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Chapitre IV L’avion et la planиte

Chapitre I La ligne | Chapitre II Les camarades | Chapitre VI Dans le dйsert | Chapitre VII Au centre du dйsert | Chapitre VIII Les hommes |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

I

 

L’Avion est une machine sans doute, mais quel instrument d’analyse! Cet instrument nous a fait dйcouvrir le vrai visage de la terre. Les routes, en effet, durant des siиcles, nous ont trompйs. Nous ressemblions а cette souveraine qui dйsira visiter ses sujets et connaоtre s’ils se rйjouissaient de son rиgne. Ses courtisans, afin de l’abuser, dressиrent sur son chemin quelques heureux dйcors et payиrent des figurants pour y danser. Hors du mince fil conducteur, elle n’entrevоt rien de son royaume, et ne sut point qu’au large des campagnes ceux qui mouraient de faim la maudissaient.

 

Ainsi, cheminions-nous le long des routes sinueuses. Elles йvitent les terres stйriles, les rocs, les sables, elles йpousent les besoins de l’homme et vont de fontaine en fontaine. Elles conduisent les campagnards de leurs granges aux terres а blй, reзoivent au seuil des йtables le bйtail encore endormi et le versent, dans l’aube, aux luzernes. Elles joignent ce village а cet autre village, car de l’un а l’autre on se marie. Et si mкme l’une d’elles s’aventure а franchir un dйsert, la voilа qui fait vingt dйtours pour se rйjouir des oasis.

 

Ainsi trompйs par leurs inflexions comme par autant d’indulgents mensonges, ayant longй, au cours de nos voyages, tant de terres bien arrosйes, tant de vergers, tant de prairies, nous avons longtemps embelli l’image de notre prison. Cette planиte, nous l’avons crue humide et tendre.

 

Mais notre vue s'est aiguisйe, et nous avons fait un progrиs cruel. Avec l’avion, nous avons appris la ligne droite. А peine avons-nous dйcollй nous lвchons ces chemins qui s’inclinent vers les abreuvoirs et les йtables, ou serpentent de ville en ville. Affranchis dйsormais des servitudes bien-aimйes, dйlivrйs du besoin des fontaines, nous mettons le cap sur nos buts lointains. Alors seulement, du haut de nos trajectoires rectilignes, nous dйcouvrons le soubassement essentiel, l’assise de rocs, de sable, et de sel, oщ la vie, quelquefois, comme un peu de mousse au creux des ruines, ici et lа se hasarde а fleurir.

 

Nous voilа donc changйs en physiciens, en biologistes, examinant ces civilisations qui ornent des fonds de vallйes, et, parfois, par miracle, s’йpanouissent comme des parcs lа oщ le climat les favorise. Nous voilа donc jugeant l’homme а l’йchelle cosmique, l’observant а travers nos hublots, comme а travers des instruments d’йtude. Nous voilа relisant notre histoire.

 

II

 

Le pilote qui se dirige vers le dйtroit de Magellan, survole un peu au sud de Rio Gallegos une ancienne coulйe de lave. Ces dйcombres pиsent sur la plaine de leurs vingt mиtres d’йpaisseur. Puis, il rencontre une seconde coulйe, une troisiиme, et dйsormais chaque bosse du sol, chaque mamelon de deux cents mиtres, porte au flanc son cratиre. Point d’orgueilleux Vйsuve: posйes а mкme la plaine, des gueules d’obusiers.

 

Mais aujourd’hui le calme s’est fait. On le subit avec surprise dans ce paysage dйsaffectй, oщ mille volcans se rйpondaient l’un l’autre, de leurs grandes orgues souterraines, quand ils crachaient leur feu. Et l’on survole une terre dйsormais muette, ornйe de glaciers noirs.

 

Mais, plus loin, des volcans plus anciens sont habillйs dйjа d’un gazon d’or. Un arbre parfois pousse dans leur creux comme une fleur dans un vieux pot. Sous une lumiиre couleur de fin de jour, la plaine se fait luxueuse comme un parc, civilisйe par l’herbe courte, et ne se bombe plus qu’а peine autour de ses gosiers gйants. Un liиvre dйtale, un oiseau s’envole, la vie a pris possession d’une planиte neuve, oщ la bonne pвte de la terre s’est enfin dйposйe sur l’astre.

