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Un document produit en version numйrique par Pierre Palpant, bйnйvole, 28 страница



 

II

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p.291 Une fois cette digue emportйe, il n’y a plus de digue, et l’inondation roule sur toute la France comme sur une plaine unie. – En pareil cas, chez les autres peuples, des obstacles se sont rencontrйs: il y avait des lieux йlevйs, des centres de refuges, quelques vieilles enceintes oщ, dans l’effarement universel, une partie de la population trouvait des abris. – Ici le premier choc achиve d’en emporter les derniers restes, et, dans ces vingt-six millions d’hommes dispersйs, chacun est seul. Depuis longtemps, et par un travail insensible, l’administration de Richelieu et de Louis XIV a dйtruit les groupes naturels qui, aprиs un effondrement soudain, se reforment d’eux-mкmes. Sauf en Vendйe, je ne vois aucun endroit ni aucune classe oщ beaucoup d’hommes, ayant confiance en quelques hommes, puissent, а l’heure du danger, se rallier autour d’eux pour faire un corps. Il n’y a plus de patriotisme provincial ou municipal. Le bas clergй est hostile aux prйlats, les gentilshommes de province а la noblesse de cour, le vassal au seigneur, le paysan au citadin, la population urbaine а l’oligarchie municipale, la corporation а la corporation, la paroisse а la paroisse, le voisin au voisin. Tous sont sйparйs par leurs privilиges, par leurs jalousies, par la conscience qu’ils ont d’кtre chargйs ou frustrйs au profit d’autrui. L’ouvrier tailleur est aigri contre le maоtre tailleur qui l’empкche d’aller en journйe chez les bourgeois, les garзons perruquiers contre le maоtre perruquier qui ne leur permet pas de coiffer en ville, le pвtissier contre le boulanger qui l’empкche de cuire les pвtйs des mйnagиres, le villageois fileur contre les filateurs de la ville qui voudraient briser son mйtier, les vignerons de campagne contre le bourgeois qui, dans un rayon de sept lieues, voudrait faire arracher leurs vignes [792], le village contre le village voisin dont le dйgrиvement l’a grevй, le paysan haut taxй contre le paysan taxй bas, la moitiй de la paroisse contre ses collecteurs, qui а son dйtriment ont favorisй l’autre moitiй. «La nation, disait tristement Turgot [793], est une sociйtй composйe de diffйrents ordres mal unis, et d’un peuple dont les membres n’ont entre eux que trиs peu de liens, et oщ, par consйquent, personne n’est occupй que de son intйrкt particulier. Nulle part il n’y a d’intйrкt commun visible. Les villes, les villages n’ont pas plus de rapport entre eux que les arrondissements auxquels ils sont attribuйs; ils ne peuvent mкme s’entendre entre eux pour mener les travaux publics qui leur sont nйcessaires.» Depuis cent cinquante ans, le pouvoir central a divisй pour rйgner. Il a tenu les hommes sйparйs, il les a empкchйs de se concerter, il a si bien fait, qu’ils ne se connaissent plus, que chaque classe ignore l’autre classe, que chacune se fait de l’autre un portrait chimйrique, chacune teignant l’autre des couleurs de son imagination, l’une composant une idylle, l’autre se forgeant un mйlodrame, l’une imaginant les paysans comme des bergers sensibles, l’autre persuadйe que les nobles sont d’affreux tyrans. — Par cette mйconnaissance mutuelle et par cet isolement sйculaire, les Franзais ont perdu l’habitude, l’art et la facultй d’agir ensemble. Ils ne sont plus capables d’entente spontanйe et d’action collective. Au moment du danger, personne n’ose compter sur ses voisins ou sur ses pareils. Personne ne sait oщ tourner les yeux pour trouver un guide. «On n’aperзoit pas un homme qui puisse rйpondre pour le plus petit district; et, bien plus, on n’en voit pas un qui puisse rйpondre d’un autre homme [794].» La dйbandade est complиte et sans remиde. L’utopie des thйoriciens s’est accomplie, l’йtat sauvage a recommencй. Il n’y a plus que des individus juxtaposйs; chaque homme retombe dans sa faiblesse originelle, et ses biens, sa vie sont а la merci de la premiиre bande qui saura se former. Il ne reste en lui pour le conduire que l’habitude moutonniиre d’кtre conduit, d’attendre l’impulsion, de regarder du cфtй du centre ordinaire, vers Paris, d’oщ sont toujours venus les ordres. Arthur Young [795] est frappй de ce geste machinal. Partout l’ignorance et la docilitй politiques sont parfaites. C’est lui, un йtranger, qui apporte en Bourgogne les nouvelles d’Alsace: l’insurrection y a йtй terrible; la populace a saccagй l’hфtel de ville de Strasbourg, et personne n’en sait un mot а Dijon. «Cependant, йcrit-il, voilа neuf jours que la chose est arrivйe; mais, quand il y en aurait dix-neuf, je doute qu’on eыt йtй mieux renseignй.» Point de journaux dans les cafйs; nul centre d’information, de rйsolution, d’action locale. La province subit les йvйnements de la capitale; «les gens n’osent bouger, ils n’osent pas mкme se faire une opinion avant que Paris ait prononcй.» — C’est а cela qu’aboutit la centralisation monarchique. Elle a фtй aux groupes leur consistance et а l’individu son ressort. Reste une poussiиre humaine qui tourbillonne et qui, avec une force irrйsistible, roulera tout entiиre en une seule masse, sous l’effort aveugle du vent.



