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Un document produit en version numйrique par Pierre Palpant, bйnйvole, 25 страница



 

I

 

Considйrons de prиs les extorsions dont il souffre; elles sont йnormes et au delа de tout ce que nous pouvons imaginer. Depuis longtemps, les йconomistes ont dressй le budget d’une terre et prouvй par des chiffres l’excиs des charges dont le cultivateur est accablй. – Si l’on veut qu’il continue а cultiver, il faut lui faire sa part dans la rйcolte, part inviolable, qui est d’environ la moitiй du produit brut, et de laquelle on ne peut rien distraire sans le ruiner. En effet elle reprйsente juste, et sans un sou de trop: en premier lieu, l’intйrкt du capital primitif qu’il a mis dans son exploitation, bestiaux, meubles, outils, instruments aratoires; en second lieu, l’entretien annuel de ce mкme capital, qui dйpйrit par la durйe et par l’usage; en troisiиme lieu, les avances qu’il a faites dans l’annйe courante, semences, salaires des ouvriers, nourriture des animaux et des hommes; en dernier lieu, la compensation qui lui est due pour ses risques et ses pertes. Voilа une crйance privilйgiйe qu’il faut solder au prйalable, avant toutes les autres, avant celle du seigneur, avant celle du dйcimateur, avant celle du roi lui-mкme; car elle est la crйance de la terre [656]. C’est seulement aprиs l’avoir remboursйe qu’on peut toucher au reste, qui est le bйnйfice vйritable, le produit net. Or, dans l’йtat oщ est l’agriculture, le dйcimateur et le roi prennent la moitiй de ce produit net si la terre est grande, et ils le prennent tout entier si la terre est petite [657]. Telle grosse ferme de Picardie, qui vaut 3 600 livres au propriйtaire, paye 1 800 livres au roi et 1 311 livres au dйcimateur; telle autre, dans le Soissonnais, louйe 4 500 livres, paye 2 200 livres d’impфt et plus de 1 000 йcus de dоme. Une mйtairie moyenne prиs de Nevers donne 138 livres au Trйsor, 121 а l’Йglise, et 114 au propriйtaire. Dans une autre, en Poitou, le fisc prend 348 livres, et le propriйtaire n’en reзoit que 238. En gйnйral, dans les pays de grandes fermes, le propriйtaire touche 10 livres par arpent si la culture est trиs bonne, 3 livres si elle est ordinaire. Dans les pays de petites fermes et de mйtayage, il touche par arpent 15 sous, 8 sous et mкme 6 sous. – C’est que tout le profit net va au Clergй et au Trйsor.

Et cependant ses colons ne lui coыtent guиre. Dans cette mйtairie du Poitou qui rapporte 8 sous par arpent, les 36 colons consomment chacun par an pour 26 francs de seigle, pour 2 francs de lйgumes, huile et laitage, pour 2 francs 10 sous de porc; en tout, par annйe et par personne, 16 livres de viande et 36 francs de dйpense totale. En effet, ils ne boivent que de l’eau, ils s’йclairent et font la soupe avec de l’huile de navette, ils ne goыtent jamais de beurre, ils s’habillent de la laine de leurs ouailles et du chanvre qu’ils cultivent; ils n’achиtent rien, sauf la main-d’њuvre des toiles et serges dont ils fournissent la matiиre. – Dans une autre mйtairie sur les confins de la Marche et du Berry, les 46 colons coыtent moins encore, car chacun d’eux ne consomme que pour 25 francs par an. Jugez de la part exorbitante que s’adjugent l’Йglise et l’Йtat, puisque, avec des frais de culture si minimes, le propriйtaire trouve dans sa poche, а la fin de l’annйe, 6 ou 8 sous par arpent, sur quoi, lorsqu’il est roturier, il doit encore payer les redevances а son seigneur, mettre pour la milice а la bourse commune, acheter son sel de devoir, faire sa corvйe, et le reste. Vers la fin du rиgne de Louis XV, en Limousin, dit Turgot, le roi, а lui seul, tire «а peu prиs autant de la p.261 terre que le propriйtaire [658]». Il y a telle йlection, celle de Tulle, oщ il prйlиve 56 1/2 pour 100 du produit; il n’en reste а l’autre que 43 1/2; par suite «une multitude de domaines y sont abandonnйs». – Et ne croyez pas qu’avec le temps la charge devienne moins pesante, ou que dans les autres provinces le cultivateur soit mieux traitй. Аcet йgard les documents sont authentiques et presque de la derniиre heure. Il suffit de relever les procиs-verbaux des assemblйes provinciales tenues en 1787 pour apprendre en chiffres officiels jusqu’а quel point le fisc peut abuser des hommes qui travaillent, et leur фter de la bouche le pain qu’ils ont gagnй а la sueur de leur front.



