Студопедия
Случайная страница | ТОМ-1 | ТОМ-2 | ТОМ-3
АрхитектураБиологияГеографияДругоеИностранные языки
ИнформатикаИсторияКультураЛитератураМатематика
МедицинаМеханикаОбразованиеОхрана трудаПедагогика
ПолитикаПравоПрограммированиеПсихологияРелигия
СоциологияСпортСтроительствоФизикаФилософия
ФинансыХимияЭкологияЭкономикаЭлектроника

Un document produit en version numйrique par Pierre Palpant, bйnйvole, 7 страница



 

VI

@

Juste et fatal effet du privilиge que l’on exploite а son profit au lieu de l’exercer au profit d’autrui. Qui dit sire ou seigneur, dit «le protecteur qui nourrit, l’ancien qui conduit [139]»; а ce titre et pour cet emploi, on ne peut lui donner trop, car il n’y a pas d’emploi plus difficile et plus haut. Mais il faut qu’il le remplisse; sinon, au jour du danger, on le laisse lа. Dйjа, et bien avant le jour du danger, sa troupe n’est plus а lui; si elle marche, c’est par routine; elle n’est qu’un amas d’individus, elle n’est plus un corps organisй. Tandis qu’en Allemagne et en Angleterre le rйgime fйodal conservй ou transformй compose encore une sociйtй vivante, en France son cadre mйcanique n’enserre qu’une poussiиre d’hommes. On trouve encore l’ordre matйriel; on ne trouve plus l’ordre moral. Une lente et profonde rйvolution a dйtruit la hiйrarchie intime des suprйmaties acceptйes et des dйfйrences volontaires. C’est une armйe oщ les sentiments qui font les chefs et les sentiments qui font les subordonnйs ont disparu; les grades sont marquйs sur les habits et ne le sont plus dans les consciences; il lui manque ce qui fait une armйe solide, l’ascendant lйgitime des officiers, la confiance justifiйe des soldats, l’йchange journalier des dйvouements mutuels, la persuasion que chacun est utile а tous et que les chefs sont les plus utiles de tous. Comment trouverait-on cette persuasion dans une armйe dont l’йtat-major, pour toute occupation, dоne en ville, йtale ses йpaulettes et touche double solde? Dйjа avant l’йcroulement final, la France est dissoute, et elle est dissoute parce que les privilйgiйs ont oubliй leur caractиres d’ hommes publics.

 

@


 

LIVRE DEUXIИME

 

LES MЊURS ET LES CARACTИRES

 


lin

CHAPITRE I

PRINCIPE DES MЊURS

SOUS L’ANCIEN RЙGIME

@

La cour et la vie de reprйsentation. — I. Aspect physique et caractиre moral de Versailles. — II. La maison du roi. — Personnel et dйpenses. — Sa maison militaire, son йcurie, sa vйnerie, sa chapelle, sa facultй, sa bouche, sa chambre, sa garde-robe, ses bвtiments, son garde-meuble, ses voyages. — III. La sociйtй du roi. — Officiers de sa maison. — Invitйs de son salon. — IV. Les occupations du roi. — Lever, messe, dоner, promenades, chasse, souper, jeu, soirйes. — Il est toujours en reprйsentation et en compagnie. — V. Divertissements des personnes royales et de la cour. — Louis XV. — Louis XVI. — VI. Autres vies analogues. — Princes et princesses. — Seigneurs de la cour. — Financiers et parvenus. — Ambassadeurs, ministres, gouverneurs, officiers gйnйraux. — VII. Prйlats, seigneurs et petite noblesse en province. — L’aristocratie fйodale est devenue une sociйtй de salon.

 

