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J'ai divorcé d'avec Richard. Et je sors avec mon avocat, Murray Benett, le célèbre ténor du barreau. En une semaine, il s'installe dans ma vie, dans mon cœur, dans mon corps, dans mes meubles et dans mes contrats.
Avec lui, la vie de couple se transforme en une sorte de contrat permanent. Il dit que la vie à deux, que ce soit dans le concubinage ou le mariage, devrait être régie par un système de bail trois-six-neuf, comme pour les locations d'appartements. À échéance, c'est-à-dire tous les trois ans, si les partenaires ne sont pas satisfaits, on réexamine les clauses ou on dénonce le contrat, et s'ils sont contents on repart pour trois nouvelles années par «tacite reconduction».
Sur ce sujet, Murray est intarissable. Le mariage «classique» est stupide, prétend-il. C'est un contrat à vie que les protagonistes signent alors qu'ils sont incapables d'en déchiffrer les clauses tant ils sont aveuglés par leurs sentiments et la peur de la solitude. Si les époux le ratifient à vingt ans, il restera valable soixante-dix ans environ, sans être susceptible de la moindre modification. Or la société, les mœurs, les gens évoluent et il arrive forcément un moment où le contrat devient caduc.
Je me moque de tout ce baratin juridique, tout ce que je sais c'est que Murray adore faire l'amour dans des positions insensées. Avec lui, j'en découvre que même le Kâma-sûtra ignore. Il me prend dans des endroits complètement incongrus où nous risquons d'être surpris par le premier passant venu. Le danger est un aphrodisiaque.
Lorsque nous dînons avec sa «bande», essentiellement constituée de ses ex-petites amies, je sens qu'elles m'en veulent d'occuper la place convoitée de dernière amante en date. Quand Murray parle, il amuse la galerie.
– Comme tous les avocats, je déteste avoir des clients innocents. Si on gagne pour un innocent, il considère cela comme normal. Et si on perd, il vous en veut personnellement. Alors qu'avec un coupable, si on perd, il considère que c'est inéluctable et si on gagne, il vous baise les pieds!
Tout le monde s'esclaffe. Sauf moi.
Au départ, Murray et moi avons chacun défini notre territoire dans notre appartement. Là, c'est ma chambre. Là, c'est mon bureau. Là, je range ma brosse à dents et là tu mets la tienne. Dans nos placards tout ce qui est à portée d'yeux est occupé par ses vestes, ses pulls et ses chemises. Mes affaires à moi sont reléguées soit tout en haut, soit tout en bas. J'aurais dû me méfier d'emblée de ce genre de détails.
De tous les hommes que j'ai connus, Murray est le premier à être attaché si fort à cette notion de territoire.
Toutes les manœuvres lui sont bonnes pour élargir son territoire:
Qui garde en main la télécommande et choisit le programme à la télé?
Qui squatte le premier le matin les toilettes et la salle de bains?
Qui y lit le journal sans se soucier que l'autre attende?
Qui décroche quand le téléphone sonne?
Qui sort les poubelles?
Quels parents reçoit-on le dimanche?
Comme je suis à même de fuir et de me réfugier en permanence dans mon métier d'actrice, je m'investis peu dans cette guérilla quotidienne.
J'aurais pourtant dû rester sur le qui-vive. J'aurais dû réagir immédiatement quand il a commencé à m'ar-racher toute la couette en dormant, tandis que moi je restais à grelotter.
L'amour n'excuse pas tout. Aucun de mes anciens admirateurs n'aurait pu m'imaginer si souple et si docile. Le salon, la cuisine et le vestibule avaient été déclarés territoires neutres. Au nom du bon goût, Mur-ray a rapidement enlevé de l'entrée tous les bibelots qui me plaisent pour les remplacer par des photos de vacances de lui avec ses ex. Plus aucune nourriture normale ne traîne dans le réfrigérateur envahi par ses aliments favoris, plats étranges achetés tout préparés en pharmacie pour leurs vertus amincissantes.
Quant au salon, il y trône un énorme fauteuil avec interdiction à quiconque d'y poser ses fesses.
