Студопедия
Случайная страница | ТОМ-1 | ТОМ-2 | ТОМ-3
АрхитектураБиологияГеографияДругоеИностранные языки
ИнформатикаИсторияКультураЛитератураМатематика
МедицинаМеханикаОбразованиеОхрана трудаПедагогика
ПолитикаПравоПрограммированиеПсихологияРелигия
СоциологияСпортСтроительствоФизикаФилософия
ФинансыХимияЭкологияЭкономикаЭлектроника

Chapitre V Oasis

Chapitre I La ligne | Chapitre II Les camarades | Chapitre III L’Avion | Chapitre VII Au centre du dйsert | Chapitre VIII Les hommes |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Je vous ai tant parlй du dйsert qu’avant d’en parler encore, j’aimerais dйcrire une oasis. Celle dont me revient l’image n’est point perdue au fond du Sahara. Mais un autre miracle de l’avion est qu’il vous plonge directement au cњur du mystиre. Vous йtiez ce biologiste йtudiant, derriиre le hublot, la fourmiliиre humaine, vous considйriez d’un cњur sec ces villes assises dans leur plaine, au centre de leurs routes qui s’ouvrent en йtoile, et les nourrissent, ainsi que des artиres, du suc des champs. Mais une aiguille a tremblй sur un manomиtre, et cette touffe verte, lа en bas, est devenue un univers. Vous кtes prisonnier d’une pelouse dans un parc endormi.

 

Ce n’est pas la distance qui mesure l’йloignement. Le mur d’un jardin de chez nous peut enfermer plus de secrets que le mur de Chine, et l’вme d’une petite fille est mieux protйgйe par le silence que ne le sont, par l’йpaisseur des sables, les oasis sahariennes.

 

Je raconterai une courte escale quelque part dans le monde. C’йtait prиs de Concordia, en Argentine, mais c’eыt pu кtre partout ailleurs: le mystиre est ainsi rйpandu.

 

J’avais atterri dans un champ, et je ne savais point que j’allais vivre un conte de fйes. Cette vieille Ford dans laquelle je roulais n’offrait rien de particulier, ni ce mйnage paisible qui m’avait recueilli.

 

«Nous vous logerons pour la nuit…»

 

Mais а un tournant de la route, se dйveloppa, au clair de lune, un bouquet d’arbres et, derriиre ces arbres, cette maison. Quelle йtrange maison! Trapue, massive, presque une citadelle. Chвteau de lйgende qui offrait, dиs le porche franchi, un abri aussi paisible, aussi sыr, aussi protйgй qu’un monastиre.

 

Alors apparurent deux jeunes filles. Elles me dйvisagиrent gravement, comme deux juges postйs au seuil d’un royaume interdit: la plus jeune fit une moue et tapota le sol d’une baguette de bois vert, puis, les prйsentations faоtes, elles me tendirent la main sans un mot, avec un air de curieux dйfi, et disparurent.

 

J’йtais amusй et charmй aussi. Tout cela йtait simple, silencieux et furtif comme le premier mot d’un secret.

 

«Eh! Eh! Elles sont sauvages», dit simplement le pиre.

 

Et nous entrвmes.

 

J’aimais, au Paraguay, cette herbe ironique qui montre le nez entre les pavйs de la capitale, qui, de la part de la forкt vierge invisible, mais prйsente, vient voir si les hommes tiennent toujours la ville, si l’heure n’est pas venue de bousculer un peu toutes ces pierres. J’aimais cette forme de dйlabrement qui n’exprime qu’une trop grande richesse. Mais ici je fus йmerveillй.

 

Car tout y йtait dйlabrй, et adorablement, а la faзon d’un vieil arbre couvert de mousse que l’вge a un peu craquelй, а la faзon du banc de bois oщ les amoureux vont s’asseoir depuis une dizaine de gйnйrations. Les boiseries йtaient usйes, les vantaux rongйs, les chaises bancales. Mais si l’on ne rйparait rien, on nettoyait ici, avec ferveur. Tout йtait propre, cirй, brillant.

 

Le salon en prenait un visage d’une intensitй extraordinaire comme celui d’une vieille qui porte des rides. Craquelures des murs, dйchirures du plafond, j’admirais tout, et, par-dessus tout, ce parquet effondrй ici, branlant lа, comme une passerelle, mais toujours astiquй, verni, lustrй. Curieuse maison, elle n’йvoquait aucune nйgligence, aucun laisser-aller, mais un extraordinaire respect. Chaque annйe ajoutait, sans doute, quelque chose а son charme, а la complexitй de son visage, а la ferveur de son atmosphиre amicale, comme d’ailleurs aux dangers du voyage qu’il fallait entreprendre pour passer du salon а la salle а manger.

