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Par ses réalisations audacieuses comme -par les nombreux ouvrages où il
a exposé ses conceptions, Le Corbusier (Suisse d'origine, mais Français de
culture, et d'ailleurs naturalisé) s'inscrit en tête des architectes de notre temps.
Entre tous les mérites de ce grand créateur, le plus frappant est sans doute son
effort incessant pour mettre une technique révolutionnaire au service de la
simple humanité.
L'ARCHITECTURE AU SERVICE DE L'HOMME
Sans avoir jamais voulu m'opposer à Auguste Perret1 mais, au contraire,
bénéficiant de son effort, je me suis très particulièrement penché sur le
problème: logis-urbanisme, binôme2 indissociable. Je l'ai exploré selon une
règle acquise hors des écoles: du dedans au dehors, règle qui m'apparaît
être loi de la nature comme aussi bien de l'architecture.
Illustrons:
L'homme (cet homme qui est toujours, devant moi, avec ses dimensions,
ses sens, son affectivité) est assis à sa table; ses yeux se posent sur les
objets qui l'entourent: meubles, tapis, rideaux, tableaux ou photographies et
maints objets auxquels il attache signification. Une lampe l'éclairé ou le
soleil qui pénètre par la fenêtre, séparant l'ombre de la lumière, opposant
ces deux extrêmes lourds de réaction sur notre physique et notre
psychique: le clair et l'obscur. Les murs d'une chambre se referment sur lui
et sur ses agencements. Notre homme se lève marche, quitte la chambre,
passe ailleurs, n'importe où. Le voici ouvrant la porte du logis, sortant de
chez lui. Il est encore dans une maison: un corridor, des escaliers, un
ascenseur... Le voici dans la rue. Comment est fait ce dehors: hostile ou
accueillant? Sûr ou dangereux? L'homme est dans les rues de là ville, et le
voici, après certains actes successifs, hors de la ville, dans la campagne.
Pas une secoi'nde, l'architecture ne l'a quitté: meubles, chambre, lumière
solaire ou artificielle, respiration et température, disposition et services de
son logis; la maison; la rue; le site urbain; la ville; la palpitation de la ville;
la campagne, ses chemins, ses ponts, verdure et ciel, nature.
Architecture et urbanisme ont véritablement réagi sur tous ses gestes.
Architecture en tout: sa chaise et sa table, ses murs et ses chambres, son
escalier ou son ascenseur, sa rue, sa ville. Enchantement ou banalité, ou
ennui. Horreur même possible en ces choses. Beauté ou laideur. Bonheur
ou malheur. Ur''banisme en tout, dès qu'il s'est levé de sa chaise: lieux de
son logis, lieux de son quartier; le spectacle de ses fenêtres apprêté par les
édiles3; la vie de la rue; le dessin de la ville*.
Vous sentez: bien qu'il n'est pas un instant où la vigilance, la tendresse
aient pu faire défaut. Vous discernez bien cette vocation fraternelle de
l'architecture et de l'urbanisme au service de notre frère homme. Besoins
matériels, appétits spirituels, tout peut être comblé par cette architecture et
cet urbanisme;attentifs. Vous sentez l'unité des fonctions, la totalité de la
responsabilité, la grandeur de la mission architecture et urbanisme.
Mais beaucoup n'ont pas mesuré qu'il s'agit en effet, ici, d'une attention
fraternelle portée à autrui. Que l'architecture est une mission réclamant de
ses servants la vocation. Que, vouée au bien du logis (et le logis abritant
après les hommes, le travail, les choses, les institutions, les pensées),
l'architecture est un acte d'amour et non une mise en scène. Que s'adonner à
l'architecture, e n ces temps-ci de translation d'une civilisation déchue dans
une civilisation nouvelle, c'est comme entrer en religion, c'est croire, c'est
se consacrer, с 'est se donner**.
LE CORBUSIER.Enfrefien avec les étudiants des écoles d'architecture (1943).
