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P.V.P.: Vous avez des interprétations différentes sur l'origine du mot danmyé, où en êtes-vous dans vos recherches à ce propos?
P.D.: À partir de la description que nous ont fait les anciens, nous avons cherché à comprendre le danmyé dans toutes ses formes. La recherche du sens du mot danmyé est très riche. On dit qu'il représenterait une symbolique qui oppose le noir et le blanc, dans le jeu de Dame. On a dit aussi qu'il vient du fait que les travailleurs «damaient» la terre après avoir creusé les emplacements pour construire les maisons, et qu'ils jouaient ensuite dessus au danmyé. Si on s'en tient à la langue africaine, on trouve deux mots: le mot ganm et le mot danm, dérivants de deux familles de langue africaine, qui signifient initié [ 5 ].
La particule yè désigne le groupe: ceux qui sont danm et/ou ganm; danmyé voudrait dire alors ceux qui sont initiés. Cela correspond au sens profond du danmyé, ceux qui se battent au troisième niveau: le «goumen» danmyé.
En créole nous disons ganmé. Quand quelqu'un est ganmé cela veut dire aujourd'hui qu'il est élégant. Or avant, dans la société coloniale, était ganmé celui qui était habillé en blanc, c'était la couleur du coton, le prestige, mais aussi la couleur de l'initié (celui qui officie). Maintenant encore, quand on voit quelqu'un qui est toujours habillé de blanc, on lui dit en créole: «ou se an mantô» (tu es un Mentor). Mentor étant le nom d'un général martiniquais de l'armée française, passé du côté de Toussaint Louverture lors de la guerre d'indépendance d'Haïti. Il est employé dans la langue créole pour désigner la puissance, plus particulièrement la puissance occulte, magique, spirituelle. Cette hypothèse n'est pas à négliger car le créole, avec d'autres mots ou des mots transformés, a conservé son sens premier.
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Il y a un autre terme qui désigne le danmyé, c'est le mot lagya ou ladja (anciennement écrit laghya). Pour comprendre l'origine de ce mot, il faut partir du syncrétisme des cultures des différents peuples africains qui s'est effectué en Martinique pendant la période esclavagiste.
Il y a eu un syncrétisme noir/blanc, mais on oublie souvent le syncrétisme qui s'est opéré entre les cultures africaines elles-mêmes. Les Noirs ont enlevé de leur culture tout ce qui était fortuit, superflu, pour ne garder que l'essentiel, ce qui leur permettait de maintenir les principes indispensables de vie, donc à l'époque, de résister. Je vous conseille de lire à ce propos le dernier livre de Gabriel Antiope qui parle des rapports entre la danse et la résistance.
Au Bénin, il y a une lutte qui s'appelle kadjà, où l'on retrouve des prises similaires au danmyé. Le terme adjae dans les langues Éwé veut dire arrache-le, étripe-le, coupe-le. Les gens, autour de la ronde du danmyé utilisaient exactement les mêmes termes: c'était dans l'esprit du combat. Ladjà, qui est employé chez nous pour designer aussi le danmyé, peut avoir ces origine [ 6 ]. Monsieur Dufrénot écrira Des Antilles à l'Afrique et parlera de l'importance de la langue Éwé dans notre culture. Sur le mot laghyà, Cheik Anta Diop, le grand égyptologue d'origine sénégalaise, a écrit dans le tome II de son livre Nation Nègres et Culture, que laghià voulait dire: histoire de la chevalerie sénégalaise; ces chevaliers étant presque comparés à des samouraï dans leurs façons de vivre. Il y a des choses que j'ai retrouvé dans l'esprit du danmyé qui sont tout à fait identiques. Par exemple les Lai qui étaient des seigneurs dans les royaumes sénégalais, n'avaient pas le droit de manger seuls, de perdre un combat, ni de se battre avec un plus faible, sous peine d'être déshonorés et de se donner la mort. Il faut noter que le Sénégal a été l'un des premiers endroits où la traite des Noirs a commencé, les premiers esclaves et colonisateurs qui sont arrivés en Martinique venaient de ce pays et des pays avoisinants.
