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Un document produit en version numйrique par Pierre Palpant, bйnйvole, 5 страница



p.45 Supposons que, voyant cet abus de son nom, le seigneur veuille фter а ces mains mercenaires l’administration de son domaine; le plus souvent il ne le pourrait pas: il est trop endettй, il a dйlйguй а ses crйanciers telle portion de sa terre, telle branche de ses revenus. Depuis des siиcles, la haute noblesse s’obиre par son luxe, par sa prodigalitй, par son insouciance, et par ce faux point d’honneur qui consiste а regarder le soin de compter comme une occupation de comptable. Elle est fiиre de sa nйgligence, elle appelle cela vivre noblement [92]. «Monsieur l’archevкque, disait Louis XVI а M. de Dillon, on prйtend que vous avez des dettes, et mкme beaucoup. — Sire, rйpondit le prйlat avec une ironie de grand seigneur, je m’en informerai а mon intendant, et j’aurai l’honneur d’en rendre compte а Votre Majestй.» — Le marйchal de Soubise a cinq cent mille livres de rente qui ne lui suffisent pas. On sait les dettes du cardinal de Rohan, du comte d’Artois; leurs millions de revenu se perdaient en vain dans ce gouffre. Le prince de Guйmйnй vient de faire une faillite de trente-cinq millions. Le duc d’Orlйans, le plus riche propriйtaire du royaume, devait а sa mort soixante-quatorze millions. Quand, sur les biens des йmigrйs, il fallut payer leurs crйanciers, il fut avйrй que la plupart des grandes fortunes йtaient vermoulues d’hypothиques [93]. Quiconque a lu les mйmoires sait que depuis deux cents ans, pour boucler leurs vides, il a fallu des mariages d’argent et les bienfaits du roi. – C’est pourquoi, а l’exemple du roi lui-mкme, ils ont fait argent de tout, notamment des places dont ils disposent, et, lвchant l’autoritй pour les profits, ils ont aliйnй le dernier lambeau de gouvernement qui leur restait. Ainsi partout ils ont dйpouillй le caractиre vйnйrй de chef pour revкtir le caractиre odieux de trafiquant. «Non seulement, dit un contemporain [94], ils ne donnent pas de gages а leurs officiers de justice, ou les prennent au rabais; mais ce qu’il y a de pis, c’est que la plupart aujourd’hui vendent leurs offices.» Malgrй l’йdit de 1693, les juges ainsi nommйs ne se font point recevoir aux justices royales et ne prкtent pas serment. «Qu’arrive-t-il alors? La justice, trop souvent exercйe par des fripons, dйgйnиre en brigandage, ou en une impunitй affreuse.» — Ordinairement le seigneur qui a vendu la charge moyennant finance perзoit en outre le centiиme, le cinquantiиme, le dixiиme du prix lorsqu’elle passe en d’autres mains; d’autres fois il en vend la survivance. Charges et survivances, il en crйe pour en vendre. «Toutes les justices seigneuriales, disent les cahiers, sont infestйes d’une foule d’huissiers de toute espиce, sergents seigneuriaux, huissiers а cheval, huissiers а verge, gardes de la prйvфtй des monnaies, gardes de la connйtablie. Il n’est pas rare d’en trouver jusqu’а dix dans un arrondissement qui pourrait а peine en faire vivre deux, s’ils se renfermaient dans les limites de leurs charges.» Aussi «sont-ils en mкme temps juges, procureurs, procureurs fiscaux, greffiers, notaires», chacun dans un lieu diffйrent, chacun exerзant dans plusieurs seigneuries et sous divers titres, tous ambulants, tous s’entendant comme fripons en foire, et se rйunissant au cabaret pour y instrumenter, plaider et juger. Parfois, pour faire une йconomie, le seigneur confire le titre а l’un de ses fermiers: «А Hautemont, dans le Hainaut, c’est un domestique qui est procureur fiscal.» Plus souvent il commet quelque avocat famйlique de la petite ville voisine, avec des gages «qui ne suffiraient pas а le faire vivre une semaine». Celui-ci se dйdommage sur les paysans. Rфles de chicane, longueurs et complications voulues de la procйdure, vacations а trois livres l’heure pour l’avocat, а six livres l’heure pour le bailli: l’engeance noire des sangsues judiciaires suce d’autant plus вprement qu’elle est plus nombreuse sur une proie plus maigre, et qu’elle a payй le privilиge de sucer [95]. – On devine l’arbitraire, la corruption, la nйgligence d’un pareil rйgime. «L’impunitй, dit Renauldon, n’est nulle part plus grande que dans les justices seigneuriales... Il ne s’y fait aucune recherche des crimes les plus atroces»; car le seigneur craint de fournir aux frais d’un procиs criminel, et ses juges ou procureurs ont peur de n’кtre pas payйs de leurs procйdures. Au reste, sa geфle est souvent une cave du chвteau; «sur cent justices, il n’y en a pas une qui soit en rиgle du cфtй des prisons»; ses gardiens ferment les yeux ou tendent la main. C’est pourquoi ses terres deviennent l’asile de tous les scйlйrats du canton». – Terrible effet de son indiffйrence et qui va se retourner contre lui-mкme: demain, au club, les procureurs qu’il a multipliйs demanderont sa tкte, et les bandits qu’il a tolйrйs la mettront au bout d’une pique.



