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Le petit prince 2 страница

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– Je ne crains rien des tigres, mais j’ai horreur des courants d’air. Vous n’auriez pas un paravent?

 

«Horreur des courants d’air… ce n’est pas de chance, pour une plante, avait remarquй le petit prince. Cette fleur est bien compliquйe…»

 

– Le soir vous me mettrez sous globe. Il fait trиs froid chez vous. C’est mal installй. Lа d’oщ je viens…

 

Mais elle s’йtait interrompue. Elle йtait venue sous forme de graine. Elle n’avait rien pu connaоtre des autres mondes. Humiliйe de s’кtre laissй surprendre а prйparer un mensonge aussi naпf, elle avait toussй deux ou trois fois, pour mettre le petit prince dans son tort:

 

– Ce paravent?…

 

– J’allais le chercher mais vous me parliez!

 

Alors elle avait forcй sa toux pour lui infliger quand mкme des remords.

 

Ainsi le petit prince, malgrй la bonne volontй de son amour, avait vite doutй d’elle. Il avait pris au sйrieux des mots sans importance, et йtait devenu trиs malheureux.

 

– J’aurais dы ne pas l’йcouter, me confia-t-il un jour, il ne faut jamais йcouter les fleurs. Il faut les regarder et les respirer. La mienne embaumait ma planиte, mais je ne savais pas m’en rйjouir. Cette histoire de griffes, qui m’avait tellement agacй, eыt dы m’attendrir…

 

Il me confia encore:

 

– Je n’ai alors rien su comprendre! J’aurais dы la juger sur les actes et non sur les mots. Elle m’embaumait et m’йclairait. Je n’aurais jamais dы m’enfuir! J’aurais dы deviner sa tendresse derriиre ses pauvres ruses. Les fleurs sont si contradictoires! Mais j’йtais trop jeune pour savoir l’aimer.

CHAPITRE IX

Je crois qu’il profita, pour son йvasion, d’une migration d’oiseaux sauvages. Au matin du dйpart il mit sa planиte bien en ordre. Il ramona soigneusement ses volcans en activitй. Il possйdait deux volcans en activitй. Et c’йtait bien commode pour faire chauffer le petit dйjeuner du matin. Il possйdait aussi un volcan йteint. Mais, comme il disait, «On ne sait jamais!» Il ramona donc йgalement le volcan йteint. S’ils sont bien ramonйs, les volcans brыlent doucement et rйguliиrement, sans йruptions. Les йruptions volcaniques sont comme des feux de cheminйe. Йvidemment sur notre terre nous sommes beaucoup trop petits pour ramoner nos volcans. C’est pourquoi ils nous causent des tas d’ennuis.

 

Le petit prince arracha aussi, avec un peu de mйlancolie, les derniиres pousses de baobabs. Il croyait ne jamais devoir revenir. Mais tous ces travaux familiers lui parurent, ce matin-lа, extrкmement doux. Et, quand il arrosa une derniиre fois la fleur, et se prйpara а la mettre а l’abri sous son globe, il se dйcouvrit l’envie de pleurer.

 

– Adieu, dit-il а la fleur.

 

Mais elle ne lui rйpondit pas.

 

– Adieu, rйpйta-t-il.

 

La fleur toussa. Mais ce n’йtait pas а cause de son rhume.

 

– J’ai йtй sotte, lui dit-elle enfin. Je te demande pardon. Tвche d’кtre heureux.

 

Il fut surpris par l’absence de reproches. Il restait lа tout dйconcertй, le globe en l’air. Il ne comprenait pas cette douceur calme.

 

– Mais oui, je t’aime, lui dit la fleur. Tu n’en as rien su, par ma faute. Cela n’a aucune importance. Mais tu as йtй aussi sot que moi. Tвche d’кtre heureux… Laisse ce globe tranquille. Je n’en veux plus.

 

– Mais le vent…

 

– Je ne suis pas si enrhumйe que зa… L’air frais de la nuit me fera du bien. Je suis une fleur.

 

– Mais les bкtes…

 

– Il faut bien que je supporte deux ou trois chenilles si je veux connaоtre les papillons. Il paraоt que c’est tellement beau. Sinon qui me rendra visite? Tu seras loin, toi. Quant aux grosses bкtes, je ne crains rien. J’ai mes griffes.