 

III

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Nous savons dйjа de quel cфtй il souffle, et il suffit, pour en кtre sыr, de voir comment les cahiers du Tiers ont йtй faits. C’est l’homme de loi, le petit procureur de campagne, l’avocat envieux et thйoricien qui a conduit le paysan. Celui-ci insiste pour que, dans le cahier, on couche par йcrit et tout au long ses griefs locaux et personnels, sa rйclamation contre les impфts et redevances, sa requкte pour dйlivrer ses chiens du billot, sa volontй d’avoir un fusil contre les loups [796]. L’autre, qui suggиre et dirige, enveloppe le tout dans les Droits de l’Homme et dans la circulaire de Siйyиs. «Depuis deux mois, йcrit un commandant du Midi [797], les juges infйrieurs, les avocats dont toutes les villes et campagnes fourmillent, en vue de se faire йlire aux Йtats Gйnйraux, se sont mis aprиs les gens du Tiers-йtat, sous prйtexte de les soutenir et d’йclairer leur ignorance.... Ils se sont efforcйs de leur persuader qu’aux Йtats Gйnйraux ils seraient les maоtres а eux seuls de rйgler toutes les affaires du royaume, que le Tiers, en choisissant ses dйputйs parmi les gens de robe, aurait le droit et la force de primer, d’abolir la noblesse, de dйtruire tous ses droits et privilиges, qu’elle ne serait plus hйrйditaire, que tous les citoyens, en la mйritant, auraient le droit d’y prйtendre; que, si le peuple les dйputait, ils feraient accorder au Tiers-йtat tout ce qu’il voudrait, parce que les curйs, gens du Tiers, йtant convenus de se dйtacher du haut clergй et de s’unir а eux, la noblesse et le clergй, unis ensemble, ne feraient qu’une voix contre deux du Tiers.... Si le Tiers avait choisi de sages bourgeois ou nйgociants, ils se seraient unis sans difficultй aux deux autres ordres. Mais les assemblйes de bailliages et de sйnйchaussйes ont йtй farcies de gens de robe qui absorbaient les opinions et voulaient primer sur tout le monde, et chacun, de son cфtй, intriguait et cabalait pour se faire dйputer.» — «En Touraine, йcrit l’intendant [798], l’avis de la plupart des votants a йtй commandй ou mendiй. Les affidйs mettaient, au moment du scrutin, des billets tout йcrits dans la main des votants, et leur avaient fait trouver, а leur arrivйe aux auberges, tous les йcrits et avis propres а exalter leurs tкtes et а dйterminer leur choix pour des gens du palais.» — «Dans la sйnйchaussйe de Lectoure, une quantitй de paroisses et de communautйs n’ont point йtй assignйes ni averties pour envoyer leurs cahiers et leurs dйputйs а l’assemblйe de la sйnйchaussйe. Pour celles qui ont йtй averties, les avocats, procureurs et notaires des petites villes voisines ont fait leurs dolйances de leur chef, sans assembler la communautй.... Sur un seul brouillon, ils faisaient pour toutes des copies pareilles qu’ils vendaient bien cher, aux conseils de chaque paroisse de campagne.» — Symptфme alarmant et qui marque d’avance la voie que va suivre la Rйvolution: l’homme du peuple est endoctrinй par l’avocat, l’homme а pique se laisse mener par l’homme а phrases.