Un йtat-major en vacances pendant un siиcle et davantage, autour du gйnйral en chef qui reзoit et tient salon: voilа le principe et le rйsumй des mњurs sous l’ancien rйgime. C’est pourquoi, si l’on veut les comprendre, il faut d’abord considйrer leur centre et leur source, je veux dire la cour. Comme l’ancien rйgime tout entier, elle est la forme vide, le dйcor survivant d’une institution militaire; quand les causes ont disparu, les effets subsistent, et l’usage survit а l’utilitй. Jadis, aux premiers temps fйodaux, dans la camaraderie et la simplicitй du camp et du chвteau fort, les nobles servaient le roi de leurs mains, celui-ci pourvoyant а son logis, celui-lа apportant le plat sur sa table, l’un le dйshabillant le soir, l’autre veillant а ses faucons et а ses chevaux. Plus rйcemment, sous Richelieu et pendant la Fronde [140], parmi les coups de main et les exigences brusques du danger continu, ils йtaient la garnison de son hфtel, ils l’escortaient en armes, ils lui faisaient un cortиge d’йpйes toujours prкtes. Maintenant encore ils sont comme autrefois assidus autour de lui, l’йpйe au cфtй, attendant un mot, empressйs sur un signe, et les plus qualifiйs d’entre eux font chez lui un semblant de service domestique. Mais la parade pompeuse a remplacй l’action efficace; ils ne sont que de beaux ornements, ils ne sont plus des instruments utiles; ils reprйsentent autour du roi qui reprйsente, et, de leurs personnes, ils contribuent а son dйcor.



 

I

@

Il faut dire que le dйcor est rйussi, et que, depuis les fкtes de la Renaissance italienne, on n’en a pas vu de plus magnifique. Suivons la file de voitures qui, de Paris а Versailles, roule incessamment comme un fleuve. Des chevaux qu’on nomme «des enragйs» et qu’on nourrit d’une faзon particuliиre [141] y vont et en reviennent en trois heures. Au premier coup d’њil, on se sent dans une ville d’espиce unique, bвtie subitement et tout d’une piиce, comme une mйdaille d’apparat frappйe а un seul exemplaire et tout exprиs: sa forme est une chose а part, comme aussi son origine et son usage. Elle a beau compter 80 000 вmes [142], кtre l’une des plus vastes citйs du royaume, elle est remplie, peuplйe, occupйe par la vie d’un seul homme; ce n’est qu’une rйsidence royale, arrangйe tout entiиre pour fournir aux besoins, aux plaisirs, au service, а la garde, а la sociйtй, а la reprйsentation du roi. За et lа, dans les recoins et le pourtour, sont des auberges, des йchoppes, des cabarets, des taudis pour les ouvriers, les hommes de peine, pour les derniers soldats, pour la valetaille accessoire; il faut bien qu’il y ait de ces taudis, puisque la plus belle apothйose ne peut se passer de manњuvres. Mais le reste n’est qu’hфtels et bвtisses somptueuses, faзades sculptйes, corniches et balustres, escaliers monumentaux, architectures seigneuriales, espacйes et ordonnйes rйguliиrement comme un cortиge autour du palais immense et grandiose oщ tout aboutit. Les premiиres familles ont ici leur rйsidence fixe: а droite du palais, hфtel de Bourbon, hфtel d’Ecquevilly, hфtel de la Trйmoille, hфtel de Condй, hфtel de Maurepas, hфtel de Bouillon, hфtel d’Eu, hфtel de Noailles, hфtel de Penthiиvre, hфtel de Livry, hфtel du comte de la Marche, hфtel de Broglie, hфtel du prince de Tingry, hфtels d’Orlйans, de Chвtillon, de Villeroy, d’Harcourt, de Monaco; а gauche, pavillon d’Orlйans, pavillon de Monsieur, hфtels de Chevreuse, de Balbelle, de l’Hospital, d’Antin, de Dangeau, de Pontchar­train: l’йnumйration ne finirait pas. Ajoutez-y tous ceux de Paris, tous ceux qui, а dix lieues а la ronde, а Sceaux, а Gennevilliers, а Brunoy, а l’Isle-Adam, au Raincy, а Saint-Ouen, а Colombes, а Saint-Germain, а Marly, а Bellevue, en cent endroits, forment une couronne de fleurs architecturales d’oщ s’йlancent chaque matin autant de guкpes dorйes pour briller et butiner а Versailles, centre de toute abondance et de tout йclat. On en «prйsente» chaque annйe une centaine, hommes et femmes [143], cela fait en tout deux ou trois mille: voilа la sociйtй du roi, les dames qui lui font la rйvйrence, les seigneurs qui montent dans ses carrosses; leurs hфtels sont tout prиs ou а portйe pour remplir а toute heure son antichambre ou son salon.