 

Et elle montrait naпvement ses quatre йpines. Puis elle ajouta:

 

– Ne traоne pas comme зa, c’est agaзant. Tu as dйcidй de partir. Va-t’en.

 

Car elle ne voulait pas qu’il la vоt pleurer. C’йtait une fleur tellement orgueilleuse…

CHAPITRE X

Il se trouvait dans la rйgion des astйroпdes 325, 326, 327, 328, 329 et 330. Il commenзa donc par les visiter pour y chercher une occupation et pour s’instruire.

 

La premiиre йtait habitйe par un roi. Le roi siйgeait, habillй de pourpre et d’hermine, sur un trфne trиs simple et cependant majestueux.

 

– Ah! Voilа un sujet, s’йcria le roi quand il aperзut le petit prince.

 

Et le petit prince se demanda:

 

– Comment peut-il me reconnaоtre puisqu’il ne m’a encore jamais vu!

 

Il ne savait pas que, pour les rois, le monde est trиs simplifiй. Tous les hommes sont des sujets.

 

– Approche-toi que je te voie mieux, lui dit le roi qui йtait tout fier d’кtre roi pour quelqu’un.

 

Le petit prince chercha des yeux oщ s’asseoir, mais la planиte йtait toute encombrйe par le magnifique manteau d’hermine. Il resta donc debout, et, comme il йtait fatiguй, il bвilla.

 

– Il est contraire а l’йtiquette de bвiller en prйsence d’un roi, lui dit le monarque. Je te l’interdis.

 

– Je ne peux pas m’en empкcher, rйpondit le petit prince tout confus. J’ai fait un long voyage et je n’ai pas dormi…

 

– Alors, lui dit le roi, je t’ordonne de bвiller. Je n’ai vu personne bвiller depuis des annйes. Les bвillements sont pour moi des curiositйs. Allons! bвille encore. C’est un ordre.

 

– Зa m’intimide… je ne peux plus… fit le petit prince tout rougissant.

 

– Hum! Hum! rйpondit le roi. Alors je… je t’ordonne tantфt de bвiller et tantфt de…

 

Il bredouillait un peu et paraissait vexй.

 

Car le roi tenait essentiellement а ce que son autoritй fыt respectйe. Il ne tolйrait pas la dйsobйissance. C’йtait un monarque absolu. Mais, comme il йtait trиs bon, il donnait des ordres raisonnables.

 

«Si j’ordonnais, disait-il couramment, si j’ordonnais а un gйnйral de se changer en oiseau de mer, et si le gйnйral n’obйissait pas, ce ne serait pas la faute du gйnйral. Ce serait ma faute.»

 

– Puis-je m’asseoir? s’enquit timidement le petit prince.

 

– Je t’ordonne de t’asseoir, lui rйpondit le roi, qui ramena majestueusement un pan de son manteau d’hermine.

 

Mais le petit prince s’йtonnait. La planиte йtait minuscule. Sur quoi le roi pouvait-il bien rйgner?

 

– Sire, lui dit-il… je vous demande pardon de vous interroger…

 

– Je t’ordonne de m’interroger, se hвta de dire le roi.

 

– Sire… sur quoi rйgnez-vous?

 

– Sur tout, rйpondit le roi, avec une grande simplicitй.

 

– Sur tout?

 

Le roi d’un geste discret dйsigna sa planиte, les autres planиtes et les йtoiles.

 

– Sur tout зa? dit le petit prince.

 

– Sur tout зa… rйpondit le roi.

 

Car non seulement c’йtait un monarque absolu mais c’йtait un monarque universel.

 

– Et les йtoiles vous obйissent?

 

– Bien sыr, lui dit le roi. Elles obйissent aussitфt. Je ne tolиre pas l’indiscipline.

 

Un tel pouvoir йmerveilla le petit prince. S’il l’avait dйtenu lui-mкme, il aurait pu assister, non pas а quarante-quatre, mais а soixante-douze, ou mкme а cent, ou mкme а deux cents couchers de soleil dans la mкme journйe, sans avoir jamais а tirer sa chaise! Et comme il se sentait un peu triste а cause du souvenir de sa petite planиte abandonnйe, il s’enhardit а solliciter une grвce du roi:

 

– Je voudrais voir un coucher de soleil… Faites-moi plaisir… Ordonnez au soleil de se coucher…

 

– Si j’ordonnais а un gйnйral de voler d’une fleur а l’autre а la faзon d’un papillon, ou d’йcrire une tragйdie, ou de se changer en oiseau de mer, et si le gйnйral n’exйcutait pas l’ordre reзu, qui, de lui ou de moi, serait dans son tort?

