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(1870—1871)
Si c'est dans l'adversité qu'on découvre ses vrais amis, la France fut com-
prendre, après le désastre de Sedan et le dur traité de Versailles, qui s'ensuivit,
quel amour lui vouaient ses fils d'Alsace et de Lorraine. Combien furent-ils
alors à abandonner leur domicile, leurs biens, leur famille, simplement parce
qu 'ils ne pouvaient supporter de ne plus être Français! Ce fut un prodigieux
exode, suscité par une sorte d'irrésistible instinct patriotique. MAURICE BARRES
(1862 — 1923), Lorrain lui-même, a, dans Colette Baudoche, dépeint un drame
de tous Içs temps, hélas! et que l'écrivain relate avec émotion.
Regarde cette route, en bas, disait-elle1, la route de Metz à Nancy. Nous
y avons vu, ton grand-père et moi, des choses à peine croyables. C'était à la
fin de septembre 1872 et l'on savait que ceux qui ne seraient pas partis
le 1er octobre deviendraient Allemands. Tous auraient bien voulu s'en aller,
mais quitter son pays, sa maison, ses champs, son commerce, c'est triste, et
beaucoup ne le pouvaient pas. Ton père disait qu'il fallait demeurer et
qu'on serait bientôt délivré. C'était le conseil que donnait Monseigneur
Dupont des Loges2. Et puis la famille de V... nous suppliait de rester,
à cause du château et des terres. Quand arriva le dernier jour, une foule do
personnes se décidèrent tout à coup. Une vraie contagion, une folie. Dans
les gares, pour prendre un billet, il fallait faire la queue des heures entières.
Je connais des commerçants qui ont laissé leurs boutiques à de simples
jeunes filles. Croiriez-vous qu'à l'hospice de Gorze, des octogénaires
abandonnaient leurs lits! Mais les plus résolus étaient les jeunes gens.
même les garçons de quinze ans. «Gardez vos champs, disaient-ils au père
et à la mère; nous serons manœuvres en France.» C'était terrible pour le
pays, quand ils partaient à travers les prés, par centaines et centaines. Et
l'on prévoyait bien ce qui est arrivé, que les femmes, les années suivantes,
devraient tenir la charrue. Nous sommes montés, avec ton grand-père, de
Gorze jusqu'ici, et nous regardions tous ces gens qui s'en allaient vers
l'ouest. Л perte de vue, les voitures de déménagement se touchaient, les
hommes conduisant à la main leurs chevaux, et les femmes assises avec les
enfants au milieu du mobilier. Des malheureux poussaient leur avoir dans
des brouettes. De Metz à la frontière, il y avait un encombrement comme
à Paris dans les rues. Vous n'auriez pas entendu une chanson, tout le monde
était trop triste, mais, par intervalles, des voix nous arrivaient qui criaient:
«Vive la France!» Les gendarmes, ni personne des Allemands n'osaient
rien dire; ils regardaient avec stupeur toute la Lorraine s'en aller. Au soir.
le défilé s'arrêtait; on dételait les chevaux, on veillait jusqu'au matin dans
les voitures auprès des villages, à Dornot, à Comy, à Novéant. Nous
sommes descendus, comme tout le monde, pour offrir nos services à ces
pauvres camps-volants3. On leur demandait: «Où allez-vous?» Beaucoup ne
savaient que répondre: «En France...» (...) Nous avons pleuré de les voit
ainsi dans la nuit. C'était une pitié tous ces matelas, ce linge, ces meubles
entassés pêle-mêle et déjà tout gâchés. Il paraît qu'en arrivant à Nancy, ils
s'asseyaient autour des fontaines, tandis qu'on leur construisait en hâte des
baraquements sur les places. Mais leur nombre grossissait si fort qu'on
craignait des rixes avec les Allemands, qui occupaient encore Nancy, et
l'on dirigea d'office sur Vesoul plusieurs trains de jeunes gens...
Maintenant, pour comprendre ce qu'il est parti de monde, sachez qu'à Metz,
où nous étions cinquante mille, nous ne nous sommes plus trouvés que
trente mille après le 1-er octobre*.
MAURICE BARRÉS. Colette Baudoche (1909)
Примечания:
1. Г-жа Бадош, мать Колетты. 2. Епископ Мсца. 3. В точном значении: отряды пе-
хоты, рассредоточенные на местности для наблюдения за неприятелем. Впоследствии
так стали называть цыган, таборы которых останавливались на ночлег у дороги. Здесь
имеются в виду беженцы. 4. D'autorité.
Вопросы:
* D'après cette page, commentez et appréciez ce jugement de Maurice Barris sur
lui-même: "Si j'avais pensé le monde comme j'ai pensé la Lorraine, je serais vraiment
un citoyen de l'humanité".
Дата добавления: 2015-08-02; просмотров: 59 | Нарушение авторских прав
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