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II. — Les faits relativement systématisables

1. La phonologie lexicale. — La phonologie étudie les sons du langage en relation avec les varia-tions de sens qu'ils permettent. Elle isole et analyse les unités minimales distinctives, les phonèmes. Ses deux opérations d'analyse sont la segmentation et la commutation. Leur simplicité et leur efficacité ont fait de la phonologie la plus systématisée des disciplines de la linguistique, celle qui fournit ses modes opératoires à toutes les autres 1. Elle intéresse la lexicologie au regard de la manière dont sont associés les phonèmes: types de phonèmes, ordres de leurs assemblages, longueur des mots. Elle éclaire les données graphiques, les conditions de l'adaptation d'un mot étranger, celles de la création d'une nouvelle unité, celles de la créolisation.

2. La morphologie lexicale. — Le programme de travail de la morphologie lexicale est clair: identifier et analyser des éléments signifiants minimaux, les morphèmes: rendre compte de leurs associations dans la formation des mots. Ce sont des éléments inférieurs ou égaux à la dimension du mot. La méthode, identique à celle de la phonologie, est tout aussiclaire: l'unité examinée peut être segmentée ou non, les éléments obtenus peuvent être commutés ou non. Oui pour lav- / -age, parce qu'on y reconnaît deux axes paradigmatiques d'échanges: lav-, lev-, accroch-, usin- + -âge et lav- + -age, -eur, -ement, -erie. et parce que les unités ainsi isolées sont des morphèmes qui conservent ces caractères, dans d'autres regroupements. Non pour sage, le «s» et le «âge» n'ayant aucun de ces caractères donc n'étant pas des morphèmes. Se trouvent ainsi distingués des mots simples, qui ne comportent qu'un morphème autonome (sage), et des mots construits, qui comportent plusieurs morphèmes (lavage, lave-linge).

La tâche de la morphologie lexicale apparaît donc comme relativement systématisable 2. Un systématisable qui répond à la question: Comment cette unité lexicale est-elle

 

1. Jean-Louis Duchet, La phonologie,PUF, «Que sais-Je?», no 1875.

2. Jean Dubois. Étude sur la dérivation suffixale en français moderne et contemporain, Larousse. 1962;Louis Guilbert, La création lexicale, Larousse, 1975; L’Information grammaticale,no 42, juin 1989, numéro spécial, Léon Nadjo (dir.); Danielle Corbin, Morphologie dérivationnelle et structuration du lexique, 2 e éd., 1991; Corinne Delhay. Il était un «petit X», 1996.


construite? L'analyse des processus permet de distinguer trois cas: la dérivation, le figement et les formations savantes.

 

a) La dérivation adjoint, à une base, un ou plusieurs morphèmes liés, c'est-à-dire non

autonomes.

Les préfixes précèdent la base (laver > relaver), les suffixes la suivent (bon > bonté). Partant du mot dérivé, l'analyse explicite le processus de dérivation en identifiant:

1 / l'unité lexicale de départ, sa catégorie grammaticale, ses sens;

2 / la base qui en résulte, avec éventuellement les modifications

de forme intervenues pour permettre la soudure du morphème lié (ball-on);

3 / le ou les morphèmes préfixés et/ou suffixes, avec les modifications de forme

intervenues pour permettre, là aussi, la soudure avec la base (in évitable, im battable);

4 / la catégorie grammaticale résultant de la dérivation, avec changement ou non

par rapport à l'unité de départ;

5 / le sens global du morphème lié (-able «qui peut être» + verbe de départ);

6 / le ou les sens de la base sélectionnés conjointement à l'application du morphème

lié (les projets mûrissent tout autant que les fruits, mais une mûrisserie ne

concerne que les seconds);

7 / le sens du mot dérivé (mangeable ne signifie pas simplement «qui peut être mangé, comestible», mais «qu'on peut manger bien que ce ne soit pas très bon»).