rites et initiations |
Il y a un combat de danmyé qui s'est déroulé au Diamant sur la plage près d'un canot. C'était un Noir de la commune du Diamant contre un Chabin (Métis) du Vauclin. D'après ce que disent les anciens et la tradition orale, ils se sont battus pendant presque une demie heure. À un moment donné, le Chabin du Vauclin aurait pris l'ascendant sur le Noir du Diamant en l'étranglant sur le bord du canot. Le Noir, en cherchant à se défendre, met sa main dans le canot, trouve ce qu'on appelle en Créole An bèkmè (ou bec d'Espadon) et pique le Chabin avec. Les anciens nous racontent cela pour mettre en relief l'attitude du Chabin, sa valeur combattive. En effet, alors qu'il est blessé à mort, celui-ci répond: «ou pran mwen jodi-a, mé on lapot syëlila, man kè tchenbé'io» (tu m'as eu aujourd'hui, mais je t'aurai à la porte du ciel). Le combat n'était pas terminé. C'est vous dire comment les attitudes et les traditions se retrouvent ici.
Pourquoi je parle du Sénégal? Parce que dès la fin du XVIIème siècle (1695) est promulgué le Code Noir avec l'article 16 qui interdit aux Noirs le port du bâton (considéré comme une arme). Nous appelons le combat bâton: ladja-bâton, mais dans la tradition orale, il est appelé aussi jankoulib. Si on se réfère aux dates, à notre connaissance il est présent dès le XVIIème siècle. À cette époque, les Français sont plutôt présents au Bénin, au Sénégal, au Nord du golfe de Guinée. Les Portugais sont arrivés plus bas. Les esclaves se battent déjà au bâton en Martinique. Autour du bâton il y aurait tellement de choses à dire! Des archives photographiques attestent que ce combat se déroulait avec le tambour. Le danmyé est aussi désigné sous un autre nom: kokoyé, qui viendrait de kokoulé du Bénin, autre forme de lutte. On le retrouve beaucoup dans la région du Nord atlantique, qui en Martinique s'étend entre Basse-Pointe et Grand-Rivière. Tu joues un tambour kokoyé, ça veut dire tu joues un tambour danmyé, ou ké fé an kokoyé.
Il existe enfin un quatrième terme pour désigner le danmyé, c'est wonpwen qui indique un rond dans lequel on se bat avec les poings, mais aussi un cercle dans lequel les gens sont capables de se battre avec des pwen, des pratiques magico-religieuses. Quand en créole on dit ou ni an pwen anlé mwen ça signifie qu'on domine l'autre par une pratique magico-religieuse. Tout cela existe dans le danmyé. En fait, on remarque que le danmyé est le fruit d'un syncrétisme, déjà au niveau de l'Afrique, entre des traditions de différents peuples de la côte ouest, qui s'étendent du Sénégal au Mozambique.
P.V.P.: Tu es formateur et en même temps engagé dans la pratique, la pédagogie et les recherches sur le passé du danmyé. Les explications que tu nous donnes sont le fruit de tes recherches personnelles?
P.D.: C'est une recherche que j'ai faite dans le cadre d'un DEA de Langues et Cultures Créoles. Le terrain d'investigation est très riche, et pour comprendre les cultures africaines, j'ai du me référer aux travaux de Cheik Anta Diop, mais aussi des égyptologues de renom tel Alain Anselin qui réside en Martinique. Dans le ladja, le danmyé de la Martinique, il ya beaucoup d'attitudes de danse, de coups, qui sont proches de la capoeira brésilienne. La capoeira se dit originaire du ngolo venu d'Angola. En fait, des recherches approfondies nous montrent qu'il n'y avait aucun rapport avec le ngolo. Lors de fouilles en Égypte en 1890-95 on a découvert des tombeaux de pharaons égyptiens représentant des images de plusieurs types de sports. Nous avons pratiqué en Martinique beaucoup de ces sports: des courses de canots, le canot à la pagaie, la course aux avirons. On découvrira dans ces tombeaux de pharaons égyptiens la pratique de la boxe, de la lutte, de la gymnastique, de l'acrobatie. On va aussi découvrir la lutte africaine, la lutte libre. Tout cela trois mille ans avant ].C. Au dernier millénaire avant ].C., par l'intermédiaire de villes comme Alexandrie, les Grecs seront en liaison avec ce peuple. La lutte africaine sera étudiée et apprise par les Grecs, la boxe africaine aussi. Chez eux, ils la transformeront pour en faire une lutte totale: le Pancrace, qui va sortir de Grèce pour revenir en Afrique, où il deviendra un des sports les plus prisés dans le palais des pharaons et dans la tradition africaine.
