B. Les critères d’analyse proposés par P. Martin

Comme on l’a vu à plusieurs reprises, précédemment, Georges Lavau en 1952 conseille d’étudier les partis politiques (et donc les systèmes partisans) en analysant leur dimension sociale. C’est ce qu’on va essayer de faire. Le concept du système partisan avait été formé pour rendre compte de la stabilité de la compétition politique, alors qu’aujourd’hui, depuis les années 80 ce qu’il faut expliquer c’est le changement du système partisan. On va voir que les critères influençant ce changement sont de nature extra-institutionnelle. Selon Mair, «le changement d’un système partisan survient quand un système partisan se transforme d’une classe ou d’un type de parti système en un autre type» (Peter MAIR, Party System Change: Approaches and Interpretations, 1997, p. 49). Pierre Martin propose une nouvelle série de critères pour mesurer ce changement:

· Les anciens et les nouveaux clivages

1: marché/nature

2: ethnocentrisme/cosmopolitisme

Examinons l’influence de la Global Révolution depuis 1945(comme l’appelle Martin Shaw). Elle est à la fois d’ordre institutionnel et culturel avec le développement d’un nouvel ordre mondial par notamment des organisations supranationales (OTAN, EU), ainsi qu’une «conscience globale» bien illustrée par le développement incroyable des organisations et des fondations caritatives internationales. Son but et ses conséquences sont un progrès technico-économique, mais aussi une mutation culturelle. Pour Inglehart c’est cette mutation des années 60 liée au passage à la société industrielle avancée qui provoque des comportements contestataires et le développement lié à la qualité de la vie (post-matérialisme).

Exemple: A la fin des années 60 on a vu l’émergence de deux nouvelles familles de partis politiques: les écolos (EELV en France, Ecolo en Belgique) et extrême-droite (FN en France, Vlaams Belange et FN au Belgique).

Les règles de jeu politique ont ainsi changé, par exemple au niveau de la formation des coalitions gouvernementales.

Exemple: le gouvernement actuel français formé en 2012 où on note une coalition entre le Front de Gauche et le parti EELV (deux ministres): Cécile Duflot (EELV): ministre de l’égalité des territoires et du logement, Pascal Canfin (EELV): ministre délégué du développement

Exemple: Allemagne

En 2011, le représentant du parti Les Verts devient le Premier Vert à diriger un gouvernement en Allemagne grâce à une coalition avec le SPD.

· Les réalignements électoraux:

Selon Burnham la théorie des réalignements électoraux nous indique que ceux-ci sont liés à des changements brutaux et durables dans les enjeux conflictuels qui structurent les débats politiques et qu’ils correspondent à des transformations profondes de la vie politique nationale.

Exemple: Le réalignement électoral français de 1958-1962 est provoqué par l’incapacité de la Quatrième République à traiter le problème algérien.

De Gaulle crée l’UNR qui devient un parti prédominant:

Election de 1958: il arrive premier avec 34,6% et reste en majorité jusqu'à 1981 (avec l’existence d’alliance avec les partis de centre)

Pour Pierre Martin ce n’est pas le scrutin lui même qui joue un rôle d’un frein ou d’un accélérateur mais le fait que celui-ci influence d’un coté les stratégies partisans, notamment les offres politique et électorales (par exemple le parti qui sais qu’il n’a aucun chance de gagner dans une telle circonscription va pas y présenter son candidat) et de l’autre coté le choix électorale. Ainsi la bataille électorale et par conséquence sa représentation au média, au moins au niveau national en dépend aussi.

Exemple: il n’existe pas que deux partis en GB, mais les électeurs pour maximiser l’utilité de leur vote doivent choisir entre deux plus grands partis qui seules sont susceptibles d’avoir la place au gouvernement (cela nécessite un électeur rationnel) et en même temps c’est ces deux partis qui réussissent le mieux a créer le lien d’identification chez leurs électeurs.

· Les changements de paradigmes:

C’est un basculement d’opinion et par conséquence du comportement dés élites sur une question. Ces changements influencent directement le système partisan en créant l’environnement plus ou moins favorable à certain parti.

Exemple: Le changement du paradigme du libéralisme orthodoxe vers le keynésianisme après 1945 a favorisé le développement des partis socialistes. Dans ces nouvelles conditions ils pouvaient plus facilement trouver des alliées pour la conquête du pouvoir, par conséquence l’idéologie marxiste a dû être abandonnée (la disparition du parti antisystème est un changement du système partisan). A contrario, le changement du paradigme vers le néolibéralisme des années 80 a crée de nombreuses difficultés pour des partis socialistes. En France ce changement abouti à la création de l’UMP par le rapprochement de la droite modérée, gaullistes, démocrate chrétienne et libérale.