 

– Ce serait vous, dit fermement le petit prince.

 

– Exact. Il faut exiger de chacun ce que chacun peut donner, reprit le roi. L’autoritй repose d’abord sur la raison. Si tu ordonnes а ton peuple d’aller se jeter а la mer, il fera la rйvolution. J’ai le droit d’exiger l’obйissance parce que mes ordres sont raisonnables.

 

– Alors mon coucher de soleil? rappela le petit prince qui jamais n’oubliait une question une fois qu’il l’avait posйe.

 

– Ton coucher de soleil, tu l’auras. Je l’exigerai. Mais j’attendrai, dans ma science du gouvernement, que les conditions soient favorables.

 

– Quand зa sera-t-il? s’informa le petit prince.

 

– Hem! Hem! lui rйpondit le roi, qui consulta d’abord un gros calendrier, hem! hem! ce sera, vers… vers… ce sera ce soir vers sept heures quarante! Et tu verras comme je suis bien obйi.

 

Le petit prince bвilla. Il regrettait son coucher de soleil manquй. Et puis il s’ennuyait dйjа un peu:

 

– Je n’ai plus rien а faire ici, dit-il au roi. Je vais repartir!

 

– Ne pars pas, rйpondit le roi qui йtait si fier d’avoir un sujet. Ne pars pas, je te fais ministre!

 

– Ministre de quoi?

 

– De… de la justice!

 

– Mais il n’y a personne а juger!

 

– On ne sait pas, lui dit le roi. Je n’ai pas fait encore le tour de mon royaume. Je suis trиs vieux, je n’ai pas de place pour un carrosse, et зa me fatigue de marcher.

 

– Oh! Mais j’ai dйjа vu, dit le petit prince qui se pencha pour jeter encore un coup d’њil sur l’autre cфtй de la planиte. Il n’y a personne lа-bas non plus…

 

– Tu te jugeras donc toi-mкme, lui rйpondit le roi. C’est le plus difficile. Il est bien plus difficile de se juger soi-mкme que de juger autrui. Si tu rйussis а bien te juger, c’est que tu es un vйritable sage.

 

– Moi, dit le petit prince, je puis me juger moi-mкme n’importe oщ. Je n’ai pas besoin d’habiter ici.

 

– Hem! Hem! dit le roi, je crois bien que sur ma planиte il y a quelque part un vieux rat. Je l’entends la nuit. Tu pourras juger ce vieux rat. Tu le condamneras а mort de temps en temps. Ainsi sa vie dйpendra de ta justice. Mais tu le gracieras chaque fois pour l’йconomiser. Il n’y en a qu’un.

 

– Moi, rйpondit le petit prince, je n’aime pas condamner а mort, et je crois bien que je m’en vais.

 

– Non, dit le roi.

 

Mais le petit prince, ayant achevй ses prйparatifs, ne voulut point peiner le vieux monarque:

 

– Si Votre Majestй dйsirait кtre obйie ponctuellement, elle pourrait me donner un ordre raisonnable. Elle pourrait m’ordon­ner, par exemple, de partir avant une minute. Il me semble que les conditions sont favorables…

 

Le roi n’ayant rien rйpondu, le petit prince hйsita d’abord, puis, avec un soupir, prit le dйpart.

 

– Je te fais mon ambassadeur, se hвta alors de crier le roi.

 

Il avait un grand air d’autoritй.

 

Les grandes personnes sont bien йtranges, se dit le petit prince, en lui-mкme, durant son voyage.

CHAPITRE XI

La seconde planиte йtait habitйe par un vaniteux:

 

– Ah! Ah! Voilа la visite d’un admirateur! s’йcria de loin le vaniteux dиs qu’il aperзut le petit prince.

 

Car, pour les vaniteux, les autres hommes sont des admirateurs.

 

– Bonjour, dit le petit prince. Vous avez un drфle de chapeau.

 

– C’est pour saluer, lui rйpondit le vaniteux. C’est pour saluer quand on m’acclame. Malheureusement il ne passe jamais personne par ici.