On appelle dérivés parasynthétiques les dérivés qui soudent, en même temps, un préfixe et un suffixe à une base (désherber). Le «en même temps» repose sur la non-attestation d'un suffixe qui aurait ensuite été préfixé (lire> lisible > illisible mais non *herher > désherber). La dérivation régressive (ou inverce)) concerne les noms obtenus par la suppressioni de lai terminaison des verbes correspondants (galoper,le galop;: bouffer, la bouffe; glisser, la glisse).

Réunir les préfixes et les suffixes dans une catégorie unique, les affixes, est délicat. D'abord parce qu’on ne dispose d'aucune définition achevée du préfixe. Ensuite parce que cette catégorie est hétérogène: la suffixation accomplit généralement un changement de classe grammaticale, pas la préfixation.
L’ exception offerte par les adjectifs anti- + nom: mur antibruit, mine antipersonnel, missile antichar, crème antiride n'arrange rien. Cette préfixation n'est-elle pas de celles qui ressemblent à une composition: surexposer, contrevent, entrepont? Elargir la catégorie des affixes pour y reconnaître des désinences, des marques (genre et nombre), des préfixes et des suffixes pourrait paraître justifié par le fait que tous ces éléments sont des morphèmes liés, non autonomes. Mais les désinences et les marques appartiennent à des systèmes fermés, et seuls les préfixes et les suffixes participent directement à la création lexicale.

Des débats essentiels se cristallisent autour de la saisie de la base. D. Corbin (1991) propose un modèle dérivationnel strictement fidèle à la segmentation en morphèmes et qui relève de règles auxquelles sont reconduits les écarts attestés. Par exemple, pour donner un cousette qui respecte la règle que les diminutifs ne peuvent affecter une base verbale, en appeler à un couseuse, re-suffixé en couseusette, puis tronqué. Pour G. Serbat, ce besoin d'avoir une base solide à laquelle on conserve, autant qu'il est possible, sa qualité de mot est la contrepartie d'une analyse segmentale qui insiste sur l'absence d'autonomie des morphèmes liés. En fait, c'est le caractère unitaire du mot construit qui doit être privilégié (Information grammaticale, no 42, 1989, p. 3-6). Que la base provienne d'un mot (laver, bon) ou d'un radical (lav-), le mot ou le radical devient en elle une nouvelle unité disponible pour la dérivation, une unité sémiotique. La suffixation en -té ne nominalise pas un adjectif (bon, bonté), mais le suffixe -té nominalise une base (bon-).

Les travaux de C. Delhay développent ces approches nouvelles: «Je ne vois pas quel progrès il y a à construire cousette sur la base couseuse - dont le suffixe agentif serait tronqué devant -et (te) – plutôt que directement sur la base cous-, base que G. Serbat appellerait préverbale» (1996, p. 334). A cette aune, parler de conversion ou de dérivation impropre (la catégorie grammaticale du mot change sans changement de forme: le bleu, un rien, le rire) devient inutile. Et C. Delhay accepte une suggestion de I. Tamba: «Les bases de dérivation sont des "pro-mots" dénués de toute appartenance catégorielle» (ibid., p. 335). Ce n'est pas remettre en cause le caractère systématisable de l'analyse mais c'est refuser d'imposer des régularités qui soumettent le lexique à la syntaxe.

b) Des unités comme pomme de terre ou machine à coudre ont été appelées mots composés, synthèmes (André Martinet), lexies (Bernard Pottier), synapsies (Emile Benveniste). Les questions sous-jacentes concernent la limite entre mot et syntagme libre, la place attribuée aux locutions verbales et adverbiales, voire aux expressions figées (tenter sa chance, risquer le tout pour le tout). La possibilité de donner une définition existe pour l'unité regroupée en un «mot» (Quel est le sens de tenter sa chance?), elle n'existe pas pour le syntagme libre (*Quel est le sens de tenter de franchir un fossé?). Pour autant, rien n'est parfaitement délimitable.

