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Frison-Roche exprime dans Premier de Cordée l'atmosphère de la haute
montaêne: son héros, Pierre Servettaz, neveu d'un des meilleurs guides des
Alpes, a senti en lui l'irrésistible vocation de l'héroïsme, l'appel de la liberté.
Sous ses pieds, s'ouvre le trou sombre de la vallée profonde de mille
mètres et, en face de lui, la chaîne du Mont-Blanc, qui s'exhaussait
à mesure qu'il montait, a repris sa véritable dimension; la coupole
supérieure repose comme la voûte d'une cathédrale byzantine sur
l'architecture compliquée des Aiguilles, amenuisées par la distance. C'est
une forêt de pierres où pilastres, tours, campaniles, lanternes1
s'enchevêtrent et se hérissent, émaillés de névés2 glauques.
Les glaciers des Bossons et de Tacounaz, écaillés de crevasses trans-
versales, s'allongent et s'étirent paresseusement comme de gigantesques
sauriens.
Le froid augmente; Pierre claque légèrement des dents, mais il ne peut
se lasser d'admirer encore une fois ce lever du jour.
C'est comme si d'un coup tout devenait plus clair, plus frais, plus pur.
Une toute petite tache rosé s'est posée sur la cime sans qu'on sache d'où
venait la lumière; sans doute des lointains de l'est, maintenant phosphores-
cents et, en même temps que le jour naissait, l'air s'est fait plus léger. Pierre
voudrait chanter. Mais non! C'est tout son être qui chante mystérieusement
le renouveau de la vie. Il se lève, assure son sac sur l'épaule et, repartant
dans la fraîcheur, atteint la combe' du Brévent encore dans l'ombre, où les
gros blocs du clapier4 dessinent des formes étranges et familières; le jeune
montagnard marche fébrilement. Maintenant, il se faufile avec le sentier
complice sous un petit campanile déchiqueté, puis l'abandonne pour une
piste à peine marquée qui rejoint la base de la grande paroi du Brévent.
La face du Brévent est une ascension courte, facile pour un grimpeur de
classe, mais vertigineuse au possible; on y conduit généralement les
débutants ou encore les alpinistes qu'un guide veut «essayer» avant une
course importante; le rocher est très délité5 et nécessite de grandes
précautions.
Cette paroi Pierre l'a gravie bien des fois, et, s'il y retourne, c'est
justement parce qu'il sait fort bien qu'il ne pourra trouver meilleure pierre
d'essai: un homme sujet au vertige ne franchit pas la vire6 du haut de la
paroi. Et Pierre se reprend à douter, redoute l'échec qu'il pressent, perd sa
confiance... Sa démarche se fait plus hésitante. Il faut, pour aborder les
rochers, traverser un petit couloir herbeux très raide, les gazons mouillés
de rosée sont très glissants. En temps normal, Pierre aurait sauté en se.
jouant d'une pierre à l'autre. Pourquoi, aujourd'hui, n'avance-t-il qu'avec
précaution, plantant la pique de son piolet dans la terre pour assurer sa
marche, s'inclinant exagérément du côté de la montagne, au lieu de poser
son pied bien franchement et d'aplomb?
Quelqu'un qui le verrait de loin s'inquiéterait: «Voilà un débutant qui n'a
pas le pied sûr!» songerait-il.
R. FRISON-ROCHE. Premier de Cordée, (1948).
Примечания:
1. Разные формы скал: пилястр — плоский вертикальный выступ на поверхности
стены; кампанилла — колокольня, стоящая на некотором отдалении от церкви;
лантерн — башенка с отверстием (фонарем) сбоку. 2. Фирновый (уплотненный,
смерзшийся) снег. 3. Длинное и узкое ущелье. 4. Нагромождение каменных обломков
у подножья склона. 5. Растрескавшиеся и отслаивающиеся от воздействия воды
и морозов. 6. Тропа, вьющаяся по склону горы.
Дата добавления: 2015-08-02; просмотров: 46 | Нарушение авторских прав
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