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MARCEL PROUST a laissé de sa grand-mère un portrait inoubliable, et qu'il a
paru inutile de publier une fois de plus. Moins connue, elle n'est guère moins
émouvante pourtant, la page où ANDRÉ GIDE a évoqué la bonne vieille qui était
si heureuse de pouvoir gâter son petit-fils quand, aux vacances, celui-ci
revenait la voir à Uzès.
La continuelle crainte de ma grand-mère était que nous n'eussions pas
assez à manger. Elle qui ne mangeait presque rien elle-même, ma mère
avait peine à la convaincre que quatre plats par repas nous suffisaient. Le
Plus souvent elle ne voulait rien entendre, s'échappait d'auprès de ma mère
Pour avoir avec Rosé1 des entretiens mystérieux. Dès qu'elle avait quitté la
cuisine, ma mère s'y précipitait à son tour et, vite, avant que Rosé fût partie
au marché, revisait le menu et décommandait les trois quarts.
«Eh bien. Rosé! ces gelinottes2? criait grand-mère, au déjeuner.
— Mais, ma mère, nous avions ce matin les côtelettes. J'ai dit à Rosé de
garder les gelinottes pour demain.» La pauvre vieille était au désespoir.
«Les côtelettes! Les côtelettes! répétait-elle, affectant de rire. — Des
côtelettes d'agneau; il en faut six pour une bouchée...»
Puis, par manière de protestation, elle se levait, enfin allait quérir dans
une petite resserre au fond de la salle à manger, pour parer à la désolante
insuffisance du menu, quelque mystérieux pot de conserves, préparé pour
notre venue. C'étaient le plus souvent des boulettes de porc, truffées,
confites dans de la graisse, succulentes, qu'on appelait des «fricandeaux».
Ma mère naturellement refusait.
«Té4! le petit en mangera bien, lui!
— Mère, je vous assure qu'il a assez mangé comme cela.
— Pourtant! vous n'allez pas le laisser mourir de faim?..»
(Pour elle, tout enfant qui n'éclatait pas, se mourait. Quand on lui
demandait, plus tard, comment elle avait trouvé ses petits-fils, mes cousins,
elle répondait invariablement, avec une moue:
«Bien maigres!»)
Une bonne façon d'échapper à la censure de ma mère, c'était de
commander à l'hôtel Béchard quelque tendre aloyau5 aux olives, ou, chez
Fabregas le pâtissier, un vol-au-vent6 plein de quenelles7, une floconneuse
brandade8 ou le traditionnel croûtillon au lard. Ma mère guerroyait aussi,
au nom des principes d'hygiène, contre les goûts de ma grand-mère; en
particulier, lorsque celle-ci, coupant le vol-au-vent, se réservait un morceau
du fond.
«Mais, ma mère, vous prenez justement le plus gras.
— Eh! faisait ma grand-mère, qui se moquait bien de l'hygiène — la
croûte du fond...
— Permettez que je vous serve moi-même.»
Et d'un œil résigné la pauvre vieille voyait écarter de son assiette le
morceau qu'elle préférait*.
ANDRÉ GIDE. Si le grain ne meurt (1926).
Примечания:
1. Имя служанки. 2. Рябчики. 3. Кладовая для продуктов. 4. Exclamation familier6
aux Méridionaux. 5. Говяжье филе, вырезка. 6. Волован, слоеный пирог е наминкой.
7. Мясные или рыбные фрикадельки, вообще мясной или рыбный фарш. 8. Треска
по-провансальски: рубленая треска с маслом, чесноком и сливками.
Вопросы:
* Faites ressortir la bonhomie et le naturel du dialogue.
Дата добавления: 2015-08-02; просмотров: 50 | Нарушение авторских прав
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