Un pareil salon comporte des dйpendances proportionnйes; c’est par centaines qu’il faut compter les hфtels et bвtiments occupйs а Versailles pour le service privй du roi et des siens. Depuis les Cйsars, aucune vie humaine n’a tenu tant de place au soleil. Rue des Rйservoirs, l’ancien hфtel et le nouvel hфtel du gouverneur de Versailles, l’hфtel du gouverneur des enfants du comte d’Artois, le garde-meuble de la couronne, le bвtiment pour les loges et foyers des acteurs qui jouent au Palais, les йcuries de Monsieur. – Rue des Bons-Enfants, l’hфtel de la garde-robe, le logement des fontainiers, l’hфtel des officiers de la comtesse de Provence. – Rue de la Pompe, l’hфtel du grand-prйvфt, les йcuries du duc d’Orlйans, l’hфtel des gardes du comte d’Artois, les йcuries de la reine, le pavillon des Sources. — Rue Satory, les йcuries de la comtesse d’Artois, le jardin anglais de Monsieur, les glaciиres du roi, le manиge des chevau-lйgers de la garde du roi, le jardin de l’hфtel des trйsoriers des bвtiments. — Par ces quatre rues, jugez des autres. — On ne peut faire cent pas dans la ville sans y rencontrer un accessoire du palais: hфtel de l’йtat-major des gardes du corps, hфtel de l’йtat-major des chevau-lйgers, hфtel immense des gardes du corps, hфtel des gendarmes de la garde, hфtels du grand-louvetier, du grand-fauconnier, du grand-veneur, du grand-maоtre, du commandant du canal, du contrфleur gйnйral, du surintendant des bвtiments, hфtel de la chancellerie, bвtiments de la fauconnerie et du vol de cabinet, bвtiments du vautrait, grand chenil, chenil-dauphin, chenil dit des chiens verts, hфtel des voitures de la cour, magasin des bвtiments et menus-plaisirs, ateliers et magasins pour les menus-plaisirs, grande йcurie, petite йcurie, autres йcuries dans la rue de Limoges, dans la rue Royale et dans l’avenue de Saint-Cloud, potager du roi comprenant vingt-neuf jardins et quatre terrasses, grand-commun habitй par deux mille personnes, maisons et hфtels dits des Louis oщ le roi assigne des logements а temps ou а vie: avec des mots sur du papier, on ne rend point l’impression physique de l’йnormitй physique. — Aujourd’hui, de cet ancien Versailles mutilй et appropriй а d’autres usages, il ne reste plus que des morceaux; allez le voir pourtant. Considйrez ces trois avenues qui se rйunissent sur la grande place, larges de quarante toises, longues de quatre cents, et qui n’йtaient point trop vastes pour la multitude, le dйploiement, la vitesse vertigineuse des escortes lancйes а fond de train et des carrosses courant «а tombeau ouvert [144]»; voyez, en face du chвteau, les deux йcuries, avec leurs grilles de trente-deux toises, ayant coыtй, en 1682, trois millions, c’est-а-dire quinze millions d’aujourd’hui, si amples et si belles que, sous Louis XIV lui-mкme, on en faisait tantфt un champ de cavalcades pour les princes, tantфt une salle de thйвtre, et tantфt un salle de bal; suivez alors du regard le dйveloppement de la gigantesque place demi-circulaire, qui, de grille en grille et de cour en cour, va montant et se resserrant, d’abord entre les hфtels des ministres, puis entre les deux ailes colossales, pour s’achever par le fastueux encadrement de la Cour de Marbre, oщ les pilastres, les statues, les frontons, les ornements multipliйs et amoncelйs d’йtage en йtage portent jusque dans le ciel la raideur majestueuse de leurs lignes et l’йtalage surchargй de leur dйcor. D’aprиs un manuscrit reliй aux armes de Mansart, le palais a coыtй 153 millions, c’est-а-dire environ 750 millions d’aujourd’hui [145]; quand un roi veut reprйsenter, c’est а ce prix qu’il se loge. – Jetez maintenant les yeux de l’autre cфtй, vers les jardins, et cette reprйsentation vous deviendra plus sensible. Les parterres et le parc sont encore un salon en plain air; la nature n’y a plus rien de naturel; elle est tout entiиre disposйe et rectifiйe en vue de la sociйtй; ce n’est point lа un endroit pour кtre seul et se dйtendre, mais un lieu pour se promener en compagnie et saluer. Ces charmilles droites sont des murailles et des tentures. Ces ifs tondus figurent des vases et des lyres. Ces parterres sont des tapis а ramages. Dans ces allйes unies et rectilignes, le roi, la canne а la main, groupera autour de lui tout son cortиge. Soixante dames, en robes lamйes et bouffantes sur des paniers qui ont vingt-quatre pieds de circonfйrence, s’espaceront sans peine sur les marches de ces escaliers. Ces cabinets de verdure pourront abriter une collation princiиre [146]. Sous ce portique circulaire, tous les seigneurs qui ont l’entrйe de la chambre pourront assister ensemble au jeu d’un nouveau jet d’eau. Ils retrouvent leurs pareils jusque dans les figures de marbre et de bronze qui peuplent les allйes et les bassins, jusque dans la contenance digne d’un Apollon, dans l’air thйвtral d’un Jupiter, dans l’aisance mondaine et dans la nonchalance voulue d’une Diane ou d’une Vйnus. Les dieux eux-mкmes sont de leur monde. – Enfoncйe par l’effort de toute une sociйtй et de tout un siиcle, l’empreinte de la cour est si forte, qu’elle s’est gravйe dans le dйtail comme dans l’ensemble et dans les choses de la matiиre comme dans les choses de l’esprit.

