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JEAN DE LA FONTAINE 1 страница

PATIENCE DE MARIE CURIE | LA VOCATION FRANÇAISE | Интеллектуальные традиции Франции | VAUGELAS ET LE BEAU LANGAGE | LE FRANÇAIS, LANGUE UNIVERSELLE | LA RÉVOLUTION ROMANTIQUE | LA LANGUE D'OC: FRÉDÉRIC MISTRAL | LES PATOIS PAYSANS | L'ARGOT | FRANÇOIS VILLON |


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(1621-1695)

LONGTEMPS on se le figura sous les traits d'un ingénu, d'un rêveur, d'un naïf
égaré sur notre planète. Il était le «bonhomme»... Aujourd'hui, on se défie de
cette légende: et l'on n'a pas tort, au moins en ce qui concerne le poète
proprement dit. Car, comment imaginer que tant de distraction se fût conciliée
avec tant d'art?

LA JEUNE VEUVE

La perte d'un époux ne va point sans soupirs,
On fait beaucoup de bruit; et puis on se console;
Sur les ailes du temps la tristesse s'envole,

Le temps ramène les plaisirs.

Entre la veuve d'une année

Et la veuve d'une journée
La différence est grande; on ne croirait jamais

Que ce fût la même personne;
L'une fait fuir les gens, et l'autre a mille attraits.
Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne;
C'est toujours même note et pareils entretiens;

On dit qu'on est inconsolable;

On le dit, mais il n'en est rien,

Comme on verra par cette fable,

Ou plutôt par la vérité.

L'époux d'une jeune beauté
Partait pour l'autre monde. A ses côtés, sa femme
Lui criait: «Attends-moi, je te suis; et mon âme,
Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler.»

Le mari fait seul le voyage.
La belle avait un père, homme prudent et sage;

Il laissa le torrent couler.

A la fin, pour la consoler:
«Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes:
Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes?
Puisqu'il est1 des vivants ne songez plus aux morts.


Je ne dis pas que tout à l'heure

Une condition meilleure

Change en des noces ces transports2;
Mais, après certain temps, souffrez qu'on vous propose
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose

Que le défunt. — Ah! dit-elle aussitôt,

Un cloître est l'époux qu'il me faut.»
Le père lui laissa digérer sa disgrâce.

Un mois de la sorte se passe;
L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure:

Le deuil enfin sert de parure,

En attendant d'autres atours;

Toute la bande des amours
Revient au colombier; les jeux, les ris3 la danse,

Ont aussi leur tour à la fin;

On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de jouvence4.
Le père ne craint plus ce défunt tant chéri;
Mais comme il ne parlait de rien à notre belle:

«Où donc est le jeune mari

Que vous m'avez promis?» dit-elle*.

Fables. VI-21 (1668).

Примечания:

1. Находясь среди живых. 2. Я вовсе не советую вам сменить немедленно проявле-
ние горя на радости нового брака. 3. Смех, веселье. 4 С утра до вечера она окуналась
в источник юности (т.е. пребывала в обществе молодых людей и дам)..

Вопросы:

* «Ce n'est ni un conte., ni une idylle, ni un poème: ce n'est rien et c'est presque tout lia
Fontaine... Ah! ce «dit-elle», quel souvire dissimulé sous le battement de l'éventail!
Délicatesse mondaine, comique parfait, un fond de philosophie rabelaisienne, un tour
d'esprit marotique, quelques paillettes de Voiture, mais des paillettes d'or, le plus tendre
coloris, le mouvement le plus vif, une grâce enfin où l'on sent toute la force (le la vie: le
génie de La Fontaine se reflète dans cette perle.»
(A.BELLESSORT.) Êtes-vous de cet avis?


BOILEAU (1636-1711)

bien sûr, BOILEAU n'est pas de ces poètes qui peuvent enthousiasmer la
jeunesse: il légifère, avec trop de rudesse, fronce volontiers le sourcil, donne
de la férule aux maladroits; en un mot il est le Pédant...

Mais s'il n'a rien inventé, s'il s'est contenté de donner forme aux principes que
depuis cinquante ans les écrivains français appliquaient plus ou moins,
consciemment, si même son talent personnel pâtit beaucoup d'être compare
à celui de ses grands contemporains, il a su formuler avec vigueur ce besoin
qu'éprouvé notre poésie d'obéir à des règles sévères, de soumettre le feu de
l'inspiration au double contrôle de la raison et d'une technique sans défauts,
Voilà pourquoi L'Art poétique (1674) demeure comme une date capitale dans
l'histoire de notre littérature.

