Студопедия
Случайная страница | ТОМ-1 | ТОМ-2 | ТОМ-3
АрхитектураБиологияГеографияДругоеИностранные языки
ИнформатикаИсторияКультураЛитератураМатематика
МедицинаМеханикаОбразованиеОхрана трудаПедагогика
ПолитикаПравоПрограммированиеПсихологияРелигия
СоциологияСпортСтроительствоФизикаФилософия
ФинансыХимияЭкологияЭкономикаЭлектроника

Agrave; propos de cette édition électronique 10 страница

Agrave; propos de cette édition électronique 1 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 2 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 3 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 4 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 5 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 6 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 7 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 8 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 12 страница | Agrave; propos de cette édition électronique 13 страница |


Читайте также:
  1. 1 страница
  2. 1 страница
  3. 1 страница
  4. 1 страница
  5. 1 страница
  6. 1 страница
  7. 1 страница

 

«Je ne crois pas, monsieur, que ma femme se soit montrée si affirmative.

 

– Pardon… Comme vous émettiez la possibilité du fait, madame a dit:

 

«C'est certainement ce qui est arrivé»… Eh bien, madame, je désire savoir si vous aviez des motifs particuliers pour parler ainsi.» Elle acheva de se troubler, convaincue que, si elle ne se méfiait pas, il allait, de réponse en réponse, la mener à des aveux. Pourtant, elle ne pouvait garder le silence.

 

«Oh! non, monsieur, aucun motif… J'ai dû dire ça à titre de simple raisonnement, parce qu'en effet il est difficile de s'expliquer les choses d'une autre façon.

 

– Alors, vous n'avez pas vu l'homme, vous ne pouvez rien nous apprendre sur lui?

 

– Non, non, monsieur, rien!»

 

M. Denizet sembla abandonner ce point de l'instruction.

 

Mais il y revint tout de suite avec Roubaud.

 

«Et vous, comment se fait-il que vous n'ayez pas vu l'homme, s'il est réellement monté, car il résulte de votre déposition même que vous causiez encore avec la victime, lorsqu'on a sifflé le départ?» Cette insistance finissait par terrifier le sous-chef de gare, dans l'anxiété où il était de savoir quel parti il devait prendre, lâcher l'invention de l'homme, ou s'y entêter. Si l'on avait des preuves contre lui, l'hypothèse de l'assassin inconnu n'était guère soutenable et pouvait même aggraver son cas.

 

Il attendait de comprendre, il répondit par des explications confuses, longuement.

 

«Il est vraiment fâcheux, reprit M. Denizet, que vos souvenirs soient restés si peu clairs, car vous nous aideriez à mettre fin aux soupçons qui se sont égarés sur diverses personnes.» Cela parut si direct à Roubaud, qu'il éprouva un irrésistible besoin de s'innocenter. Il se vit découvert, son parti fut pris tout de suite.

 

«Il y a là un tel cas de conscience! On hésite, vous comprenez, rien n'est plus naturel. Quand je vous avouerais que je crois bien l'avoir vu, l'homme…» Le juge eut un geste de triomphe, croyant devoir ce commencement de franchise à son habileté. Il disait connaître par expérience l'étrange peine que certains témoins ont à confesser ce qu'ils savent; et, ceux-là, il se flattait de les accoucher malgré eux.

 

«Parlez donc… Comment est-il? petit, grand, de votre taille à peu près?

 

– Oh! non, non, beaucoup plus grand… Du moins, j'en ai eu la sensation, car c'est une simple sensation, un individu que je suis presque sûr d'avoir frôlé, en courant pour retourner à mon wagon.

 

– Attendez», dit M. Denizet.

 

Et, se tournant vers Jacques, il lui demanda:

 

«L'homme que vous avez entrevu, le couteau au poing, était-il plus grand que M. Roubaud?» Le mécanicien qui s'impatientait, car il commençait à craindre de ne pouvoir prendre le train de cinq heures, leva les yeux, examina Roubaud; et il semblait ne jamais l'avoir regardé, il s'étonnait de le trouver court, puissant, avec un profil singulier, vu ailleurs, rêvé peut-être.