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On retrouve en Martinique tous ces aspects, nous avons donc découvert dans le danmyé des pratiques qui sont plus que millénaires: la lutte appelée lévé-féssé, le combat uniquement avec les poings ou avec les pieds, les formes mélangées dans lesquelles celui qui se bat avec les pieds et les poings est capable d'entrer aussi en lutte. La question de la boxe est importante, puisqu'elle nous emmène très loin. Le scribe égyptien met face à face un boxeur et un danseur. Les premiers chercheurs étaient surpris, c'était inconcevable, on ne peut pas mettre un danseur face à un boxeur. Chez nous, par contre, c'est parfaitement concevable, vous pouvez danser en étant au combat, c'est le danmyé. En effet, les postures que l'on retrouve dans le danmyé, dans le ladja, et même dans une danse d'amour qu'on appelle la béguin ou la biguin-belin, sont des postures avec une gestuelle issue de ce qu'on appelle le yoga des pharaons [ 7 ]. Le pharaon était le représentant de Dieu sur Terre, il avait une gestuelle, un cérémonial lui permettant d'entrer en contact avec lui. Dieu était au-delà des formes, au-delà de la couleur de la peau, de la race, au-delà du visible, parfois même au-delà de l'invisible, unissant le visible et l'invisible, le matériel et l'immatériel. Il y a un débat chez les égyptologues sur ce sujet, mais en tout cas cela nous permet de comprendre nos pratiques.
En fait, le yoga des pharaons combine toute la connaissance du hajha-yoga de l'Inde avec d'autres postures, qu'on appelle les postures du yoga de la verticalité. Le yoga des pharaons pouvait utiliser la posture en équilibre sur les mains ou les pieds. Cette posture de verticalité où la cage thoracique est dégagée pour respirer profondément, revient toujours. Quand on connaît l'importance de la respiration dans le yoga, on comprend pourquoi. Toutes ces postures étaient travaillées dans la marche pharaonique, une marche posée, liée à la respiration.
Quand j'ai cherché l'origine gestuelle du danmyé, j'ai cru d'abord qu'elle venait de l'Église Catholique, parce que j'avais retrouvé beaucoup de postures similaires au danmyé dans celles que le prêtre adopte lors de la messe quand il officie devant l'autel. Ces correspondances ne m'expliquait pas toutes les autres postures qu'on retrouve dans le danmyé. Mais quand j'ai découvert le yoga des pharaons, les correspondances couvraient l'ensemble des postures. C'était flagrant. Mieux, je découvrais que l'Église Catholique, avait beaucoup hérité des rituels pharaoniques de la religion Osirienne [ 8 ].
Ce n'est pas un hasard si en Égypte ancienne, qui était une civilisation noire issue de la culture africaine (quoi qu'en puissent penser certains détracteurs), on retrouve les mêmes postures qu'en Afrique ancienne. Ces postures pouvaient être utilisées de façon dynamique à travers la danse, mais aussi comme postures du corps de façon passive ou apaisante. Il est important de noter que ces postures participent au développement de l'énergie du corps, à sa revitalisation, et à la façon dont le corps humain lie les deux énergies fondamentales du ciel et de la terre. Dans le danmyé ce travail est très clair: de façon active par la fusion des deux énergies - l'éveil du chakra et l'éveil des sources d'énergie du corps - d'une façon passive par le travail de la respiration, auxquels il faut ajouter le travail par le rythme et le son.