 

II

@

Ceci n’est que le cadre; avant 1789, il йtait rempli. «On n’a rien vu, dit Chateaubriand, quand on n’a pas vu la pompe de Versailles, mкme aprиs le licenciement de l’ancienne maison du roi; Louis XIV йtait toujours lа [147].» C’est un fourmillement de livrйes, d’uniformes, de costumes et d’йquipages, aussi brillant et aussi variй que dans un tableau; j’aurais voulu vivre huit jours dans ce monde; il est fait а peindre, arrangй exprиs pour le plaisir des yeux, comme une scиne d’opйra. Mais comment nous figurer aujourd’hui des gens pour qui la vie йtait un opйra? En ce temps-lа, il faut а un grand un grand йtat de maison; son cortиge et son dйcor font partie de sa personne il se manque а lui-mкme s’il ne les a pas aussi amples et aussi beaux qu’il le peut; il serait choquй d’un vide dans sa maison comme nous d’un trou dans notre habit. S’il se retranche, il dйchoit; quand Louis XVI fait des rйformes, la cour dit qu’il agit en bourgeois. Dиs qu’un prince ou une princesse est d’вge, on lui forme une maison; dиs qu’un prince se marie, on forme une maison а sa femme; et par maison entendez une reprйsentation а quinze ou vingt services distincts, йcurie, vйnerie, chapelle, facultй, chambre, garde-robe, chambre aux deniers, bouche, paneterie-bouche, cuisine-bouche, йchansonnerie, fruiterie, fourrerie, cuisine-commun, cabi­net, conseil [148]; elle ne se sent point princesse sans cela. Il y a 274 charges chez le duc d’Orlйans, 210 chez Mesdames, 68 chez Madame Йlisabeth, 239 chez la comtesse d’Artois, 256 chez la comtesse de Provence, 496 chez la reine. Lorsqu’il s’agit de former une maison а Madame Royale, вgйe d’un mois, «la reine, йcrit l’ambassadeur d’Autriche, veut supprimer une mollesse nuisible, une affluence inutile de gens de service, et tout usage propre а faire naоtre des sentiments d’orgueil. Malgrй le retranchement susdit, la maison de la jeune princesse se montera encore а prиs de 80 personnes destinйes au service unique de sa personne royale [149]». La maison civile de Monsieur en comprend 420 et sa maison militaire 179; celle du comte d’Artois 237 et sa maison civile 456. – Les trois quarts sont pour la montre; avec leurs broderies et leurs galons, avec leur contenance dйgagйe et polie, leur air attentif et discret, leur belle faзon de saluer, de marcher, de sourire, ils font bien, alignйs dans une antichambre ou espacйs par groupes dans une galerie; j’aurais mкme voulu contempler les escouades des йcuries et des cuisines; ce sont les figurants qui remplissent le fond du tableau. – Par cet йclat des astres secondaires, jugez de la splendeur du soleil royal. Il faut au roi une garde, infanterie, cavalerie, gardes du corps, gardes franзaises, gardes suisses, Cent-Suisses, chevau-lйgers de la garde, gendarmes de la garde, gardes de la porte, 9 050 hommes [150], coыtant chaque annйe 7 681 000 livres. Quatre compagnies des gardes franзaises et deux des gardes suisses font tous les jours la parade dans la cour des ministres, entre les deux grilles, et le spectacle est magnifique quand le roi sort en carrosse pour aller а Paris ou а Fontainebleau. Quatre trompettes sonnent а l’avant et quatre en arriиre. Les gardes suisses d’un cфtй, les gardes franзaises de l’autre [151] font la haie aussi loin qu’elle peut s’йtendre. Devant les chevaux marchent les Cent-Suisses en costume du quinziиme siиcle, avec la pertuisane, la fraise, le chapeau а panache, l’ample pourpoint bariolй de couleurs mi-parties, а cфtй d’eux les gardes de la prйvфtй, а brandebourgs d’or et parements d’йcarlate, avec des hoquetons tout hйrissйs de bouillons d’orfиvrerie. Dans tous les corps, les officiers, les trompettes, les musiciens, chamarrйs de passementeries d’or et d’argent, sont йblouissants а voir; la timbale pendue а l’arзon de la selle, toute brodйe et surchargйe d’ornements peints et dorйs, est une piиce а mettre dans un garde-meuble; le cymbalier nиgre des gardes franзaises ressemble а un soudan de fйerie. — Derriиre le carrosse et sur les flancs courent les gardes du corps, avec l’йpйe et la carabine, en culottes rouges, grandes bottes noires, habit bleu couturй de broderies blanches, tous gentilshommes vйrifiйs; il y en a 1 200, choisis а la noblesse et а la taille; parmi eux sont les gardes de la manche, plus intimes encore, qui, а l’йglise, aux cйrйmonies, en hoqueton blanc йtoilй de papillotes d’argent et d’or, ayant en main leur pertuisane damasquinйe, sont toujours debout et tournйs vers le roi «pour avoir de toutes parts l’њil sur sa personne». Voilа pour sa sыretй. — Йtant gentilhomme, il est cavalier, et il lui faut une йcurie proportionnйe [152], 1 857 chevaux, 217 voitures, 1 458 hommes qu’il habille et dont la livrйe coыte 540 000 francs par an; outre cela, 38 йcuyers de main, cavalcadours et ordinaires; outre cela, 20 gouverneurs, sous-gouverneurs, aumфniers, professeurs, cuisiniers et valets pour gouverner, instruire et servir les pages; outre cela, une trentaine de mйdecins, apothicaires, garde-malades, intendants, trйsoriers, ouvriers, marchands brevetйs et payйs pour les accessoires de ce service: en tout plus de 1 500 hommes. On achиte pour 250 000 francs de chevaux par an, et il y a des haras en Limousin et en Normandie pour la remonte. 