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А propos de cette йdition йlectronique 5 страница

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Le colonel demanda:

 

– Vous voulez un duel sйrieux?

 

Le vicomte rйpondit:

 

– Trиs sйrieux.

 

Le marquis reprit:

 

– Vous tenez au pistolet?

 

– Oui.

 

– Nous laissez-vous libres de rйgler le reste?

 

Le vicomte articula d’une voix sиche, saccadйe:

 

– Vingt pas, au commandement, en levant l’arme au lieu de l’abaisser. Йchange de balles jusqu’а blessure grave.

 

Le colonel dйclara d’un ton satisfait:

 

– Ce sont des conditions excellentes. Vous tirez bien, toutes les chances sont pour vous.

 

Et ils partirent. Le vicomte rentra chez lui pour les attendre. Son agitation, apaisйe un moment, grandissait maintenant de minute en minute. Il se sentait le long des bras, le long des jambes, dans la poitrine, une sorte de frйmissement, de vibration continue; il ne pouvait tenir en place, ni assis, ni debout. Il n’avait plus dans la bouche une apparence de salive, et il faisait а tout instant un mouvement bruyant de la langue, comme pour la dйcoller de son palais.

 

Il voulut dйjeuner, mais il ne put manger. Alors l’idйe lui vint de boire pour se donner du courage, et il se fit apporter un carafon de rhum dont il avala coup sur coup, six petits verres.

 

Une chaleur, pareille а une brыlure, l’envahit, suivie aussitфt d’un йtourdissement de l’вme. Il pensa:

 

– Je tiens le moyen. Maintenant зa va bien.

 

Mais au bout d’une heure il avait vidй le carafon, et son йtat d’agitation redevenait intolйrable. Il sentait un besoin fou de se rouler par terre, de crier, de mordre. Le soir tombait.

 

Un coup de timbre lui donna une telle suffocation qu’il n’eut pas la force de se lever pour recevoir ses tйmoins.

 

Il n’osait mкme plus leur parler, leur dire «bonjour», prononcer un seul mot, de crainte qu’ils ne devinassent tout а l’altйration de sa voix.

 

Le colonel prononзa:

 

– Tout est rйglй aux conditions que vous avez fixйes. Votre adversaire rйclamait d’abord les privilиges d’offensй, mais il a cйdй presque aussitфt et a tout acceptй. Ses tйmoins sont deux militaires.

 

Le vicomte prononзa:

 

– Merci.

 

Le marquis reprit:

 

– Excusez-nous si nous ne faisons qu’entrer et sortir, mais nous avons encore а nous occuper de mille choses. Il faut un bon mйdecin, puisque le combat ne cessera qu’aprиs blessure grave, et vous savez que les balles ne badinent pas. Il faut dйsigner l’endroit, а proximitй d’une maison pour y porter le blessй si c’est nйcessaire, etc.; enfin, nous en avons encore pour deux ou trois heures.

 

Le vicomte articula une seconde fois:

 

– Merci.

 

Le colonel demanda:

 

– Vous allez bien? vous кtes calme?

 

– Oui, trиs calme, merci.

 

Les deux hommes se retirиrent.

 

* * *

 

Quand il se sentit seul de nouveau, il lui sembla qu’il devenait fou. Son domestique ayant allumй les lampes, il s’assit devant sa table pour йcrire des lettres. Aprиs avoir tracй, au haut d’une page: «Ceci est mon testament…» il se releva d’une secousse et s’йloigna, se sentant incapable d’unir deux idйes, de prendre une rйsolution, de dйcider quoi que ce fыt.

 

Ainsi, il allait se battre! Il ne pouvait plus йviter cela. Que se passait-il donc en lui? Il voulait se battre, il avait cette intention et cette rйsolution fermement arrкtйes; et il sentait bien, malgrй tout l’effort de son esprit et toute la tension de sa volontй, qu’il ne pourrait mкme conserver la force nйcessaire pour aller jusqu’au lieu de la rencontre. Il cherchait а se figurer le combat, son attitude а lui et la tenue de son adversaire.

 

De temps en temps, ses dents s’entrechoquaient dans sa bouche avec un petit bruit sec. Il voulut lire, et prit le code du duel de Chвteauvillard. Puis il se demanda:

 

– Mon adversaire a-t-il frйquentй les tirs? Est-il connu? Est-il classй? Comment le savoir?