 

«Non, murmura-t-il, pas plus grand, à peu près de la même taille.» Mais le sous-chef de gare protestait avec vivacité.

 

«Oh! beaucoup plus grand, de toute la tête au moins.» Jacques restait les yeux largement ouverts sur lui; et, sous ce regard, où il lisait une surprise croissante, il s'agitait, comme pour échapper à sa propre ressemblance; tandis que sa femme, elle aussi, suivait, glacée, le travail sourd de mémoire, exprimé par le visage du jeune homme. Clairement, celui-ci s'était étonné d'abord de certaines analogies entre Roubaud et l'assassin; ensuite, il venait d'avoir la certitude brusque que Roubaud était l'assassin, ainsi que le bruit en avait couru; puis, maintenant, il semblait tout à l'émotion de cette découverte, la face béante, sans qu'il fût possible de savoir ce qu'il allait faire, sans qu'il le sût lui-même. S'il parlait, le ménage était perdu. Les yeux de Roubaud avaient rencontré les siens, tous deux se regardaient jusqu'à l'âme. Il y eut un silence.

 

«Alors, vous n'êtes pas d'accord, reprit M. Denizet. Si vous l'avez vu plus petit, vous, c'est sans doute qu'il était courbé, dans la lutte avec sa victime.» Lui aussi regardait les deux hommes. Il n'avait pas songé à utiliser ainsi cette confrontation; mais, par instinct de métier, il sentit, à cette minute, que la vérité passait dans l'air. Sa confiance en la piste Cabuche en fut même ébranlée. Est-ce que les Lachesnaye auraient eu raison? est-ce que les coupables, contre toute vraisemblance, seraient cet employé honnête et sa jeune femme, si douce?

 

«L'homme avait-il sa barbe entière, comme vous?» demanda-t-il à Roubaud.

 

Ce dernier eut la force de répondre, sans que sa voix tremblât:

 

«Sa barbe entière, non, non! Pas de barbe du tout, je crois.» Jacques comprit que la même question allait lui être posée. Que dirait-il? car il aurait bien juré, lui, que l'homme portait toute sa barbe. En somme, ces gens ne l'intéressaient point, pourquoi ne pas dire la vérité? Mais, comme il détournait ses yeux du mari, il rencontra le regard de la femme; et il lut, dans ce regard, une supplication si ardente, un don si entier de toute la personne, qu'il en fut bouleversé. Son frisson ancien le reprenait: l'aimait-il donc, était-ce donc celle-là qu'il pourrait aimer, comme on aime d'amour, sans un monstrueux désir de destruction? Et, à ce moment, par un singulier contrecoup de son trouble, il lui sembla que sa mémoire s'obscurcissait, il ne retrouvait plus l'assassin dans Roubaud. La vision redevenait vague, un doute le prenait, à ce point qu'il se serait mortellement repenti d'avoir parlé.

 

M. Denizet posait la question:

 

«L'homme avait-il sa barbe entière, comme M. Roubaud?» Et il répondit de bonne foi:

 

«Monsieur, en vérité, je ne puis pas dire. Encore un coup, cela a été trop rapide. Je ne sais rien, je ne veux rien affirmer.» Mais M. Denizet s'entêta, car il désirait en finir avec le soupçon sur le sous-chef. Il poussa celui-ci, il poussa le mécanicien, arriva à obtenir du premier un signalement complet de l'assassin, grand, fort, sans barbe, vêtu d'une blouse, en tout le contraire de son propre signalement; tandis qu'il ne tirait plus du second que des monosyllabes évasifs, qui donnaient de la force aux affirmations de l'autre. Et le juge en revenait à sa conviction première: il était sur la bonne piste, le portrait que le témoin faisait de l'assassin se trouvait être si exact, que chaque trait nouveau ajoutait à la certitude. C'était ce ménage, soupçonné injustement, qui, par sa déposition accablante, ferait tomber la tête du coupable.