 

II

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Il ne s’agit ici que de l’impфt direct, tailles, accessoires, capitation taillable, vingtiиmes, taxe pйcuniaire substituйe а la corvйe [659]. En Champagne, sur 100 livres de revenu, le contribuable paye 54 livres 15 sous а l’ordinaire et 71 livres 13 sous dans plusieurs paroisses [660]. Dans l’Ile-de-France, «soit un habitant taillable de village, propriйtaire de vingt arpents de terre qu’il exploite lui-mкme et qui sont йvaluйs а 10 livres de revenu par arpent; on le suppose aussi propriйtaire de la maison qu’il habite et dont le prix de location est йvaluй а 40 livres [661]». Ce taillable paye pour sa taille rйelle, personnelle et industrielle 36 livres 14 sous, pour les accessoires de la taille 17 livres 17 sous, pour sa capitation 21 livres 8 sous, pour ses vingtiиmes 24 livres 4 sous: en tout 99 livres 3 sous; а quoi il faut ajouter environ 5 livres pour le remplacement de la corvйe: en tout 104 livres pour un bien qu’il louerait 240 livres, plus des cinq douziиmes de son revenu. – C’est bien pis si l’on fait le compte pour les gйnйralitйs pauvres. Dans la Haute-Guyenne [662], «tous les fond de terre sont taxйs, pour la taille, les accessoires et les vingtiиmes, а plus du quart du revenu, dйduction faite seulement des frais de culture, et les maisons au tiers du revenu, dйduction faite seulement des frais de rйparation et d’entretien; а quoi il faut ajouter la capitation, qui prend environ un dixiиme du revenu, la dоme qui en prend un septiиme, les rentes seigneuriales, qui en prennent un autre septiиme, l’impфt en remplacement de la corvйe, les frais de recouvrement forcй, saisies, sйquestres et contraintes, les charges locales ordinaires et extraordinaires. Cela dйfalquй, on reconnaоt que, dans les communautйs moyennement imposйes, il ne reste pas au propriйtaire la jouissance du tiers du revenu, et que, dans les communautйs lйsйes par la rйpartition, les propriйtaires sont rйduits а la condition de simples fermiers qui recueillent а peine de quoi rйcupйrer les frais de culture». En p.262 Auvergne [663], la taille monte а 4 sous pour livre du produit net; les accessoires et la capitation emportent 4 autres sous et 3 deniers; les vingtiиmes, 2 sous et 3 deniers; la contribution pour les chemins royaux, le don gratuit, les charges locales et les frais de perception prennent encore 1 sou 1 denier: total, 11 sous et 7 deniers par livre de revenu, sans compter les droits seigneuriaux et la dоme. «Bien plus, le bureau a reconnu avec douleur que plusieurs collectes payent а raison de 17 sous, de 16 sous, et les plus modйrйes а raison de 14 sous (par livre). Les preuves en sont sur le bureau; elles sont consignйes dans les registres de la Cour des Aides et des siиges des йlections. Elles le sont encore plus dans les rфles des paroisses, oщ l’on trouve une infinitй de cotes faites sur des biens abandonnйs que les collecteurs afferment et dont le produit souvent ne suffit pas pour le payement de l’impфt.» – De pareils chiffres sont d’une йloquence terrible, et je crois pouvoir les rйsumer en un seul. Si l’on met ensemble la Normandie, l’Orlйanais, le Soissonnais, la Champagne, l’Ile-de-France, le Berry, le Poitou, l’Auvergne, le Lyonnais, la Gascogne et la Haute-Guyenne, bref les principaux pays d’йlections, on trouvera que, sur 100 francs de revenu net, l’impфt direct prenait au taillable [664] 53 francs, plus de la moitiй. C’est а peu prиs cinq fois autant qu’aujourd’hui.