 

Il se souvint du livre du baron de Vaux sur les tireurs au pistolet, et il le parcourut d’un bout а l’autre. Georges Lamil n’y йtait pas nommй. Mais cependant si cet homme n’йtait pas un tireur, il n’aurait pas acceptй immйdiatement cette arme dangereuse et ces conditions mortelles?

 

Il ouvrit, en passant, une boоte de Gastinne Renette posйe sur un guйridon, et prit un des pistolets, puis il se plaзa comme pour tirer et leva le bras. Mais il tremblait des pieds а la tкte et le canon remuait dans tous les sens.

 

Alors, il se dit:

 

– C’est impossible. Je ne puis me battre ainsi.

 

Il regardait au bout du canon ce petit trou noir et profond qui crache la mort, il songeait au dйshonneur, aux chuchotements dans les cercles, aux rires dans les salons, au mйpris des femmes, aux allusions des journaux, aux insultes que lui jetteraient les lвches.

 

Il regardait toujours l’arme, et, levant le chien, il vit soudain une amorce briller dessous comme une petite flamme rouge. Le pistolet йtait demeurй chargй, par hasard, par oubli. Et il йprouva de cela une joie confuse, inexplicable.

 

S’il n’avait pas, devant l’autre, la tenue noble et calme qu’il faut, il serait perdu а tout jamais. Il serait tachй, marquй d’un signe d’infamie, chassй du monde! Et cette tenue calme et crвne, il ne l’aurait pas, il le savait, il le sentait. Pourtant il йtait brave, puisqu’il voulait se battre!… Il йtait brave, puisque… – La pensйe qui l’effleura ne s’acheva mкme pas dans son esprit; mais, ouvrant la bouche toute grande, il s’enfonзa brusquement, jusqu’au fond de la gorge, le canon de son pistolet, et il appuya sur la gвchette…

 

Quand son valet de chambre accourut, attirй par la dйtonation, il le trouva mort, sur le dos. Un jet de sang avait йclaboussй le papier blanc sur la table et faisait une grande tache rouge au-dessous de ces quatre mots:

 

«Ceci est mon testament.»

 

L’ivrogne[9]

 

I

 

Le vent du nord soufflait en tempкte, emportant par le ciel d’йnormes nuages d’hiver, lourds et noirs, qui jetaient en passant sur la terre des averses furieuses.

 

La mer dйmontйe mugissait et secouait la cфte, prйcipitant sur le rivage des vagues йnormes, lentes et baveuses, qui s’йcroulaient avec des dйtonations d’artillerie. Elles s’en venaient tout doucement, l’une aprиs l’autre, hautes comme des montagnes, йparpillant dans l’air, sous les rafales, l’йcume blanche de leurs tкtes ainsi qu’une sueur de monstres.

 

L’ouragan s’engouffrait dans le petit vallon d’Yport, sifflait et gйmissait, arrachant les ardoises des toits, brisant les auvents, abattant les cheminйes, lanзant dans les rues de telles poussйes de vent qu’on ne pouvait marcher qu’en se tenant aux murs, et que les enfants eussent йtй enlevйs comme des feuilles et jetйs dans les champs par-dessus les maisons.

 

On avait hвlй les barques de pкche jusqu’au pays, par crainte de la mer qui allait balayer la plage а marйe pleine, et quelques matelots, cachйs derriиre le ventre rond des embarcations couchйes sur le flanc, regardaient cette colиre du ciel et de l’eau.

 

Puis ils s’en allaient peu а peu, car la nuit tombait sur la tempкte, enveloppant d’ombre l’Ocйan affolй, et tout le fracas des йlйments en furie.

 

Deux hommes restaient encore, les mains dans les poches, le dos rond sous les bourrasques, le bonnet de laine enfoncй jusqu’aux yeux, deux grands pкcheurs normands, au collier de barbe rude, а la peau brыlйe par les rafales salйes du large, aux yeux bleus piquйs d’un grain noir au milieu, ces yeux perзants des marins qui voient au bout de l’horizon, comme un oiseau de proie.

 

Un d’eux disait:

 

– Allons, viens-t’en, Jйrйmie. J’allons passer l’temps aux dominos. C’est mй qui paye.

 

L’autre hйsitait encore, tentй par le jeu et l’eau-de-vie, sachant bien qu’il allait encore s’ivrogner s’il entrait chez Paumelle, retenu aussi par l’idйe de sa femme restйe toute seule dans sa masure.

