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(1091-1153)
On connaît l'admiratle Panégyrique de Bossuet: «Figurez-vous maintenant le
jeune Bernard nourri en homme de condition, qui avait la civilité comme
naturelle, l'esprit -poli far les bonnes lettres, la rencontre belle et aimable,
l'humeur accommodante, les mœurs douces et agréables: ah! que de -puissants
liens pour rester attaché à la terre!» — Oui, et pourtant ces liens furent inca-
pables de contrecarrer la vocation impérieuse du futur fondateur de l'abbaye
de Clairvaux, qui devait aussi (et avec quelle éloquence!) prêcher la seconde
croisade...
Un jour, il vit une femme. Lorsqu'il s'aperçut qu'il la trouvait belle et
désirable, dans une étrange alarme il s'enfuit. Il alla jusqu'à un étang, il y
entra, sans balancer, et il demeurait1 là, dans l'eau glacée. On l'en tira
à demi mort. Pour une fois2, c'était la grande révolte: celle de la liberté
sainte qui n'admet de tomber dans aucun esclavage.
Bernard, cependant, avait une passion, et excessive: celle de la
connaissance. Des amis, ses frères, l'engagèrent à s'adonner aux arts
curieux. Il en fut extrêmement tenté. Mais apprendre pour le plaisir de
savoir, se dit-il, quelle curiosité; apprendre pour être regardé comme
SAvant, quelle vanité; apprendre pour trafiquer de la science, quel
trafic*!
Puis ce fut l'orgueil de la vie qui le tenta. Faire carrière dans l'Eglise,
dans les armes, à la cour? Il était beau. Mince, élégant, de taille haute. Les
yeux bleus plein de feu, un air de noblesse, d'audace, mais de douceur
aussi. On a dit qu'il était encore plus dangereux pour le monde que le
monde pour lui ne l'était.
Il en est là, rentré depuis six mois à Fontaine3 lorsqu'il perd sa mère.
Cette mort le laisse à découvert. Il voit d'un coup la dérision de ce.monde.
Et sa mère morte va l'orienter vers la seule porte qui s'ouvre pour quelqu'un
bâti comme lui: la plus étroite des portes, mais qui, franchie, à sa passion
des grandes choses donne tout l'espace.
Ses frères sont avec le duc4 au siège de Grancey. Il va les voir. En
chemin il entre dans une église: tout en pleurs, il prie Dieu de lui faire
connaître sa volonté et de lui donner le courage de la suivre. La prière
finie, il se sent une forte résolution d'entrer à Cîteaux5.
Un temps était venu où Cluny6 avait paru à quelques-uns de ses fils
avoir perdu le sens de la pauvreté monacale. En 1098, ceux-là s'étaient
installés dans les marais de la Saône, au milieu des forêts. Et ils avaient
restauré la règle en sa pureté première.
Lorsque Bernard dit à son père, à ses frères, qu'il veut se faire moine la,
vivre de pain d'orge, et de la houe piocher comme le dernier des serfs, ils
haussent les épaules. Mais lui, déjà prophète, il sait qu'il les aura7. Même
celui qui a deux filles, sa femme lui ayant rendu sa liberté pour se faire elle
aussi moniale. Même celui qui aime tant les armes. (Comme Bernard le lui
a prédit, il est blessé au côté et fait prisonnier; son cœur change; du coup il
est guéri, et délivré par miracle.) Enfin tous ils suivent Bernard; et des amis
avec eux; ils sont près de trente. «Adieu, mon petit frère Nivard, dit l'aîné
au plus jeune: vous aurez seul tout notre bien. — Eh oui, leur réplique-t-il,
vous me laissez la terre et vous prenez le Ciel: je ne veux pas de ce
partage.» Plus tard, il ira les rejoindre. Leur père a dû tout accepter.
«Du moins modérez-vous! Je vous connais! on aura du mal à vous
contenir.»
De fait, ils seront terribles. Ils refusent de parler à leur sœur Humbeline,
parée en demoiselle. L'un d'eux, qui veut être poli, la traite seulement de
stercus invo-lutum. (...) Elle fond en larmes; elle leur fait dire qu'elle vient
à eux comme à des médecins qui ne doivent pas refuser de la guérir. Ii-
sortent alors et lui parlent; et elle, elle réglera sa vie sur celle de leur mèn
finalement elle se fera religieuse**.
HENRI FOURRAT. Saints de France (1951)
Примечания:
1. Imparfait de durée. 2. Pour cette fois. Cette fois, enfin. 3. Бернард родился в замк
расположенном неподалеку от Дижона. 4. С герцогом Бургундским. 5. Монастыр
который прославил Бернард, прежде, чем о'сновал Клерво. 6. Знаменитое аббата и
основанное в X веке в Бургундии, боровшееся за строгое соблюдение устава бенеди
тинского ордена. 7. Он их переубедит, переборет (разг.). 8. Букв, кал, облаченш
(в одежды) (лат.).