Dиs la premiиre annйe, on peut voir l’effet de leur association. En Franche-Comtй [799], sur la consultation d’un nommй Rouget, les paysans du marquis de Chaila «se dйterminent а ne plus lui rien payer et а se partager le produit des coupes de bois, sans y appeler la maоtrise». Dans son papier «l’avocat avance que toutes les communautйs de la province sont dйcidйes а en faire autant.... Sa consultation est tellement rйpandue dans les campagnes, que beaucoup de communautйs sont convaincues qu’elles ne doivent plus rien au roi ni а leurs seigneurs. M. de Marnezia, dйputй а l’Assemblйe (nationale), est venu (ici) passer quelques jours chez lui pour sa santй; il y a йtй traitй de la maniиre la plus dure et la plus scandaleuse; l’on a mкme agitй si on ne le conduirait pas а Paris sous escorte. Aprиs son dйpart, son chвteau a йtй attaquй, les portes ont йtй brisйes et les murs de son jardin abattus. (Pourtant) aucun gentilhomme n’a autant fait pour les habitants de ses terres que M. le marquis de Marnezia.... Les excиs en tout genre augmentent; j’ai des plaintes perpйtuelles sur l’abus que les milices nationales font de leurs armes, et je ne puis y remйdier.» D’aprиs une phrase prononcйe а l’Assemblйe nationale, la marйchaussйe croit qu’elle va кtre dissoute et ne veut pas se faire d’ennemis. «Les bailliages sont aussi timides que la marйchaussйe; je leur renvoie sans cesse des affaires, et aucun coupable n’est puni....» – «Aucune nation ne jouit d’une libertй si indйfinie et si funeste aux honnкtes gens; il est absolument contraire aux droits de l’homme de se voir perpйtuellement dans le cas d’кtre йgorgй par des scйlйrats qui confondent toute la journйe la libertй et la licence.» – En d’autres termes, les passions, pour s’autoriser, ont recours а la thйorie, et la thйorie, pour s’appliquer, a recours aux passions. Par exemple, prиs de Liancourt, le duc de la Rochefoucauld avait un terrain inculte; «dиs le commencement de la Rйvolution [800], les pauvres de la ville dйclarent que, puisqu’ils font partie de la nation, les terrains incultes, propriйtй de la nation, leur appartiennent», et tout de suite, «sans autre formalitй», ils entrent en possession, se partagent le sol, plantent des haies et dйfrichent. «Ceci, dit Arthur Young, montre l’esprit gйnйral.... Poussйes un peu loin, les consйquences ne seraient pas petites pour la propriйtй dans ce royaume.» Dйjа, l’annйe prйcйdente, auprиs de Rouen, les maraudeurs, qui abattaient et vendaient les forкts, disaient que «le peuple a le droit de prendre tout ce qui est nйcessaire а ses besoins». – On leur a prкchй qu’ils sont souverains, et ils agissent en souverains. Йtant donnй leur йtat d’esprit, rien de plus naturel que leur conduite. Plusieurs millions de sauvages sont ainsi lancйs par quelques milliers de parleurs, et la politique de cafй a pour interprиte et ministre l’attroupement de la rue. D’une part la force brutale se met au service du dogme radical. D’autre part le dogme radical se met au service de la force brutale. Et voilа, dans la France dissoute, les deux seuls pouvoirs debout sur les dйbris du reste.