 

Il demanda:

 

– On dirait qu’ t’as fait une gageure de m’soыler tous les soirs. Dis-mй, quй qu’ зa te rapporte, pisque tu payes toujours?

 

Et il riait tout de mкme а l’idйe de toute cette eau-de-vie bue aux frais d’un autre; il riait d’un rire content de Normand en bйnйfice.

 

Mathurin, son camarade, le tirait toujours par le bras.

 

– Allons, viens-t’en, Jйrйmie. C’est pas un soir а rentrer, sans rien d’chaud dans le ventre. Quйqu’ tu crains? Ta femme va-t-il pas bassiner ton lit?

 

Jйrйmie rйpondait:

 

– L’aut’ soir que je n’ai point pu r’trouver la porte… Qu’on m’a quasiment r’pйchй dans le ruisseau de d’vant chez nous!

 

Et il riait encore а ce souvenir de pochard, et il allait tout doucement vers le cafй de Paumelle, dont la vitre illuminйe brillait; il allait, tirй par Mathurin et poussй par le vent, incapable de rйsister а ces deux forces.

 

La salle basse йtait pleine de matelots, de fumйe et de cris. Tous ces hommes, vкtus de laine, les coudes sur les tables, vocifйraient pour se faire entendre. Plus il entrait de buveurs, plus il fallait hurler dans le vacarme des voix et des dominos tapйs sur le marbre, histoire de faire plus de bruit encore.

 

Jйrйmie et Mathurin allиrent s’asseoir dans un coin et commencиrent une partie, et les petits verres disparaissaient, l’un aprиs l’autre, dans la profondeur de leurs gorges.

 

Puis ils jouиrent d’autres parties, burent d’autres petits verres. Mathurin versait toujours, en clignant de l’њil au patron, un gros homme aussi rouge que du feu et qui rigolait, comme s’il eыt su quelque longue farce; et Jйrйmie engloutissait l’alcool, balanзait sa tкte, poussait des rires pareils а des rugissements en regardant son compиre d’un air hйbйtй et content.

 

Tous les clients s’en allaient. Et, chaque fois que l’un d’eux ouvrait la porte du dehors pour partir, un coup de vent entrait dans le cafй, remuait en tempкte la lourde fumйe des pipes, balanзait les lampes au bout de leurs chaоnettes et faisait vaciller leurs flammes; et on entendait tout а coup le choc profond d’une vague s’йcroulant et le mugissement de la bourrasque.

 

Jйrйmie, le col desserrй, prenait des poses de soыlard, une jambe йtendue, un bras tombant; et de l’autre main il tenait ses dominos.

 

Ils restaient seuls maintenant avec le patron, qui s’йtait approchй, plein d’intйrкt.

 

Il demanda:

 

– Eh ben, Jйrйmie, з’a va-t-il, а l’intйrieur? Es-tu rafraоchi а force de t’arroser?

 

Et Jйrйmie bredouilla:

 

– Pus qu’il en coule, pus qu’il fait sec, lа-dedans.

 

Le cafetier regardait Mathurin d’un air finaud. Il dit:

 

– Et ton frй, Mathurin, ous qu’il est а c’t heure?

 

Le marin eut un rire muet:

 

– Il est au chaud, t’inquiиte pas.

 

Et tous deux regardиrent Jйrйmie, qui posait triomphalement le double six en annonзant:

 

– V’lа le syndic.

 

Quand ils eurent achevй la partie, le patron dйclara:

 

– Vous savez, mes gars, mй, j’ va m’ mettre au portefeuille. J’ vous laisse une lampe et pi l’ litre. Y en a pour vingt sous а bord. Tu fermeras la porte au dehors, Mathurin, et tu glisseras la clef d’sous l’auvent comme t’as fait l’aut’ nuit.

 

Mathurin rйpliqua:

 

– T’inquiиte pas. C’est compris.

 

Paumelle serra la main de ses deux clients tardifs, et monta lourdement son escalier en bois. Pendant quelques minutes, son pesant pas rйsonna dans la petite maison; puis un lourd craquement rйvйla qu’il venait de se mettre au lit.