 

– Ah oui? dit le petit prince qui ne comprit pas.

 

– Frappe tes mains l’une contre l’autre, conseilla donc le vaniteux.

 

Le petit prince frappa ses mains l’une contre l’autre. Le vaniteux salua modestement en soulevant son chapeau.

 

«Зa c’est plus amusant que la visite au roi», se dit en lui-mкme le petit prince. Et il recommenзa de frapper ses mains l’une contre l’autre. Le vaniteux recommenзa de saluer en soulevant son chapeau.

 

Aprиs cinq minutes d’exercice le petit prince se fatigua de la monotonie du jeu:

 

– Et, pour que le chapeau tombe, demanda-t-il, que faut-il faire?

 

Mais le vaniteux ne l’entendit pas. Les vaniteux n’entendent jamais que les louanges.

 

– Est-ce que tu m’admires vraiment beaucoup? demanda-t-il au petit prince.

 

– Qu’est-ce que signifie admirer?

 

– Admirer signifie reconnaоtre que je suis l’homme le plus beau, le mieux habillй, le plus riche et le plus intelligent de la planиte.

 

– Mais tu es seul sur ta planиte!

 

– Fais-moi ce plaisir. Admire-moi quand mкme!

 

– Je t’admire, dit le petit prince, en haussant un peu les йpaules, mais en quoi cela peut-il bien t’intйresser?

 

Et le petit prince s’en fut.

 

Les grandes personnes sont dйcidйment bien bizarres, se dit-il simplement en lui-mкme durant son voyage.

CHAPITRE XII

La planиte suivante йtait habitйe par un buveur. Cette visite fut trиs courte, mais elle plongea le petit prince dans une grande mйlancolie:

 

– Que fais-tu lа? dit-il au buveur, qu’il trouva installй en silence devant une collection de bouteilles vides et une collection de bouteilles pleines.

 

– Je bois, rйpondit le buveur, d’un air lugubre.

 

– Pourquoi bois-tu? lui demanda le petit prince.

 

– Pour oublier, rйpondit le buveur.

 

– Pour oublier quoi? s’enquit le petit prince qui dйjа le plaignait.

 

– Pour oublier que j’ai honte, avoua le buveur en baissant la tкte.

 

– Honte de quoi? s’informa le petit prince qui dйsirait le secourir.

 

– Honte de boire! acheva le buveur qui s’enferma dйfinitivement dans le silence.

 

Et le petit prince s’en fut, perplexe.

 

Les grandes personnes sont dйcidйment trиs trиs bizarres, se disait-il en lui-mкme durant le voyage.

CHAPITRE XIII

La quatriиme planиte йtait celle du businessman. Cet homme йtait si occupй qu’il ne leva mкme pas la tкte а l’arrivйe du petit prince.

 

– Bonjour, lui dit celui-ci. Votre cigarette est йteinte.

 

– Trois et deux font cinq. Cinq et sept douze. Douze et trois quinze. Bonjour. Quinze et sept vingt-deux. Vingt-deux et six vingt-huit. Pas le temps de la rallumer. Vingt-six et cinq trente et un. Ouf! Зa fait donc cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un.

 

– Cinq cents millions de quoi?

 

– Hein? Tu es toujours lа? Cinq cent un millions de… je ne sais plus… J’ai tellement de travail! Je suis sйrieux, moi, je ne m’amuse pas а des balivernes! Deux et cinq sept…

 

– Cinq cent un millions de quoi, rйpйta le petit prince qui jamais de sa vie, n’avait renoncй а une question, une fois qu’il l’avait posйe.

 

Le businessman leva la tкte:

 

– Depuis cinquante-quatre ans que j’habite cette planиte-ci, je n’ai йtй dйrangй que trois fois. La premiиre fois з’a йtй, il y a vingt-deux ans, par un hanneton qui йtait tombй Dieu sait d’oщ. Il rйpandait un bruit йpouvantable, et j’ai fait quatre erreurs dans une addition. La seconde fois з’a йtй, il y a onze ans, par une crise de rhumatisme. Je manque d’exercice. Je n’ai pas le temps de flвner. Je suis sйrieux, moi. La troisiиme fois… la voici! Je disais donc cinq cent un millions…

 

– Millions de quoi?