 

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CHAPITRE V

RЙSUMЙ

I

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Ils sont les successeurs et les exйcuteurs de l’ancien rйgime, et, quand on regarde la faзon dont celui-ci les a engendrйs, couvйs, nourris, intronisйs, provoquйs, on ne peut s’empкcher de considйrer son histoire comme un long suicide: de mкme un homme qui, montй au sommet d’une immense йchelle, couperait sous ses pieds l’йchelle qui le soutient. – En pareil cas, les bonnes intentions ne suffisent pas; il ne sert а rien d’кtre libйral et mкme gйnйreux, d’йbaucher des demi-rйformes. Au contraire, par leurs qualitйs comme par leurs dйfauts, par leurs vertus comme par leurs vices, les privilйgiйs ont travaillй а leur chute, et leurs mйrites ont contribuй а leur ruine aussi bien que leurs torts. – Fondateurs de la sociйtй, ayant jadis mйritй leurs avantages par leurs services, ils ont gardй leur rang sans continuer leur emploi; dans le gouvernement local comme dans le gouvernement central, leur place est une sinйcure, et leurs privilиges sont devenus des abus. А leur tкte, le roi, qui a fait la France en se dйvouant а elle comme а sa chose propre, finit par user d’elle comme de sa chose propre; l’argent public est son argent de poche, et des passions, des vanitйs, des faiblesses personnelles, des habitudes de luxe, des prйoccupations de famille, des intrigues de maоtresse, des caprices d’йpouse gouvernent un Йtat de vingt-six millions d’hommes avec un arbitraire, une incurie, une prodigalitй, une maladresse, un manque de suite qu’on excuserait а peine dans la conduite d’un domaine privй. – Roi et privilйgiйs, ils n’excellent qu’en un point, le savoir-vivre, le bon goыt, le bon ton, le talent de reprйsenter et de recevoir, le don de causer avec grвce, finesse et gaietй, l’art de transformer la vie en une fкte ingйnieuse et brillante, comme si le monde йtait un salon d’oisifs dйlicats oщ il suffit d’кtre spirituel et aimable, tandis qu’il est un cirque oщ il faut кtre fort pour combattre, et un laboratoire oщ il faut travailler pour кtre utile. – Par cette habitude, cette perfection et cet ascendant de la conversation polie, ils ont imprimй а l’esprit franзais la forme classique, qui, combinйe avec le nouvel acquis scientifique, produit la philosophie du dix-huitiиme siиcle, le discrйdit de la tradition, la prйtention de refondre toutes les institutions humaines d’aprиs la raison seule, l’application des mйthodes mathйmatiques а la politique et а la morale, le catйchisme des droits de l’homme, et tous les dogmes anarchiques et despotiques du Contrat social. – Une fois que la chimиre est nйe, ils la recueillent chez eux comme un passe-temps de salon; ils jouent avec le monstre tout petit, encore innocent, enrubannй comme un mouton d’йglogue; ils n’imaginent pas qu’il puisse jamais devenir une bкte enragйe et formidable; ils le nourrissent, ils le flattent, puis, de leur hфtel, ils le laissent descendre dans la rue. – Lа, chez une bourgeoisie que le gouvernement indispose en compromettant sa fortune, que les privilиges heurtent en comprimant ses ambitions, que l’inйgalitй blesse en froissant son amour-propre, la thйorie rйvolutionnaire prend des accroissements rapides, une вpretй soudaine, et, au bout de quelques annйes, se trouve la maоtresse incontestйe de l’opinion. – А ce moment et sur son appel, surgit un autre colosse, un monstre aux millions de tкtes, une brute effarouchйe et aveugle, tout un peuple pressurй, exaspйrй et subitement dйchaоnй contre le gouvernement dont les exactions le dйpouillent, contre les privilйgiйs dont les droits l’affament, sans que, dans ces campagnes dйsertйes par leurs patrons naturels, il se rencontre une autoritй survivante, sans que, dans ces provinces pliйes а la centralisation mйcanique, il reste un groupe indйpendant, sans que, dans cette sociйtй dйsagrйgйe par le despotisme, il puisse se former des centres d’initiative et de rйsistance, sans que, dans cette haute classe dйsarmйe par son humanitй mкme, il se trouve un politique exempt d’illusion et capable d’action, sans que tant de bonnes volontйs et de belles intelligences puissent se dйfendre contre les deux ennemis de toute libertй et de tout ordre, contre la contagion du rкve dйmocratique qui trouble les meilleures tкtes et contre les irruptions de la brutalitй populaciиre qui pervertit les meilleures lois. А l’instant oщ s’ouvrent les Йtats Gйnйraux, le cours des idйes et des йvйnements est non seulement dйterminй, mais encore visible. D’avance et а son insu, chaque gйnйration porte en elle-mкme son avenir et son histoire; а celle-ci, bien avant l’issue, on eыt pu annoncer ses destinйes, et, si les dйtails tombaient sous nos prйvisions aussi bien que l’ensemble, on pourrait croire а la fiction suivante que Laharpe converti inventa а la fin du Directoire, en arrangeant ses souvenirs.