 

«Entrez là, dit-il aux Roubaud et à Jacques, en les faisant passer dans la pièce voisine, quand ils eurent signé leurs interrogatoires. Attendez que je vous appelle.» Immédiatement, il donna l'ordre qu'on amenât le prisonnier; et il était si heureux, qu'il poussa, avec son greffier, la belle humeur jusqu'à dire:

 

«Laurent, nous le tenons.» Mais la porte s'était ouverte, deux gendarmes avaient paru, conduisant un grand garçon de vingt-cinq à trente ans.

 

Ils se retirèrent sur un signe du juge, et Cabuche resta seul au milieu du cabinet, ahuri, avec un hérissement fauve de bête traquée. C'était un gaillard, au cou puissant, aux poings énormes, blond, très blanc de peau, la barbe rare, à peine un duvet doré qui frisait, soyeux. La face massive, le front bas disaient la violence de l'être borné, tout à la sensation immédiate; mais il y avait comme un besoin de soumission tendre, dans la bouche large et dans le nez carré de bon chien. Saisi brutalement au fond de son trou, de grand matin, arraché à sa forêt, exaspéré des accusations qu'il ne comprenait pas, il avait déjà, avec son effarement et sa blouse déchirée, l'air louche du prévenu, cet air de bandit sournois que la prison donne au plus honnête homme. La nuit tombait, la pièce était noire, et il se renfonçait dans l'ombre, lorsque l'huissier apporta une grosse lampe, au globe nu, dont la vive lumière lui éclaira le visage. Alors, découvert, il demeura immobile.

 

Tout de suite, M. Denizet avait fixé sur lui ses gros yeux clairs, aux paupières lourdes. Et il ne parlait pas, c'était l'engagement muet, l'essai premier de sa puissance, avant la guerre de sauvage, guerre de ruses, de pièges, de tortures morales. Cet homme était le coupable, tout devenait licite contre lui, il n'avait plus que le droit d'avouer son crime.

 

L'interrogatoire commença, très lent.

 

«Savez-vous de quel crime vous êtes accusé?» Cabuche, la voix empâtée de colère impuissante, grogna:

 

«On ne me l'a pas dit, mais je m'en doute bien. On en a assez causé!

 

– Vous connaissiez M. Grandmorin?

 

– Oui, oui, je le connaissais, trop!

 

– Une fille Louisette, votre maîtresse, est entrée, comme femme de chambre, chez Mme Bonnehon.» Un sursaut de rage emporta le carrier. Dans la colère, il voyait rouge.

 

«Nom de Dieu! ceux qui disent ça sont de sacrés menteurs. Louisette n'était pas ma maîtresse.» Curieusement, le juge l'avait regardé se fâcher. Et, faisant faire un crochet à l'interrogatoire:

 

«Vous êtes très violent, vous avez été condamné à cinq ans de prison pour avoir tué un homme, dans une querelle.» Cabuche baissa la tête. C'était sa honte, cette condamnation. Il murmura:

 

«Il avait tapé le premier… Je n'ai fait que quatre ans, on m'a gracié d'un an.

 

– Alors, reprit M. Denizet, vous prétendez que la fille Louisette n'était pas votre maîtresse?»

 

De nouveau, il serra les poings. Puis, d'une voix basse, entrecoupée:

 

«Comprenez donc, elle était gamine, pas quatorze ans encore, quand je suis revenu de là-bas… Alors, tout le monde me fuyait, on m'aurait jeté des pierres. Et elle, dans la forêt, où je la rencontrais toujours, elle s'approchait, elle causait, elle était gentille, oh! gentille… Nous sommes donc devenus amis comme ça. Nous nous tenions par la main, en nous promenant. C'était si bon, si bon, dans ce temps-là!… Bien sûr qu'elle grandissait et que je songeais à elle. Je ne peux pas dire le contraire, j'étais comme un fou, tant je l'aimais.