Reste un point, la chasse, oщ sa juridiction est encore active et sйvиre, et c’est justement le point oщ elle se trouve le plus blessante. Jadis, quand la moitiй du canton йtait en forкts ou en friches et que les grosses bкtes ravageaient l’autre moitiй, il avait raison de s’en rйserver la poursuite; cela rentrait dans son office de capitaine local. Il йtait le grand gendarme hйrйditaire, toujours armй, toujours а cheval, aussi bien contre les sangliers et les loups que contre les rфdeurs et les brigands. Аprйsent que du gendarme il n’a plus que le titre et les йpaulettes, il maintient par tradition son privilиge et d’un service il fait une vexation. Il faut qu’il chasse et soit seul а chasser; c’est pour lui un besoin du corps et en mкme temps un signe de race. Un Rohan, un Dillon courent le cerf mкme quand ils sont d’Йglise, malgrй les йdits et malgrй les canons. «Vous chassez beaucoup, Monsieur l’Йvкque, disait Louis XV [96] а ce dernier; j’en sais quelque chose. Comment voulez-vous interdire la chasse а vos curйs, si vous passez votre vie а leur en donner l’exemple? – Sire, pour mes curйs la chasse est leur dйfaut; pour moi, c’est le dйfaut de mes ancкtres.» – Lorsque l’amour-propre de caste monte ainsi la garde autour d’un droit, c’est avec une vigilance intraitable. Аcet effet leurs capitaines de chasse, veneurs, gardes forestiers, gruyers, protиgent les bкtes comme si elles йtaient des hommes, et poursuivent les hommes comme s’ils йtaient des bкtes. Dans le bailliage de Pont-l’Йvкque, en 1789, on cite quatre exemples «d’assassi­nats rйcents commis par les gardes-chasses de Mme d’A., de Mme N., d’un prйlat et d’un marйchal de France sur des roturiers pris en dйlit de chasse ou de port d’arme. Tous les quatre jouissent publiquement de l’impunitй». Dans l’Artois, une paroisse dйclare que, «sur le territoire de la chвtellenie, le gibier dйvore tous les avкtis et que les cultivateurs se verront forcйs d’abandonner leur exploitation». Prиs de lа, а Rumancourt, а Bellone, «les liиvres, les lapins, les perdrix dйvorent entiиrement les avкtis, le comte d’Oisy ne chassant pas et ne faisant pas chasser». Dans vingt villages circonvoisins d’Oisy oщ il chasse, c’est а cheval et а travers les rйcoltes. «Ses gardes toujours armйs ont tuй plusieurs personnes, sous prйtexte de veiller а la conservation des droits de leur maоtre... Le gibier, qui excиde de beaucoup celui des capitaineries royales, mange chaque annйe l’espoir de la rйcolte, vingt mille raziиres de blй et autant d’autres grains.» Dans le bailliage d’Йvreux, «le gibier vient tout dйtruire jusqu’au pied des maisons... Аcause du gibier, le citoyen n’est pas mкme libre dans le cours de l’йtй d’aller retirer les mauvaises herbes qui йtouffent le grain et qui gвtent les semences... Combien de femmes restйes sans mari et d’enfants sans pиre pour un malheureux liиvre ou lapin!» Les gardes de la forкt de Gouffern en Normandie «sont si terribles, qu’ils maltraitent, insultent et tuent les hommes... Je connais des fermiers qui, ayant plaidй contre la dame pour se faire indemniser de la perte de leurs blйs, ont perdu leur temps, leur moisson, et les frais du procиs... On voit des cerfs et des biches errer auprиs de nos maisons en plein jour». Dans le bailliage de Domfront, «les habitants de plus de dix paroisses sont obligйs de veiller la nuit entiиre pendant plus de six mois de l’annйe pour la conservation de leurs moissons [97]». – Voilа l’effet du droit de chasse en province. Mais c’est dans l’Ile-de-France, oщ les capitaineries abondent et vont s’йlargissant, que le spectacle en est le plus lamentable. Un procиs-verbal prouve que dans la seule paroisse de Vaux, prиs de Meulan, les lapins des garennes voisines ont ravagй huit cents arpents cultivйs et dйtruit une rйcolte de deux mille quatre cents setiers, c’est-а-dire la nourriture annuelle de huit cents personnes. Prиs de lа, а la Rochette, des troupes de biches et de cerfs, pendant le jour, dйvorent tout dans les champs et, la nuit, viennent jusque dans les petits jardins des habitants manger les lйgumes et briser les jeunes arbres. Impossible dans un territoire soumis а la capitainerie de rйcolter des lйgumes, sauf dans des jardins clos de hautes murailles. АFarcy, de cinq cents pкchers plantйs dans une vigne et broutйs par les cerfs, il n’en reste pas vingt au bout de