La première chose que nous apprenons est la marche consciente, en «homolatéralité» et en «controlatéralité», il s'agit des développements de formes de marche appelées le balansé-marché. Dans la danse, la façon active et la façon passive sont mélangées et contribuent, moins à détruire l'autre, qu'à l'éveiller. La source profonde du danmyé, quand elle est correctement comprise, est l'éveil de l'être dans toutes ses dimensions, dans tous les chemins du savoir. C'est en fait la rencontre avec ce qu'il y a de plus profond en nous. Ça passe par des choses élémentaires. Tout le monde va chercher peut-être dans la magie ou les livres: non! Cela passe par les choses simples de la vie: apprendre à marcher correctement, apprendre à esquiver correctement, apprendre à être régulier dans sa cadence, dans son travail, dans sa persévérance. Ça passe par des choses qui travaillent le corps, le mental, qui préparent à l'ouverture d'esprit. Ça, on peut l'apprendre.
P.V.P.: Ton explication est très précieuse, parce que nous n'avons pas forcément les codes pour comprendre ce qui est en jeu. Pour percevoir en profondeur le danmyé, faut-il selon toi en connaître le trajet historique?
photo: Cyg |
P.D.: Il faut que celui qui entraîne au danmyé puisse parler en connaissance de cause. Il n'y a pas beaucoup de personnes en Martinique qui peuvent parler de cette façon. Même si je pense peut-être, à l'heure actuelle, être celui qui fait la recherche la plus poussée, il est vrai que nous sommes plusieurs à chercher dans la même direction. Tôt ou tard, nous allons mettre nos connaissances en commun et nous serons clairs sur cet art. En tout cas, les grandes lignes sont tracées. Si nous voulons parler du point de vue national, je suis très clair là-dessus: nous n'avons rien à envier aux autres arts martiaux. Nous avons tout simplement à développer le nôtre.
Du point de vue humain, à partir de notre pratique, on s'aperçoit que l'on rencontre les autres pratiques. L'Église catholique a usé des pratiques de l'Église romaine, Rome a utilisé des pratiques égyptiennes. Les Noirs, quand ils étaient persécutés, disaient aux prêtres colons qui débarquaient en Martinique: «vous parlez de Dieu, mais visiblement, nous connaissons Dieu mieux que vous». Que penser de certaines conceptions racistes, fascistes, qui disent que les hommes, selon la couleur de leur peau, sont supérieurs ou inférieurs à d'autres? Les Africains ont connu ça. Au départ les textes égyptiens disaient: Dieu est noir. Et puis, ils se sont rendus compte qu'il existait des hommes qui n'étaient pas noirs: tous ceux qu'on appelle les Sémites, les Asiatiques et puis les Blancs. Sachant qu'ils ne les appelaient pas blancs, mais rouges. Alors, que s'est-il passé? Leurs textes sont très clairs. Dieu est au-delà des formes et des couleurs, en fait il est immatériel. Chaque homme est à l'image de Dieu et chaque homme a Dieu en lui, c'est extraordinaire! Ça existait deux à trois mille ans avant Jésus-Christ. Il y a aussi le professeur Bilolo, un camerounais qui exerce en Allemagne, parfois à l'Université de Californie, et qui a écrit sur l'origine des thèses religieuses africaines et sur leurs répercussions. Certains psaumes de la Bible existent bien longtemps avant qu'on l'ait écrite. Il y a une tradition orale importante. Pour faire référence à votre propre culture, vous pouvez lire Le style Gral deMarcel Jousse, dans lequel l'écrivain affirme que vous ne pouvez pas comprendre la Bible si vous ne la remettez pas dans le contexte de la tradition orale de l'époque. C'est à travers cette tradition orale, par la parole, le verbe, qu'étaient colportées les traditions. Combien de choses se sont perdues par l'écriture, parce qu'on a perdu la gestuelle qui l'accompagne! Il écrit: «Les peuples qui sont ailleurs ont à nous apprendre notre propre histoire, parce que parfois, ils l'ont conservée dans leur tradition orale.» C'est pourquoi la rencontre entre le danmyé et Les périphériques vous parlent est très enrichissante. Je suis content qu'on en parle.
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Дата добавления: 2015-07-15; просмотров: 100 | Нарушение авторских прав
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