L'ART D'ÉCRIRE

Il est certains esprits dont les sombres pensées,

Sont d'un nuage épais toujours embarrassées;

Le jour de la raison ne le saurait percer.

Avant donc que d'écrire apprenez à penser.

Selon que notre idée est plus ou moins obscure,

L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce'- clairement,

Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Surtout, qu'en vos écrits la langue révérée

Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.

En vain vous me frappez d'un son mélodieux,

Si le terme est impropre ou le tour vicieux2:

Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme3,

Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme4.

Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin

Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.

Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse5

Et ne vous piquez point d'une folle vitesse:

Un style si rapide, et qui court en rimant,

Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.

J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène6,

Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,

Qu'un torrent débordé qui, d'un cours orageux

Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.


Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage:
Polissez-le sans cesse et le repolissez;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez*.

Art poétique, I, vers 147-174 (1674)
Примечания:

1. Выражается. 2. Неправильный. 3. Слово, позаимствованное из другого языка.
4. Неправильный языковый оборот, не нарушающий смысла высказывания. 5 Какие
бы ни были у вас причины спешить. 6. На песке.

Вопросы:

* Recherchez les vers (ou groupes de vers) qui ont pris, pour ainsi diref force de loi.
Essayez d'expliquer pourquoi ils ont eu cette fortune.

ANDRÉ CHÉNIER (1762-1794)

dans un siècle -plus soucieux de philosopher que de rêver et où les poètes,
adonnés à l'imitation stérile du XVIIe siècle, ne valent pas les prosateurs, c'est
lui qui soutient le flambeau des Muses. Encore paya-t-il de sa tête, sur
l'échafaud, son sens aristocratique de la Beauté. Son plus grand mérite est sans
doute d'avoir su échapper au maniérisme de ses modèles grecs ou latins et
sauvegarder cette fluidité, cette transparence dans l'expression qui demeurent
quelques-uns des traits les plus 'constants de la poésie française.

LA JEUNE TARENTINE

Pleurez, doux alcyons1! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez!

Elle a vécu, Myrto, la jeune Tareiitine2!
Un vaisseau la portait aux bords clé Camarine:
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Dans le cèdre4 enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or, dont au festin ses bras seraient5 parés,


Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans les voiles
L'enveloppe. Étonnée et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
' Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par ses ordres bientôt les belles Néréides
L'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le portent au rivage, et dans ce monument
L'ont, au cap du Zéphyr7, déposé mollement;
Puis de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent: «Hélas!» autour de son cercueil.

Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée.

Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.

L'or autour de tes bras n'a point serré de nœuds.

Les doux parfums n'ont point coulé sur tes cheveux*.

Idylles 41786).
Примечания:

1 Поэтическое название зимородка. По преданию, дочь Эола бросилась в море и
была превращена богами в зимородка — птицу, посвященную нереиде Фетиде, став-
шей матерью Ахилла. 2. Таранто — порт в южной Италии. 3. На Сицилии. 4 Сун-
дучок из кедрового дерева. 5. Futur du passé, amené par les temps de portait, devaient
(=
allaient être parés). 6. Оцепеневшая. 7. В южной Италии.

Вопросы:

* On étudiera la couleur antique dans ce poème, les rythmes, et la valeur de certaines
reprises, qui agissent parfois à la façon de refrains.


ALPHONSE DE LAMARTINE (1790-1869)

Il fut le Prince de la Jeunesse en 1820, au lendemain des Méditations. Aujour-
d'hui, l'ampleur et la chaleur de sa voix lui font tort: pour les lecteurs
essoufflés que nous sommes devenus, elles ont trop longue baleine... Et
pourtant, II a revivifié le lyrisme français, exténué depuis plus d'un siècle. Il
est d'instinct retourné à la source originelle de toute vraie poésie: le cœur.
Aussi (comme Le Cid et Andromaque, La Nouvelle Hêloïse et René) les
Premières Méditations sont-elles un commencement dans l'histoire des lettres
françaises.