trois ans. Sur tout le territoire de Fontainebleau, p.48 les communautйs, pour sauver leurs vignes, sont obligйes d’entretenir, et encore sauf l’agrйment de la capitainerie, des messiers qui, avec des chiens autorisйs, veillent et font tintamarre, du soleil couchant au soleil levant, et du 1er mai а la mi-octobre. АChartrettes, les bкtes fauves, traversant la Seine, viennent dйtruire chez la comtesse de La Rochefoucauld toutes les plantations de peupliers. Un domaine, affermй deux mille livres, n’est plus louй que quatre cents livres depuis l’йtablissement de la capitainerie de Versailles. Bref, onze rйgiments de cavalerie ennemie, cantonnйs dans les onze capitaineries voisines de la capitale, et allant tous les matins au fourrage, ne feraient pas plus de dйgвts. – Il ne faut pas s’йtonner si, aux approches de ces repaires, on se dйgoыte de la culture [98]. Prиs de Fontainebleau et de Melun, а Bois-le-Roi, les trois quarts du territoire restent en friche; presque toutes les maisons de Brolle sont en ruines, on n’y voit plus que des pignons demi-йcroulйs; aux Coutilles et а Chapelle-Rablay, cinq fermes sont abandonnйes; а Arbonne, quantitй de champs sont dйlaissйs; а Villiers et а Dame-Marie, oщ il y avait quatre corps de ferme et nombre de cultures particuliиres, huit cents arpents demeurent incultes. – Chose йtrange, а mesure que le siиcle va s’adoucissant, le rйgime de la chasse empire; les officiers de la capitainerie font du zиle, parce qu’ils travaillent sous les yeux et pour les «plaisirs» du maоtre. En 1789, cent huit remises viennent d’кtre plantйes dans un seul canton de la capitainerie de Fontainebleau et malgrй les propriйtaires. Par le rиglement de 1762, il est interdit а tout particulier domiciliй dans l’йtendue d’une capitainerie d’enclore son hйritage et tout terrain quelconque de murs, haies ou fossйs, sans une permission spйciale [99]. En cas de permission, il doit laisser dans sa clфture un large espace vide et uni pour que la chasse puisse passer а son aise. Il ne peut avoir chez lui aucun furet, aucune arme а feu, aucun engin propre а la chasse, ni se faire suivre d’un chien mкme impropre а la chasse, а moins que ce chien ne soit tenu en laisse ou n’ait un billot au cou. Bien mieux, on lui dйfend de faucher son prй ou sa luzerne avant la Saint-Jean, d’entrer dans son propre champ du 1er mai au 24 juin, d’aller dans les оles de la Seine, d’y couper de l’herbe ou de l’osier, mкme si l’herbe et l’osier sont а lui; c’est qu’а ce moment les perdrix couvent, et que le lйgislateur les protиge; il aurait moins d’йgards pour une femme en couches; les vieux chroniqueurs diraient de lui comme de Guillaume Rufus que ses entrailles sont paternelles seulement pour les bкtes. Or il y a en France quatre cent lieues carrйes de pays soumises au rйgime des capitaineries [100], et, par toute la France, le gibier, grand ou petit, est le tyran du paysan. Concluez ou plutфt йcoutez comment conclut le peuple. «Chaque fois, dit M. de Montlosier en 1789 [101], qu’il m’arrivait de rencontrer des troupeaux de cerfs ou de daims sur ma route, mes guides de s’йcrier aussitфt: Voilа la noblesse! par allusion aux ravages que ces animaux faisaient dans leurs terres.» Ainsi, aux yeux de leurs sujets, ils sont des bкtes fauves. — Voilа oщ conduit le privilиge dйtachй du service; c’est ainsi qu’un devoir de protection dйgйnиre en un droit de dйvastation, et que des gens humains et raisonnables agissent, sans y penser, en gens dйraisonnables et inhumains. Sйparйs du peuple, ils abusent de lui; chefs nominaux, ils ont dйsappris l’office de chefs effectifs; ayant perdu leur caractиre public, ils ne rabattent rien de leurs avantages privйs. C’est tant pis pour le canton et tant pis pour eux-mкmes. Les trente ou quarante braconniers qu’ils poursuivent aujourd’hui sur leurs terres marcheront demain contre leur chвteau а la tкte de l’йmeute. — Absence des maоtres, apathie des provinces, mauvais йtat des cultures, exactions des fermiers, corruption des justices, vexations des capitaineries, oisivetй, dettes et exigences du seigneur, abandon, misиre, sauvagerie et hostilitй des vassaux, tout cela vient de la mкme cause et aboutit au mкme effet. Quand la souverainetй se transforme en sinйcure, elle devient lourde sans rester utile, et, quand elle est lourde sans кtre utile, on la jette а bas.