 

Elle m'aimait très fort aussi, et ça aurait fini par arriver, ce que vous dites, quand on l'a séparée de moi, en la mettant à Doinville, chez cette dame… Puis, un soir, en rentrant de la carrière, je l'ai trouvée devant ma porte, à moitié folle, si abîmée, qu'elle brûlait de fièvre. Elle n'avait pas osé rentrer chez ses parents, elle venait mourir chez moi… Ah!

 

nom de Dieu, le cochon! j'aurais dû courir le saigner tout de suite!» Le juge pinçait ses lèvres fines, étonné de l'accent sincère de cet homme. Décidément, il fallait jouer serré, il avait affaire à plus forte partie qu'il n'avait cru.

 

«Oui, je sais l'histoire épouvantable que vous et cette fille avez inventée. Remarquez seulement que toute la vie de M. Grandmorin le mettait au-dessus de vos accusations.» Éperdu, les yeux ronds, les mains tremblantes, le carrier bégayait:

 

«Quoi? qu'est-ce que nous avons inventé?… C'est les autres qui mentent, et c'est nous qu'on accuse de menteries!

 

– Mais oui, ne faites pas l'innocent… J'ai déjà interrogé Misard, l'homme qui a épousé la mère de votre maîtresse.

 

Je le confronterai avec vous, s'il est nécessaire. Vous verrez ce qu'il pense de votre histoire, lui… Et prenez bien garde à vos réponses. Nous avons des témoins, nous savons tout, vous feriez mieux de dire la vérité.» C'était son ordinaire tactique d'intimidation, même lorsqu'il ne savait rien et qu'il n'avait pas de témoins.

 

«Ainsi nierez-vous que, publiquement, vous avez crié partout que vous saigneriez M. Grandmorin?

 

– Ah! ça oui, je l'ai dit. Et je le disais de bon cœur, allez! car la main me démangeait bougrement!»

 

Une surprise arrêta net M. Denizet, qui s'attendait à un système de complète dénégation. Comment! le prévenu avouait ses menaces. Quelle ruse cela cachait-il? Craignant d'être allé trop vite en besogne, il se recueillit un instant, puis le dévisagea, en lui posant cette question brusque:

 

«Qu'avez-vous fait pendant la nuit du 14 au 15 février?

 

– Je me suis couché à la nuit, vers six heures… J'étais un peu souffrant, et mon cousin Louis m'a même rendu le service de conduire une charge de pierres à Doinville.

 

– Oui, on a vu votre cousin, avec la voiture, traverser la voie, au passage à niveau. Mais votre cousin, interrogé, n'a pu répondre qu'une chose: c'est que vous l'avez quitté vers midi et qu'il ne vous a plus revu… Prouvez-moi que vous étiez couché à six heures.

 

– Voyons, c'est bête, je ne peux pas prouver ça. J'habite une maison toute seule, à la lisière de la forêt… J'y étais, je le dis, et c'est tout.» Alors, M. Denizet se décida à frapper le grand coup de l'affirmation qui s'impose. Sa face s'immobilisait dans une tension de volonté, tandis que sa bouche jouait la scène.

 

«Je vais vous le dire, moi, ce que vous avez fait, le 14 février au soir… A trois heures, vous avez pris, à Barentin, le train pour Rouen, dans un but que l'instruction n'a pu encore établir. Vous deviez revenir par le train de Paris qui s'arrête à Rouen à neuf heures trois; et vous étiez sur le quai, au milieu de la foule, lorsque vous avez aperçu

 

M. Grandmorin, dans son coupé. Remarquez que j'admets très bien qu'il n'y a pas eu guet-apens, que l'idée du crime vous est venue seulement alors… Vous êtes monté grâce à la bousculade, vous avez attendu d'être sous le tunnel de Malaunay; mais vous avez mal calculé le temps, car le train sortait du tunnel, lorsque vous avez fait le coup… Et vous avez jeté le cadavre, et vous êtes descendu à Barentin, après vous être débarrassé aussi de la couverture de voyage… Voilà ce que vous avez fait.» Il épiait les moindres ondes sur la face rose de Cabuche, et il s'irrita, lorsque celui-ci, très attentif d'abord, finit par éclater d'un bon rire.