 

Enfin, un peu avant Punta Arenas, les derniers cratиres se comblent. Une pelouse unie йpouse les courbes des volcans: ils ne sont plus dйsormais que douceur. Chaque fissure est recousue par ce lin tendre. La terre est lisse, les pentes sont faibles, et l’on oublie leur origine. Cette pelouse efface, du flanc des collines, le signe sombre.

 

Et voici la ville la plus sud du monde, permise par le hasard d’un peu de boue, entre les laves originelles et les glaces australes. Si prиs des coulйes noires, comme on sent bien le miracle de l’homme! L’йtrange rencontre! On ne sait comment, on ne sait pourquoi ce passager visite ces jardins prйparйs, habitables pour un temps si court, une йpoque gйologique, un jour bйni parmi les jours.

 

J’ai atterri dans la douceur du soir. Punta Arenas! Je m’adosse contre une fontaine et regarde les jeunes filles. А deux pas de leur grвce, je sens mieux encore le mystиre humain. Dans un monde oщ la vie rejoint si bien la vie, oщ les fleurs dans le lit mкme du vent se mкlent aux fleurs, oщ le cygne connaоt tous les cygnes, les hommes seuls bвtissent leur solitude.

 

Quel espace rйserve entre eux leur part spirituelle! Un songe de jeune fille l’isole de moi, comment l’y joindre? Que connaоtre d’une jeune fille qui rentre chez elle а pas lents, les yeux baissйs et se souriant а elle-mкme, et dйjа pleine d’inventions et de mensonges adorables? Elle a pu, des pensйes, de la voix et des silences d’un amant, se former un Royaume, et dиs lors il n'est plus pour elle, en dehors de lui, que des barbares. Mieux que dans une autre planиte, je la sens enfermйe dans son secret, dans ses coutumes, dans les йchos chantants de sa mйmoire. Nйe hier de volcans, de pelouses ou de la saumure des mers, la voici dйjа а demi divine.

 

Punta Arenas! Je m’adosse contre une fontaine. Des vieilles viennent y puiser; de leur drame je ne connaоtrai que ce mouvement de servantes. Un enfant, la nuque au mur, pleure en silence; il ne subsistera de lui, dans mon souvenir, qu’un bel enfant а jamais inconsolable. Je suis un йtranger. Je ne sais rien. Je n’entre pas dans leurs Empires.

 

Dans quel mince dйcor se joue ce vaste jeu des haines, des amitiйs, des joies humaines! D’oщ les hommes tirent-ils ce goыt d’йternitй, hasardйs comme ils sont sur une lave encore tiиde et dйjа menacйs par les sables futurs, menacйs par les neiges? Leurs civilisations ne sont que fragiles dorures: un volcan les efface, une mer nouvelle, un vent de sable.

 

Cette ville semble reposer sur un vrai sol que l’on croit riche en profondeur comme une terre de Beauce. On oublie que la vie, ici comme ailleurs, est un luxe, et qu’il n’est nulle part de terre bien profonde sous le pas des hommes. Mais je connais, а dix kilomиtres de Punta Arenas, un йtang qui nous le dйmontre. Cernй d’arbres rabougris et de maisons basses, humble comme une mare dans une cour de ferme, il subit inexplicablement les marйes. Poursuivant nuit et jour sa lente respiration parmi tant de rйalitйs paisibles, ces roseaux, ces enfants qui jouent, il obйit а d’autres lois. Sous la surface unie, sous la glace immobile, sous l’unique barque dйlabrйe, l’йnergie de la lune opиre. Des remous marins travaillent, dans ses profondeurs, cette masse noire. D’йtranges digestions se poursuivent, lа autour et jusqu’au dйtroit de Magellan, sous la couche lйgиre d’herbe et de fleurs. Cette mare de cent mиtres de large, au seuil d’une ville oщ l’on se croit chez soi, bien йtabli sur la terre des hommes, bat du pouls de la mer.

 

III

 

Nous habitons une planиte errante. De temps а autre, grвce а l’avion elle nous montre son origine: une mare en relation avec la lune rйvиle des parentйs cachйes – mais j’en ai connu d’autres signes.