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CHAPITRE IV

SERVICES GЙNЙRAUX QUE DOIVENT LES PRIVILЙGIЙS

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I. Exemple en Angleterre. — Les privilйgiйs ne rendent pas ces services en France. — Influence et droits qui leur restent. — Ils ne s’en servent que pour eux-mкmes. — II. Assemblйes du clergй. — Elles ne servent que l’intйrкt ecclйsiastique. — Le clergй exemptй de l’impфt. — Sollicitations de ses agents. — Son zиle contre les protestants. — III. Influence des nobles. — Rиglements en leur faveur. — Prйfйrence qu’ils obtiennent dans l’Йglise. — Distribution des йvкchйs et des abbayes. — Prйfйrence qu’ils obtiennent dans l’Йtat. — Gouvernements, offices, sinйcures, pensions, gratifications. — Au lieu d’кtre utiles, ils sont а charge. — IV. Isolement des chefs. — Sentiments des subordonnйs. — La noblesse de province. — Les curйs. — V. Le roi. — Son privilиge est le plus йnorme de tous. — Ayant accaparй tous les pouvoirs, il s’est chargй de toutes les fonctions. — Pesanteur de cette tвche. — Il s’y dйrobe, ou n’y suffit pas. — Sйcuritй de sa conscience. — La France est sa propriйtй. — Comment il en abuse. — La royautй centre des abus. — VI. Dйsorganisation latente de la France.

 

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p.500 Inutiles dans le canton, ils pourraient кtre utiles au centre, et, sans prendre part au gouvernement local, servir dans le gouvernement gйnйral. Ainsi fait un lord, un baronnet, un squire, mкme lorsqu’il n’est pas justice dans son comtй ou membre d’une commission dans sa paroisse. Dйputй йlu а la chambre basse, membre hйrйditaire de la chambre haute, il tient les cordons de la bourse publique et empкche le prince d’y puiser trop avant. Tel est le rйgime dans les pays oщ les seigneurs fйodaux, au lieu de laisser le roi s’allier contre eux avec les communes, se sont alliйs avec les communes contre le roi. Pour mieux dйfendre leurs propres intйrкts, ils ont dйfendu les intйrкts des autres, et, aprиs avoir йtй les reprйsentants de leurs pareils, ils sont devenus les reprйsentants de la nation. — Rien de semblable en France. Les Йtats gйnйraux sont tombйs en dйsuйtude, et le roi peut avec vйritй se dire l’unique reprйsentant du pays. Pareils а des arbres йtouffйs par l’ombre d’un chкne gigantesque, les autres pouvoirs publics ont pйri de sa croissance; ce qu’il en reste encombre aujourd’hui la place et forme autour de lui un cercle de broussailles rampantes ou de troncs dessйchйs. L’un d’eux, le Parlement, simple rejeton sorti du grand chкne, a cru parfois possйder une racine propre; mais sa sиve йtait trop visiblement empruntйe pour qu’il pыt se tenir debout par lui-mкme et fournir au peuple un abri indйpendant. D’autres corps, survivants quoique rabougris, l’Assemblйe du clergй et les Йtats provinciaux, protиgent encore un ordre et quatre ou cinq provinces; mais cette protection ne couvre que l’ordre ou la province, et, si elle dйfend un intйrкt partiel, c’est d’ordinaire contre un intйrкt gйnйral.