D'ou l'intérêt des analyses de Gaston Gross qui recadre la question de la composition dans le processus plus large du fixement et qui présente ce figement comme une propriété fondamentale des langues naturelles (Les expressions figées en français, 1996).De ce point de vue, la composition n'est plus le phénomène producteur mais le «résultat d'une analyse» qui identifie:

1 / la catégorie grammaticale et le sens ou les acceptions de sens des mots utilisés dans la composition;

2 / l'ordre selon lequel ils sont assemblés, la structuresyntaxique de l'unité obtenue, structure canonique ou non;

3 / le sens du composé, sens relativement prédictible ou non prédictible (opaque) selon que les unités initiales sont exploitées dans leur sens propre (tire-bouchon, tiroir-caisse) ou non (un passe-montagne n'est pas un contrebandier, une pince-monseigneur n'est pas une maniaque anticléricale).

Outre la soudure des termes qui marque un regroupement achevé (portefeuille, portemanteau), le caractère authentique de la composition est manifesté de manière conventionnelle, et très aléatoire, par la présence de traits d'union (porte-avions, porte-bonheur,va-et-vient). Il est manifesté de manière plus pertinente par l'impossibilité d'opérer une transformation syntaxique (un porte beaucoup de bonheur)1. On dispose ainsi d'un concept opératoire tout autant pour apprécier les niveaux linguistiques des figements (des mots composés aux locutions figées, voire à la phraséologie des langues de bois), que pour apprécier leur rôle dans les différents domaines d'usage2.

1. Les expressions figées posent des problèmes dans l’apprentissage.Voir I. Melčuk. Dictionnaire explicatif et combinatoire du français contemporain, PU de Montréal. 1984.

2. Voir. par ex.. la description des contraintes relalionnelles entre les composants de fonction ventriculaire gauche dans le corpus de langue spécialisée sur les maladies coronariennes. Menelas, in B. Habert, A. Nazarenko, A. Salem. 1997, p. 6l.

c) Les vocabulaires savants associent des formants empruntés au grec et au latin.

Ces constructions peuvent être rattachées au figement mais elles présentent des caractères qui invitent à les étudier d'une manière spécifique. Les termes formés dans les vocabulaires savants obéissent à l'ordre déterminant-déterminé: sémaphore est construit sur le modèle d'un mot grec équivalent à «drapeau-porteur», alors que dans les composés ordinaires la structure syntaxique est inverse: porte-drapeau. Les formants ne sont pas des unités lexicales mais des unités sémiotiques. Ce sont des «signes, eux- mêmes inanalysables, qui forment des signes analysables et qui n'existent que parce qu'ils forment effectivement ces signes complexes» H. Cottez,

Dictionnaire des structures du vocabulaire savant, 1980, p. VIII).

Par exemple, il faut donc distinguer -phobie comme formant dans hydrophobie, agoraphobie et le mot phobie qui résulte de la lexicalisation du formant. De plus, de nombreux formants ont une «fonction de représentation» d'unités ou d'autres formants: - alc - et -al- représentent alcool dans alcane, alcène, éthal, chloral. Il s'agit donc d'un vocabulaire spécifique mais qui n'est pas pour autant étranger aux usages ordinaires. H. Cottez le remarque avec humour, les usagers ordinaires savent bien que les revenus des pétrodollars ne coulent pas de la pierre (in Meta, 1994, p. 690).

Le grand potentiel de créativité de la langue apparaît dans toutes ces constructions. Mais ce qui apparaît surtout, c'est que ce potentiel ne résulte pas seulement de l'organisation du système: il est constitutif du langage lui-même. On peut le voir, par exemple, dans la question de l'arbitraire et de la motivation. Défini par Saussure (CLG, p. 100) et précisé par Benveniste (1966, p. 49), l'arbitraire ou non-motivation du signe explique que la forme du mot n'ait pas de relation avec ce qu'elle signifie. L'objectif n'est pas de reprendre la critique de la thèse de Cratyle mais d’affirmer une conception immanentiste de la langue, conception qui concerne les mots simples, parexemple neuf, dix, vingt, grand. En revanche, les mots construits comportent une motivation relative: on peut analyser et manipuler les morphèmes internes de dix-neuf, de vingtaine ou de grandeur. Le fait est indubitable.