287 chevaux sont exercйs tous les jours dans les deux manиges; il y a 443 chevaux de selle dans la petite йcurie, 437 dans la grande, et cela ne suffit pas а la «vivacitй du service». Le tout coыte 4 600 000 livres en 1775 et monte а 6 200 000 livres en 1787 [153]. Encore un spectacle qu’il faudrait voir avec les yeux de la tкte, pages [154], piqueurs, йlиves galonnйs, йlиves а boutons d’argent, garзons de la petite livrйe en soie, joueurs d’instruments, chevaucheurs de l’йcurie. C’est un art fйodal que l’emploi du cheval; il n’y a pas de luxe plus naturel а un homme de qualitй; pensez aux йcuries de Chantilly, qui sont des palais. Pour dire un homme bien йlevй et distinguй, on disait alors «un cavalier accompli»; en effet, il n’avait toute sa prestance qu’en selle et sur un cheval de race comme lui. — Autre goыt de gentilhomme, qui est une suite du prйcйdent: la chasse. Elle coыte au roi de 1 100 000 а 1 200 000 livres par an [155] et occupe 280 chevaux, outre ceux des deux йcuries. On ne saurait imaginer un йquipage plus variй ni plus complet: meute pour le sanglier, meute pour le loup, meute pour le chevreuil, vol pour corneille, vol pour pie, vol pour йmerillon, vol pour liиvre, vol pour les champs. On dйpense, en 1783, 179 194 livres pour la nourriture des chevaux et 53 412 livres pour celle des chiens. Tout le territoire, а dix lieues de Paris, est chasse gardйe; «on n’y saurait tirer un coup de fusil [156], aussi voyez-vous dans toutes les plaines les perdrix, familiarisйes avec l’homme, becqueter le grain tranquillement et ne point s’йcarter quand il passe». Joignez-y les capitaineries des princes jusqu’а Villers-Cotterets et Orlйans; cela fait, autour de Paris, un cercle presque continu, ayant trente lieues de rayon, oщ le gibier, protйgй, remisй, multiplie, fourmille pour les plaisirs du roi. Le seul parc de Versailles est une enceinte close de plus de dix lieues. La forкt de Rambouillet comprend 25 000 arpents. On rencontre autour de Fontainebleau des bandes de soixante-dix а quatre-vingts cerfs. En lisant les carnets des chasses, il n’y a pas de vrai chasseur qui n’йprouve un mouvement d’envie. L’йquipage du loup court toutes les semaines et prend 40 loups par an. De 1743 а 1774, Louis XV force 6 400 cerfs. Louis XVI йcrit le 31 aoыt 1781: «Aujourd’hui tuй 460 piиces». En 1780, il abat 20 534 piиces; en 1781, 20 291; en quatorze ans, 189 251 piиces, outre 1 254 cerfs; les sangliers, les chevreuils, sont en proportion; et notez que tout cela est sous sa main, puisque ses parcs confinent а ses maisons. – Tel est en effet le caractиre d’une «maison montйe», c’est-а-dire munie de ses dйpendances et de ses services; tout y est а portйe: c’est un monde complet qui se suffit а lui-mкme. Une grande vie se rattache et rassemble autour d’elle, avec une prйvoyance universelle et un dйtail minutieux, tous les appendices dont elle use ou dont elle pourrait user. – Ainsi chaque prince, chaque princesse a sa facultй, sa chapelle [157], il ne convient pas que l’aumфnier qui leur dit la messe, que le chirurgien qui les soigne, soient d’emprunt. Аplus forte raison faut-il au roi les siens: pour sa chapelle, 75 aumфniers, chapelains, confesseurs, maоtres de l’oratoire, clercs, avertisseurs, sommiers de chapelle, chantres, noteurs, compositeurs de musique sacrйe; pour sa facultй, 48 mйdecins, chirurgiens, apothicaires, oculistes, opйrateurs, renoueurs, distillateurs, pйdicures et spagiriques. Notez encore sa musique profane, 128 chanteurs, danseurs, instrumentistes, maоtres et surintendants; son cabinet de livres, 43 conserva­teurs, lecteurs, interprиtes, graveurs, mйdaillistes, gйographes, relieurs, imprimeurs; le personnel qui orne ses cйrйmonies, 62 hйrauts, porte-йpйes, introducteurs et musiciens; le personnel qui pourvoit а ses logements, 68 marйchaux des logis, guides et fourriers. J’omets d’autres services, j’ai hвte d’arriver au centre, la bouche; c’est а la table qu’on reconnaоt une grande maison.