 

II

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Regardons le plus vivace et le mieux enracinй de ces corps, l’Assemblйe du clergй. Tous les cinq ans elle se rйunit, et, dans l’intervalle, deux agents choisis par elle veillent aux intйrкts de l’ordre. Convoquйe par le gouvernement, dirigйe par lui, contenue ou interrompue au besoin, toujours sous sa main, employйe par lui а des fins politiques, elle reste nйanmoins un asile pour le clergй qu’elle reprйsente. Mais elle n’est un asile que pour lui, et, dans la sйrie de transactions par lesquelles elle se dйfend contre le fisc, elle ne dйcharge ses йpaules que pour rejeter un fardeau plus lourd sur les йpaules d’autrui. On a vu comment sa diplomatie a sauvй les immunitйs du clergй, comment elle l’a rachetй de la capitation et des vingtiиmes, comment elle a changй sa part d’impфt en un «don gratuit», comment chaque annйe elle applique ce don au remboursement des capitaux empruntйs pour son rachat, par quel art dйlicat elle est parvenue, non seulement а n’en rien verser dans le Trйsor, mais encore а soutirer chaque annйe du Trйsor environ 1 500 000 livres; c’est tant mieux pour l’Йglise, mais tant pis pour le peuple. — Maintenant parcourez la file des in-folios oщ se suivent de cinq ans en cinq ans les rapports des agents, hommes habiles et qui se prйparent ainsi aux plus hauts emplois de l’Йglise, les abbйs de Boisgelin, de Pйrigord, de Barrai, de Montesquiou; а chaque instant, grвce а leurs sollicitations auprиs des juges et du Conseil, grвce а l’autoritй que donne а leurs plaintes le mйcontentement de l’ordre puissant que l’on sent derriиre eux, quelque affaire ecclйsiastique est dйcidйe dans le sens ecclйsiastique; quelque droit fйodal est maintenu en faveur d’un chapitre ou d’un йvкque; quelque rйclamation du public est rejetйe [102]. En 1781, malgrй un arrкtй du Parlement de Rennes, les chanoines de Saint-Malo sont maintenus dans le monopole de leur four banal, au dйtriment des boulangers qui voudraient cuire а domicile et des habitants qui payeraient moins cher le pain cuit chez les boulangers. En 1773, Guйnin, maоtre d’йcole, destituй par l’йvкque de Langres et vainement soutenu par les habitants, est forcй de laisser sa place au successeur que le prйlat lui a nommй d’office. En 1770, Rastel, protestant, ayant ouvert une йcole publique а Saint-Affrique, est poursuivi а la demande de l’йvкque et des agents du clergй; on ferme son йcole et on le met en prison. — Quand un corps a gardй dans sa main les cordons de sa bourse, il obtient bien des complaisances; elles sont l’йquivalent de l’argent qu’il accorde. Le ton commandant du roi, l’air soumis du clergй ne changent rien au fond des choses; entre eux, c’est un marchй [103]: donnant, donnant; telle loi contre les protestants, en йchange d’un ou deux millions ajoutйs au don gratuit. C’est ainsi que graduellement s’est faite, au dix-septiиme siиcle, la rйvocation de l’йdit de Nantes, article par article, comme un tour d’estrapade aprиs un autre tour d’estrapade, chaque persйcution nouvelle achetйe par une largesse nouvelle, en sorte que, si le clergй aide l’Йtat, c’est а condition que l’Йtat se fera bourreau. Pendant tout le dix-huitiиme siиcle, l’Йglise veille а ce que l’opйration continue [104]. En 1717, une assemblйe de soixante-quatorze personnes ayant йtй surprise а Anduze, les hommes vont aux galиres et les femmes en prison. En 1724, un йdit dйclare que tous ceux qui assisteront а une assemblйe et tous ceux qui auront quelque commerce direct ou indirect avec les ministres prйdicants, seront condamnйs а la confiscation des biens, les femmes rasйes et enfermйes pour la vie, les hommes aux galиres perpйtuelles. En 1745 et 1746, dans le Dauphinй, deux cent soixante-dix-sept protestants sont condamnйs aux galиres et nombre de femmes au fouet. De 1744 а 1752, dans l’Est et le Midi, six cents protestants sont enfermйs et huit cents condamnйs а diverses peines. En 1774, les deux enfants de Roux, calviniste а Nоmes, lui sont enlevйs. Jusqu’aux approches de la Rйvolution, dans le Languedoc, on pend les ministres et l’on envoie des dragons contre les congrйgations qui se rassemblent au dйsert pour prier Dieu; la mиre de M. Guizot y a reзu des coups de feu dans ses jupes; c’est qu’en Languedoc, par les Йtats provinciaux, «les йvкques sont maоtres du temporel plus que partout ailleurs, et que leur sentiment est toujours de dragonner, de convertir а coups de fusil». En 1775, au sacre, l’archevкque Lomйnie de Brienne, incrйdule connu, dit au jeune roi: «Vous rйprouverez les systиmes d’une tolйrance coupable... Achevez l’ouvrage que Louis le Grand avait p.522 entrepris. Il vous est rйservй de porter le dernier coup au calvinisme dans vos Йtats». En 1780, l’Assemblйe du clergй dйclare «que l’autel et le trфne seraient йgalement en danger, si l’on permettait а l’hйrйsie de rompre ses fers». Mкme en 1789, le clergй dans ses cahiers, tout en consentant а tolйrer les non-catholiques, trouve l’йdit de 1788 trop libйral; il veut qu’on les exclue des charges de judicature, qu’on ne leur accorde jamais l’exercice public de leur culte, et qu’on interdise les mariages mixtes; bien plus, il demande la censure prйalable de tous les ouvrages de librairie, un comitй ecclйsiastique pour les dйnoncer, et des peines infamantes contre les auteurs de livres irreligieux; enfin, il rйclame pour lui-mкme la direction des йcoles publiques et la surveillance des йcoles privйes. – Rien d’йtrange dans cette intolйrance et dans cet йgoпsme. Un corps, comme un individu, pense d’abord et surtout а lui. Si parfois il sacrifie quelque chose de son privilиge, c’est pour s’assurer l’alliance des autres corps. En ce cas, qui est celui de l’Angleterre, tous ces privilиges qui transigent entre eux et se soutiennent les uns les autres composent par leur rйunion les libertйs publiques. – Ici, un seul corps йtant reprйsentй, ses dйputйs ne sont ni chargйs, ni tentйs de rien concйder aux autres; son intйrкt est leur seul guide; ils lui subordonnent l’intйrкt gйnйral, et le servent а tout prix, mкme par des attentats publics.