 

Le businessman comprit qu’il n’йtait point d’espoir de paix:

 

– Millions de ces petites choses que l’on voit quelquefois dans le ciel.

 

– Des mouches?

 

– Mais non, des petites choses qui brillent.

 

– Des abeilles?

 

– Mais non. Des petites choses dorйes qui font rкvasser les fainйants. Mais je suis sйrieux, moi! Je n’ai pas le temps de rкvasser.

 

– Ah! des йtoiles?

 

– C’est bien зa. Des йtoiles.

 

– Et que fais-tu de cinq cents millions d’йtoiles?

 

– Cinq cent un millions six cent vingt-deux mille sept cent trente et un. Je suis sйrieux, moi, je suis prйcis.

 

– Et que fais-tu de ces йtoiles?

 

– Ce que j’en fais?

 

– Oui.

 

– Rien. Je les possиde.

 

– Tu possиdes les йtoiles?

 

– Oui.

 

– Mais j’ai dйjа vu un roi qui…

 

– Les rois ne possиdent pas. Ils «rиgnent» sur. C’est trиs diffйrent.

 

– Et а quoi cela te sert-il de possйder les йtoiles?

 

– Зa me sert а кtre riche.

 

– Et а quoi cela te sert-il d’кtre riche?

 

– А acheter d’autres йtoiles, si quelqu’un en trouve.

 

Celui-lа, se dit en lui-mкme le petit prince, il raisonne un peu comme mon ivrogne.

 

Cependant il posa encore des questions:

 

– Comment peut-on possйder les йtoiles?

 

– А qui sont-elles? riposta, grincheux, le businessman.

 

– Je ne sais pas. А personne.

 

– Alors elles sont а moi, car j’y ai pensй le premier.

 

– Зa suffit?

 

– Bien sыr. Quand tu trouves un diamant qui n’est а personne, il est а toi. Quand tu trouves une оle qui n’est а personne, elle est а toi. Quand tu as une idйe le premier, tu la fais breveter: elle est а toi. Et moi je possиde les йtoiles, puisque jamais personne avant moi n’a songй а les possйder.

 

– Зa c’est vrai, dit le petit prince. Et qu’en fais-tu?

 

– Je les gиre. Je les compte et je les recompte, dit le businessman. C’est difficile. Mais je suis un homme sйrieux!

 

Le petit prince n’йtait pas satisfait encore.

 

– Moi, si je possиde un foulard, je puis le mettre autour de mon cou et l’emporter. Moi, si je possиde une fleur, je puis cueillir ma fleur et l’emporter. Mais tu ne peux pas cueillir les йtoiles!

 

– Non, mais je puis les placer en banque.

 

– Qu’est-ce que зa veut dire?

 

– Зa veut dire que j’йcris sur un petit papier le nombre de mes йtoiles. Et puis j’enferme а clef ce papier-lа dans un tiroir.

 

– Et c’est tout?

 

– Зa suffit!

 

C’est amusant, pensa le petit prince. C’est assez poйtique. Mais ce n’est pas trиs sйrieux.

 

Le petit prince avait sur les choses sйrieuses des idйes trиs diffйrentes des idйes des grandes personnes.

 

– Moi, dit-il encore, je possиde une fleur que j’arrose tous les jours. Je possиde trois volcans que je ramone toutes les semaines. Car je ramone aussi celui qui est йteint. On ne sait jamais. C’est utile а mes volcans, et c’est utile а ma fleur, que je les possиde. Mais tu n’es pas utile aux йtoiles…

 

Le businessman ouvrit la bouche mais ne trouva rien а rйpondre, et le petit prince s’en fut.

 

Les grandes personnes sont dйcidйment tout а fait extraordinaires, se disait-il simplement en lui-mкme durant le voyage.

 

CHAPITRE XIV

La cinquiиme planиte йtait trиs curieuse. C’йtait la plus petite de toutes. Il y avait lа juste assez de place pour loger un rйverbиre et un allumeur de rйverbиres. Le petit prince ne parvenait pas а s’expliquer а quoi pouvaient servir, quelque part dans le ciel, sur une planиte sans maison, ni population, un rйverbиre et un allumeur de rйverbиres. Cependant il se dit en lui-mкme:

 

– Peut-кtre bien que cet homme est absurde. Cependant il est moins absurde que le roi, que le vaniteux, que le businessman et que le buveur. Au moins son travail a-t-il un sens. Quand il allume son rйverbиre, c’est comme s’il faisait naоtre une йtoile de plus, ou une fleur. Quand il йteint son rйverbиre зa endort la fleur ou l’йtoile. C’est une occupation trиs jolie. C’est vйritablement utile puisque c’est joli.