 

Les deux hommes continuиrent а jouer; de temps en temps, une rage plus forte de l’ouragan secouait la porte, faisait trembler les murs, et les deux buveurs levaient la tкte comme si quelqu’un allait entrer. Puis Mathurin prenait le litre et remplissait le verre de Jйrйmie. Mais soudain, l’horloge suspendue sur le comptoir sonna minuit. Son timbre enrouй ressemblait а un choc de casseroles, et les coups vibraient longtemps, avec une sonoritй de ferraille.

 

Mathurin aussitфt se leva, comme un matelot dont le quart est fini:

 

– Allons, Jйrйmie, faut dйcaniller.

 

L’autre se mit en mouvement avec plus de peine, prit son aplomb en s’appuyant а la table; puis il gagna la porte et l’ouvrit pendant que son compagnon йteignait la lampe.

 

Lorsqu’ils furent dans la rue, Mathurin ferma la boutique; puis il dit:

 

– Allons, bonsoir, а demain.

 

Et il disparut dans les tйnиbres.

 

II

 

Jйrйmie fit trois pas, puis oscilla, йtendit les mains, rencontra un mur qui le soutint debout et se remit en marche en trйbuchant. Par moments une bourrasque, s’engouffrant dans la rue йtroite, le lanзait en avant, le faisait courir quelques pas; puis quand la violence de la trombe cessait, il s’arrкtait net, ayant perdu son pousseur, et il se remettait а vaciller sur ses jambes capricieuses d’ivrogne.

 

Il allait, d’instinct, vers sa demeure, comme les oiseaux vont au nid. Enfin, il reconnut sa porte et il se mit а la tвter pour dйcouvrir la serrure et placer la clef dedans. Il ne trouvait pas le trou et jurait а mi-voix. Alors il tapa dessus а coups de poing, appelant sa femme pour qu’elle vоnt l’aider:

 

– Mйlina! Eh! Mйlina!

 

Comme il s’appuyait contre le battant pour ne point tomber, il cйda, s’ouvrit, et Jйrйmie, perdant son appui, entra chez lui en s’йcroulant, alla rouler sur le nez au milieu de son logis, et il sentit que quelque chose de lourd lui passait sur le corps, puis s’enfuyait dans la nuit.

 

Il ne bougeait plus, ahuri de peur, йperdu, dans une йpouvante du diable, des revenants de toutes les choses mystйrieuses des tйnиbres, et il attendit longtemps sans oser faire un mouvement. Mais, comme il vit que rien ne remuait plus, un peu de raison lui revint, de la raison trouble de pochard.

 

Et il s’assit, tout doucement. Il attendit encore longtemps, et, s’enhardissant enfin, il prononзa:

 

– Mйlina!

 

Sa femme ne rйpondit pas.

 

Alors, tout d’un coup, un doute traversa sa cervelle obscurcie, un doute indйcis, un soupзon vague. Il ne bougeait point; il restait lа, assis par terre, dans le noir, cherchant ses idйes, s’accrochant а des rйflexions incomplиtes et trйbuchantes comme ses pieds.

 

Il demanda de nouveau:

 

– Dis-mй qui que c’йtait, Mйlina? Dis-mй qui que c’йtait. Je te ferai rien.

 

Il attendit. Aucune voix ne s’йleva dans l’ombre. Il raisonnait tout haut, maintenant.

 

– Je sieus-ti bu, tout de mкme! Je sieus-ti bu! C’est li qui m’a boissonnй comma, зu manant; c’est li, pour que je rentre point. J’sieus-ti bu!

 

Et il reprenait:

 

– Dis-mй qui que c’йtait, Mйlina, ou j’vas faire quйque malheur.

 

Aprиs avoir attendu de nouveau, il continuait, avec une logique lente et obstinйe d’homme saoul:

 

– C’est li qui m’a r’tenu chez ce fainйant de Paumelle; et l’s autres soirs itou, pour que je rentre point. C’est quйque complice. Ah! charogne!

 

Lentement il se mit sur les genoux. Une colиre sourde le gagnait, se mкlant а la fermentation des boissons.

 

Il rйpйta:

 

– Dis-mй qui qu’ c’йtait, Mйlina, ou j’ vas cogner, j’te prйviens!

 

Il йtait debout maintenant, frйmissant d’une colиre foudroyante, comme si l’alcool qu’il avait au corps se fыt enflammй dans ses veines. Il fit un pas, heurta une chaise, la saisit, marcha encore, rencontra le lit, le palpa et sentit dedans le corps chaud de sa femme.