 

«Attention!»

 

C’йtait un trou. On me fit remarquer que dans un trou pareil je me fusse aisйment rompu les jambes. Ce trou, personne n’en йtait responsable: c’йtait l’њuvre du temps. Il avait une allure trиs grand seigneur, ce souverain mйpris pour toute excuse. On ne me disait pas «Nous pourrions boucher tous ces trous, nous sommes riches, mais…» On ne me disait pas non plus – ce qui йtait pourtant la vйritй: «Nous louons зa а la ville pour trente ans. C’est а elle de rйparer. Chacun s’entкte…» On dйdaignait les explications, et tant d’aisance m’enchantait.

 

Tout au plus me fit-on remarquer:

 

«Eh! Eh! c’est un peu dйlabrй…»

 

Mais cela d’un ton si lйger que je soupзonnais mes amis de ne point trop s’en attrister. Voyez-vous une йquipe de maзons, de charpentiers, d’йbйnistes, de plвtriers йtaler dans un tel passй leur outillage sacrilиge, et vous refaire dans les huit jours une maison que vous n’aurez jamais connue, oщ vous vous croirez en visite? Une maison sans mystиres, sans recoins, sans trappes sous les pieds, sans oubliettes une sorte de salon d’hфtel de ville?

 

C’йtait tout naturellement qu’avaient disparu les jeunes filles dans cette maison а escamotages. Que devaient кtre les greniers, quand le salon dйjа contenait les richesses d’un grenier! Quand on y devinait dйjа que, du moindre placard entrouvert, crouleraient des liasses de lettres jaunes, des quittances de l’arriиre-grand-pиre, plus de clefs qu’il n’existe de serrures dans la maison, et dont naturellement aucune ne s’adapterait а aucune serrure. Clefs merveilleusement inutiles, qui confondent la raison, et qui font rкver а des souterrains, а des coffrets enfouis, а des louis d’or.

 

«Passons а table, voulez-vous?»

 

Nous passions а table. Je respirais d’une piиce а l’autre, rйpandue comme un encens, cette odeur de vieille bibliothиque qui vaut tous les parfums du monde. Et surtout j’aimais le transport des lampes. De vraies lampes lourdes, que l’on charriait d’une piиce а l’autre, comme aux temps les plus profonds de mon enfance, et qui remuaient aux murs des ombres merveilleuses. On soulevait en elles des bouquets de lumiиre et de palmes noires. Puis, une fois les lampes bien en place, s’immobilisaient les plages de clartй, et ces vastes rйserves de nuit tout autour, oщ craquaient les bois.

 

Les deux jeunes filles rйapparurent aussi mystйrieusement, aussi silencieusement qu’elles s’йtaient йvanouies. Elles s’assirent а table avec gravitй. Elles avaient sans doute nourri leurs chiens, leurs oiseaux, ouvert leurs fenкtres а la nuit claire, et goыtй dans le vent du soir l’odeur des plantes. Maintenant, dйpliant leur serviette, elles me surveillaient du coin de l’њil, avec prudence, se demandant si elles me rangeraient ou non au nombre de leurs animaux familiers. Car elles possйdaient aussi un iguane, une mangouste, un renard, un singe et des abeilles. Tout cela vivant pкle-mкle, s’entendant а merveille, composant un nouveau paradis terrestre. Elles rйgnaient sur tous les animaux de la crйation, les charmant de leurs petites mains, les nourrissant, les abreuvant, et leur racontant des histoires que, de la mangouste aux abeilles, ils йcoutaient.

 

Et je m’attendais bien а voir deux jeunes filles si vives mettre tout leur esprit critique, toute leur finesse, а porter sur leur vis-а-vis masculin, un jugement rapide, secret et dйfinitif. Dans mon enfance, mes sњurs attribuaient ainsi des notes aux invitйs qui, pour la premiиre fois, honoraient notre table. Et, lorsque la conversation tombait, on entendait soudain, dans le silence, retentir un «Onze!» dont personne, sauf mes sњurs et moi, ne goыtait le charme.