Mais il y a dans cet emploi de motivation une confiscation du sens du nom au profit de la seule «motivation» du système, c'est-à-dire du potentiel de construction qu'il présente. La question impliquée est celle que nous avons vu gouverner l'essentiel des analyses de la morphologie lexicale: comment est réalisée cette construction? Or, si ce potentiel est constitutifdu langage lui-même - et le rôle des bases de dérivation comme le rôle du figement orientent dans ce sens -, il faut aussi tenir compte d'une autre motivation, celle qui répond à la question: Pourquoi cette construction? (Chantal Kircher-Durand, L'Information grammaticale, n" 42, p. 12).

On doit alors considérer que la motivation relative de dix-neuf, de vingtaine ou de grandeur ne peut être traitée exclusivement en termes de potentiel des morphèmes disponibles mais que, comme la non-motivation de neuf, dix, vingt ou grand, elle met aussi en jeu, dans les premiers exemples, notre conception de la numération et du calcul; dans le dernier, notre conception de l'abstraction ou des «grandeurs d'établissement» - et cela n'est pas une remarque extralinguistique.

Il fallut que les maîtres des forges de la seconde moitié du XVIIIe siècle éprouvent le sentiment et le besoin de relever d'un état et d'un métier spécifique pour qu'apparaisse la lexie maître de forges (R. Eluerd, 1993, p. 351-358). Si clergie, chevalerie, bourgeoisie, ou Église, Noblesse, Labeur n'ont pas prévalu sur Clergé, Noblesse, tiers État, ce n'est pas pour de simples raisons de système (Jean Batany, Information grammaticale, n" 42, p. 23-25). Les préfixes et les suffixes sont eux aussi datés, il y a des modes, des influences, des domaines d'usage(J. Dubois, Etude sur la dérivation suffixale, o.c.). Nous avons noté la fréquence actuelle d'anti-.
«On connaît le parti que Ronsard et ses disciples ont tiré des diminutifs, les Précieuses des adverbes en -ment...» (H. Mitterand, 1996, p. 47). «Pour les lésions, on parle d'anévrisme du cœur et non d'anévrisme cardiaque; pour les personnes, mieux vaut que le chirurgien du cœur ne soit pas cardiaque» (Jean-Charles Sournia, in Français scientifique et technique.... 1994, p. 120). La Féminisation des noms de charge ou de métier ne pose pas que des problèmes de morphologie, etc.

Reste un débat capital: est-ce parce que les unités impliquées dans la construction apportent avec elles des sens qu'on peut identifier et qui s'assemblent selon certaines contraintes qu'il y a un sens de l'unité construite? Cela imposerait que ce sens soit prédictible. Certaines analyses postulent l'exigence de cette prédictibilité, et si elles accordent une marge de manœuvre aux locuteurs, la marge est traitée en termes de surprise, d'anomalie, d'écart. Or les sens sont loin d'être prédictibles, ou alors en des termes très vagues. Sans aller au degré maximum d' «opacité sémantique» (G. Gross, Les expressions figées, o.c.), nous avons déjà noté que des constructions exocentriques comme passe-montagne, pince-monseigneur ou rouge-gorge, et même des composés endocentriques qui en principe conservent l'essentiel des éléments préexistants, offrent des sens dont la prédictibilité laisse dubitatif. Par exemple, comment prédire le sens exact de maître de forges, d'emploi-jeune ou la signification du «diminutif» dans clairet, gentillet, longuet, amourette, chemisette, pincette...?

C'est justement dans une nouvelle approche des diminutifs que se place C. Çelhay (1996). Réfutant les contraintes ad hoc que les analyses strictement mor-phématiques engendrent au nom d'une exigence quasi absolue de prédictibilité (voir ci-dessus l'exemple de cousette), elle recadre la catégorie linguistique du diminutif dans un ensemble plus large: la Caté ­ gorie D. Trois pôles y sont en interaction: un pôle «relationnel» (on a affaire à des couples de termes formellement et/ou sémantiquement apparentés), un pôle «diminutif» (subsumant des notions comme petit X, jeune X, sorte de X, partie de X, etc.), un pôle énonciatif (les différentes façons de modaliser un X). Dès lors, la Catégorie D s'applique à des bases relevant de noms propres (Marion) ou communs (barbiche), de verbes (allumette, fendiller) et d'adjec­tifs (blanchâtre, clairet). Elle peut accueillir et explici­ter les diminutifs traditionnels dans toutes leurs valeurs, des «mots complexes non construits», termi­nologie de D. Corbin (bagatelle, carpette, bricole), des créations diverses (apéro, frometon, guéguerre).