Il y a trois divisions de la bouche [158]: la premiиre pour le roi et ses enfants en bas вge; la seconde, nommйe petit commun, pour la table du grand maоtre, pour celle du grand chambellan et pour celle des princes et princesses qui logent chez le roi; la troisiиme, nommйe grand commun pour la seconde table du grand maоtre, pour celle des maоtres d’hфtel, pour celle des aumфniers, pour celle des gentilshommes servants et pour celle des valets de chambre: en tout 383 officiers de bouche, 103 garзons et 2 177 771 livres de dйpense; outre cela 389 173 livres pour la bouche de Madame Йlisabeth, et 1 093 547 livres pour celles de Mesdames, total 3 660 491 livres pour la table. Le marchand de vin fournit par an pour 300 000 francs de vin et le pourvoyeur pour un million de gibier, viande et poisson. Rien que pour aller а Ville-d’Avray chercher l’eau, et pour voiturer les officiers, garзons et provisions, il faut 50 chevaux louйs 70 591 francs par an. Les princes et princesses du sang, ayant le droit «d’envoyer prendre du poisson а la recette les jours maigres, quand ils ne font pas а la cour de rйsidence suivie», ce seul article revient, en 1778, а 175 116 livres. Lisez dans l’Almanach les titres des offices, et vous verrez se dйvelopper devant vous une fкte de Gargantua, la solennelle hiйrarchie des cuisines, grands officiers de la bouche, maоtres d’hфtel, contrфleurs, contrфleurs-йlиves, commis, gentilshommes panetiers, йchansons et tran­chants, йcuyers et huissiers de cuisine, chefs, aides et maоtres-queux, enfants de cuisine et galopins ordinaires, coureurs de vins et hвteurs de rфts, potagers, verduriers, lavandiers, pвtissiers, serdeaux, porte-tables, gardes-vaisselle, sommiers des broches, maоtre d’hфtel de la table du premier maоtre d’hфtel, toute une procession de dos amples et galonnйs, de ventres majestueux et rebondis, de figures sйrieuses qui, devant les casseroles, autour des buffets, officient avec ordre et conviction. – Encore un pas et nous entrons dans le sanctuaire, l’appartement du roi. Deux dignitaires principaux y prйsident, et chacun d’eux a sous ses ordres une centaine de subordonnйs: d’un cфtй le grand chambellan avec les premiers gentilshom­mes de la chambre, avec les pages de la chambre, leurs gouverneurs et prйcepteurs, avec les huissiers de l’antichambre, avec les quatre premiers valets de chambre ordinaires, avec les seize valets de chambre par quartier, avec les porte-manteaux ordinaires et par quartier, avec les barbiers, tapissiers, horlogers, garзons et porteurs; de l’autre cфtй, le grand-maоtre de la garde-robe, avec les maоtres de la garde-robe, avec les valets de la garde-robe ordinaires et par quartier, avec le porte-malle, le porte-mail, les tailleurs, les lavandiers, l’empeseur et les garзons ordinaires, avec les gentilshommes ordinaires, les huissiers et secrйtaires de cabinet, en tout 198 personnes pour le service intime, comme autant d’ustensiles domesti­ques pour tous les besoins de la personne ou de meubles somptueux pour la dйcoration de l’appartement. Il y en a pour aller chercher le mail et les boules, pour tenir le manteau et la canne, pour peigner le roi et l’essuyer au bain, pour commander les mulets qui transportent son lit, pour gouverner les levrettes de sa chambre, pour lui