 

III

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Mais le fisc, en s’abattant sur la propriйtй taillable, n’a pas lвchй le taillable qui est sans propriйtй. Аdйfaut de la terre, il saisit l’homme. Аdйfaut du revenu, on taxe le salaire. Sauf les vingtiиmes, tous les impфts prйcйdents atteignent non seulement celui qui possиde, mais encore celui qui ne possиde pas. En Toulousain [665], а Saint-Pierre de Bajourville, le moindre journalier, n’ayant que ses bras pour vivre et gagnant dix sous par jour, paye huit, neuf, dix livres de capitation. «En Bourgogne [666], il est ordinaire de voir un malheureux manњuvre, sans aucune possession, imposй а dix-huit ou vingt livres de capitation et de taille.» En Limousin [667], tout l’argent que les maзons rapportent en hiver sert а «payer les impositions de leur famille». Quant aux journaliers de campagne et aux colons, le propriйtaire, mкme privilйgiй, qui les emploie, est obligй de prendre а son compte une partie de leur cote; sinon, n’ayant pas de quoi manger, ils ne travailleraient plus [668]; mкme dans l’intйrкt du maоtre, il faut а l’homme sa ration de pain, comme au bњuf sa ration de foin. «En Bretagne [669], c’est une vйritй notoire que les neuf dixiиmes des artisans, quoique mal nourris, mal vкtus, n’ont pas а la fin de l’annйe un йcu libre de dettes;» la capitation et le reste p.263 leur enlиvent cet unique et dernier йcu. А Paris [670], «le cendrier, le marchand de bouteilles cassйes, le gratte-ruisseau, le crieur de vieilles ferrailles et de vieux chapeaux», dиs qu’ils ont un gоte, payent la capitation, trois livres dix sous par tкte. Pour qu’ils n’oublient pas de la payer, le locataire qui leur sous-loue est responsable. De plus, en cas de retard, on leur envoie un «homme bleu», un garnisaire, dont ils payent la journйe et qui prend domicile dans leur logis. Mercier cite un ouvrier, nommй Quatre-main, ayant quatre petits enfants, logй au sixiиme, oщ il avait arrangй une cheminйe en maniиre d’alcфve pour se coucher lui et sa famille. «Un jour, j’ouvris sa porte, qui n’avait qu’un loquet; la chambre n’offrait que la muraille et un йtau; cet homme, en sortant de dessous sa cheminйe, а moitiй malade, me dit: «Je croyais que c’йtait garnison pour la capitation».» — Ainsi, quelle que soit la condition du taillable, si dйgarni et si dйnuй qu’il puisse кtre, la main crochue du fisc est sur son dos. Il n’y a point а s’y mйprendre: elle ne se dйguise pas, elle vient au jour dit s’appliquer directement et rudement sur les йpaules. La mansarde et la chaumine, aussi bien que la mйtairie, la ferme et la maison, connaissent le collecteur, l’huissier, le garnisaire; nul taudis n’йchappe а la dйtestable engeance. C’est pour eux qu’on sиme, qu’on rйcolte, qu’on travaille, qu’on se prive; et, si les liards йpargnйs pйniblement chaque semaine finissent au bout de l’an par faire une piиce blanche, c’est dans leur sac qu’elle va tomber.

 

IV

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Il faut voir le systиme а l’њuvre. C’est une machine а tondre, grossiиre et mal agencйe, qui fait autant de mal par son jeu que par son objet. Et ce qu’il y a de pis, c’est que, dans son engrenage grinзant, les taillables, employйs comme instrument final, doivent eux-mкmes se tondre et s’йcorcher. Dans chaque paroisse, il y en a deux, trois, cinq, sept, qui, sous le nom de collecteurs et sous l’autoritй de l’йlu, sont tenus de rйpartir et de percevoir l’impфt. «Nulle charge plus onйreuse [671]»; chacun, par protection ou privilиge, tвche de s’y soustraire. Les communautйs plaident sans cesse contre les rйfractaires, et, pour que nul ne puisse prйtexter son ignorance, elles dressent d’avance, pour dix et quinze ans, le tableau des futurs collecteurs. Dans les paroisses de second ordre, ce sont tous «de petits propriйtaires, et chacun d’eux passe а la collecte а peu prиs tous les six ans». Dans beaucoup de villages, ce sont des artisans, des journaliers, des mйtayers, qui pourtant auraient besoin de tout leur temps pour gagner leur vie. En Auvergne, oщ les hommes valides s’expatrient l’hiver pour chercher du travail, on prend les femmes [672]: dans l’йlection de Saint-Flour, il y a tel village oщ les quatre collecteurs sont en jupon. — Pour tous les recouvrements qui leur sont commis, ils sont responsables sur leurs biens, sur leurs meubles, sur leurs personnes, et, jusqu’а Turgot, chacun est solidaire des autres; jugez de leur peine et de leurs risques; en 1785 [673], dans une seule йlection de Champagne, quatre-vingt-quinze sont mis en prison, et chaque annйe il y en a deux cent mille en chemin. «Le collecteur, dit l’assemblйe provinciale du Berry [674], passe ordinairement pendant deux ans la moitiй de sa journйe а courir de porte en porte chez les contribuables en retard.» Cet emploi, йcrit Turgot [675], cause le dйsespoir et presque toujours la ruine de ceux qu’on en charge; on rйduit ainsi successivement а la misиre toutes les familles aisйes d’un village.» En effet, il n’y a point de collecteur qui ne marche par force et ne reзoive chaque annйe [676] «huit ou dix commandements». Parfois on le met en prison aux frais de la paroisse. Parfois on procиde contre lui et contre les contribuables «par йtablissement de garnisons, saisies, saisies-arrкts, saisies-exйcutions, et ventes de meu­bles». – «Dans la seule йlection de Villefranche, dit l’assemblйe provinciale de la Haute-Guyenne, on compte cent six porteurs de contraintes et autres recors toujours en chemin.»