Pour identifier et analyser les unités que lui four­nissent ses corpus, le lexicologue tire donc profit du travail de systématisation accompli par le morpho-logue. Mais il n'a à connaître que des occurrences authentiques, et son travail n'est pas achevé une fois qu'il a trouvé chez le morphologue des éléments de réponse à la question du comment de la construction, il lui faut aussi répondre à celle du pourquoi. Même les morphologues les plus soucieux de régularité concèdent ces données: «Tout néologisme n'est pas bon à prendre, puisque les locuteurs ont toujours la possibilité de s'écarter, volontairement ou non, des contraintes de la grammaire» (D. Corbin, L Informa­tion grammaticale, n° 42, p. 42) Mais ces données sont au cœur du travail du lexicologue.

3. La sémantique lexicale. — La tâche de la séman­tique lexicale est d'étudier l'espace langagier du mot selon les deux directions complémentaires déjà ren­contrées. Celle des combinaisons syntagmatiques dans lesquelles le mot peut entrer, des significations ou des emplois différents que ces combinaisons susci­tent: elles participent de l'homonymie, de la poly­sémie et de la monosémie. Celle des relations paradig-matiques qui existent entre le mot et les mots qui peuvent formellement lui être substitués. Ces relations sont la superordination (hyperonymie et hyponymie), la synonymie et l'antonymie.

a) Il faut distinguer l'homonymie de hasard et l'homonymie étymologique. Les homophones (vert, ver, verre...) et les homonymes de hasard (balle d'avoine, balle de coton, balle de tennis) proviennent de la rencontre de trajets phonétiques et graphiques dont les étymologies sont différentes (latin viridis, latin vermis, latin vitrum, gaulois °balu, francique °balla, italien pallà). Les homonymes étymologiques résultent de l'évolution divergente des acceptions d'un même mot. Reprenons l'italien palla qui a donné balle, au sens de balle pour jouer. De ce balle provien­nent deux homonymes: balle de fusil et le familier cent balles. Ce point intéresse au premier chef la lexi­cologie parce qu'il montre que l'homonymie étymolo­gique est inséparable de la polysémie, non pas seule­ment en termes logiques mais sur le plan de l'histoire. Elle résulte d'une polysémie apparue, déployée, puis adoptée dans le temps; cela pour des raisons que le lexicologue doit élucider.

Un problème semblable est posé aux lexicogra­phes: s'agit-il toujours des acceptions d'un même mot ou doit-on considérer qu'il s'agit de mots deve­nus désormais différents? Selon leurs doctrines édito-riales, les dictionnaires prennent l'un ou l'autre parti. Si l'écart entre les deux acceptions est resté tel que les locuteurs perçoivent encore une parenté, le traitement est polysémique (ainsi Le Petit Robert regroupe-t-il en deux acceptions balle pour jouer et balle de fusil). Si l'écart est devenu tel qu'aucun locuteur ne perçoit plus la parenté initiale, on peut parler d'homonymie (le même dictionnaire fait du balle de cent balles un homonyme du précédent). Bien entendu, le choix s'appuie sur des données expérimentales, en particu­lier celles des environnements syntaxiques, des syno­nymies possibles et des dérivés, mais l'argument ultime reste la doctrine adoptée et le sentiment lin­guistique des auteurs du dictionnaire.

b) On parle de polysémie quand une même forme lexicale supporte des acceptions de sens différentes. Tout ce qui vient d'être dit sur les choix éditoriaux des dictionnaires peut être repris. Il convient cepen­dant de noter que, dans le sentiment linguistique des locuteurs ordinaires comme dans la pratique lexico-graphique, la présentation polysémique des sens est largement dominante. Ainsi, même si les environne­ments syntaxiques de regarder sont différents dans:

Paul regarde la mer / Paul regarde Pierre

et:

La villa regarde la mer / * La villa regarde Pierre, même si voir, examiner, vue, regard n'ont de rapport qu'avec le premier emploi, le sentiment sémantique peut demeurer qu'il s'agit cependant du seul verbe regarder. Les dégroupements d'homonymes ne sont vraiment systématisés qu'à partir du moment où l'on choisit d'accorder plus de poids à la syntaxe qu'à la sémantique.

c) Au regard de la polysémie, la monosémie est comme une fermeture. A peine fait-elle partie de l'usage ordinaire du langage. Elle n'est pleinement exploitée que dans les langues spécialisées. La mono­sémie concerne donc essentiellement les termes et elle relève des vocabulaires savants. Loin de faire naître des significations différentes, les environnements syn­taxiques du mot monosémique exigent, au contraire, que rien n'affecte sa signification.

Ce sont tous des environnements très prédictibles: il est assez difficile de placer dans une conversation ordinaire cyclamate de sodium. Si un terme devient mot, c'est-à-dire entre pleinement dans l'usage ordi­naire, la monosémie s'efface bientôt, le terme devenu mot est, comme un mot ordinaire, exposé à la méta­phore et à la métonymie, et l'on passe de Le néon est un gaz rare à les néons de la ville, J'ai fait mettre un néon dans le garage. Parmi les critères d'admission d'un terme scientifique ou technique dans un diction­naire général, H. Cottez souligne l'importance de l'extension du champ d'application — nostalgie, terme de médecine, commence une autre carrière vers 1830 avec Balzac et le romantisme — et celle des emplois figurés (in Français scientifique et technique et dictionnaire de langue, 1994, p. 20).

La monosémie étant une exigence liée à un usage particulier du langage, l'avenir du terme ne peut être qu'une formalisation absolue: la formule, le chiffre, la figure. L'efficacité des discours savants ou un tant soit peu techniques est à ce prix. De ce point de vue, la monosémie est une exigence on ne peut plus légi­time. Mais elle ne saurait être tenue pour le modèle du fonctionnement langagier. Le prestige de la mono­sémie est très grand parce qu'il s'exprime dans une critique rabâchée des imperfections des langues natu­relles, de l'ambiguïté de l'usage ordinaire du langage, dans l'affirmation d'une prétendue incommunicabi­lité, etc. En regard, se déploient les prestiges d'une langue parfaite, d'une langue enfin lavée du péché de l'ambiguïté. Mais aucun de ces arguments n'a de sens pour l'usage ordinaire: la polysémie est une exigence fondamentale de l'usage des langues naturelles. Même si la monosémie est une des potentialités de l'usage ordinaire du langage, elle reste une exigence parfaite­ment artificielle, elle ne relève que d'un jeu de langage parmi d'autres. La monosémie ne peut donc pas être considérée comme le contraire de la polysémie, ni même être située dans un rapport de degré avec elle.

d) Hyperonymes et hyponymes sont liés dans une relation hiérarchique de classes: machine est l'hyper-onyme de machine-outil, qui est un de ses hypony­mes; machine-outil est l'hyperonyme de tour et de fraiseuse, qui sont co-hyponymes de machine-outil. On voit que la relation sémantique est parfois marquée par la forme (machine / machine-outil), mais ce n'est pas le cas le plus courant (machine-outil /tour). Cette superordination est un des outils essentiels de la définition lexicographique. Celle-ci est formée de l'hyperonyme convenable et des caractères spécifiques de l'hyponyme:

TOUR. Machine-outil / qui permet d'usiner une pièce en lui imprimant un mouvement de rotation.

e) On appelle synonymes des mots de formes diffé­rentes mais de sens identique et de même catégorie grammaticale. Si l'on excepte quelques très rares cas (cardiotonique et tonicardiaque), on peut dire qu'il n'y a pas de synonymes absolus, c'est-à-dire de mots qui pourraient être substitués l'un à l'autre dans tous les contextes et sans aucune variation de sens. La syno­nymie est toujours partielle et approximative. Elle est partielle parce qu'elle ne concerne pas la totalité des acceptions de sens d'un mot: galette et blé ne sont synonymes que dans le cas où ils signifient «argent». C'est par ce point que la synonymie est un outil de l'analyse de la polysémie, elle permet, par exemple, de distinguer la galette pour laquelle on a pétri de la farine de blé et la galette qui est synonyme de blé, fric, argent... La synonymie est approximative parce que les synonymes relèvent de situations d'emplois différentes. On n'emploie pas dans les mêmes circonstances: mère et maman, traitement, honoraires, cachet ou solde, argent, galette ou blé... Face à toute apparence de synonymie, le travail du lexicologue rejoint celui du sémanticien et du lexico­graphe: écarter les apparences pour chercher les différences.

