Et Tulle vient

Ossip MANDELSTAM

J’annonçais naguère, il y a six ans, si longs, «la France douce et royale des bords de Loire» à nos amis venus de loin, en ce coeur «renaissant» et «civilisé» de Touraine. Tant de fois l’avais-je dit et promis à Ivanteevka, je me souviens, pour apaiser l’impatience vive, que le prochain Forum se concevait, se préparait, imminent. Tant de fois aussi ai-je dû décevoir celles et ceux qui s’étaient réjouis vainement. Tulle alors clame l’espoir, exauce la promesse prodiguée. Tulle conjure ce mauvais sort qui semblait défaire fatalement toutes nos entreprises les plus assidues. Elle est elle-même renaissance de notre singularité, l’Union Nationale, humble épousée de cette hôte fière en ses vertes vallées. Je dis «fierté», comprenez-moi, non pas cette sotte arrogance d’apparence, mais cette vertu par l’histoire léguée et dans le terroir unsurgé, trempée; fierté sous le règne barbare, de s’être soi-même libérée, toutes les forces unies dans ces maquis peuplés aussi de combattants soviétiques.

Mémoire j’ai gardée de ce mois de décembre où sous les frimas et le vent, indistinctement je tremblais de froid et d’émotion, où des fleurs profuses honoraient de ceux-là disparus, la raison par-dessus tout conquise, de rendre la patrie libre et fraternelle. Si je revins à Tulle, comme arriveront nos amis étrangers, dans ce paysage mental de beauté manifeste et de tragédie, je résiderai, émerveillé, respectueux et affligé. Tout autre discours que je tiendrais, moi, qui tairait ce temps de la Résistance, serait mensonge tout comme chez moi, près de Glières, chanter cimes et forêts trahirait la réalité des lieux, terroirs et paysages où les hommes vivent. Convier nos amis oui, là où les hommes vivent – et les femmes, croyez m’en, qui ne sont pas adjointes – et parler ensemble ce pays qui pour chacun (e) de France aura aussi découverte, telles se définiront les finalités vraies du voyage. Mieux que les connaissances, mais sans les exclure, mieux que de la langue l’étude magistrale, mais sans l’ignorer, s’éprouvera par le coeur et l’intelligence ce qui toujours de la fraternité tisse la meilleure substance, cette égale différence humaine livrée pêle-mêle en ces rudes et délicates expressions.

En cette présentation j’ai trouvé ma limite. Tout est alors plus amplement l’apanage de nos hôtes corréziens; adressés à eux, la gratitude et l’éloge, mais le témoignage avéré d’expérience leur revient car, parés de modestie, nous nous enrichirons la semaine durant, de ce qui se livrera du plus profond de cette simple humanité, embrassée dans son identité multiple et aimable.

Merci aux uns, bienvenue aux autres. Bientôt le 6-ème Forum.... Non pas s’assigner, à l’image d’Ossip, cette savante habileté de concilier «le sévère Tiouttchev et l’enfantin Verlaine», mais de ceux qui les lisent et les enseignent, préparer la prochaine rencontre, autant studieuse que récréative...

«Et puis nous soupirerons légers, ce jour venu

Car nous avons reçu le don de l’Espérance»

Дата добавления: 2015-08-03