 

Alors, affolй de rage, il grogna:

 

– Ah! t’йtais lа, saletй, et tu n’ rйpondais point.

 

Et, levant la chaise qu’il tenait dans sa poigne robuste de matelot, il l’abattit devant lui avec une furie exaspйrйe. Un cri jaillit de la couche; un cri йperdu, dйchirant. Alors il se mit а frapper comme un batteur dans une grange. Et rien, bientфt, ne remua plus. La chaise s’envolait en morceaux; mais un pied lui restait а la main, et il tapait toujours, en haletant.

 

Puis soudain il s’arrкta pour demander:

 

– Diras-tu qui qu’ c’йtait, а c’t’ heure?

 

Mйlina ne rйpondit pas.

 

Alors, rompu de fatigue, abruti par sa violence, il se rassit par terre, s’allongea et s’endormit.

 

Quand le jour parut, un voisin, voyant sa porte ouverte, entra. Il aperзut Jйrйmie qui ronflait sur le sol, oщ gisaient les dйbris d’une chaise, et, dans le lit, une bouillie de chair et de sang.

 

Une vendetta[10]

 

La veuve de Paolo Saverini habitait seule avec son fils une petite maison pauvre sur les remparts de Bonifacio. La ville, bвtie sur une avancйe de la montagne, suspendue mкme par places au-dessus de la mer, regarde, par-dessus le dйtroit hйrissй d’йcueils, la cфte plus basse de la Sardaigne. А ses pieds, de l’autre cфtй, la contournant presque entiиrement, une coupure de la falaise, qui ressemble а un gigantesque corridor, lui sert de port, amиne jusqu’aux premiиres maisons, aprиs un long circuit entre deux murailles abruptes, les petits bateaux pкcheurs italiens ou sardes, et, chaque quinzaine, le vieux vapeur poussif qui fait le service d’Ajaccio.

 

Sur la montagne blanche, le tas de maisons pose une tache plus blanche encore. Elles ont l’air de nids d’oiseaux sauvages, accrochйes ainsi sur ce roc, dominant ce passage terrible oщ ne s’aventurent guиre les navires. Le vent, sans repos, fatigue la mer, fatigue la cфte nue, rongйe par lui а peine vкtue d’herbe; il s’engouffre dans le dйtroit, dont il ravage les deux bords. Les traоnйes d’йcume pвle, accrochйes aux pointes noires des innombrables rocs qui percent partout les vagues, ont l’air de lambeaux de toiles flottant et palpitant а la surface de l’eau.

 

La maison de la veuve Saverini, soudйe au bord mкme de la falaise, ouvrait ses trois fenкtres sur cet horizon sauvage et dйsolй.

 

Elle vivait lа, seule, avec son fils Antoine et leur chienne «Sйmillante», grande bкte maigre, aux poils longs et rudes, de la race des gardeurs de troupeaux. Elle servait au jeune homme pour chasser.

 

Un soir, aprиs une dispute, Antoine Saverini fut tuй traоtreusement, d’un coup de couteau, par Nicolas Ravolati, qui, la nuit mкme, gagna la Sardaigne.

 

Quand la vieille mиre reзut le corps de son enfant, que des passants lui rapportиrent, elle ne pleura pas, mais elle demeura longtemps immobile а le regarder; puis, йtendant sa main ridйe sur le cadavre, elle lui promit la vendetta. Elle ne voulut point qu’on restвt avec elle, et elle s’enferma auprиs du corps avec la chienne, qui hurlait. Elle hurlait, cette bкte, d’une faзon continue, debout au pied du lit, la tкte tendue vers son maоtre, et la queue serrйe entre les pattes. Elle ne bougeait pas plus que la mиre, qui, penchйe maintenant sur le corps, l’њil fixe, pleurait de grosses larmes muettes en le contemplant.

 

Le jeune homme, sur le dos, vкtu de sa veste de gros drap trouйe et dйchirйe а la poitrine, semblait dormir; mais il avait du sang partout: sur la chemise arrachйe pour les premiers soins; sur son gilet, sur sa culotte, sur la face, sur les mains. Des caillots de sang s’йtaient figйs dans la barbe et dans les cheveux.

 

La vieille mиre se mit а lui parler. Au bruit de cette voix, la chienne se tut.

 

– Va, va, tu seras vengй, mon petit, mon garзon, mon pauvre enfant. Dors, dors, tu seras vengй, entends-tu? C’est la mиre qui le promet! Et elle tient toujours sa parole, la mиre, tu le sais bien.