Des pièces de ce recueil, où l'on dirait que l'âme de Chateaubriand s'est
exprimée avec la musique de Racine, Le Lac reste ajuste titre la plus fameuse.

LE LAC

Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
Dans la nuit éternelle emportés sans retour,
Ne pourrons-nous jamais sur l'Océan des âges
Jeter l'ancré un seul jour?

О lac1! l'année à peine a fini sa carrière,
Et près des flots chéris qu'elle devait revoira Regarde!
Je viens seul m'asseoir sur cette pierre2
Où tu la vis s'asseoir!

Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes;
Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés;
Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes
Sur ses pieds adorés.

Un soir, t'en souvient-il? nous voguions en silence;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Tout à coup des accents inconnus à la terre
Du rivage charmé4 frappèrent les échos,
Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère
Laissa tomber ces mots:


«О temps, suspends ton vol! et vous, heures propices,

Suspendez votre cours!
Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours!

«Assez de malheureux ici-bas vous implorent:

Coulez, coulez pour eux;
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent;

Oubliez les heureux.

«Mais je demande en vain quelques moments encore,

Le temps m'échappe et fuit;
Je dis à cette nuit: «Sois plus lente»; et l'aurore

Va dissiper la nuit.

«Aimons donc, aimons donc, de l'heure fugitive,

Hâtons-nous, jouissons!
L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive;

Il coule et nous passons!»

Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse,
Que les jours de malheur?

Hé quoi! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace?
Quoi! passés pour jamais? Quoi! tout entiers perdus?
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus?

Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez?
Parlez: nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez?

О lac! rochers muets! grottes! forêt obscure!
Vous que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature.
Au moins le souvenir!

Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,
Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,
Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages
Qui pendent sur tes eaux!


Qu'il soit dans le zéphir qui frémit et qui passe,
Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,
Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface
De ses molles clartés!

Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,
Que les parfums légers de ton air embaumé,
Que tout ce qu'on entend, l'on voit et l'on respire,
Tout dise: «Ils ont aimé!»*

Méditations poétiques. (Écrit en septembre 1817)
Примечания:

1 Озеро Бурже в Савойе, на берегах которого Ламартин в октябре 1816 встретил
г-жу Шарль, вдохновившую его на написание)того стихотворения 2 Ламартин и
г-жа Шарль договорились встретиться вновь у озера в будущем году, но г-жа Шарль
тяжело заболела и не смогла приехать в Савойю. 3 Имеется в виду скала на западном
берегу озера Бурже неподалеку от аббатства Откомб, где Ламартин сделал первые
наброски этого стихотворения 4 В этимологическом смысле' неземные звуки, ча-
рующие берега...

Вопросы:

* Etudiez: 1° les différente rythmes de ce poème et leur rapport avec les sentiments,
2° la
musicalité de certains vers (notamment dans les trois dernières strophes)

ALFRED DE VIQNY (1797-1863)

ne nous méprenons point sur son orgueil: c'est celui d'un homme blessé par la
vie et qui cherche au fond de soi, et de soi seul, le moyen de panser son
inguérissable blessure. Pour lui, la Poésie ne saurait donc être considérée
comme un simple artifice d'expression: elle est la Réalité même, et presque la
seule certitude en ce monde. Par là, elle libère l'Homme, écrasé ou trahi de
toutes parts, et affirme la victoire de l'Esprit, sur les forces aveugles de la
Nature...

LA MAISON DU BERGER (fragment)

Eva ', j'aimerai tout dans les choses créées,
Je les contemplerai dans ton regard rêveur
Qui répandra partout ses flammes colorées,
Son repos gracieux, sa magique saveur;
Sur mon cœur déchiré viens poser ta main pure,


Ne me laisse jamais seul avec la Nature,

Car je la connais trop pour n'en pas avoir peur.

Elle me dit: «Je suis l'impassible théâtre

Que ne peut remuer le pied de ses acteurs;

Mes marches d'émeraude et mes parvis d'albâtre,

Mes colonnes de marbre ont les dieux pour sculpteurs.

Je n'entends ni vos cris, ni vos soupirs; à peine

Je sens passer sur moi la comédie humaine

Qui cherche en vain au ciel ses muets spectateurs.

«Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,

A côté des fourmis les populations;

Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre2,

J'ignore en les portant les noms des nations.

On me dit une mère et je suis une tombe.

Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,

Mon printemps ne sent pas vos adorations.» (...)

C'est là ce que me dit sa voix triste et superbe,

Et dans mon cœur alors je la hais, et je vois

Notre sang dans son onde et nos morts sous son herbe

Nourrissant de leurs sucs la racine des bois.

Et je dis à mes yeux qui lui trouvaient des charmes:

Ailleurs tous vos regrets, ailleurs toutes vos larmes,

Aimez ce que jamais on ne verra deux fois.

Oh! Qui verra deux fois ta grâce et ta tendresse,

Ange doux et plaintif, qui parle en soupirant?

Qui naîtra comme toi, portant une caresse

Dans chaque éclair tombé de ton regard mourant,

Dans les balancements de ta tête penchée,

Dans ta taille indolente et mollement couchée,

Et dans ton pur sourire amoureux et souffrant?

Vivez, froide nature, et revivez sans cesse

Sous nos pieds, sur nos fronts, puisque c'est votre loi;

Vivez, et dédaignez, si vous êtes déesse,

L'homme, humble passager, qui dut vous être un roi; Plus

que tout votre règne et que vos splendeurs vaines,

J'aime la majesté des souffrances humaines;

Vous ne recevrez pas un cri d'amour de moi*.

1844. Paru dans Les Destinées en 1864.
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Примечания:

1 Поэт обращается к идеальной женщине. 2. Подземные ходы муравьев от люд-
ского праха. 3. Человек, который должен стать царем природы, так как он мыслит

Вопросы:

* Commentez en particulier les vers: «Aimez ce que jamais on ne verra deux fois» •— et:
«J'aime la majesté des souffrances humaines», dont Vigny disait: «Ce vers est le sens de tous
mes poèmes philosophiques.»
(Journal d'un Poète). — Montrez aussi quel rôle de médiatrice
tient la femme entre le poète et la nature (cf. les premiers vers).

VICTOR HUGO (1802-1885)

de tous nos poètes, il est le plus complet. Il s'est essayé dans tous les genres et
il y a manifesté une égale abondance, une -pareille sûreté. Il semblait avoir
reçu tous les instruments à la fois. Et c'est vanité que prétendre découvrir dans
cette œuvre gigantesque le poème qui en offre l'image la plus fidèle.
Si l'on s'est arrêté à une pièce de vers tirée des Contemplations (1856), ce n'est
pas seulement parce que ce recueil est sans doute celui où le génie de Victor
Hugo s'est exprimé le plus complètement. C'est aussi parce que ces vers, dédiés
à Léopoldine, la fille aînée du poète morte dans un naufrage en 1843, ont une
simplicité qui, aujourd'hui encore, nous bouleverse.

ELLE AVAIT PRIS CE PLI...

Elle1 avait pris ce pli dans son âge enfantin
De venir dans ma chambre un peu chaque matin;
Je l'attendais ainsi qu'un rayon qu'on espère;
Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit père;
Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s'asseyait
Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,
Puis soudain s'en allait comme un oiseau qui passe.
Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,
Mon œuvre interrompue, et, tout en écrivant,
Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent
Quelque arabesque -folle et qu'elle avait tracée,
Et mainte page blanche entre ses mains froissée
Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers;
Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,


Et c'était un esprit avant d'être une femme.

Son regard reflétait la clarté de son âme.

Elle me consultait sur tout à tous moments.

Oh! Que de soirs d'hiver radieux et charmants

Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,

Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère

Tout près, quelques amis causant au coin du feu!

J'appelais cette vie être content de peu!

Et dire2 qu'elle est morte! Hélas! Que Dieu m'assiste!

Je n'étais jamais gai quand je la sentais triste;

J'étais morne au milieu du bal le plus joyeux

Si j'avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux*.

Les Contemplations (1856).
Примечания:

\. Маленькая Леопольдина Гюго, родившаяся в 1824 г. 2. Подумать только1
(используется в разговорном языке для выражения горечи, недоумения, изумления).