Примечания.:
1. Знаменитый архитектор, в частности, автор театра "На Елисейских полях" в Па-
риже. 2. Алгебраический термин: двучлен. 3. Членами городского управления, муни-
ципалитета.
Вопросы:
* Qu'v a-t-il d'expressif dans le style de ce paragraphe?
** N'y a-t-il pas eu d'autres époques, où l'architecture, précisément, a pris un caractère
profondément religieux?
AUGUSTE RODIN (1840-1917)
en un pays qui a vu naître Jean Goujon, Germain Pilon, Puget, Pigalle, Rude
et Bourd-elle, Auguste Rodin occupe incontestablement la première place. Et
pourtant le succès n'a point souri aussitôt aux efforts de l'artiste, qui heurtait
avec trop de témérité les formules académiques. D'où le scandale suscité par
des œuvres grandioses telles que L'Age d'Airain'ou la statue de Balzac.
Rodin a été un visionnaire de la sculpture. Un créateur dont la puissance et
l'ambition dépassaient parfois les possibilités d'un art rudement enchaîné à la
matière. Un esprit assoiffé de grandeur, et en même temps un frère de la misère
humaine.
LES BOURGEOIS DE CALAIS
Sur la place publique de la ville vaincue, affamée et sans armes, les six
bourgeois ont délibéré. Pour sauver la ville de la ruine et leurs concitoyens
de la mort, ils ont fait le sacrifice de leur vie, et ils vont se livrer au roi
d'Angleterre1. Le monument de Rodin, ce n'est pas autre chose, dans un
miracle d'exécution, que l'instant précis de cet héroïsme, unanimement
accepté par les six bourgeois, mais différemment ressenti, selon la diffé-
rence des caractères qui agissent en ce drame. Les vieillards, décharnés par
les longues privations d'un siège, redressent leurs tailles en attitudes
hautaines, presque provocantes, ou bien se résignent noblement. Les jeunes
se retournent vers la ville, laissant derrière eux, dans un suprême regard, le
regret de cette vie, à peine commencée et dont ils ne connaissent que les
joies... Et le mouvement, les attitudes, les expressions sont si justes, d'un
sentiment humain si vrai que, derrière le groupe, prêt à se mettre en
marche, on entend réellement le bourdonnement de la foule qui encourage
et qui pleure, les acclamations et les adieux. Nulle autre complication, nul
souci scénique du groupement; aucune allégorie, pas un attribut2. Il n'y
a que des formes, expressives et belles, si expressives qu'elles deviennent,
véritablement, des états d'âme. Les bourgeois partent, et le drame vous
secoue de la nuque aux talons.
Ce que j'ai fait pour Les Bourgeois de Calais, on peut le faire pour
chaque figure d'Auguste Rodin. (...) Son génie, ce n'est pas seulement de
nous avoir donné d'immortels chefs-d'œuvre, c'est d'avoir fait, sculpteur, de
la sculpture, c'est-à-dire d'avoir retrouvé un art admirable et qu'on ne
connaissait plus.
Et ce qu'il y a de poignant dans les figures de Rodin, ce par quoi, en
dehors même et peut-être à cause de leur propre beauté sculpturale, elles
nous touchent si violemment, c'est que nous nous reconnaissons en elles, et
qu'elles sont, comme le disait Stéphane Mallarmé, «nos douloureux
camarades*».
octave mirbeau. Des Artistes.
Примечания:
1. Эдуарду III (1312 - 1377). Осада Кале происходила во время Столетней войны.
2 Деталь, конкретно определяющая социальное положение, профессию и т.п.
Вопросы:
* Appréciez la justesse de cette page d'Octave Mirbeau, par comparaison avec la photo
de la page précédente. — Connaissez-vous d'autres œuvres de Rodin, où la -puissance ne
s'exprime plus d'une façon aussi littéralement descriptive?
Дата добавления: 2015-08-02; просмотров: 45 | Нарушение авторских прав
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