 

III

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Ainsi travaillent les corps quand, au lieu d’кtre associйs, ils sont sйparйs. Mкme spectacle, si l’on regarde les castes et les coteries; leur isolement fait leur йgoпsme. Du bas en haut de l’йchelle, les pouvoirs lйgaux ou moraux qui devraient reprйsenter la nation ne reprйsentent qu’eux-mкmes, et chacun d’eux s’emploie pour soi au dйtriment de la nation. – А dйfaut du droit de s’assembler et de voter, la noblesse a son influence, et, pour savoir comment elle en use, il suffit de lire les йdits de l’almanach. Un rиglement imposй au marйchal de Sйgur [105] vient de relever la vieille barriиre qui excluait les roturiers des grades militaires, et dйsormais, pour кtre capitaine, il faudra prouver quatre degrйs de noblesse. Pareillement, dans les derniers temps, il faut кtre noble pour кtre reзu maоtre des requкtes, et l’on dйcide secrиtement qu’а l’avenir «tous les biens ecclйsiastiques, depuis le plus modeste prieurй jusqu’aux plus riches abbayes, seront rйservйs а la noblesse». — De fait, toutes les grandes places, ecclйsiastiques ou laпques, sont pour eux; toutes les sinйcures, ecclйsiastiques ou laпques, sont pour eux, ou pour leurs parents, alliйs, protйgйs et serviteurs. La France ressemble а une vaste йcurie oщ les chevaux de race auraient double et triple ration pour кtre oisifs ou ne faire que demi-service, tandis que les chevaux de trait font le plein service avec une demi-ration qui leur manque souvent. Encore faut-il noter que, parmi ces chevaux de race, il est un troupeau privilйgiй qui, nй auprиs du rвtelier, йcarte ses pareils et mange а pleine bouche, gras, brillant, le poil poli et jusqu’au ventre en la litiиre, sans autre p.533 occupation que de toujours tirer а soi. Ce sont les nobles de cour, qui vivent а portйe des grвces, exercйs dиs l’enfance а demander, obtenir et demander encore, uniquement attentifs aux faveurs et aux froideurs royales, pour qui l’Њil-de-bњuf compose l’univers, «indiffйrents aux affaires de l’Йtat comme а leurs propres affaires, laissant gouverner les unes par les intendants de province, comme ils laissent gouverner les autres par leurs propres intendants».