 

«Qu'est-ce que vous racontez là?… Si j'avais fait le coup, je le dirais.» Puis, tranquillement:

 

«Je ne l'ai pas fait, mais j'aurais dû le faire. Nom de Dieu! oui, je le regrette.» Et M. Denizet ne put en tirer autre chose. Vainement, il reprit ses questions, revint dix fois sur les mêmes points, par des tactiques différentes. Non! toujours non! ce n'était pas lui. Il haussait les épaules, trouvait ça bête. En l'arrêtant, on avait fouillé la masure, sans découvrir ni l'arme, ni les dix billets de banque, ni la montre; mais on avait saisi un pantalon taché de quelques gouttelettes de sang, preuve accablante. De nouveau, il s'était mis à rire: encore une belle histoire, un lapin, pris au collet, qui lui avait saigné sur les jambes! Et, dans son idée fixe du crime, c'était le juge qui perdait pied, par trop de finesse professionnelle, compliquant, allant au-delà de la vérité simple. Cet homme borné, incapable de lutter de ruse, d'une force invincible quand il disait non, toujours non, le jetait peu à peu hors de lui; car il ne l'admettait que coupable, chaque dénégation nouvelle l'outrait davantage, comme un entêtement dans la sauvagerie et le mensonge. Il le forcerait bien à se couper.

 

«Alors, vous niez?

 

– Bien sûr, puisque ce n'est pas moi… Si c'était moi, ah! j'en serais trop fier, je le dirais.» D'un brusque mouvement, M. Denizet se leva, alla lui-même ouvrir la porte de la petite pièce voisine. Et, lorsqu'il eut rappelé Jacques:

 

«Reconnaissez-vous cet homme?

 

– Je le connais, répondit le mécanicien surpris. Je l'ai vu autrefois, chez les Misard.

 

– Non, non… Le reconnaissez-vous pour l'homme du wagon, l'assassin?» Du coup, Jacques redevint circonspect. D'ailleurs, il ne le reconnaissait pas. L'autre lui avait semblé plus court, plus noir. Il allait le déclarer, lorsqu'il trouva que c'était trop s'avancer encore. Et il resta évasif.

 

«Je ne sais pas, je ne peux pas dire… Je vous assure, monsieur, que je ne peux pas dire.»

 

M. Denizet, sans attendre, appela les Roubaud à leur tour.

 

Et il leur posa la question:

 

«Reconnaissez-vous cet homme?» Cabuche souriait toujours. Il ne s'étonna pas, il adressa un petit signe de tête à Séverine, qu'il avait connue jeune fille, quand elle habitait la Croix-de-Maufras. Mais elle et son mari venaient d'avoir un saisissement, en le voyant là.

 

Ils comprenaient: c'était l'homme arrêté dont leur avait parlé Jacques, le prévenu qui avait motivé leur nouvel interrogatoire. Et Roubaud était stupéfié, effrayé de la ressemblance de ce garçon avec l'assassin imaginaire, dont il avait inventé le signalement, le contraire du sien. Cela se trouvait être purement fortuit, il en restait si troublé, qu'il hésitait à répondre.

 

«Voyons, le reconnaissez-vous?

 

– Mon Dieu! monsieur le juge, je vous le répète, ç'a été une sensation simplement, un individu qui m'a frôlé… Sans doute, celui-ci est grand comme l'autre, et il est blond, et il n'a pas de barbe…

 

– Enfin, le reconnaissez-vous?» Le sous-chef, oppressé, était tout tremblant d'une sourde lutte intérieure. L'instinct de la conservation l'emporta.