f) On appelle antonymes des mots de sens contrai­res. Le lien avec la relation de négation est constitutif de l'antonymie. A côté de la négation syntaxique (il pleut /il ne pleut pas), la négation sémantique s'exprime par des phrases de sens contraires (il pleut / il fait beau) ou par des antonymes. Ce sont des mots simples (haut/bas), des mots construits à l'aide de préfixes négatifs (possible/impossible) ou des com­posés de type savant (centrifuge/centripète). On dis­tingue généralement trois valeurs antonymiques. Les antonymes scalaires sont les plus nombreux. Ils cor­respondent à des ensembles hiérarchisables de mots dont seuls les extrêmes sont dits antonymes: chaud est dit antonyme de froid, mais chaud n'est pas dit antonyme de tiède. Les antonymes réciproques s'opposent par paires mais dans une relation qui reste ouverte à d'autres choix: vendre/acheter, mais on peut aussi louer (dans les deux sens), échanger, tro­quer... ou ne rien faire. Dans les deux cas, il s'agit donc d'une décision d'antonymie prise parmi des emplois. En revanche, les couples d'antonymes com­plémentaires, les moins nombreux, sont analytique-ment définis l'un par rapport à l'autre et imposent un choix (pair/impair, majeur/mineur).

Comme les structures morphologiques, les structu­res sémantiques ne doivent pas être systématisées au-delà de ce qu'elles permettent. Par exemple, I. Tamba écrit que mettre l'accent sur les analogies qui existent entre la superordination et les relations logiques d'inclusion ou d'implication risque de cacher le «rôle central des relations d'hypo- / hyperonymie dans l'acquisition et la régulation interne des structures du lexique» (1988, p. 86). Aussi, elle souligne ce rôle aux deux niveaux d' «enga-gement» de la relation. Au niveau du discours - niveau référentiel -, hyperonyme et hyponyme fonctionnent comme deux appellations plus ou moins précises d'un même réfèrent: c'est une fleur, c'est une rose. Au niveau de la langue - niveau lexical, niveau sémiotique -, fonctionne une hié­rarchie classificatrice qu'expriment des phrases analy­tiques comme une rose est une fleur.

C'est donc l'ensemble de la relation qui exclut qu'on puisse confondre les emplois de rose et de fleur au niveau discursif avec une relation de synonymie du type voiture/bagnole où se rencontrent également deux mots pour un même réfèrent. Dans le premier cas, on dispose de deux appellations plus ou moins précises et, dans le second, de la mise en œuvre d'une «rela­tion structurelle, qui permet de noter des valeurs sémantiques issues d'un troisième réseau de relations "signifiantes" inscrites dans les langues: celles des rapports interlocutifs qui servent à spécifier chaque "univers de discours"» (ibid., p. 82).

On voit que, si ces analyses sémantiques partent de l'intérieur du dispositif langue/discours (la superordi­nation participe d'une «régulation interne», les rela­tions signifiantes sont «inscrites» dans la langue), elles comportent de larges ouvertures sur l'extérieur du dispositif. Le concept de régulation interne implique évidemment que la règle n'est pas suivie qu'une fois, donc qu'elle relève d'une pratique acquise et partagée. Le concept d'univers de discours, à moins de relever d'un solipsisme intégral, ne peut lui aussi résulter que d'une pratique partagée. Dès lors, le rôle central des relations inscrites dans la langue quant à l'acquisition et à la régulation interne des structures du lexique semble devoir faire au moins une place au rôle central de l'acquisition et de son entretien quant à l'établissement et la régulation desdites relations. Autrement dit, une place à l'usage, à la validité des emplois, à l'interaction du langage et du monde.