 

Et lentement elle se pencha vers lui, collant ses lиvres froides sur les lиvres mortes.

 

Alors, Sйmillante se remit а gйmir. Elle poussait une longue plainte monotone, dйchirante, horrible.

 

Elles restиrent lа, toutes les deux, la femme et la bкte, jusqu’au matin.

 

Antoine Saverini fut enterrй le lendemain, et bientфt on ne parla plus de lui dans Bonifacio.

 

* * *

 

Il n’avait laissй ni frиre ni proches cousins. Aucun homme n’йtait lа pour poursuivre la vendetta. Seule, la mиre y pensait, la vieille.

 

De l’autre cфtй du dйtroit, elle voyait du matin au soir un point blanc sur la cфte. C’est un petit village sarde, Longosardo, oщ se rйfugient les bandits corses traquйs de trop prиs. Ils peuplent presque seuls ce hameau, en face des cфtes de leur patrie, et ils attendent lа le moment de revenir, de retourner au maquis. C’est dans ce village, elle le savait, que s’йtait rйfugiй Nicolas Ravolati.

 

Toute seule, tout le long du jour, assise а sa fenкtre, elle regardait lа-bas en songeant а la vengeance. Comment ferait-elle sans personne, infirme, si prиs de la mort? Mais elle avait promis, elle avait jurй sur le cadavre. Elle ne pouvait oublier, elle ne pouvait attendre. Que ferait-elle? Elle ne dormait plus la nuit, elle n’avait plus ni repos ni apaisement, elle cherchait, obstinйe. La chienne, а ses pieds, sommeillait, et, parfois, levant la tкte, hurlait au loin. Depuis que son maоtre n’йtait plus lа, elle hurlait souvent ainsi, comme si elle l’eыt appelй, comme si son вme de bкte, inconsolable, eыt aussi gardй le souvenir que rien n’efface.

 

Or, une nuit, comme Sйmillante se remettait а gйmir, la mиre, tout а coup, eut une idйe, une idйe de sauvage vindicatif et fйroce. Elle la mйdita jusqu’au matin; puis, levйe dиs les approches du jour, elle se rendit а l’йglise. Elle pria, prosternйe sur le pavй, abattue devant Dieu, le suppliant de l’aider, de la soutenir, de donner а son pauvre corps usй la force qu’il lui fallait pour venger le fils.

 

Puis elle rentra. Elle avait dans sa cour un ancien baril dйfoncй, qui recueillait l’eau des gouttiиres; elle le renversa, le vida, l’assujettit contre le sol avec des pieux et des pierres; puis elle enchaоna Sйmillante а cette niche, et elle rentra.

 

Elle marchait maintenant, sans repos, dans sa chambre, l’њil fixй toujours sur la cфte de Sardaigne. Il йtait lа-bas, l’assassin.

 

La chienne, tout le jour et toute la nuit, hurla. La vieille, au matin, lui porta de l’eau dans une jatte; mais rien de plus: pas de soupe, pas de pain.

 

La journйe encore s’йcoula. Sйmillante, extйnuйe, dormait. Le lendemain, elle avait les yeux luisants, le poil hйrissй, et elle tirait йperdument sur sa chaоne.

 

La vieille ne lui donna encore rien а manger. La bкte, devenue furieuse, aboyait d’une voix rauque. La nuit encore se passa.

 

Alors, au jour levй, la mиre Saverini alla chez le voisin, prier qu’on lui donnвt deux bottes de paille. Elle prit de vieilles hardes qu’avait portйes autrefois son mari, et les bourra de fourrage, pour simuler un corps humain.

 

Ayant piquй un bвton dans le sol, devant la niche de Sйmillante, elle noua dessus ce mannequin, qui semblait ainsi se tenir debout. Puis elle figura la tкte au moyen d’un paquet de vieux linge.

 

La chienne, surprise, regardait cet homme de paille, et se taisait, bien que dйvorйe de faim.

 

Alors la vieille alla acheter chez le charcutier un long morceau de boudin noir. Rentrйe chez elle, elle alluma un feu de bois dans sa cour, auprиs de la niche, et fit griller son boudin. Sйmillante, affolйe, bondissait, йcumait, les yeux fixйs sur le gril, dont le fumet lui entrait au ventre.