Voyons-les а l’њuvre sur le budget. On sait combien celui de l’Йglise est large; j’estime qu’ils en prйlиvent au moins la moitiй. Dix-neuf chapitres nobles d’hommes, vingt-cinq chapitres nobles de femmes, deux cent soixante commanderies de Malte, sont а eux par institution. Ils occupent par faveur tous les archevкchйs, et, sauf cinq, tous les йvкchйs [106]. Sur quatre abbйs commendataires et vicaires gйnйraux, ils en fournissent trois. Si, parmi les abbayes de femmes а nomination royale, on relиve celles qui rapportent 20 000 livres et au delа, on trouve qu’elles ont toutes pour abbesses des demoiselles. Un seul dйtail pour montrer l’йtendue des grвces: j’ai comptй quatre-vingt-trois abbayes d’hommes possйdйes par des aumфniers, chape­lains, prйcepteurs ou lecteurs du roi, de la reine, des princes et princesses; l’un d’eux, l’abbй de Vermond, a 80 000 livres de rente en bйnйfices. Bref, grosses ou petites, les quinze cents sinйcures ecclйsiastiques а nomination royale sont une monnaie а l’usage des grands, soit qu’ils la versent en pluie d’or pour rйcompenser l’assiduitй de leurs familiers et de leurs gens, soit qu’ils la gardent en larges rйservoirs pour soutenir la dignitй de leur rang. Du reste, selon la coutume de donner plus а qui plus a, les plus riches prйlats ont, par-dessus leurs revenus йpiscopaux, les plus riches abbayes. D’aprиs l’almanach, M. d’Argentrй, йvкque de Sйez [107], se fait ainsi en supplйment 34 000 livres de rente; M. de Suffren, йvкque de Sisteron, 36 000; M. de Girac, йvкque de Rennes, 40 000; M. de Bourdeille, йvкque de Soissons, 42 000; M. d’Agout de Bonneval, йvкque de Pamiers, 45 000; M. de Marbeuf, йvкque d’Autun, 50 000; M. de Rohan, йvкque de Strasbourg, 60 000; M. de Cicй, archevкque de Bordeaux, 63 000; M. de Luynes, archevкque de Sens, 82 000; M. de Bernis, archevкque d’Alby, 100 000; M. de Brienne, archevкque de Toulouse, 106 000; M. de Dillon, archevкque de Narbonne, 120 000; M. de La Rochefoucauld, archevкque de Rouen, 130 000: c’est-а-dire le double et parfois le triple en sommes perзues, le quadruple et parfois le sextuple en valeurs d’aujourd’hui. M. de Rohan tirait de ses abbayes, non pas 60 000 livres, mais 400 000, et M. de Brienne, le plus opulent de tous aprиs M. de Rohan, le 24 aoыt 1788, au moment de quitter le ministиre [108], envoyait prendre au «Trйsor les 20 000 livres de son mois qui n’йtait pas encore йchu, exactitude d’autant plus remarquable, que, sans compter les appointements de sa place et les 6 000 livres de pension attachйes а son cordon bleu, il possйdait en bйnйfices 678 000 livres de rente, et que, tout rйcemment encore, une coupe de bois dans une de ses abbayes lui avait valu un million».