Par exemple, cette interaction est au cœur de la superordination, ou de l'antonymie. Ces relations autorisent des couples de phrases comme:

1. Une lime est un outil.

2. Outil est l'hyperonyme de lime.

3. Petit est le contraire de grand.

4. Petit est l'antonyme de grand.

On ne peut pas tenir toutes ces phrases pour seule­ment analytiques, ou alors le langage ne parle plus que du langage. Mais on peut pas non plus se contenter de dire que les phrases 1 et 3 sont la «cause réaliste» du fonctionnement des phrases 2 et 4, ni que ces phrases 2 et 4 sont la «raison logique» du fonctionnement des phrases 1 et 3. Tenir compte de l'usage, c'est tenir compte de la part de réalisme qui interdit de tout ramener au système, sans pour autant tout soumettre au monde. En un mot: nous ne parlons généralement pas n'importe comment de n'importe quoi. Non seule­ment la logique de ces phrases ne peut être identifiée aux cadres logiques de l'inclusion et des contraires, mais ce qu'elle «montre» de la logique du langage dit quelque chose sur notre rapport au monde et sur notre expression de ce rapport dans le langage.

En exprimant notre savoir dans des catégories, nous «montrons» d'abord notre conception du savoir. Et elle participe, à chaque fois, d'un jeu de langage: quel enfant tarde à apprendre qu'un gâteau, une crème ou une glace peuvent être des desserts? Quel enfant reste muet quand, à sa demande d'un dessert, on l'invite à préciser lequel?

Il en résulte que, dans voiture/bagnole comme dans rose/fleur, il n'y a peut-être pas un mais deux réfé-rents. De même qu'il y en a sans doute une dizaine derrière le nom savant thlaspi arvense d'une fleur également nommée monnoyère, tabouret-des-champs, bourse-à-pasteur, capsede, malette-à-berger, moutarde-de-Mithridate, bourcette, corbeille d'argent et couille-à-l'évêque (Rustica almanach 1999, p. 252). Évidem­ment, si le réfèrent est saisi en termes de fragment du monde, réel ou non, ces remarques sont absurdes. Mais si le réfèrent est traité en termes d'usage, de forme de vie? Considérer que voiture et bagnole, fleur et rose ou thlaspi arvense et couille-à-l'évêque visent le même réfèrent, c'est d'abord montrer une conception du réfèrent. Une conception qui postule ce qu'elle dit démontrer. N'en va-t-il pas de même de l'existence d'un réfèrent du mot-lexème conçu comme un contenu précodé dont les caractères potentiels sont activés par chaque emploi pour atteindre le réfèrent particulier du mot-occurrence? Car enfin, comment expliquer 1' «activation» d'un dispositif interne de ce genre? Son existence est certes légitimement conjectu-rable. Mais il ne peut «fonctionner» que pour avoir été appris dans des jeux de langage et entretenu dans l'usage, que pour être devenu habitude. Et, point essentiel, c'est parce qu 'il est usage qu'il est interne.

Comme pour la morphologie lexicale, on se trouve donc en présence de nombreux faits systématisables. Comme pour la morphologie lexicale, les rangements que ces recherches permettent sont évidemment plus qu'utiles au lexicologue. Mais les fondements et les tâches de la lexicologie l'invitent à prendre une direc­tion où, loin de chercher la systématisation, il accepte non des écarts ou des anomalies, mais l'usage ordi­naire. Un usage qui n'est pas aléatoire ni aberrant même s'il n'est pas systématisable: «La "composante sémantico-logique" du langage, dont il est pourtant indispensable de formuler l'hypothèse, est le lieu non pas de contenus immuables, mais d'opérations de déconstruction, de décomposition, de réassemblage et de restructuration, constamment réalisées dans l'activité langagière, notamment dans la traduction et dans la mémorisation, et qui prennent leur départ à lamouvante complexité du lexique» (Robert Martin, Pour une logique du sens, 1983, p. 87).


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Le naturalisme de Cratyle.| II. — L'élaboration du corpus

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