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La légende napoléonienne

LA PASTORALE D'OSSAU | MALAGAR | LE PAYSAN DE PARIS CHANTE | EN LONGEANT LES QUAIS DE LA SEINE | ET DES ARTS | MONTPARNASSE VU PAR JULES ROMAINS | MONTMARTRE | AU JARDIN DES TUILERIES | A BELLEVILLE | VERCINGÉTORIX |


On n'est pas forcé d'aimer Napoléon I (17691821): on ne peut pas ne
pas l'admirer. Issu d'une humble famille, originaire d'une ile pauvre entre
toutes, élève d'un collège qui normalement eût dû faire de lui un simple officier,
il a su, par la seule puissance de son génie, se hausser lui-même et hausser sa
patrie jusqu'aux plus fabuleuses destinées... Assurément son impétuosité
belliqueuse a coûté bien des morts à la France et a finalement laissé le pays
plus petit qu'il n'était auparavant: mais il avait révélé la nation à elle-même.
Et, la monarchie une fois restaurée, son nom s'est confondu avec celui des
grands révolutionnaires, ses victoires avec celles de la Liberté.
Parmi les écrivains français, nul n'a mieux contribué à la légende napo-
léonienne que Victor Hugo, le poète libéral, l'adversaire irréductible, plus tard,
de Napoléon III....

Oui, l'aigle, un soir, planait aux voûtes éternelles,
Lorsqu'un grand coup de vent lui cassa les deux ailes;
Sa chute fit dans l'air un foudroyant sillon;
Tous alors sur son nid fondirent pleins de joie;
Chacun selon ses dents se partagea la proie;
L'Angleterre prit l'aigle, et l'Autriche l'aiglon1.

Vous savez ce qu'on fit du géant historique.
Pendant six ans on vit, loin derrière l'Afrique2
Sous le verrou des rois prudents,
— Oh! n'exilons personne! oh! l'exil est impie!
Cette grande figure en sa cage accroupie,
Ployée, et les genoux aux dents.

Encore si ce banni n'eût rien aimé sur terre!

Mais les cœurs de lion sont les vrais cœurs de père.

Il aimait son fils, ce vainqueur!
Deux choses lui restaient dans sa cage inféconde,
Le portrait d'un enfant et la carte du monde,

Tout son génie et tout son cœur!


Le soir quand son regard se perdait dans l'alcôve,

Ce qui se remuait dans cette tête chauve,

Ce que son œil cherchait dans le passé profond,

— Tandis que ses geôliers, sentinelles placées
Pour guetter nuit et jour le vol de ses pensées,

En regardaient passer les ombres sur son front; —

Ce n'était pas toujours, sire, cette épopée
Que vous aviez naguère écrite avec l'épée,

Aréole, Austerlitz, Montmirail3;
Ni l'apparition des vieilles pyramides;
Ni le pacha du Caire et ses chevaux numides4

Qui mordaient le vôtre au poitrail;

Ce n'était pas le brait de bombe et de mitraille
Que vingt ans, sous ses pieds, avait fait la bataille

Déchaînée en noirs tourbillons,
Quand son souffle poussait sur cette mer troublée
Les drapeaux frissonnants, penchés dans la mêlée

Comme les mâts des bataillons;

Ce n'était pas Madrid, le Kremiin et le Phare5
La diane6 au matin fredonnant sa fanfare,
Le bivouac sommeillant dans les feux étoiles,
Les dragons chevelus7, les grenadiers épiques,
Et les rouges lanciers fourmillant dans les piques,
Comme des fleurs de pourpre en l'épaisseur des blés;

Non, ce qui l'occupait, c'est l'ombre blonde et rosé
D'un bel enfant qui dort la bouche demi-close,

Gracieux comme l'orient,
Tandis qu'avec amour sa nourrice enchantée
D'une goutte de lait au bout du sein restée

Agace sa lèvre en riant.

Le père alors posait ses coudes sur sa chaise,
Son cœur plein de sanglots se dégonflait à l'aise,

II pleurait, d'amour éperdu....

— Sois béni, pauvre enfant, tête aujourd'hui glacée8,
Seul être qui pouvais distraire sa pensée

Du trône du monde perdu*!

VICTOR HUGO. Napoléon II (1832).


Примечания:

1. Орел — Наполеон I; Орленок — Наполеон II, "Римский король" (1811 - 1832).
сын Наполеона I и Марии Луизы. "Англия схватила Орла" — после Ста дней и раз-
грома под Ватерлоо Наполеон I содержался на острове св.Елены, принадлежавшем
Англии. "Австрия захватила Орленка" — после отречения Наполеона его сын жил в
Австрии в замке Шенбрунн у своего деда, австрийского императора Франца I, под
именем герцога Рейхштадского. В 1900 г. Ростан написал драму о Наполеоне II, кото-
рую под влиянием Гюго назвал "Орленок". 2. Имеется в виду остров св.Елены.
3. Победы, одержанные Наполеоном: Арколь в 1796 г., Аустерлиц в 1805 г., Монми-
рай в 1814 г. 4. Арабские. 5. Александрийский маяк, который считался одним из семи
чудес света. 6. Сигнал подъема. 7. Косматые — так называли драгун, потому что их
шлемы украшали султаны из конских хвостов. 8. Наполеон II умер 22 июля 1832 г..
а это стихотворение было написано в августе 1832 г.