 

«Je ne peux pas affirmer. Mais il y a de ça, beaucoup de ça, pour sûr.» Cette fois, Cabuche commença à jurer. A la fin, on l'embêtait, avec ces histoires. Puisque ce n'était pas lui, il voulait partir. Et, sous le flot de sang qui lui montait au crâne, il tapa des poings, il devint si terrible, que les gendarmes, rappelés, l'emmenèrent. Mais, en face de cette violence, de ce saut de la bête attaquée qui se jette en avant,

 

M. Denizet triomphait. Maintenant, sa conviction était faite, et il le laissa voir.

 

«Avez-vous remarqué ses yeux? Moi, c'est aux yeux que je les reconnais… Ah! son compte est bon, il est à nous!» Les Roubaud, immobiles, se regardèrent. Alors, quoi?

 

c'était fini, ils étaient sauvés, puisque la justice tenait le coupable. Ils restèrent un peu étourdis, la conscience douloureuse, du rôle que les faits venaient de les forcer à jouer.

 

Mais une joie les inondait, emportait leurs scrupules, et ils souriaient à Jacques, ils attendaient, allégés, ayant soif de grand air, que le juge les congédiât tous les trois, lorsque l'huissier apporta une lettre à ce dernier.

 

Vivement, M. Denizet s'était remis à son bureau, pour la lire avec attention, oubliant les trois témoins. C'était la lettre du ministère, les avis qu'il aurait dû avoir la patience d'attendre, avant de pousser de nouveau l'instruction. Et ce qu'il lisait devait rabattre de son triomphe, car son visage peu à peu se glaçait, reprenait sa morne immobilité. A un moment, il leva la tête, jeta un coup d'œil oblique sur les Roubaud, comme si leur souvenir lui fût revenu, à une des phrases. Ceux-ci, perdant leur courte joie, retombés à leur malaise, se sentaient repris. Pourquoi donc les avait-il regardés? Avait-on, à Paris, retrouvé les trois lignes d'écriture, ce billet maladroit dont la peur les hantait? Séverine connaissait bien M. Camy-Lamotte, pour l'avoir souvent vu chez le président, et elle savait qu'il était chargé de mettre en ordre les papiers du mort. Un regret cuisant torturait Roubaud, celui de ne s'être pas avisé d'envoyer à Paris sa femme, qui aurait fait des visites utiles, qui se serait tout au moins assuré la protection du secrétaire général, dans le cas où la Compagnie, ennuyée des mauvais bruits, songerait à le destituer. Et tous deux ne quittaient plus du regard le juge, sentant leur inquiétude croître à mesure qu'ils le voyaient s'assombrir, visiblement déconcerté par cette lettre, qui dérangeait toute sa bonne besogne de la journée.

 

Enfin, M. Denizet lâcha la lettre, et il demeura un moment absorbé, les yeux ouverts sur les Roubaud et sur Jacques.

 

Puis, se résignant, se parlant haut à lui-même:

 

«Eh bien! on verra, on reprendra tout ça… Vous pouvez vous retirer.» Mais, comme les trois sortaient, il ne put résister au besoin de savoir, d'éclaircir le point grave qui détruisait son nouveau système, bien qu'on lui recommandât de ne plus rien faire, sans une entente préalable.

 

«Non, vous, restez un instant, j'ai encore une question à vous poser.» Dans le couloir, les Roubaud s'arrêtèrent. Les portes étaient ouvertes, et ils ne pouvaient partir: quelque chose les retenait là, l'angoisse de ce qui se passait dans le cabinet du juge, l'impossibilité physique de s'en aller, tant qu'ils n'apprendraient pas de Jacques la question qu'on lui posait encore. Ils revinrent, ils piétinèrent, les jambes cassées. Et ils se retrouvèrent côte à côte sur la banquette, où ils avaient attendu des heures déjà, ils s'y alourdirent, silencieux.

 

Lorsque le mécanicien reparut, Roubaud se leva, péniblement.

