons esthйtiques ou mйtaphysiques, mais le vйritable but est qu’elle rйalise des prйdictions qui collent aux observations. Cela, cependant, est difficile а dйterminer dans le cas de la gravitation quantique pour deux raisons. La premiиre, comme cela sera expliquй dans le prochain chapitre, c’est que nous ne savons pas encore exactement quelle thйorie combine avec succиs la Relativitй Gйnйrale et la Mйcanique Quantique, bien que nous sachions un peu quelle forme une telle thйorie devrait prйsenter. La seconde, c’est que tout modиle qui dйcrit l’univers entier en dйtail devrait кtre beaucoup trop compliquй mathйmatiquement pour que nous puissions кtre capables de fournir des prйdictions exactes. On doit donc avoir recours aux hypothиses et aux approximations – et mкme dans ce cas, le problиme de la mise en forme de prйdictions reste douloureux.
Chaque trajectoire dans l’intйgrale de chemins devra dйcrire non seulement l’espace-temps mais tout ce qu’il y a dedans, y compris les organismes complexes comme les кtres humains qui peuvent observer l’histoire de l’univers. Cela peut fournir une autre justification au principe anthropique, car si toutes les trajectoires sont possibles aussi longtemps que nous existerons dans l’une d’elles, nous nous devrons d’utiliser le principe anthropique pour expliquer pourquoi l’univers est tel qu’il est. Quelle signification rattacher exactement aux autres trajectoires, dans lesquelles nous n’existons pas, ce n’est pas clair. Ce point de vue de la thйorie quantique de la gravitation serait beaucoup plus satisfaisant, cependant, si l’on pouvait montrer, en faisant l’intйgrale des chemins, que notre univers n’йtait qu’une des trajectoires possibles mais l’une des plus probables. Pour cela, nous devrions arriver а calculer l’intйgrale de toutes les trajectoires dans les espaces-temps euclidiens non bornйs.
Dans l’hypothиse «pas de bord», on voit que le hasard d’un univers conзu comme suivant la plupart des trajectoires possibles est nйgligeable; mais il existe une famille particuliиre de trajectoires beaucoup plus probables que les autres. Ces trajectoires peuvent кtre reprйsentйes comme la surface de la Terre, avec la distance au pфle Nord reprйsentant le temps imaginaire et la grandeur du cercle de distance constante а partir du pфle Nord, la grandeur spatiale de l’univers. L’univers commence au pфle Nord comme point unique. Au fur et а mesure que l’on se dйplace vers le sud, les cercles de latitude а distance constante du pфle Nord deviennent plus grands, ce qui correspond а un univers en expansion avec un temps imaginaire (fig. 8.1). L’univers atteindrait sa taille maximale а l’йquateur et se contracterait avec un temps imaginaire croissant jusqu’а un point unique au pфle Sud. Bien que l’univers puisse avoir une taille nulle aux pфles Nord et Sud, ces points ne seraient pas des singularitйs, pas plus que les pфles Nord et Sud ne sont des singularitйs sur la Terre. Les lois de la physique y sont encore valables, exactement comme elles le sont aux pфles Nord et Sud sur Terre.
Figure 8.1
La trajectoire de l’univers dans le temps rйel, cependant, paraоt trиs diffйrente. Il y a environ dix ou vingt milliards d’annйes, il aurait eu une taille minimale йgale au rayon maximal du chemin dans le temps imaginaire. А des temps rйels ultйrieurs, l’univers se serait dilatй selon le modиle chaotique inflationnaire proposй par Linde (mais il ne faudrait pas assurer maintenant que l’univers fut crйй dans le bon йtat). L’univers se dilaterait jusqu’а une trиs grande taille et finalement s’effondrerait en ce qui ressemble а une singularitй dans le temps rйel. Alors, en un sens, nous sommes encore tous condamnйs, mкme si nous ne nous approchons pas des trous noirs. Ce n’est que si nous pouvions dйcrire l’univers en termes de temps imaginaire qu’il n’y aurait pas de singularitйs.
Si rйellement l’univers йtait dans cet йtat quantique, il n’y aurait pas de singularitй sur le chemin de l’univers dans le temps imaginaire. Il semblerait donc que mon plus rйcent travail ait complиtement biffй le rйsultat de mon travail antйrieur sur les singularitйs. Mais, comme je l’ai indiquй auparavant, la vйritable importance des thйorиmes de la singularitй consiste а montrer que le champ gravitationnel peut devenir si intense que les effets gravitationnels quantiques ne peuvent plus кtre ignorйs. Cela а son tour conduit а l’idйe que l’univers devrait кtre fini dans un temps imaginaire sans bord ni singularitй. Quand on revient au temps rйel dans lequel nous vivons, cependant, il apparaоt encore des singularitйs. Le pauvre astronaute qui tombe dans son trou noir connaоtra encore une fin dйlicate; ce n’est que s’il vit dans un temps imaginaire qu’il ne rencontrera pas de singularitй.