Вопросы:

^Montrez que Victor Hugo unit, dans ces vers, ies accents de Aépopée à la pitié la plus
simplement humaine.
Quel vers, dans la 2° strophe, est particulièrement émouvant?

LE 24 FÉVRIER 1848

La révolution de 1848 est une jgrancle date dans l'histoire nationale. Sans
doute elle déçut bientôt les folles espérances qu'elle avait éveillées: mais elle
était née d'un bel élan d'enthousiasme, dont GUSTAVE FLAUBERT, en quelques-
unes des pages les plus remarquables de L'Education sentimentale, a fait
revivre les heures les plus pathétiques, sans se refuser, d'ailleurs, aux détails
réalistes.

Frédéric Moreau et son camarade Hussonnet viennent de se rencontrer devant lu
façade des Tuileries. Ils pénètrent dans le palais, où la foule des émeutiers s'est déjà
engouffrée.

Tout à coup La Marseillaise1 retentit. Hussonnet et Frédéric se
penchèrent sur la rampe. C'était le peuple. Il se précipita dans l'escalier, en
secouant à flots vertigineux des têtes nues, des casques, des bonnets
rouges, des baïonnettes et des épaules, si impétueusement, que des gens
disparaissaient dans cette masse grouillante qui montait toujours, comme
un fleuve refoulé par une marée d equinoxe, avec un long mugissement,
sous une impulsion irrésistible. En haut, elle se répandit, et le chant
tomba*.


On n'entendait plus que des piétinements de tous les souliers, avec le
clapotement des voix. La foule inoffensive se contentait de regarder. Mais,
de temps à autre, un coude trop à l'étroit enfonçait une vitre; ou bien un
vase, une statuette déroulait d'une console2, par terre. Les boiseries
pressées craquaient. Tous les visages étaient rouges, la sueur en coulait à
larges gouttes; Hussonnet fit cette remarque: «Les héros ne sentent pas
bon! — Ah! vous êtes agaçant», reprit Frédéric.

Et poussés malgré eux, ils entrèrent dans un appartement où s'étendait,
au plafond, un dais de velours rouge. Sur le trône, en dessous, était assis
un prolétaire à barbe noire, la chemise entrouverte, l'air hilare et stupide
comme un magot4. D'autres gravissaient l'estrade pour s'asseoir à sa place.
«Quel mythe! dit Hussonnet. Voilà le peuple souverain!» Le fauteuil fut
enlevé à bout de bras, et traversa toute la salle en se balançant.
«Saprelotte5! comme il chaloupe! Le vaisseau de l'État est ballotté sur une
mer orageuse! Cancane6-t-il! cancane-t-il!»

On l'avait approché d'une fenêtre, et, au milieu des sifflets, on le lança.
«Pauvre vieux!» dit Hussonnet en le voyant tomber dans le jardin, où il fut
repris vivement pour être promené ensuite jusqu'à la Bastille, et brûlé.

Alors, une joie frénétique éclata, comme si, à la place du trône, un
avenir de bonheur illimité avait para; et le peuple, moins par vengeance
que pour affirmer sa possession, brisa, lacéra les glaces et les rideaux, les
lustres, les flambeaux, les tables, les chaises, les tabourets, tous les
meubles, jusqu'à des albums de dessins, jusqu'à des corbeilles de tapisserie.
Puisqu'on était victorieux, ne fallait-il pas s'amuser? La canaille s'affubla
ironiquement de dentelles et de cachemires7. Des crépines8 d'or
s'enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d'autruche
ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d'honneur firent des
ceintures aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice; les uns dan-
saient, d'autres buvaient. Dans la chambre de la reine, une femme lustrait
ses bandeaux9 avec de la pommade; derrière un paravent, deux amateurs
jouaient aux cartes; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait
son brûle-gueule10 accoudé sur un balcon; et le délire redoublait, au
tintamarre1 ' continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui
sonnaient, en rebondissant, comme des lames d'harmonica12 (...).

Par les baies des portes, on n'apercevait dans l'enfilade des apparte-
ments que la sombre masse du peuple entre les dorures, sous un nuage de
poussière. Toutes les poitrines' haletaient; la chaleur de plus en plus
devenait suffocante; les deux amis, craignant d'être étouffés, sortirent (...).

