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Le cinéma a pris une telle importance dans notre vie que nous avons peine à
imaginer qu'en somme il date d'hier: plus précisément de ce jour de la fin du siècle
dernier, où deux Français, les frères Lumière, présentèrent, dans le sous-sol d'un
café de Paris, le premier spectacle cinématoêraphique qui put se voir au monde.
La première séance publique payante de cinéma eut lieu le 28 décembre
1805. D'un côté de la porte conduisant au Salon Indien du Grand-Café
était placardée une grande affiche lithographique représentant une foule
distinguée, parmi laquelle des élégants en haut de forme2, qui faisait la
queue pour pénétrer dans la salle du «Cinématographe Lumière».
De l'autre côté, une seconde affiche donnait le programme de la séance:
Г Sortie de l'usine Lumière à Lyon.
2° Querelle de bébés.
3° Les poissons rouges.
4° L'arrivée d'un train.
5° Le régiment.
6° Le maréchai-f errant.
7° La partie d'écarté.
8° Mauvaises herbes.
9° Le mur.
10° La mer.
Antoine Lumière et ses deux fils3, ceux-ci vêtus d'une jaquette
cintrée — le dernier cri de la mode — l'œil fiévreux, la moustache dressée,
se tenaient au contrôle.
Dans la cabine de projection, le chef mécanicien de Monplaisir4,
Moisson, tournait la manivelle, tandis qu'un de ses collaborateurs réglait
l'éclairage de la lampe et réenroulait les bandes à mesure qu'elles avaient
été projetées.
Le prix des places avait été fixé à un franc pour un spectacle d'une
durée de vingt minutes — chacune des dix bandes projetées avait une
longueur de 16 à 17 mètres.
La veille au soir, avait eu lieu une répétition générale à laquelle les
Lumière avaient convié les membres de la presse et quelques personnalités
parisiennes, dont le prestidigitateur Georges Méliès, directeur du théâtre
Robert-Houdin, et plusieurs autres directeurs de salles.
Une fois parvenus au bas de l'escalier qui menait au Salon Indien, les
invités se trouvèrent dans une salle longue, garnie de fauteuils, éclairée par
deux rangées de becs de gaz. Dans le fond était tendu un petit écran
semblable à ceux utilisés pour les projections de lanterne magique.
Lorsque les lumières eurent été éteintes, apparut sur l'écran une vue de
la place Bellecour5. Quelques invités firent la moue.
«C'est pour nous faire voir des projections qu'on nous dérange! dit
Méliès6 à l'oreille de son voisin... Mais j'en fais depuis plus de dix ans!»
Mais brusquement s'avança un cheval traînant un lourd tombereau et
suivi d'autres voitures. Puis survinrent des passants qui marchaient,
remuaient les bras, la tête, parlaient, riaient... Toute l'animation de la rue
soudain ressuscitée apparaissait sur le petit écran avec une intensité
inimaginable.
Quelques spectateurs poussèrent des exclamations de surprise. Les
autres restèrent bouche bée, muets d'étonnement.
Quand, du fond de la place Bellecour, surgit une charrette lancée au
galop qui se dirigeait à toute vitesse vers la salle, des spectateurs firent
instinctivement le geste de se ranger. Plusieurs dames se levèrent d'un bond
et ne se décidèrent à se rasseoir que lorsque la voiture eut tourné et disparu
sur le côté de l'écran.
On sourit quand apparut le «Bébé mangeant sa soupe», mais aussitôt
tout le monde chuchota:
«Oh! regardez les arbres du fond! Leurs feuilles bougent au vent.»
Cela semblait si merveilleux, si extraordinaire!.. Non, tous ces gens
n'avaient jamais vu de feuilles bouger de cette façon, jamais des arbres ne
leur avaient paru si vivants. Ils avaient l'impression de découvrir tout
à coup un monde insoupçonné.
A la projection du «Maréchal-Ferrant», on cria au miracle quand une
large colonne de vapeur blanche s'échappa de l'eau dans laquelle l'ouvrier
venait de plonger un fer rouge battu sur l'enclume.
Puis ce fut la saisissante «Arrivée d'un train en gare», puis «La Mer»,
où l'enthousiasme atteignit le délire.
«Cette mer, écrivait un journaliste, est si vraie, si colorée, si remuante;
ses baigneurs et ses plongeurs qui remontent, courent sur la plate-forme
piquent des têtes, sont d'une vérité merveilleuse*!»
La séance terminée, lorsque la lumière revint, tout le monde était dans
le ravissement. On applaudissait, l'ahurissement était peint sur tous les
visages, on criait, on s'interpellait:
«C'est la vie elle-même!.. C'est hallucinant!.. On croit rêver!.. Quelle
splendide illusion**!..»
Et tout le monde se demandait comment «MM. Lumière, ces grands
magiciens», étaient parvenus à réaliser un tel prodige.
henri KUBNICK. Les Frères Lumière (1938)
Примечания:
1. Находится на бульваре Капуцинов неподалеку от Оперы. 2. В цилиндрах
3. Огюст родился в 1862 г., Луи — в 1864 г. 4. Там находился завод Антуана Люмьера
5. В Лионе. 6. Жорж Мельес (1861 - 1938) станет одним из родоначальников французов
ского кино. Уже в 1896 г. он начал снимать свои первые фильмы.
Вопросы:
* Relevez les traits amusants contenus dans ce récit
** Pensez-vous que le fropre du cinéma, aujourd'hui, soit de représenter «la vie elle-
même» et de faire «illusion» au spectateur?
Дата добавления: 2015-08-02; просмотров: 49 | Нарушение авторских прав
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