Вопросы::
* Appréciez le rythme et la construction de cette phrase.
** Cette page est vigoureuse et sobre — non dépourvue parfois d'une certaine brutali'1-"
Montrez-le.
SAINT VINCENT DE PAUL (1576-1660)
VINCENT DE PAUL est une des plus émouvantes figures du clergé français. Car il
fut l'incarnation même de l'esprit de charité. Chanté poussée à l'extrême, ournée
vers les créatures les plus déshéritées: forçats et enfants trouvés, par exemple.
Charité constructive aussi, puisque le saint homme sut fonder des congrégations
comme celle des Petites Sœurs des Pauvres ou celle des Prêtres de la Mission.
C'est à l'aumônier des galériens surtout (qu'HENRI LAVEDAN a voulu rendre
hommage: s'il ne le fait pas sans grandiloquence, du moins souligne-t-il
l'action extraordinai-rement bienfaisante de Monsieur Vincent en faveur des
plus abandonnés de ses frères...
Dès son arrivée dans un port, il se fait conduire au quai où mouillent1
les galères, il y monte, et le voilà qui, descendant du coursier', se faufile,
de rang en rang, parmi les forçats, sans crainte ni honte de les coudoyer. Il
les contemple chacun, de tout près, les yeux dans les yeux, car il demande,
lui, il prie qu'on le regarde, afin qu'il puisse ainsi pénétrer mieux jusqu'au
fond des âmes, jusqu'à cette «cale où il sait que sont les vivres». Ces
hommes n'y comprennent rien. Ils attendent. Que nous veut-il?» Vincent
les interroge. Il fait plus: il les écoute! Et quelle patience! Leurs plaintes? Il
les accepte. Leurs rebuffades? Jl les subit. Puis il se penche... et il s'émeut.
Il a vu «les chaînes». «Ah! mes pauvres enfants! C'est donc cela vos fers?
— Oui! Tenez! Pesez!» Et on les lui montre, on les lui tend avec la
complaisance et l'orgueil de l'esclave. Leur pensée,se devine: «Hein! Qui
donc, en dehors de nous, porterait pareil poids? Personne au monde!
Personne! Quelle force il faut! C'est que nous sommes les forçats, nous! les
galériens!» Vincent approuve, admire, il soulève les fers et il les baise!
A ce coup, les hommes sont tout saisis et se font des signes...: «Baiser des
fers! et les fers d'un forçat! pendant qu'il est dedans! Non! cela ne s'est
jamais vu! // se moque! ou bien il est fou!» Pourtant ce baiser de prêtre à.
leurs chaînes, il leur semble que c'est à eux qu'il a été donné. Et puis,
comme si Vincent avait conscience que cela ne suffit pas, il les caresse et
les embrasse aussi, les enchaînés, avec des mots d'une douceur qui les fait
défaillir... Quelques-uns, parmi les plus scélérats, qui n'ont jamais pleuré,
sentent couler, pour la première fois, se demandant si ce n'est pas du sang,
des larmes chaudes sur leurs joues et ils voient «Monsieur l'aumônier des
galères» qui pleure aussi avec eux. Sont-ils en train de manger, il goûte
à leur pitance et boit dans leur écuelle l'eau saumâtre, qu'il trouve bonne.
Arrive-t-il en pleine bastonnade, il crie: «Arrêtez!..» Il demande grâce et
l'obtient. D'ailleurs jamais, une fois qu'il est là, on n'oserait, devant lui,
battre et même punir d'un châtiment mérité un de ses «enfants». Il le sait
bien; et eux aussi le savent. Ils voudraient donc le retenir, mais ils n'en 0nt
pas besoin, car dans la même pensée il reste leur tenir compagnie le plus
longtemps possible; et il ne les quitte qu'en leur promettant de revenir
bientôt. Du haut du coursier, il regarde encore les cent, les deux cents
terribles visages qui rayonnent de sa lumière*...
HENRI LA VEDAN. Monsieur Vincent aumônier des galères (1928
Примечания:
1. Где стоят на якоре. 2. Ou la coursive, переход, соединяющий нос и корму галер,
над скамьями, к которым прикованы каторжники. 3. S'ils sont...
Вопросы:
* Montrez l'effet de vigueur et de naturel obtenu par un adroit emploi du style direct.
Дата добавления: 2015-08-02; просмотров: 43 | Нарушение авторских прав
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