 

On survole de loin en loin, sur la cфte du Sahara entre Cap Juby et Cisneros, des plateaux en forme de troncs de cфne dont la largeur varie de quelques centaines de pas а une trentaine de kilomиtres. Leur altitude, remarquablement uniforme, est de trois cents mиtres. Mais, outre cette йgalitй de niveau, ils prйsentent les mкmes teintes, le mкme grain de leur sol, le mкme modelй de leur falaise. De mкme que les colonnes d’un temple, йmergeant seules du sable, montrent encore les vestiges de la table qui s’est йboulйe, ainsi ces piliers solitaires tйmoignent d’un vaste plateau qui les unissait autrefois.

 

Au cours des premiиres annйes de la ligne Casablanca-Dakar, а l’йpoque oщ le matйriel йtait fragile, les pannes, les recherches et les sauvetages nous ont contraints d’atterrir souvent en dissidence. Or, le sable est trompeur: on le croit ferme et l’on s’enlise. Quant aux anciennes salines qui semblent prйsenter la rigiditй de l’asphalte, et sonnent dur sous le talon, elles cиdent parfois sous le poids des roues. La blanche croыte de sel crиve, alors, sur la puanteur d’un marais noir. Aussi choisissions-nous, quand les circonstances le permettaient, les surfaces lisses de ces plateaux: elles ne dissimulaient jamais de piиges.

 

Cette garantie йtait due а la prйsence d’un sable rйsistant, aux grains lourds, amas йnorme de minuscules coquillages. Intacts encore а la surface du plateau, on les dйcouvrait qui se fragmentaient et s’agglomйraient, а mesure que l’on descendait le long d’une arкte. Dans le dйpфt le plus ancien, а la base du massif, ils constituaient dйjа du calcaire pur.

 

Or, а l’йpoque de la captivitй de Reine et Serre, camarades dont les dissidents s’йtaient emparйs, il se trouva qu’ayant atterri sur l’un de ces refuges, afin de dйposer un messager maure, je cherchai avec lui, avant de le quitter, s’il йtait un chemin par oщ il pыt descendre. Mais notre terrasse aboutissait, dans toutes les directions, а une falaise qui croulait, а la verticale, dans l’abоme, avec des plis de draperie. Toute йvasion йtait impossible.

 

Et cependant, avant de dйcoller pour chercher ailleurs un autre terrain, je m’attardai ici. J’йprouvais une joie peut-кtre puйrile а marquer de mes pas un territoire que nul jamais encore, bкte ou homme, n’avait souillй. Aucun Maure n’eыt pu se lancer а l’assaut de ce chвteau fort. Aucun Europйen, jamais, n’avait explorй ce territoire. J’arpentais un sable infiniment vierge. J’йtais le premier а faire ruisseler, d’une main dans l’autre, comme un or prйcieux, cette poussiиre de coquillages. Le premier а troubler ce silence. Sur cette sorte de banquise polaire qui, de toute йternitй, n’avait pas formй un seul brin d’herbe, j’йtais, comme une semence apportйe par les vents, le premier tйmoignage de la vie.

 

Une йtoile luisait dйjа et je la contemplai. Je songeai que cette surface blanche йtait restйe offerte aux astres seuls depuis des centaines de milliers d’annйes. Nappe tendue immaculйe sous le ciel pur. Et je reзus un coup au cњur, ainsi qu’au seuil d’une grande dйcouverte, quand je dйcouvris sur cette nappe, а quinze ou vingt mиtres de moi, un caillou noir.

 

Je reposais sur trois cents mиtres d’йpaisseur de coquillages. L’assise йnorme, tout entiиre, s’opposait, comme une preuve pйremptoire, а la prйsence de toute pierre. Des silex dormaient peut-кtre dans les profondeurs souterraines, issus des lentes digestions du globe, mais quel miracle eыt fait remonter l’un d’entre eux jusqu’а cette surface trop neuve? Le cњur battant, je ramassai donc ma trouvaille: un caillou dur, noir, de la taille du poing, lourd comme du mйtal, et coulй en forme de larme.

 

Une nappe tendue sous un pommier ne peut recevoir que des pommes, une nappe tendue sous les йtoiles ne peut recevoir que des poussiиres d’astres; jamais aucun aйrolithe n’avait montrй avec une telle йvidence son origine.

 

Et, tout naturellement, en levant la tкte, je pensai que, du haut de ce pommier cйleste, devaient avoir chu d’autres fruits. Je les retrouverais au point mкme de leur chute, puisque, depuis des centaines de milliers d’annйes, rien n’avait pu les dйranger. Puisqu’ils ne se confondraient point avec d’autres matйriaux. Et, aussitфt, je m’en fus en exploration pour vйrifier mon hypothиse.