 

«Nous vous attendions, nous retournerons à la gare ensemble… Eh bien?» Mais Jacques détournait la tête, embarrassé, comme s'il voulait éviter le regard de Séverine, fixé sur lui. «Il ne sait plus, il patauge, dit-il enfin. Voilà, maintenant, qu'il m'a demandé s'ils n'étaient pas deux à faire le coup. Et, comme j'ai parlé, au Havre, d'une masse noire pesant sur les jambes du vieux, il m'a questionné là-dessus… Lui semble croire que ce n'était que la couverture. Alors, il a envoyé chercher la couverture, et il a fallu me prononcer… Mon Dieu! oui, c'était la couverture, peut-être.» Les Roubaud frémissaient. On était sur leur trace, un mot de ce garçon pouvait les perdre. Il savait sûrement, il finirait par causer. Et tous trois, la femme entre les deux hommes, quittaient en silence le Palais de justice, lorsque le sous-chef reprit, dans la rue:

 

«A propos, camarade, ma femme va être forcée d'aller passer un jour à Paris, pour des affaires. Vous serez bien gentil de la piloter, si elle a besoin de quelqu'un.»

 

V

A onze heures quinze, l'heure précise, le poste du pont de l'Europe signala, des deux sons de trompe réglementaires, l'express du Havre, qui débouchait du tunnel des Batignolles; et bientôt les plaques tournantes furent secouées, le train entra en gare avec un bref coup de sifflet, grinçant sur les freins, fumant, ruisselant, trempé par une pluie battante dont le déluge ne cessait pas depuis Rouen.

 

Les hommes d'équipe n'avaient pas encore tourné les loquets des portières, qu'une d'elles s'ouvrit et que Séverine sauta vivement sur le quai, avant l'arrêt. Son wagon se trouvait en queue, elle sut se hâter pour arriver à la machine, au milieu du flot brusque des voyageurs, descendus des compartiments, dans un embarras d'enfants et de paquets. Jacques était là, debout sur la plate-forme, attendant pour rentrer au dépôt; tandis que Pecqueux, avec un linge, essuyait des cuivres.

 

«Alors, c'est entendu, dit-elle, haussée sur la pointe des pieds. Je serai rue Cardinet à trois heures, et vous aurez l'obligeance de me présenter à votre chef, pour que je le remercie.» C'était le prétexte imaginé par Roubaud, un remerciement au chef du dépôt des Batignolles, à la suite d'un vague service rendu. De cette façon, elle se trouverait confiée à la bonne amitié du mécanicien, elle pourrait resserrer les liens davantage, agir sur lui.

 

Mais Jacques, noir de charbon, trempé d'eau, épuisé d'avoir lutté contre la pluie et le vent, la regardait de ses yeux durs, sans répondre. Il n'avait pu refuser au mari, en partant du Havre; et cette idée de se trouver seul avec elle, le bouleversait, car il sentait qu'il la désirait maintenant.

 

«N'est-ce pas?» reprit-elle souriante, avec son doux regard caressant, malgré la surprise et la petite répugnance qu'elle éprouvait à le trouver si sale, reconnaissable à peine, «n'est-ce pas? je compte sur vous.» Comme elle s'était haussée encore, appuyant sa main gantée sur une poignée de fer, Pecqueux, obligeamment, la prévint.

 

«Prenez garde, vous allez vous salir.» Alors, Jacques dut répondre. Il le fit d'un ton bourru.

 

«Oui, rue Cardinet… A moins que cette sacrée pluie n'achève de me fondre. Quel chien de temps!» Elle fut touchée de l'état minable où il était, elle ajouta, comme s'il avait souffert uniquement pour elle:

 

«Oh! êtes-vous fait, et quand j'étais si bien, moi!… Vous savez que j'ai pensé à vous, ça me désespérait, ce déluge…


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 51 | Нарушение авторских прав


<== предыдущая страница | следующая страница ==>
Agrave; propos de cette édition électronique 9 страница| Agrave; propos de cette édition électronique 11 страница

mybiblioteka.su - 2015-2024 год. (0.033 сек.)