Comme, par paresse, je refuse de passer mon temps à me battre, mon territoire particulier se retrouve réduit à la portion congrue. De guerre lasse, j'abandonne à Murray presque toute ma moitié d'appartement pour me calfeutrer dans mon petit bureau dont il a exigé d'ailleurs que j'ôte la serrure afin que je ne puisse m'y enfermer.
Je suis battue. Cependant, comme Murray renégocie habilement avec mes producteurs mes droits sur mes films, je ne me considère pas comme entièrement perdante. Il a fallu qu'il se mêle de ranger et de redécorer mon ultime refuge, mon bureau, pour que je lui annonce mon intention de ne pas reconduire le bail.
Murray l'a pris de haut.
– Sans moi, tu es fichue. Notre société est devenue tellement juridique que les producteurs te dévoreront toute crue.
Je prends le risque. N'ayant nullement l'intention d'adhérer à son «club des ex», je le prie, en outre, de ne pas chercher à me revoir. Là, il s'emporte. Il déclare que je lui suis entièrement redevable de ma réussite. «Sans moi tu ne serais jamais devenue une actrice inspirée.» En conséquence, il exige la moitié de tout ce que j'ai gagné pendant notre vie commune. J'y consens sans rechigner. C'est vrai qu'il m'a rendu la vie si difficile et que je me suis sentie tellement à l'étroit sur mon territoire en peau de chagrin que, cette année, j’ai accepté le plus de rôles possible et donc beaucoup accru mes revenus. Mes migraines ont repris de plus belle. Je supplie Billy Watts, mon agent, de trouver une solution.
– Il n'y en a que deux, dit-il. La première, la plus classique, c'est de te rendre à Paris chez le professeur Jean-Benoît Dupuis, le spécialiste français de la migraine et de la spasmophilie. La seconde consiste à consulter mon nouveau médium.
– Tu n'es plus avec Ludivine?
– Après le succès de ses consultations individuelles, elle a créé un groupe de réflexion et, comme il a eu beaucoup de succès, elle a malheureusement enchaîné par la fondation d'une secte. La GVF. «Les Gardiens de la Vraie Foi.» Ils ne sont pas méchants, mais ils se réunissent en costume, les cotisations sont chères et ceux qui veulent en sortir sont «excommuniés». Ça a suffi à me refroidir. Maintenant ils exigent d'être reconnus comme une religion à part entière.
– Et qui est ton nouveau surdoué?
– Ulysse Papadopoulos. C'est un ancien moine ermite. Il lui est arrivé des choses extraordinaires, paraît-il. Depuis, il a un don. Il converse directement avec les anges. Il te permettra d'entrer en contact avec ton ange gardien, lequel t'expliquera pourquoi tu es continuellement en proie à de tels maux de tête.
– Tu crois qu'on peut converser directement avec son ange gardien sans le… comment dire?… déranger dans son boulot d'ange?
166. ENCYCLOPÉDIE
RESPIRATION: Les femmes et les hommes ne perçoivent pas le monde de la même manière. Pour la plupart des hommes, les événements évoluent de manière linéaire. Les femmes, par contre, peuvent concevoir le monde dans sa forme ondulatoire. Probablement parce qu'elles ont tous les mois la preuve que ce qui se construit peut se déconstruire et se reconstruire ensuite à nouveau, elles perçoivent l'univers comme une pulsation permanente. Inconsciemment est inscrit dans leur corps ce secret fondamental: tout ce qui grandit finit par diminuer, tout ce qui monte finit par descendre. Tout «respire» et il ne faut pas avoir peur que l'expiration succède à l'inspiration. La pire chose serait de vou loir retenir sa respiration ou de la bloquer. Ce serait l'étouffement assuré.
Les récentes découvertes en astronomie montrent de même que notre univers issu du big-bang et qu'on a toujours perçu comme un univers en expansion permanente pourrait lui aussi se concentrer jusqu'à un big-crunch, sorte de concentration maximale de la matière, débouchant peut-être à nouveau sur… un deuxième big-bang. Même l'univers dans ce cas «respirerait».
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.