 

Elle se vйrifia. Je collectionnai mes trouvailles а la cadence d’une pierre environ par hectare. Toujours cet aspect de lave pйtrie. Toujours cette duretй de diamant noir. Et j’assistai ainsi, dans un raccourci saisissant, du haut de mon pluviomиtre а йtoiles, а cette lente averse de feu.

 

IV

 

Mais le plus merveilleux йtait qu’il y eыt lа, debout sur le dos rond de la planиte, entre ce linge aimantй et ces йtoiles, une conscience d’homme dans laquelle cette pluie pыt se rйflйchir comme dans un miroir. Sur une assise de minйraux un songe est un miracle. Et je me souviens d’un songe…

 

Йchouй ainsi une autre fois dans une rйgion de sable йpais, j’attendais l’aube. Les collines d’or offraient а la lune leur versant lumineux, et des versants d’ombre montaient jusqu’aux lignes de partage de la lumiиre. Sur ce chantier dйsert d’ombre et de lune, rйgnait une paix de travail suspendu, et aussi un silence de piиge, au cњur duquel je m’endormis.

 

Quand je me rйveillai, je ne vis rien que le bassin du ciel nocturne, car j’йtais allongй sur une crкte, les bras en croix et face а ce vivier d’йtoiles. N’ayant pas compris encore quelles йtaient ces profondeurs, je fus pris de vertige, faute d’une racine а quoi me retenir, faute d’un toit, d’une branche d’arbre entre ces profondeurs et moi, dйjа dйliй, livrй а la chute comme un plongeur.

 

Mais je ne tombai point. De la nuque aux talons, je me dйcouvrais nouй а la terre. J’йprouvais une sorte d’apaisement а lui abandonner mon poids. La gravitation m’apparaissait souveraine comme l’amour.

 

Je sentais la terre йtayer mes reins, me soutenir, me soulever, me transporter dans l’espace nocturne. Je me dйcouvrais appliquй а l’astre, par une pesйe semblable а cette pesйe des virages qui vous appliquent au char, je goыtais cet йpaulement admirable, cette soliditй, cette sйcuritй, et je devinais, sous mon corps, ce pont courbe de mon navire.

 

J’avais si bien conscience d’кtre emportй, que j’eusse entendu sans surprise monter du fond des terres, la plainte des matйriaux qui se rйajustent dans l’effort, ce gйmissement des vieux voiliers qui prennent leur gоte, ce long cri aigre que font les pйniches contrariйes. Mais le silence durait dans l’йpaisseur des terres. Mais cette pesйe se rйvйlait, dans mes йpaules, harmonieuse, soutenue, йgale pour l’йternitй. J’habitais bien cette patrie, comme les corps des galйriens morts, lestйs de plomb, le fond des mers.

 

Et je mйditai sur ma condition, perdu dans le dйsert et menacй, nu entre le sable et les йtoiles, йloignй des pфles de ma vie par trop de silence. Car je savais que j’userais, а les rejoindre, des jours, des semaines, des mois, si nul avion ne me retrouvait, si les Maures, demain, ne me massacraient pas. Ici, je ne possйdais plus rien au monde. Je n’йtais rien qu’un mortel йgarй entre du sable et des йtoiles, conscient de la seule douceur de respirer…

 

Et cependant, je me dйcouvris plein de songes.

 

Ils me vinrent sans bruit, comme des eaux de source, et je ne compris pas, tout d’abord, la douceur qui m’envahissait. Il n’y eut point de voix, ni d’images, mais le sentiment d’une prйsence, d’une amitiй trиs proche et dйjа а demi devinйe. Puis, je compris et m’abandonnai, les yeux fermйs, aux enchantements de ma mйmoire.