 

Mon expйrience de ce jeu me troublait un peu. Et j’йtais d’autant plus gкnй de sentir mes juges si avertis. Juges qui savaient distinguer les bкtes qui trichent des bкtes naпves, qui savaient lire au pas de leur renard s’il йtait ou non d’humeur abordable, qui possйdaient une aussi profonde connaissance des mouvements intйrieurs.

 

J’aimais ces yeux si aiguisйs et ces petites вmes si droites, mais j’aurais tellement prйfйrй qu’elles changeassent de jeu. Bassement pourtant et par peur du «onze» je leur tendais le sel, je leur versais le vin, mais je retrouvais, en levant les yeux, leur douce gravitй de juges que l’on n’achиte pas.

 

La flatterie mкme eыt йtй vaine: elles ignoraient la vanitй. La vanitй, mais non le bel orgueil, et pensaient d’elles, sans mon aide, plus de bien que je n’en aurais osй dire. Je ne songeais mкme pas а tirer prestige de mon mйtier, car il est autrement audacieux de se hisser jusqu’aux derniиres branches d’un platane et cela, simplement, pour contrфler si la nichйe d’oiseaux prend bien ses plumes, pour dire bonjour aux amis.

 

Et mes deux fйes silencieuses surveillaient toujours si bien mon repas, je rencontrais si souvent leur regard furtif, que j’en cessai de parler. Il se fit un silence et pendant ce silence quelque chose siffla lйgиrement sur le parquet, bruissa sous la table, puis se tut. Je levai des yeux intriguйs. Alors, sans doute satisfaite de son examen, mais usant de la derniиre pierre de touche, et mordant dans son pain de ses jeunes dents sauvages, la cadette m’expliqua simplement, avec une candeur dont elle espйrait bien, d’ailleurs, stupйfier le barbare, si toutefois j’en йtais un:

 

«C’est les vipиres.»

 

Et se tut, satisfaite, comme si l’explication eыt dы suffire а quiconque n’йtait pas trop sot. Sa sњur glissa un coup d’њil en йclair pour juger mon premier mouvement, et toutes deux penchиrent vers leur assiette le visage le plus doux et le plus ingйnu du monde.

 

«. Ah!… C’est les vipиres…»

 

Naturellement ces mots m’йchappиrent. Зa avait glissй dans mes jambes, зa avait frфlй mes mollets, et c’йtaient des vipиres…

 

Heureusement pour moi je souris. Et sans contrainte elles l’eussent senti. Je souris parce que j’йtais joyeux, parce que cette maison, dйcidйment, а chaque minute me plaisait plus; et parce que aussi j’йprouvais le dйsir d’en savoir plus long sur les vipиres. L’aоnйe me vint en aide:

 

«Elles ont leur nid dans un trou, sous la table.

 

– Vers dix heures du soir elles rentrent, ajouta la sњur. Le jour, elles chassent.»

 

А mon tour, а la dйrobйe, je regardai ces jeunes filles. Leur finesse, leur rire silencieux derriиre le paisible visage. Et j’admirais cette royautй qu’elles exerзaient…

 

Aujourd'hui, je rкve. Tout cela est bien lointain. Que sont devenues ces deux fйes? Sans doute se sont-elles mariйes. Mais alors ont-elles changй? Il est si grave de passer de l’йtat de jeune fille а l’йtat de femme. Que font-elles dans une maison neuve? Que sont devenues leurs relations avec les herbes folles et les serpents? Elles йtaient mкlйes а quelque chose d’universel. Mais un jour vient oщ la femme s’йveille dans la jeune fille. On rкve de dйcerner enfin un dix-neuf. Un dix-neuf pиse au fond du cњur. Alors un imbйcile se prйsente. Pour la premiиre fois des yeux si aiguisйs se trompent et l’йclairent de belles couleurs. L’imbйcile, s’il dit des vers, on le croit poиte. On croit qu’il comprend les parquets trouйs, on croit qu’il aime les mangoustes. On croit que cette confiance le flatte, dune vipиre qui se dandine, sous la table, entre ses jambes. On lui donne son cњur qui est un jardin sauvage, а lui qui n’aime que les parcs soignйs. Et l’imbйcile emmиne la princesse en esclavage.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 52 | Нарушение авторских прав


<== предыдущая страница | следующая страница ==>
Chapitre IV L’avion et la planиte| Chapitre VI Dans le dйsert

mybiblioteka.su - 2015-2024 год. (0.019 сек.)