RETOUR
Retour vers le Paradis. Les distances entre les deux galaxies sont tellement incommensurables que je ne crois pas que nous reviendrons voir Zoz de sitôt. Nous volons vite et, pourtant, nous avons l'impression de progresser comme des escargots.
Tout en volant, nous méditons sur les implications de notre découverte. Nous avons exploré une seconde planète habitée par des humains, mais il doit en exister encore beaucoup d'autres. Rien que dans l'amas de galaxies qui comprend la nôtre et celle de Zoz, je sais que s'en entassent 326 782. Même si elles ne comprennent pas toutes un paradis au centre et que seules 10 % en possèdent un et donc une planète habitée par des humanoïdes, il subsiste encore 32 000 planètes peuplées de gens avec lesquels nous pourrions discuter.
Nous cherchions nos dieux, nous cherchions d'où venait Nathalie Kim, nous avons trouvé autre chose qui ne répond à aucune de ces deux questions. Reste maintenant à savoir si les âmes transitent d'un Paradis à l'autre. Et si oui, pourquoi?
Notre horizon géographique et spirituel s'élargit. Je redoutais que ma vie d'ange ne soit monotone, elle devient tonique. Rien que d'y penser, mes responsabilités me reviennent à l'esprit.
Pourvu qu'il ne soit rien arrivé de catastrophique à mes clients!
IGOR. 25 ANS
Après mon suicide, je suis mort et je suis sorti de mon corps. Il y avait en haut la fameuse lumière que je connaissais déjà mais je ne me suis pas élevé vers elle. En moi, quelque chose protestait: «Tu dois demeurer ici jusqu'à ce que justice te soit rendue. Alors seulement tu pourras monter.»
Maintenant je suis une âme errante. Je me suis transformé en une entité immatérielle. Je suis transparent et impalpable. Je ne savais trop quoi faire au début. Je suis donc resté près de ma dépouille et j'ai attendu. Une ambulance est arrivée. Un brancardier a jeté un œil sur mon cadavre en bouillie et s'est retourné pour vomir.
D'autres personnes en uniforme blanc sont venues et ont enfourné mon ancien corps dans un sac en plastique après en avoir recherché les lambeaux épars sur la chaussée. Elles m'ont emmené à la morgue. Tatiana paraissait très affligée par ma disparition mais ça ne l'a pas empêchée de pratiquer une autopsie et de placer mon fichu nombril guéri dans un flacon de formol afin de l'exhiber à tout le monde. Dans le genre veuve éplo-rée, il y a mieux.
Voilà, je suis un fantôme. Comme je n'ai plus peur de mourir, j'observe plus sereinement les êtres et les choses. Autrefois, la peur de la mort était inscrite en moi comme un bruit de fond permanent qui m'empêchait d'être vraiment tranquille. Maintenant je n'ai plus ça, mais je vis avec des regrets.
Je me suis suicidé. J'ai eu tort. Beaucoup d'hommes se plaignent de souffrir dans leur chair. Ils ne connaissent pas leur chance. Eux, au moins, ils ont un corps. Les gens devraient savoir que chacun de leur bobo est une preuve qu'ils possèdent un corps. Tandis que nous, les âmes errantes, nous ne ressentons plus rien.
Ah, si je retrouvais un corps, je m'enchanterais de la moindre de mes cicatrices. Je la rouvrirais de temps en temps pour vérifier qu'il y a bien du sang dessous et que la blessure me fait toujours souffrir. Combien ne donnerais-je pas pour ressentir ne serait-ce qu'un petit ulcère à l'estomac, ou même un aphte, ou une démangeaison de piqûre de moustique!
Quelle bourde j'ai faite en me suicidant! Pour quelques minutes d'exaspération, me voilà âme errante pour des siècles et des siècles.
Au début, j'ai tenté de prendre mon nouveau sort à la légère. C'est agréable de voler et de percer les murailles. Je peux m'introduire partout. Je peux me faire fantôme en Ecosse et agiter des draps pour affoler les touristes. Je peux être esprit de la Forêt pour complaire aux chamans de Sibérie. Je peux me glisser dans des séances de spiritisme et faire tourner les tables. Je peux aller dans les églises et accomplir des miracles. J'ai d'ailleurs joué à Lourdes, rien que pour vérifier mon pouvoir d'âme errante sur la matière.