La chose est passйe en usage, et la paroisse a beau pвtir, elle pвtirait davantage si elle faisait autrement. «Prиs d’Aurillac, dit le marquis de Mirabeau [677], il y a de l’industrie, du labeur, de l’йconomie, et, sans cela, rien que misиre et pauvretй. Cela fait un peuple mi-parti d’insolvables et de riches honteux qui font les pauvres, crainte de surcharge. La taille une fois assise, tout le monde gйmit, se plaint, et personne ne paye. Le terme expirй, а l’heure et а la minute, la contrainte marche, et les collecteurs, quoique aisйs, se gardent bien de la renvoyer en la payant, quoique, au fond, cette garnison soit fort chиre. Mais ces sortes de frais sont d’habitude, et ils y comptent, au lieu qu’ils craignent, s’ils devenaient plus exacts, d’кtre plus chargйs l’annйe d’ensuite.» En effet, le receveur, qui paye ses garnisaires un franc par jour, les fait payer deux francs et gagne la diffйrence. C’est pourquoi, «si certaines paroisses s’avisent d’кtre exactes et de payer sans attendre la contrainte, le receveur, qui se voit фter le plus clair de son bien, se met de mauvaise humeur, et, au dйpartement prochain, entre lui, MM. les йlus, le subdйlйguй et autres barbiers de la sorte, on s’arrange de faзon que cette exacte paroisse porte double faix, pour lui apprendre а vivre». – Un peuple de sangsues administratives vit ainsi sur le paysan. «Derniиrement, dit un intendant [678], dans l’йlection de Romorantin, il n’y eut rien а recevoir par les collecteurs dans une vente de meubles qui se montait а six cents livres, parce qu’elle fut absorbйe en frais. Dans l’йlection de Chвteaudun, il en fut de mкme d’une autre vente qui se montait а neuf cents livres, et on n’est pas informй de toutes les affaires de cette nature, quelques criantes qu’elles soient.» – Au reste, le fisc lui-mкme est impitoyable. Le mкme intendant йcrit, en 1784, annйe de famine [679]: «On a vu avec effroi, dans les campagnes, le collecteur disputer а des chefs de famille le prix de la vente des meubles qu’ils destinaient а arrкter le cri du besoin de leurs enfants.» – C’est que, si les collecteurs ne saisissent pas, ils seraient saisis eux-mкmes. Pressйs par le receveur, on les voit dans les documents solliciter, poursuivre, persйcuter les contribuables. Chaque dimanche et chaque jour de fкte, ils se tiennent а la sortie de l’йglise, avertissant les retardataires; puis, dans la semaine, ils vont de chaumiиre en chaumiиre pour obtenir leur dы. «Communйment, ils ne savent point йcrire et mиnent avec eux un scribe.» Sur les six cent six qui courent dans l’йlection de Saint-Flour, il n’y en a pas dix qui puissent lire le papier officiel et signer un acquit; de lа des erreurs et des friponneries sans nombre. Outre le scribe, ils ont avec eux les garnisaires, gens de la plus basse classe, mauvais ouvriers sans ouvrage, qui se sentent haпs et qui agissent en consйquence. «Quelques dйfenses qu’on leur fasse de rien prendre, de se faire nourrir par les habitants ou d’aller dans les cabarets avec les collecteurs,» le pli est pris, «l’abus continuera toujours [680]». Mais, si pesants que soient les garnisaires, on se garde bien de les йviter. Аcet йgard, йcrit un intendant, «l’endurcissement est йtrange». – «Aucun particulier, mande un receveur [681], ne paye le collecteur qu’il ne voie la garnison йtablie chez lui.» Le paysan ressemble а son вne, qui, pour marcher, a besoin d’кtre battu, et, en cela, s’il paraоt stupide, il est politique. Car le collecteur, йtant responsable, «penche naturellement а grossir les cotes des payeurs exacts au profit de celles des payeurs nйgligents. C’est pourquoi le payeur exact devient nйgligent а son tour, et laisse instrumenter mкme lorsqu’il a son argent dans son coffre [682]». Tout compte fait, il a calculй que la procйdure, mкme coыteuse, lui coыtera moins qu’une surtaxe, et, de deux maux, il choisit le moindre. Contre le collecteur et le receveur il n’a qu’une ressource, sa pauvretй simulйe ou rйelle, involontaire ou volontaire. «Tout taillable, dit encore l’assemblйe provinciale du Berry, redoute de montrer ses facultйs; il s’en refuse l’usage dans ses meubles, dans ses vкtements, dans sa nourriture et dans tout ce qui est soumis а la vue d’autrui.» – M. de Choiseul-Gouffier [683] voulant faire а ses frais couvrir de tuiles les maisons de ses paysans exposйes а des incendies, ils le remerciиrent de sa bontй et le priиrent de laisser leurs maisons comme elles йtaient, disant que, si elles йtaient couvertes de tuiles au lieu de chaume, les subdйlйguйs augmenteraient leurs tailles.» – «On travaille, mais c’est pour satisfaire les premiers besoins... La crainte de payer un йcu de plus fait nйgliger au commun des hommes un profit qui serait quadruple [684]» – «... De lа, de pauvres bestiaux, de misйrables outils et des fumiers mal tenus, mкme chez ceux qui en pourraient avoir d’autres [685].» – «Si je gagnais davantage, disait un paysan, ce serait pour le collecteur.» La spoliation annuelle et illimitйe «leur фte jusqu’au dйsir de l’aisance». La plupart, pusillanimes, dйfiants, engourdis, avilis», «peu diffйrents des anciens serfs [686]», ressemblent aux fellahs d’Йgypte, aux laboureurs de l’Indoustan. En effet, p.266 par l’arbitraire et l’йnormitй de sa crйance, le fisc rend toute possession prйcaire, toute acquisition vaine, toute йpargne dйrisoire; de fait, ils n’ont а eux que ce qu’ils peuvent lui dйrober.