Вопросы:

* On comparera cette pièce de vers avec quelques autres, aussi célèbres, où le poète
exprime son
amour pour les enfants,

GÉRARD DE NERVAL (1808-1855)

LONGTEMPS considéré comme un «gentil» poète plutôt que comme un grand
inspiré, et desservi par la folie qui embruma ses dernières années avant de le
conduire au suicide, GÉRARD DE NERVAL, depuis une vingtaine d'années, s'est
imposé comme l'un des plus importants précurseurs du lyrisme moderne et
contemporain. Par un curieux revirement, on s'est mis à redécouvrir et à aimer
ce qui précisément avait maintenu son œuvre dans l'ombre: ce sens de l'irréel
et du fantastique, qui nous apparaît aujourd'hui comme inséparable de la
notion même de poésie.

FANTAISIE

II est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber1,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.


Or, chaque fois que je viens à l'entendre,

De deux cents ans mon âme rajeunit2:

C'est sous Louis XIII... — Et je crois voir s'étendre

Un coteau vert que le couchant jaunit;

Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière

Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs.

Puis une dame à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens...
Que, dans une autre existence, peut-être,
J'ai déjà vue -— et dont je me souviens*!

Odelettes (1831).
Примечания:

1 «II faut prononcer Wèbre, à l'allemande.» (Note du poète). — 2. Cf. les deux derniers
vers du poème.

Вопросы:

* Cette réminiscence, provoquée par l'audition d'un air de musique, semble annoncer
une page célèbre de Marcel Proust).
Comparer le lyrisme de cette pièce avec celui qui se
dégage des poèmes
romantiques de Lamartine, de Vigny, de V. Hugo, cités dans ce recueil.

THÉOPHILE GAUTIER (1811-1872)

après avoir été, dans sa jeunesse, l'un des plus fougueux défenseurs du
romantisme, THÉOPHILE GAUTIER fut, vingt ans plus tard, un de ceux qui
contribuèrent le plus efficacement à sa disparition.

Artiste épris surtout d'exactitude dans la vision et de perfection dans la forme,
il annonçait, par ces exigences mçmes, les principes qui allaient assurer le
triomphe de l'idéal parnassien
'.

FUMÉE

Là-bas, sous les arbres s'abrite
Une chaumière au dos bossu*;
Le toit penche, le mur s'effrite1
Le seuil de la porte est moussu.


La fenêtre, un volet la bouche;
Mais du taudis2 comme au temps froid
La tiède baleine d'une bouche,
La respiration se voit.

Un tire-bouchon de fumée,
Tournant son mince filet bleu,
De l'âme en ce bouge4 enfermée
Porte des nouvelles à Dieu**.

Émaux et Camées (1852)
Примечания:

1. Совершенное выражение этого идеала можно найти в "Трофеях" (1893)
M де Эредиа. 2. Рассыпается, ветшает 3 Лачуга 4 Это слово, также означав!
"лачуга", но чаще употребляется в значении "вертеп", "притон".

Вопросы:

* Expliquez cette image.

** Montrez comment la qualité de la facture, la précision sans lourdeur font oublier ici
l'insignifiance du thème.Appréciez: l'antithèse sur laquelle repose la composition de
cette pièce.

CHARLES BAUDELAIRE (1821 1867)

paul valéry l'a souligné en termes inoubliables: il est «le plus important» des
poètes français du XIXe siècle. Car, dans l'instant même où le romantisme
agonisant ne se survivait plus que grâce à l'intarissable éloquence de Hugo, où
Gautier, tournant le dos à l'Inspiration, prétendait ne plus rien cultiver que la
forme, et où Leconte de Liste se fourvoyait parmi la peinture et la statuaire,
BAUDELAIRE faisait éclater les murs vides de l'Art pour l'Art et réintroduisait la
musique au sein de la poésie.

Et puis, il mettait à la mode tant de thèmes qui, après lui, allaient être exploités
sans fin: les parfums, les paradis artificiels, le vin, les chats, la pipe, les
assassins, les chiffonniers, les petites vieilles,
en somme tout un univers
jusqu'alors délaissé, et que sa Muse «vénale et malade» osa chanter la
première...

L'INVITATION AU VOYAGE

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble!


Aimer à loisir,

Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble;

Les soleils mouillés

De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes

Si mystérieux

De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants

Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;

Les plus rares fleurs

Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,

Les riches plafonds,

Les miroirs profonds,

La splendeur orientale,

Tout y parlerait

A l'âme en secret
Sa douée langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,

Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux

Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde;

C'est pour assouvir

Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.

— Les soleils couchants

Revêtent les champs,
les canaux, la ville entière,


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