 

Lorsqu’il aborda la planиte il salua respectueusement l’allumeur:

 

– Bonjour. Pourquoi viens-tu d’йteindre ton rйverbиre?

 

– C’est la consigne, rйpondit l’allumeur. Bonjour.

 

– Qu’est-ce que la consigne?

 

– C’est d’йteindre mon rйverbиre. Bonsoir.

 

Et il le ralluma.

 

– Mais pourquoi viens-tu de le rallumer?

 

– C’est la consigne, rйpondit l’allumeur.

 

– Je ne comprends pas, dit le petit prince.

 

– Il n’y a rien а comprendre, dit l’allumeur. La consigne c’est la consigne. Bonjour.

 

Et il йteignit son rйverbиre.

 

Puis il s’йpongea le front avec un mouchoir а carreaux rouges.

 

– Je fais lа un mйtier terrible. C’йtait raisonnable autrefois. J’йteignais le matin et j’allumais le soir. J’avais le reste du jour pour me reposer, et le reste de la nuit pour dormir…

 

– Et, depuis cette йpoque, la consigne a changй?

 

– La consigne n’a pas changй, dit l’allumeur. C’est bien lа le drame! La planиte d’annйe en annйe a tournй de plus en plus vite, et la consigne n’a pas changй!

 

– Alors? dit le petit prince.

 

– Alors maintenant qu’elle fait un tour par minute, je n’ai plus une seconde de repos. J’allume et j’йteins une fois par minute!

 

– Зa c’est drфle! Les jours chez toi durent une minute!

 

– Ce n’est pas drфle du tout, dit l’allumeur. Зa fait dйjа un mois que nous parlons ensemble.

 

– Un mois?

 

– Oui. Trente minutes. Trente jours! Bonsoir.

 

Et il ralluma son rйverbиre.

 

Le petit prince le regarda et il aima cet allumeur qui йtait tellement fidиle а la consigne. Il se souvint des couchers de soleil que lui-mкme allait autrefois chercher, en tirant sa chaise. Il voulut aider son ami:

 

– Tu sais… je connais un moyen de te reposer quand tu voudras…

 

– Je veux toujours, dit l’allumeur.

 

Car on peut кtre, а la fois, fidиle et paresseux.

 

Le petit prince poursuivit:

 

– Ta planиte est tellement petite que tu en fais le tour en trois enjambйes. Tu n’as qu’а marcher assez lentement pour rester toujours au soleil. Quand tu voudras te reposer tu marcheras… et le jour durera aussi longtemps que tu voudras.

 

– Зa ne m’avance pas а grand’chose, dit l’allumeur. Ce que j’aime dans la vie, c’est dormir.

 

– Ce n’est pas de chance, dit le petit prince.

 

– Ce n’est pas de chance, dit l’allumeur. Bonjour.

 

Et il йteignit son rйverbиre.

 

«Celui-lа, se dit le petit prince, tandis qu’il poursuivait plus loin son voyage, celui-lа serait mйprisй par tous les autres, par le roi, par le vaniteux, par le buveur, par le businessman. Cependant c’est le seul qui ne me paraisse pas ridicule. C’est peut-кtre parce qu’il s’occupe d’autre chose que de soi-mкme.»

 

Il eut un soupir de regret et se dit encore:

 

«Celui-lа est le seul dont j’eusse pu faire mon ami. Mais sa planиte est vraiment trop petite. Il n’y a pas de place pour deux…»

 

Ce que le petit prince n’osait pas s’avouer, c’est qu’il regrettait cette planиte bйnie а cause, surtout, des mille quatre cent quarante couchers de soleil par vingt-quatre heures!

CHAPITRE XV

La sixiиme planиte йtait une planиte dix fois plus vaste. Elle йtait habitйe par un vieux Monsieur qui йcrivait d’йnormes livres.

 

– Tiens! voilа un explorateur! s’йcria-t-il, quand il aperзut le petit prince.