L’autre exemple encore plus significatif et ce qu’on appelle «la victoire de la démocratie» à la fin de la Guerre Froide, l’effondrement des régimes léninistes et l’avènement précité du néo-libéralisme comme model-standard des principes gouvernementaux. Selon Parry Anderson: «il n’y a plus d’opposition significatives –des points de vue rivaux systématiques-au sein de la pensée mondiale de l’Occident; et à peine quelques uns à l’échelle mondiale». Ce changement a par conséquent entraîné la disparition quasi-totale du parti-antisystème. Ainsi même la nouvelle droite d’aujourd’hui est salonfahig (politiquement-correct).

Le FN français a mis en place la politique de sa dédiabolisation a partir de 2010.

Exemple: Allemagne, bouleversement profond de la politique liée à l’assistance chômage en 2004

Selon Frierich-Ebert-Stiftung, ce changement de paradigme a influencé:

La création d’un nouveau parti de gauche: Die Linke-PDS et a obtenu 54 sièges à l’Assemblée.

Conclusion:

En conclusion, on peut dire qu’un système partisan étant un phénomène très complexe est très difficile à expliquer. Pendant la première étape de son étude, les politistes posaient comme but l’explication de son émergence (Lipset et Rokkan) et son maintient dans la perspective de stabilité, de Duverger à Sartori.

Leurs travaux ont soulevé l’importance de l’approche sociologie pour l’articulation des partis et de l’approche partant des règles nationales de la conquête du pouvoir pour le maintient du système en place. Suite aux changements brutaux du monde à la fin du 20^E siècle, le but des études en la matière est bouleversé sous l’influence de la nécessité de la compréhension du système partisan dans son perpétuel mouvement (Mair, Martin etc..). Il n’existe toujours pas d’unité en la matière et de nombreux facteurs explicatifs sont proposés chaque année. Ainsi, si les facteurs extra-institutionnels semblent aujourd’hui être prédominants, c’est parce que eux seuls sont capables d’expliquer ces changements. Par conséquent, on peut dire que si le scrutin ne peut pas exliquer la formation du système partisan, le rôle du scrutin, comme le frein et l’accélérateur n’est pas vraiment remis en cause aujourd’hui.

La bibliographie:

· Dézé, A. et SAUGER, N., Système partisan, in HAUDEGAND, N. et LEFEBURE, P. (eds.), Dictionnaire des questions politiques, Paris, Editions de l’Atelier, 2000, p. 231.

· MARTIN, Pierre, Les Systèmes électoraux et les modes de scrutin. Paris, Montchrestien. 2006. (3^ème édition.)

· DELWIT, Pascal, DE WAELE, Jean-Michel (édité par), Le mode de scrutin fait-il l’élection?, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, Collection Sociologie politique, 2000 – 2014.

· LAVAU, Georges, Partis politiques et réalités sociales: contribution à une étude réaliste des partis politiques, Paris, Hachette, 1974, (2^ème édition).

· HERMENS, Ferdinand, Democracy or anarchy? A study of proportional représentation, New York, Johnson reprint corporation, 1972 (2" édition).

· LIPSET, S. et ROKKAN, S. (eds.), Party Systems and Voter Alignments, New York, The Free Press, 1967.

· ALMOND, G. et COLEMAN, J.S, The Politics of the Developing Areas, Princeton, Princeton University Press, 1960.

· DUVERGER, M., Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1981

· LA PALOMBRA, J. et WEINER, M. (eds.), Political Parties and Political Development, Princeton, Princeton University Press, 1966.

· SARTORI, G., Parties and Party Systems: a Framework for Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1976.

· KATZ, R.S. et MAIR, P. (1995), “Changing Models of Party Organization and Party Democracy: The Emergence of the Cartel Party», Party Politics, 1 (1), pp. 5-28.

· LEMIEUX, V. Systèmes Partisans et Partis Politiques, 1985

· FROGNIER, A.-P. Application du modèle de Lipset et Rokkan à la Belgique, Revue International de Politique Comparée, vol 14, n° 2, 2007.

· MARTIN, P. Comment analyser les changements dans les systèmes partisans d'Europe occidentale depuis 1945?, Revue International de Politique Comparée, vol 14, n° 2, 2007

· http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:Mg2yfVi7TMwJ:www.sciencespo.site.ulb.ac.be/dossiers_supports/cours-sur-les-systemes-1.ppt+&cd=4&hl=ru&ct=clnk&gl=fr.

· Pour les exemples voir: Union Interparlementaire http://www.ipu.org/french/home.htm

Дата добавления: 2015-11-16