 

 

II

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«Il me semble, dit-il, que c’йtait hier, et c’йtait cependant au commencement de 1788. Nous йtions а table chez un de nos confrиres а l’Acadйmie, grand seigneur et homme d’esprit. La compagnie йtait nombreuse et de tout йtat, gens de cour, gens de robe, gens de lettres, acadйmiciens; on avait fait grand’chиre comme de coutume. Au dessert, les vins de Malvoisie et de Constance ajoutaient а la gaietй de bonne compagnie cette sorte de libertй qui n’en gardait pas toujours le ton. On en йtait alors venu dans le monde au point oщ tout est permis pour faire rire. Chamfort nous avait lu ses contes impies et libertins, et les grandes dames avaient йcoutй sans avoir mкme recours а l’йventail. De lа un dйluge de plaisanteries sur la religion; l’un citait une tirade de la Pucelle; l’autre rapportait certains vers philosophiques de Diderot.... Et d’applaudir.... La conversation devient plus sйrieuse; on se rйpand en admiration sur la rйvolution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’йtait lа le premier titre de sa gloire. «Il a donnй le ton а son siиcle, et s’est fait lire dans l’antichambre comme dans le salon.» Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, qu’un coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant: «Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misйrable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre». – On conclut que la rйvolution ne tardera pas а se consommer, qu’il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place а la philosophie, et l’on en est а calculer la probabilitй de l’йpoque et quels seront ceux de la sociйtй qui verront le rиgne de la raison. – Les plus vieux se plaignaient de ne pouvoir s’en flatter; les jeunes se rйjouissaient d’en avoir une espйrance trиs vraisemblable, et l’on fйlicitait surtout l’Acadйmie d’avoir prйparй le grand њuvre et d’avoir йtй le chef-lieu, le centre, le mobile de la libertй de penser. «Un seul des convives n’avait point pris de part а toute la joie de cette conversation.... C’йtait Cazotte, homme aimable et original, mais malheureusement infatuй des rкveries des illuminйs. Il prend la parole et, du ton le plus sйrieux: «Messieurs, dit-il, soyez satisfaits; vous verrez tous cette grande rйvolution que vous dйsirez tant. Vous savez que je suis un peu prophиte, je vous le rйpиte, vous la verrez.... Savez-vous ce qui arrivera de cette rйvolution, ce qui en arrivera pour vous tous tant que vous кtes ici? – Ah! voyons, dit Condorcet avec son air et son rire sournois et niais, un philosophe n’est pas fвchй de rencontrer un prophиte. — Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez йtendu sur le pavй d’un cachot, vous mourrez du poison que vous aurez pris pour vous dйrober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-lа vous forcera а porter toujours sur vous». Grand йtonnement d’abord, puis l’on rit de plus belle. Qu’est-ce que tout cela peut avoir de commun avec la philosophie et le rиgne de la raison? «C’est prйcisйment ce que je vous dis: c’est au nom de la philosophie, de l’humanitй, de la libertй, c’est sous le rиgne de la raison qu’il vous arrivera de finir ainsi; et ce sera bien le rиgne de la raison, car elle aura des temples, et mкme il n’y aura plus dans toute la France, en ce temps-lа, que des temples de la raison.... Vous, monsieur de Chamfort, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir, et pourtant vous n’en mourrez que quelques mois aprиs. Vous, monsieur Vicq-d’Azyr, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-mкme, mais vous les ferez ouvrir six fois dans un jour, au milieu d’un accиs de goutte, pour кtre plus sыr de votre fait, et vous mourrez dans la nuit. Vous, monsieur de Nicolaп, sur l’йchafaud; vous, monsieur Bailly, sur l’йchafaud; vous, monsieur de Malesherbes, sur l’йchafaud;... vous, monsieur Roucher, aussi sur l’йchafaud. – Mais nous serons donc subjuguйs par les Turcs et les Tartares? – Point du tout; je vous l’ai dit, vous serez alors gouvernйs par la seule philosophie et par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront а tout moment а la bouche les phrases que vous dйbitez depuis une heure, rйpйteront toutes vos maximes, citeront comme vous les vers de Diderot et de la Pucelle. – Et quand tout cela n’arrivera-t-il? – Six ans ne se passeront pas que tout ce que je vous dis ne soit accompli. – Voilа bien des miracles, dit Laharpe, et vous ne m’y mettez pour rien. – Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire; vous serez alors chrйtien. – Ah! reprit Chamfort, je suis rassurй; si nous ne devons mourir que quand Laharpe sera chrйtien, nous sommes immortels. – Pour зa, dit alors la duchesse de Gramont, nous sommes bien heureuses, nous autres femmes, de n’кtre pour rien dans les rйvolutions. Il est reзu qu’on ne s’en prend pas а nous et notre sexe.... – Votre sexe, mesdames, ne vous en dйfendra pas cette fois.... Vous serez traitйes tout comme les hommes, sans aucune diffйrence quelconque.... Vous, madame la duchesse, vous serez conduite а l’йchafaud, vous et beaucoup d’autres dames avec vous, dans la charrette et les mains liйes derriиre le dos. – Ah! j’espиre que dans ce cas-lа j’aurai du moins un carrosse drapй de drap noir. – Non, madame, de plus grandes dames que vous iront comme vous en charrette et les mains liйes comme vous. – De plus grandes dames! Quoi! les princesses du sang? – De plus grandes dames encore.... – On commenзait а trouver que la plaisanterie йtait forte. Madame de Gramont, pour dissiper le nuage, n’insista pas sur cette derniиre rйponse et se contenta de dire de son ton le plus lйger: Vous verrez qu’il ne me laissera seulement pas un confesseur. – Non, madame, vous n’en aurez pas, ni vous, ni personne; le dernier suppliciй qui en aura un par grвce, sera....» Il s’arrкta un moment: «Eh bien, quel est donc l’heureux mortel qui aura cette prйrogative? – C’est la seule qui lui restera, et ce sera le roi de France.»