 

Puis la mиre fit de cette bouillie fumante une cravate а l’homme de paille. Elle la lui ficela longtemps autour du cou, comme pour la lui entrer dedans. Quand ce fut fini, elle dйchaоna la chienne.

 

D’un saut formidable, la bкte atteignit la gorge du mannequin, et, les pattes sur les йpaules, se mit а la dйchirer. Elle retombait, un morceau de sa proie а la gueule, puis s’йlanзait de nouveau, enfonзait ses crocs dans les cordes, arrachait quelques parcelles de nourriture, retombait encore, et rebondissait, acharnйe. Elle enlevait le visage par grands coups de dents, mettait en lambeaux le col entier.

 

La vieille, immobile et muette, regardait, l’њil allumй. Puis elle renchaоna sa bкte, la fit encore jeыner deux jours, et recommenзa cet йtrange exercice.

 

Pendant trois mois, elle l’habitua а cette sorte de lutte, а ce repas conquis а coups de crocs. Elle ne l’enchaоnait plus maintenant, mais elle la lanзait d’un geste sur le mannequin.

 

Elle lui avait appris а le dйchirer, а le dйvorer, sans mкme qu’aucune nourriture fыt cachйe en sa gorge. Elle lui donnait ensuite, comme rйcompense, le boudin grillй pour elle.

 

Dиs qu’elle apercevait l’homme, Sйmillante frйmissait, puis tournait les yeux vers sa maоtresse, qui lui criait: «Va!» d’une voix sifflante, en levant le doigt.

 

* * *

 

Quand elle jugea le temps venu, la mиre Saverini alla se confesser et communia un dimanche matin, avec une ferveur extatique; puis, ayant revкtu des habits de mвle, semblable а un vieux pauvre dйguenillй, elle fit marchй avec un pкcheur sarde, qui la conduisit, accompagnйe de sa chienne, de l’autre cфtй du dйtroit.

 

Elle avait, dans un sac de toile, un grand morceau de boudin. Sйmillante jeыnait depuis deux jours. La vieille femme, а tout moment, lui faisait sentir la nourriture odorante, et l’excitait.

 

Elles entrиrent dans Longosardo. La Corse allait en boitillant. Elle se prйsenta chez un boulanger et demanda la demeure de Nicolas Ravolati. Il avait repris son ancien mйtier, celui de menuisier. Il travaillait seul au fond de sa boutique.

 

La vieille poussa la porte et l’appela:

 

– Hй! Nicolas!

 

Il se tourna; alors, lвchant sa chienne, elle cria:

 

– Va, va, dйvore, dйvore!

 

L’animal, affolй, s’йlanзa, saisit la gorge. L’homme йtendit les bras, l’йtreignit, roula par terre. Pendant quelques secondes, il se tordit, battant le sol de ses pieds; puis il demeura immobile, pendant que Sйmillante lui fouillait le cou, qu’elle arrachait par lambeaux.

 

Deux voisins, assis sur leur porte, se rappelиrent parfaitement avoir vu sortir un vieux pauvre avec un chien noir efflanquй qui mangeait, tout en marchant, quelque chose de brun que lui donnait son maоtre.

 

La vieille, le soir, йtait rentrйe chez elle. Elle dormit bien, cette nuit-lа.

 

Coco[11]

 

Dans tout le pays environnant on appelait la ferme des Lucas «la Mйtairie». On n’aurait su dire pourquoi. Les paysans, sans doute, attachaient а ce mot «mйtairie» une idйe de richesse et de grandeur, car cette ferme йtait assurйment la plus vaste, la plus opulente et la plus ordonnйe de la contrйe.

 

La cour, immense, entourйe de cinq rangs d’arbres magnifiques pour abriter contre le vent violent de la plaine les pommiers trapus et dйlicats, enfermait de longs bвtiments couverts en tuiles pour conserver les fourrages et les grains, de belles йtables bвties en silex, des йcuries pour trente chevaux, et une maison d’habitation en brique rouge, qui ressemblait а un petit chвteau.

 

Les fumiers йtaient bien tenus; les chiens de garde habitaient en des niches, un peuple de volailles circulait dans l’herbe haute.

 

Chaque midi, quinze personnes, maоtres, valets et servantes, prenaient place autour de la longue table de cuisine oщ fumait la soupe dans un grand vase de faпence а fleurs bleues.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 30 | Нарушение авторских прав


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