 

Il йtait, quelque part, un parc chargй de sapins noirs et de tilleuls, et une vieille maison que j’aimais. Peu importait qu’elle fыt йloignйe ou proche, qu’elle ne pыt ni me rйchauffer dans ma chair ni m’abriter, rйduite ici au rфle de songe il suffisait qu’elle existвt pour remplir ma nuit de sa prйsence. Je n’йtais plus ce corps йchouй sur une grиve, je m’orientais, j’йtais l’enfant de cette maison, plein du souvenir de ses odeurs, plein de la fraоcheur de ses vestibules, plein des voix qui l’avaient animйe. Et jusqu’au chant des grenouilles dans les mares qui venait ici me rejoindre. J’avais besoin de ces mille repиres pour me reconnaоtre moi-mкme, pour dйcouvrir de quelles absences йtait fait le goыt de ce dйsert, pour trouver un sens а ce silence fait de mille silences, oщ les grenouilles mкmes se taisaient.

 

Non, je ne logeais plus entre le sable et les йtoiles. Je ne recevais plus du dйcor qu’un message froid. Et ce goыt mкme d’йternitй que j’avais cru tenir de lui, j’en dйcouvrais maintenant l’origine. Je revoyais les grandes armoires solennelles de la maison. Elles s’entrouvraient sur des piles de draps blancs comme neige. Elles s’entrouvraient sur des provisions glacйes de neige. La vieille gouvernante trottait comme un rat de l'une а l’autre, toujours vйrifiant, dйpliant, repliant, recomptant le linge blanchi, s’йcriant: «Ah! mon Dieu, quel malheur» а chaque signe d’une usure qui menaзait l’йternitй de la maison, aussitфt courant se brыler les yeux sous quelque lampe, а rйparer la trame de ces nappes d’autel, а ravauder ces voiles de trois-mвts, а servir je ne sais quoi de plus grand qu’elle, un Dieu ou un navire.

 

Ah! je te dois bien une page. Quand je rentrais de mes premiers voyages, mademoiselle, je te retrouvais l’aiguille а la main, noyйe jusqu’aux genoux dans tes surplis blancs, et chaque annйe un peu plus ridйe, un peu plus blanchie, prйparant toujours de tes mains ces draps sans plis pour nos sommeils, ces nappes sans coutures pour nos dоners, ces fкtes de cristaux et de lumiиre. Je te visitais dans ta lingerie, je m’asseyais en face de toi, je te racontais mes pйrils de mort pour t’йmouvoir, pour t’ouvrir les yeux sur le monde, pour te corrompre. Je n’avais guиre changй, disais-tu. Enfant, je trouais dйjа mes chemises. – Ah! quel malheur! – et je m’йcorchais aux genoux; puis je revenais а la maison pour me faire panser, comme ce soir. Mais non, mais non, mademoiselle! ce n’йtait plus du fond du parc que je rentrais, mais du bout du monde, et je ramenais avec moi l’odeur вcre des solitudes, le tourbillon des vents de sable, les lunes йclatantes des tropiques! Bien sыr, me disais-tu, les garзons courent, se rompent les os, et se croient trиs forts. Mais non, mais non, mademoiselle, j’ai vu plus loin que ce parc! Si tu savais comme ces ombrages sont peu de chose! Qu’ils semblent bien perdus parmi les sables, les granits, les forкts vierges, les marais de la terre. Sais-tu seulement qu’il est des territoires oщ les hommes, s'ils vous rencontrent, йpaulent aussitфt leur carabine? Sais-tu mкme qu’il est des dйserts oщ l’on dort, dans la nuit glacйe, sans toit, mademoiselle, sans lit, sans draps…

 

«Ah! barbare», disais-tu.

 

Je n’entamais pas mieux sa foi que je n’eusse entamй la foi d’une servante d’йglise. Et je plaignais son humble destinйe qui la faisait aveugle et sourde…

 

Mais cette nuit, dans le Sahara, nu entre le sable et les йtoiles, je lui rendis justice.

 

Je ne sais pas ce qui se passe en moi. Cette pesanteur me lie au sol quand tant d’йtoiles sont aimantйes. Une autre pesanteur me ramиne а moi-mкme. Je sens mon poids qui me tire vers tant de choses! Mes songes sont plus rйels que ces dunes, que cette lune, que ces prйsences. Ah! le merveilleux d’une maison n’est point qu’elle vous abrite ou vous rйchauffe, ni qu’on en possиde les murs. Mais bien qu’elle ait lentement dйposй en nous ces provisions de douceur. Qu’elle forme, dans le fond du cњur, ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes…

 

Mon Sahara, mon Sahara, te voilа tout entier enchantй par une fileuse de laine!


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 35 | Нарушение авторских прав


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