Passons au budget laпque; lа aussi les sinйcures abondent et sont presque p.54 toutes а la noblesse. De ce genre, sont en province les trente-sept grands gouvernements gйnйraux, les sept petits gouvernements gйnйraux, les soixante-six lieutenances gйnйrales, les quatre cent sept gouvernements particuliers, les treize gouvernements de maisons royales, et nombre d’autres, tous emplois vides et de parade, tous entre des mains nobles, tous lucratifs, non seulement par les appointements du Trйsor, mais aussi par les profits locaux. Ici encore la noblesse s’est laissй dйrober l’autoritй, l’action, l’utilitй de sa charge, а condition d’en garder le titre, la pompe et l’argent [109]. C’est l’intendant qui gouverne; «le gouverneur en titre ne peut remplir aucune fonction sans lettres particuliиres de commandement»; il n’est lа que pour donner а dоner; encore lui faut-il pour cela une permission, «la permission d’aller rйsider dans son gouvernement». Mais la place est fructueuse: le gouvernement gйnйral du Berry vaut 35 000 livres de rente, celui de la Guyenne 120 000, celui du Languedoc 160 000; un petit gouvernement particulier, comme celui du Havre, rapporte 35 000 livres, outre les accessoires; une mйdiocre lieutenance gйnйrale, comme celle du Roussillon, 13 000 а 14 000 livres; un gouvernement particulier, de 12 000 а 18 000 livres; et notez que, dans la seule Ile-de-France, il y en a trente-quatre, а Vervins, Senlis, Melun, Fontainebleau, Dourdan, Sens, Limours, Etampes, Dreux, Houdan et autres villes aussi mйdiocres que pacifiques; c’est l’йtat-major des Valois qui depuis Richelieu a cessй de servir, mais que le Trйsor paye toujours. – Considйrez ces sinйcures dans une seule province, en Languedoc, pays d’Йtats, oщ il semble que la bourse du contribuable doive кtre mieux dйfendue. Il y a trois sous-commandants а Tournon, Alais et Montpellier, «chacun payй 16 000 livres, quoiqu’ils soient sans fonctions, puisqu’ils n’ont йtй йtablis que dans un temps de troubles et de guerres de religion, pour contenir les protestants». Douze lieutenants du roi sont йgalement inutiles et pour la montre. De mкme les trois lieutenants gйnйraux: chacun d’eux «reзoit, а tour de rфle et tous les trois ans, une gratification de 30 000 livres, pour services rendus а cette mкme province, lesquels sont vains et chimйriques, et qu’on ne spйcifie pas»; car aucun deux ne rйside, et, si on les paye, c’est pour avoir leur appui en cour. «Ainsi, M. le comte de Caraman, qui a plus de 600 000 livres de rente comme propriйtaire du canal du Languedoc, reзoit 30 000 livres tous les trois ans sans cause lйgitime, et indйpendamment des dons frйquents et abondants que la province lui fait pour les rйparations de son canal.» – La province donne aussi au commandant comte de Pйrigord une gratification de 12 000 livres en sus de ses appointements, et а sa femme une autre gratification de 12 000 livres, lorsque pour la premiиre fois elle p.55 honore les Йtats de sa prйsence. Elle paye encore au mкme commandant quarante gardes, «dont vingt-quatre seulement servent pendant sa courte prйsence aux Йtats», et qui, avec leur capitaine, coыtent par an 15 000 livres. Elle paye de mкme au gouverneur de quatre-vingts а cent gardes «qui reзoivent chacun 300 ou 400 livres, outre beaucoup d’exemptions, et ne sont jamais en fonctions puisque le gouverneur ne rйside jamais»; pour ces fainйants subalternes la dйpense est de 24 000 livres, outre 5 000 а 6 000 pour leur capitaine, а quoi il faut ajouter 7 500 pour les secrйtaires du gouverneur, outre 60 000 livres d’appointements et des profits infinis pour le gouverneur lui-mкme. Je vois partout des oisifs secondaires pulluler а l’ombre des oisifs en chef et puiser leur sиve dans la bourse publique qui est la commune nourrice. Tout ce monde parade, boit et mange copieusement, en cйrйmonie: tel est leur principal emploi, et ils s’en acquittent en conscience. Les tenues d’Йtats sont des bombances de six semaines, oщ l’intendant dйpense 25 000 livres en dоners et rйceptions [110].


Дата добавления: 2015-09-30; просмотров: 28 | Нарушение авторских прав







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