Ils avaient fait trois pas dehors, quand un peloton de gardes


municipaux" en capotes s'avança vers eux, et14 qui, retirant leurs bonnets
de police, et découvrant à la fois leurs crânes un peu chauves, saluèrent le
peuple très bas. A ce témoignage vainqueurs déguenillés se rengorgèrent.
Hussonnet et Frédéric ne furent pas, non plus, sans en éprouver un certain
plaisir.

Une ardeur les animait. Ils s'en retournèrent au Palais-Royal. Devant la
rue Fromanteau, des cadavres de soldats étaient entassés sur de la paille. Ils
passèrent auprès impassiblement, étant même fiers de sentir qu'ils faisaient
bonne contenance.

Le palais regorgeait de monde. Dans la cour intérieure, sept bûchers
flambaient. On lançait par les fenêtres des pianos, des commodes et des
pendules. Des pompes à incendie crachaient de l'eau jusqu'aux toits. Des
chenapans15 tâchaient de couper des tuyaux avec leurs sabres. Frédéric
engagea un polytechnicien16 à s'interposer. Le polytechnicien ne comprit
pas, semblait imbécile, d'ailleurs. Tout autour, dans les deux galeries, la
populace, maîtresse des caves, se livrait à une horrible godaille17. Le vin
coulait en ruisseaux, mouillait les pieds, les voyous buvaient dans des culs
de bouteille, et vociféraient en titubant, «Sortons de là, dit Hussonnet, ce
peuple me dégoûte.»

Tout le long de la galerie d'Orléans, des blessés gisaient par terre, sur
des matelas, ayant pour couvertures des rideaux de pourpre; et de petites
bourgeoises du quartier leur apportaient des bouillons, du linge.
«N'importe! dit Frédéric, moi, je trouve le peuple sublime*.» Le grand
vestibule était rempli par un tourbillon de gens furieux, des hommes
voulaient monter aux étages supérieurs pour achever de détruire tout; des
gardes nationaux18 sur les marches s'efforçaient de les retenir. Le plus
intrépide était un chasseur19, nu-tête, la chevelure hérissée, les
buffleteries20 en pièces. Sa chemise faisait un bourrelet entre son pantalon
et son habit, et il se débattait au milieu des autres avec acharnement.
Hussonnet, qui avait la vue perçante, reconnut de loin Amoux.

Puis ils gagnèrent le jardin des Tuileries, pour respirer plus à l'aise. Ils
s'assirent sur un banc; et ils restèrent pendant quelques minutes les
paupières closes, tellement étourdis, qu'ils n'avaient pas la force de parler.
Les passants, autour d'eux, s'abordaient. La duchesse d'Orléans21 était
nommée régente: tout était fini**.

gustave FLAUBERT. L'Éducation sentimentale (1860).
72


Примечания:

1. В ту эпоху это еще была революционная песня. 2. Консоль, выступ в стене либо
подставка в виде колонки или столика для установки декоративных предметов.
Deouler — здесь скатываться вниз. 3. Балдахин над троном. 4. Гротескные статуэтки
из фарфора (как правило, восточной работы). 5. Ругательство, что-то вроде "черт
возьми!" 6. Раскачивается, как в канкане. 7. Кашемировые шали из тонкой шерстяной
ткани, изготавливавшейся в Индии (в провинции Кашмир). 8. Бахрома. 9. Coiffure en
bandeau*
— женская прическа, при которой волосы укладываются за уши широкими
гладкими прядями, разделенными прямым пробором. 10. Коротенькая трубка,
"носогрейка". 11. Беспорядочный шум. 12. Имеется в виду стеклянная гармоника с
набором стеклянных пластин разной длины, звук из которой извлекали, ударяя по ним
палочкой. 13. Муниципальная гвардия, бывшая до этого на стороне правительства.
14. La conjonction et est ici destinée à empêcher l'équivoque sur l'antécédent (gardes
municipaux).
15. Сброд, чернь. 16. Студенты 11олитехнической школы были на сторо-
не революции. 17. Разгул в еде и питье. 18. Национальная гвардия по-прежнему была
на стороне правительства Луи Филиппа. В ней служили главным образом представи-
тели буржуазии. 19. Пехотинец, егерь (служащий в егерском полку). 20. Предметы
солдатской амуниции, сделанные из буйволовой кожи. 21. Невестка Луи Филиппа,
жена его старшего сына, умершего в 1842 г. Она была назначена регентшей, так как
по закону о престолонаследии французский трон после отречения Луи Филиппа дол-
жен был перейти к ее старшему, но еще малолетнему сыну, родившемуся в 1839 г.

Вопросы:

* Préciser l'attitude de Frédéric et celle de Hussonnet.

** On comparera ce tableau d'émeute avec: La mort de Gavroche, de Victor Hugo.


Дата добавления: 2015-08-02; просмотров: 52 | Нарушение авторских прав


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