 

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NOTES SUR L’ANCIEN RЙGIME

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NOTE 1

(livre premier, chapitre II, I)

Sur le nombre des ecclйsiastiques et des nobles.

 

p.299 On a obtenu ces chiffres approximatifs par les procйdйs suivants:

1 ° Pour ce qui est de la noblesse, le chiffre йtait inconnu en 1789. Dans son Abrйgй chronologique des Йdits, etc. (1789), le gйnйalogiste Chйrin dйclare qu’il l’ignore. Moheau, а qui Lavoisier s’en rйfиre dans son rapport de 1791, n’en sait pas davantage (Recherches sur la population de la France, 1778, 105); Lavoisier dit 83 000 individus, et le marquis de Bouillй (Mйmoires, 50) 80 000 familles, tous deux sans aucune preuve. – J’ai relevй, dans le Catalogue nominatif des gentilshommes en 1789, par Laroque et Barthйlemy, le nombre des nobles qui ont votй, directement ou par procuration, aux йlections de 1789, en Provence, Languedoc, Lyonnais, Forez, Beaujolais, Touraine, Normandie, Ile-de-France; ce nombre est de 9 167. – D’aprиs le recensement de 1790 donnй par Arthur Young dans ses Voyages en France, le nombre des habitants de ces provinces est de 7 757 000, ce qui, par proportion, donne un peu plus de 30 000 nobles votants parmi les 26 millions d’habitants de la France. – En йtudiant la loi, et en dйpouillant les listes, on voit que chacun de ces nobles reprйsente un peu moins d’une famille, puisque le fils d’un propriйtaire de fief vote s’il a vingt-cinq ans; je ne crois donc pas qu’on se trompe beaucoup en йvaluant а 26 000 ou 28 000 le nombre des familles nobles, ce qui, а raison de 5 personnes par famille, donne 130 000 ou 140 000 nobles. – La France en 1789 ayant 27 000 lieues carrйes et 26 millions d’habitants, on peut compter une famille noble par lieue carrйe et par 1 000 habitants.