plier, passer et nouer sa cravate, pour enlever et rapporter sa chaise percйe [159]. Il y en a surtout dont tout l’office p.77 est d’кtre lа et de remplir un coin qui ne doit pas rester vide. Certainement, pour le port et l’aisance, ils sont les premiers de tous; si proches du maоtre, ils y sont obligйs; dans un tel voisinage, leur tenue ne doit pas faire disparate. – Telle est la maison du roi, et je n’ai dйcrit qu’une de ses rйsidences; il y en a une douzaine, outre Versailles, grandes ou petites, Marly, les deux Trianon, la Muette, Meudon, Choisy, Saint-Hubert, Saint-Germain, Fontainebleau, Compiиgne, Saint-Cloud, Rambouillet [160], sans compter le Louvre, les Tuileries et Chambord, avec leurs parcs et territoires de chasse, avec leurs gouverneurs, inspecteurs, contrфleurs, concierges, fontainiers, jardiniers, balayeurs, frotteurs, taupiers, gruyers, gardes а cheval et а pied, plus de 1 000 personnes. Naturellement il entretient, plante et bвtit; а cela il dйpense 3 ou 4 millions par annйe [161]. Naturellement aussi il rйpare et renouvelle ses ameublements; en 1778, qui est une annйe moyenne, cela lui coыte 1 936 853 livres. Naturellement aussi il y mиne ses hфtes et les y dйfraye, eux et leurs gens: а Choisy, en 1780, outre les distributions, il y a 16 tables et 345 couverts; а Saint-Cloud, en 1785, il y a 26 tables; «un voyage а Marly de 21 jours est un objet de 120 000 livres de dйpense extraordinaire» le voyage а Fontainebleau a coыtй jusqu’а 400 000 et 500 000 livres. En moyenne, ses dйplacements exigent par an un demi-million et davantage [162]. – Pour achever de concevoir ce prodigieux attirail, songez que «des artisans et marchands de tous les corps d’йtat sont obligйs, par leur privilиge, de suivre la cour» dans ses voyages, afin de la fournir sur place: «apothicaires, armuriers, arquebusiers, bonnetiers-vendeurs de bas de soie et de laine, bouchers, boulangers, brodeurs, cabaretiers, carreleurs de souliers, ceinturiers, chandeliers, chapeliers, charcutiers, chirurgiens, cordonniers, corroyeurs-­baudroyeurs, cuisiniers, dйcoupeurs-йgratigneurs, doreurs et graveurs, йperonniers, йpiciers-confituriers, fourbisseurs, fripiers, gantiers-parfumeurs, horlogers, libraires, lingers, marchands-vendeurs de vin en gros et en dйtail, menuisiers, merciers-joailliers-grossiers, orfиvres, parchemi­niers, passementiers, poulaillers-rфtisseurs et poissonniers, proviseurs de foin, paille et avoine, quincailliers, selliers, tailleurs, vendeurs de pain d’йpice et d’amidon, verduriers-fruitiers, verriers et violons [163]». On dirait d’une cour d’Orient qui, pour se mouvoir, entraоne tout un monde: «quand elle va s’йbranler, il faut, si l’on veut passer, prendre la poste d’avance». Au total, prиs de 4 000 personnes pour la maison civile du roi, 9 000 а 10 000 pour sa maison militaire, 2 000 au moins pour celles de ses proches, en tout prиs de 15 000 personnes avec une dйpense de 40 а 45 millions, qui en vaudraient le double aujourd’hui et qui sont alors le dixiиme du p.78 revenu public [164]. Voilа la piиce centrale du dйcor monarchique. Si grande et si dispendieuse qu’elle soit, elle n’est que proportionnйe а son usage, depuis que la cour est une institution publique et que l’aristocratie, occupйe а vide, s’emploie а remplir le salon du roi.