 

Le petit prince s’assit sur la table et souffla un peu. Il avait dйjа tant voyagй!

 

– D’oщ viens-tu? lui dit le vieux Monsieur.

 

– Quel est ce gros livre? dit le petit prince. Que faites-vous ici?

 

– Je suis gйographe, dit le vieux Monsieur.

 

– Qu’est-ce qu’un gйographe?

 

– C’est un savant qui connaоt oщ se trouvent les mers, les fleuves, les villes, les montagnes et les dйserts.

 

– Зa c’est bien intйressant, dit le petit prince. Зa c’est enfin un vйritable mйtier! Et il jeta un coup d’њil autour de lui sur la planиte du gйographe. Il n’avait jamais vu encore une planиte aussi majestueuse.

 

– Elle est bien belle, votre planиte. Est-ce qu’il y a des ocйans?

 

– Je ne puis pas le savoir, dit le gйographe.

 

– Ah! (Le petit prince йtait dйзu.) Et des montagnes?

 

– Je ne puis pas le savoir, dit le gйographe.

 

– Et des villes et des fleuves et des dйserts?

 

– Je ne puis pas le savoir non plus, dit le gйographe.

 

– Mais vous кtes gйographe!

 

– C’est exact, dit le gйographe, mais je ne suis pas explorateur. Je manque absolument d’explorateurs. Ce n’est pas le gйographe qui va faire le compte des villes, des fleuves, des montagnes, des mers, des ocйans et des dйserts. Le gйographe est trop important pour flвner. Il ne quitte pas son bureau. Mais il y reзoit les explorateurs. Il les interroge, et il prend en note leurs souvenirs. Et si les souvenirs de l’un d’entre eux lui paraissent intйressants, le gйographe fait faire une enquкte sur la moralitй de l’explorateur.

 

– Pourquoi зa?

 

– Parce qu’un explorateur qui mentirait entraоnerait des catastrophes dans les livres de gйographie. Et aussi un explorateur qui boirait trop.

 

– Pourquoi зa? fit le petit prince.

 

– Parce que les ivrognes voient double. Alors le gйographe noterait deux montagnes, lа oщ il n’y en a qu’une seule.

 

– Je connais quelqu’un, dit le petit prince, qui serait mauvais explorateur.

 

– C’est possible. Donc, quand la moralitй de l’explorateur paraоt bonne, on fait une enquкte sur sa dйcouverte.

 

– On va voir?

 

– Non. C’est trop compliquй. Mais on exige de l’explorateur qu’il fournisse des preuves. S’il s’agit par exemple de la dйcouverte d’une grosse montagne, on exige qu’il en rapporte de grosses pierres.

 

Le gйographe soudain s’йmut.

 

– Mais toi, tu viens de loin! Tu es explorateur! Tu vas me dйcrire ta planиte!

 

Et le gйographe, ayant ouvert son registre, tailla son crayon. On note d’abord au crayon les rйcits des explorateurs. On attend, pour noter а l’encre, que l’explorateur ait fourni des preuves.

 

– Alors? interrogea le gйographe.

 

– Oh! chez moi, dit le petit prince, ce n’est pas trиs intйressant, c’est tout petit. J’ai trois volcans. Deux volcans en activitй, et un volcan йteint. Mais on ne sait jamais.

 

– On ne sait jamais, dit le gйographe.

 

– J’ai aussi une fleur.

 

– Nous ne notons pas les fleurs, dit le gйographe.

 

– Pourquoi зa! c’est le plus joli!

 

– Parce que les fleurs sont йphйmиres.

 

– Qu’est ce que signifie: «йphйmиre»?

 

– Les gйographies, dit le gйographe, sont les livres les plus prйcieux de tous les livres. Elles ne se dйmodent jamais. Il est trиs rare qu’une montagne change de place. Il est trиs rare qu’un ocйan se vide de son eau. Nous йcrivons des choses йternelles.

 

– Mais les volcans йteints peuvent se rйveiller, interrompit le petit prince. Qu’est-ce que signifie «йphйmиre»?

 

– Que les volcans soient йteints ou soient йveillйs, зa revient au mкme pour nous autres, dit le gйographe. Ce qui compte pour nous, c’est la montagne. Elle ne change pas.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 61 | Нарушение авторских прав


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