2° Pour ce qui est du clergй, j’ai relevй, aux Archives nationales, dans les papiers du comitй ecclйsiastique, l’йtat nominatif des religieux de 28 ordres: Grands-Augustins 694, Petits-Pиres 250, Barnabites 90, Bйnйdictins anglais 52, Bйnйdictins de Cluny 298, de Saint-Vanne 612, de Saint-Maur 1 672, Cоteaux 1 806, Rйcollets 2 238, Prйmontrйs 399, Prйmon­trйs-Rйformйs 394, Capucins 3 720, Carmes dйchausses 555, Grands-Carmes 853, Hospitaliers de Saint-Jean de Dieu 218, Chartreux 1 144, Cordeliers 2 018, Dominicains 1 172, Feuillants 148, Genovйfains 570, Mathurins 310, Minimes 684, Notre-Dame de la Merci 31, Notre-Sauveur 203, Tiers-ordre p.300 de Saint-Franзois 365, Saint-Jean des Vignes de Soissons 31, Thйatins 25, abbaye de Saint-Victor 21, Maisons soumises а l’ordinaire 305. Total 20 745 religieux en 2 489 couvents. Il faut y ajouter les Pиres de l’Oratoire, de la Mission, de la Doctrine chrйtienne et quelques autres; le total de tous les moines doit osciller autour de 23 000. – Quant aux religieuses, j’ai relevй aux Archives nationales leur catalogue dans 12 diocиses comprenant, d’aprиs la France ecclйsiastique de 1788, 5 576 paroisses: Diocиses de Perpignan, Tulle, Marseille, Rodez, Saint-Flour, Toulouse, Le Mans, Limoges, Lisieux, Rouen, Reims, Noyon. En tout 5 394 religieuses dans 198 maisons. La proportion donne environ 37 000 religieuses en 1 500 maisons pour les 38 000 paroisses de la France. – Ainsi le total du clergй rйgulier est de 60 000 personnes. – Pour le clergй sйculier, on peut l’йvaluer а 70 000: curйs et vicaires, 60 000 (l’abbй Guettйe, Histoire de!Йglise de France, XII, 142); prйlats, vicaires gйnйraux, chanoines des chapitres, 2 800; chanoines des collйgiales, 5 600; ecclйsiastiques sans bйnйfice, 3 000 (Siйyиs). – Moheau, trиs bon esprit et statisticien prudent, йcrit en 1778 (Recherches, 100): «Peut-кtre n’existe-t-il pas aujourd’hui dans le royaume 130 000 ecclйsiastiques». – Le dйnombrement de 1866 (Statistique de la France, population)donne maintenant 51 100 membres du clergй sйculier, 18 500 religieux, 86 300 religieuses; total, 155 900 pour une population de 38 millions d’habitants.

 

NOTE 2

(livre premier, chapitre II, IV)

Sur les droits fйodaux et sur l’йtat d’un domaine fйodal en 1783.

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Les renseignements qui suivent sont extraits d’un acte de partage et d’estimation dressй le 6 septembre 1783, et dont je dois la communication а l’obligeance de M. de Boislisle.

Il s’agit des terres de Blet et des Brosses. – La terre et baronnie de Blet est situйe dans le Bourbonnais, а deux lieues de Dun-le-Roi. – Blet, dit un mйmoire de l’administration des aides, est une «bonne paroisse sans кtre d’objet; bonnes terres, la plus grande partie en bois, foins et pacages, le surplus en terres labourables de froment, seigle et avoine... Chemins affreux et а pйrir en hiver. Le commerce en faveur est celui des bкtes а cornes, il s’йtend aussi sur les grains; les bois pourrissent sur pied, par leur йloignement des villes et leur difficile exploitation [801]».