Cela pourrait induire que ce que nous nommons temps imaginaire est en rйalitй le temps rйel, et que ce que nous nommons temps rйel n’est qu’une figure de notre imagination. Dans le temps rйel, l’univers a un commencement et une fin а des singularitйs qui forment une frontiиre pour l’espace-temps et auxquelles les lois se dissolvent. Mais dans le temps imaginaire, il n’y a ni singularitй ni bord. Alors peut-кtre que ce que nous appelons temps imaginaire est-il en rйalitй beaucoup plus fondamental, et ce que nous appelons temps rйel, juste une idйe que nous avons inventйe pour nous aider а dйcrire ce а quoi nous croyons que l’univers ressemble. Mais selon l’approche du chapitre 1, une thйorie scientifique n’est qu’un modиle mathйmatique que nous fabriquons pour dйcrire nos observations: elle n’existe que dans notre esprit. Il est donc sans objet de se demander lequel est rйel, du temps «rйel» ou du temps «imaginaire»? Simple question de commoditй de description.
On peut aussi utiliser l’intйgrale de chemins en mкme temps que la proposition «pas de bord» pour trouver quelles propriйtйs de l’univers ont une chance de se manifester simultanйment. Par exemple, on peut calculer la probabilitй que l’univers se dilate а peu prиs au mкme taux dans toutes les directions au moment oщ la densitй de l’univers a atteint sa valeur actuelle. Dans les modиles simplifiйs oщ cela a йtй examinй а fond, cette probabilitй s’avиre йlevйe; c’est-а-dire que la proposition de condition «pas de bord» mиne а la prйdiction qu’il est extrкmement probable que le taux actuel d’expansion de l’univers soit а peu prиs le mкme dans toutes les directions. C’est compatible avec les observations du rayonnement centimйtrique du fonds du ciel qui montrent qu’il a а peu prиs exactement la mкme intensitй dans toutes les directions. Si l’univers se dilatait plus vite dans certaines directions que dans d’autres, l’intensitй du rayonnement dans ces directions serait rйduite par un dйcalage vers le rouge additionnel.
D’autres prйdictions pour la condition «pas de bord» sont en ce moment en cours d’йlaboration. Un problиme particuliиrement intйressant est celui de la taille des petites entorses dans la densitй uniforme de l’univers primitif qui ont causй tout d’abord la formation des galaxies, puis celle des йtoiles, et finalement la nфtre. Le principe d’incertitude implique que l’univers primitif ne peut avoir йtй complиtement uniforme parce qu’il a dы y avoir quelques incertitudes ou fluctuations dans les positions et les vitesses des particules. En utilisant la condition «pas de bord», nous trouvons que l’univers doit en fait avoir commencй avec la plus petite non-uniformitй possible autorisйe par le principe d’incertitude. L’univers aurait alors vйcu une pйriode de rapide expansion, comme dans les modиles inflationnaires. Durant cette pйriode, les non-uniformitйs initiales auraient йtй amplifiйes jusqu’а ce qu’elles soient assez grosses pour expliquer l’origine des structures que nous observons autour de nous. Dans un univers en expansion dans lequel la densitй de matiиre varie peu d’un endroit а un autre, la gravitation pourrait кtre cause de ce que les rйgions plus denses aient ralenti leur expansion et commencй а se contracter… Cela amиnerait а la formation des galaxies, des йtoiles et finalement mкme des crйatures insignifiantes que nous sommes. Ainsi, toutes les structures compliquйes que nous dйcouvrons dans l’univers peuvent-elles кtre expliquйes par la condition «pas de bord» pour l’univers et le principe d’incertitude de la mйcanique quantique.
L’idйe que l’espace et le temps peuvent former une surface fermйe sans bord a йgalement de profondes implications quant au rфle de Dieu dans les affaires de l’univers. Avec le succиs des thйories scientifiques qui dйcrivent des йvйnements, la plupart des gens sont arrivйs а croire que Dieu permet а l’univers d’йvoluer selon tout un ensemble de lois et n’intervient pas pour les briser. Cependant, les lois ne nous disent pas а quoi l’univers devait ressembler lorsqu’il a commencй – ce serait encore а Dieu de remonter la pendule et de choisir comment la faire marcher. Tant que l’univers aura un commencement, nous pouvons supposer qu’il a eu un crйateur. Mais si rйellement l’univers se contient tout entier, n’ayant ni frontiиres ni bord, il ne devrait avoir ni commencement ni fin: il devrait simplement кtre. Quelle place reste-t-il alors pour un crйateur?
Дата добавления: 2015-10-26; просмотров: 106 | Нарушение авторских прав
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