 

III

@

Deux causes y maintiennent cette affluence: l’une qui est la forme fйodale conservйe, l’autre qui est la nouvelle centralisation introduite; l’une qui met le service du roi entre les mains des nobles, l’autre qui change les nobles en solliciteurs. – Par les charges du palais, la premiиre noblesse vit chez le roi, а demeure: grand aumфnier, M. de Montmorency-Laval, йvкque de Metz; premier aumфnier, M. de Bessuйjouls de Roquelaure, йvкque de Senlis; grand maоtre de France, le prince de Condй; premier maоtre d’hфtel, le comte des Cars; maоtre d’hфtel ordinaire, le marquis de Montdragon; premier panetier, le duc de Brissac; grand йchanson, le marquis de Verneuil; premier tranchant, le marquis de la Chesnaye; premiers gentilshommes de la chambre, les ducs de Richelieu; de Durfort, de Villequier, de Fleury; grand maоtre de la garde-robe, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt; maоtres de la garde-robe. le comte de Boisgelin et le marquis de Chauvelin; capitaine de la fauconnerie, le chevalier de Forget; capitaine du vautrait, le marquis d’Ecquevilly; surintendant des bвtiments, le comte d’Angiviller; grand йcuyer, le prince de Lambesc; grand veneur, le duc de Penthiиvre; grand maоtre des cйrйmonies, le marquis de Brйzй; grand marйchal des logis, le marquis de la Suze; capitaines des gardes, les ducs d’Ayen, de Villeroy, de Brissac, d’Aiguillon et de Biron, les princes de Poix, de Luxembourg et de Soubise; prйvфt de l’hфtel, le marquis de Tourzel; gouverneurs des rйsidences et capitaines des chasses, le duc de Noailles, le marquis de Champcenetz; le baron de Champlost, le duc de Coigny, le comte de Modиne, le comte de Montmorin, le duc de Laval, le comte de Brienne, le duc d’Orlйans, le duc de Gesvres [165]. Tous ces seigneurs sont pour le roi des familiers obligйs, des hфtes perpйtuels et le plus souvent hйrйditaires, logйs chez lui, en sociйtй intime et quotidienne avec lui, puisqu’ils sont «ses gens [166]» et font le service domestique de sa personne. Ajoutez-y leurs pareils, aussi nobles et presque aussi nombreux chez la reine, chez Mesdames, chez Madame Йlisabeth, chez le comte et chez la comtesse de Provence, chez le comte et chez la comtesse d’Artois. – Et ce ne sont lа que les chefs d’emploi; si, au-dessous d’eux, dans les offices, je compte les titulaires nobles, j’y trouve, entre autres, 68 aumфniers ou chapelains, 170 gentilshommes de la chambre ou servants, 117 gentilshommes de l’йcurie et de la vйnerie, 148 pages, 114 dames de compagnie titrйes, en outre tous les officiers jusqu’au plus petit de la maison militaire, sans compter 1 400 simples gardes qui, vйrifiйs par le gйnйalo­giste [167], sont admis sur ce titre а faire leur cour. Telle est la recrue fixe des rйceptions royales; c’est le trait distinctif de ce rйgime que les serviteurs y sont des hфtes, et que l’antichambre y peuple le salon.


Дата добавления: 2015-09-30; просмотров: 27 | Нарушение авторских прав







mybiblioteka.su - 2015-2024 год. (0.018 сек.)







<== предыдущая лекция | следующая лекция ==>