L'état d'âme errante présente encore d'autres avantages. J'assiste gratuitement à des concerts, et placé aux premières loges en plus. Je me faufile au cœur de batailles décisives. Même au beau milieu d'un champignon atomique, je n'ai plus rien à craindre.
Je me suis amusé à descendre au fond des volcans et dans les abysses. Ça va un temps et puis ça lasse. Je me suis immiscé dans les salles de bains des plus belles femmes. La belle affaire quand on n'a plus d'hormones… Je me suis diverti quinze jours. Pas plus. Quinze jours suffisent pour toutes les gamineries qu'on a souhaité réaliser, enfant, en regardant L'Homme invisible.
Quinze jours. Ensuite, j'ai compris toute la misère de mon état. On côtoie en permanence les autres âmes errantes. Les âmes des suicidés sont pour la plupart amères, aigries, déprimées, jalouses, hargneuses. Elles souffrent et elles regrettent pour la plupart leur choix. Nous nous retrouvons dans les cimetières, les caves, les églises, les cathédrales, les monuments aux morts et, de manière plus générale, tous les lieux que nous trouvons «marrants».
Nous parlons de nos vies passées. J'ai rencontré des assassinés qui rôdent pour embêter leur bourreau, des gens trahis, humiliés, qui errent pour se venger, des innocents condamnés à tort qui hantent les nuits de leurs juges, bref, maintes créatures en souffrance qui ont leurs raisons pour ne pas quitter l'humanité. L'essentiel de notre troupe, ce sont cependant les suicidés.
Nous sommes tous assoiffés de justice, de revanche, de vengeance. Ce qui nous caractérise tous, c'est la volonté de nuire à ceux qui nous ont nui plutôt que de chercher à monter au Paradis. Nous sommes des guerriers. Or, un guerrier pense davantage à faire du mal à ses ennemis qu'à se faire du bien à lui-même ou à en faire à ceux qu'il aime.
À présent, notre unique chance de retourner dans la matière est de voler un corps. L'idéal, c'est de pénétrer un corps momentanément déserté par son âme. C'est difficile, mais c'est possible. Dans les clubs de méditation transcendantale, il y a toujours des débutants qui décollent de travers et étirent trop leur cordon d'argent.
Si ça claque, il n'y a plus alors qu'à entrer en eux. Le problème, c'est que nous sommes toujours des centaines d'âmes errantes à cerner ces clubs et qu'il faut jouer des coudes pour se faufiler dès qu'un corps se libère.
Autre provende de corps abandonnés: les drogués. Les drogués, c'est du pain bénit. Ils sortent de leur corps n'importe quand n'importe comment, sans la moindre discipline, sans le moindre rituel, sans le moindre accompagnateur pour les protéger. Du nanan. Il suffit d'entrer.
Le seul problème avec les dépouilles de drogués, c'est qu'une fois dedans, on ne s'y sent pas très bien. On est tout de suite en manque et, du coup, on ressort pour être aussitôt remplacé par un autre fantôme. Un vrai jeu de chaises musicales sauf que les sièges sont brûlants et qu'on ne peut pas y rester assis très longtemps.
Restent les accidentés de la route. Nous sommes comme des vautours, nous, les charognards des âmes.
Parfois, une âme errante intègre un corps d'accidenté et il meurt quelques minutes plus tard à l'hôpital. La guigne!
Donc, il faut dénicher un corps en bon état, vide parce que temporairement délaissé par un propriétaire sain. Pas facile.
En attendant, rien d'autre à faire qu'errer. Pour oublier un peu ma triste condition, je me lance dans une petite tournée de ces médiums qui perçoivent nos voix. Je commence par Ulysse Papadopoulos, et là, qui vois-je? Venus. Venus Sheridan. L'idole de ma jeunesse. Elle veut par le truchement du Grec s'entretenir avec son ange gardien. Génial. J'arrive.
Дата добавления: 2015-11-13; просмотров: 49 | Нарушение авторских прав
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