«Cette terre, dit l’acte estimatif, est dans la mouvance du roi, а cause de son chвteau et forteresse d’Ainay, sous la dйnomination de ville de Blet.» La ville йtait fortifiйe autrefois, et son chвteau fort subsiste encore. Elle fut jadis trиs peuplйe, «mais les guerres civiles du seiziиme siиcle et surtout l’йmigration des protestants l’ont rendue dйserte, au point que, de 3 000 habitants qu’elle renfermait, il s’en trouve actuellement а peine 300 [802]; c’est le sort de toutes les villes du pays». La terre de Blet, possйdйe pendant plusieurs siиcles par la maison de Sully, passa par mariage de l’hйritiиre, en 1363, а la maison de Saint-Quentin, oщ elle fut transmise en ligne directe jusqu’en 1748, date de la mort d’Alexandre II de Saint-Quentin, comte de Blet, gouverneur de Berg-op-Zoom, pиre de trois filles d’oщ sont nйs les hйritiers actuels. – Ces hйritiers sont le comte de Simiane, le chevalier de Simiane, et les mineurs de Bercy, chacun pour un tiers, qui est de 97 667 livres sur la terre de Blet, et de 20 408 livres sur la terre des Brosses. L’aоnй, comte de Simiane, reзoit en outre un prйciput (selon la coutume du Bourbonnais) йvaluй а 15 000 livres, comprenant le chвteau avec la ferme attenante et les droits seigneuriaux, tant honorifiques qu’utiles.

 

Le domaine entier, comprenant les deux terres, est йvaluй 369 227 livres. La terre de Blet comprend 1 437 arpents, exploitйs par 7 fermiers, auxquels le propriйtaire fournit des bestiaux estimйs 13 781 livres. Ils payent ensemble au propriйtaire 12 060 livres de fermage (outre quelques redevances en poulets et corvйes). Un seul a une grosse ferme et paye 7 800 livres par an, les autres payent 1 300, 740, 640, 240 livres par an. – La terre des Brosses comprend 515 arpents exploitйs par 2 fermiers, auxquels le propriйtaire fournit des bestiaux estimйs 3 750 livres; ils payent ensemble au propriйtaire 2 240 livres [803]. – Toutes ces mйtairies sont pauvres; une seule comprend deux chambres avec cheminйes; deux ou trois, une chambre avec une cheminйe; toutes les autres consistent en une cuisine, avec four extйrieur, йtables et granges. Des rйparations sont urgentes pour tous les corps de ferme, sauf trois, «l’entretien en ayant йtй nйgligй depuis trente ans». Il faudrait «йcurer le biй du moulin et la riviиre dont les dйbordements gвtent la grande prairie, rйparer les chaussйes des deux йtangs, rйparer l’йglise qui est а la charge du seigneur, et dont les couvertures notamment sont dans un йtat affreux, les eaux pйnйtrant а travers la voыte», rйparer les chemins qui sont aussi а la charge du seigneur, et qui pendant l’hiver sont dans un йtat dйplorable. «Il paraоt qu’on ne s’est jamais occupй du rйtablissement et rйparation de ces chemins.» Le sol de la terre de Blet est excellent, mais il faudrait des saignйes et fossйs pour l’йcoulement des eaux, sans quoi les bas-fonds continueront а ne produire que des mauvaises herbes. La nйgligence et l’abandon ont laissй leurs marques partout. Le chвteau de Blet n’a pas йtй habitй depuis 1748; aussi presque tous les meubles sont pourris et hors d’usage; ils valaient 7 612 livres en 1748; ils ne sont plus estimйs qu’а 1 000 livres. «Le moulin а eau occasionne presque autant de dйpense qu’il produit de revenu.» – «On ne connaоt point l’usage de la chaux pour l’engrais des terres labourables», et pourtant «dans le pays la chaux est а vil prix». La terre, humide et trиs bonne, produirait а volontй des haies vives; pourtant on clфt les champs avec des haies sиches contre les bestiaux «et cette charge, suivant le rapport des fermiers, est йvaluйe au tiers du produit des fonds». – Ce domaine, tel qu’on vient de le dйcrire, est йvaluй comme il suit:


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