 

V

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En tout pays, le fisc a deux mains, l’une apparente, qui directement fouille dans le coffre des contribuables, l’autre qui se dissimule et emploie la main d’un intermйdiaire, pour ne pas se donner l’odieux d’une nouvelle extorsion. Ici, nulle prйcaution de ce genre; la seconde griffe est aussi visible que la premiиre; d’aprиs sa structure et d’aprиs les plaintes, je serais presque tentй de croire qu’elle est plus blessante. – D’abord, la gabelle, les aides et les traites sont affermйes, vendues chaque annйe а des adjudicataires qui, par mйtier, songent а tirer le plus d’argent possible de leur marchй. Vis-а-vis du contribuable, ils ne sont pas des administrateurs, mais des exploitants; ils l’ont achetй. Il est а eux dans les termes de leur contrat; ils vont lui faire suer non seulement leurs avances et les intйrкts de leurs avances, mais encore tout ce qu’ils pourront de bйnйfices. Cela suffit pour indiquer de quelle faзon les perceptions indirectes sont conduites. – En second lieu, par la gabelle et les aides, l’inquisition entre dans chaque mйnage. Dans les pays de grande gabelle, Ile-de-France, Maine, Anjou, Touraine, Orlйanais, Berry, Bourbonnais, Bourgogne, Champagne, Perche, Normandie, Picardie, le sel coыte treize sous la livre, quatre fois autant et, si l’on tient compte de la valeur de l’argent, huit fois autant qu’aujourd’hui [687]. Bien mieux, en vertu de l’ordonnance de 1680, chaque personne au-dessus de sept ans est tenue d’en acheter sept livres par an; а quatre personnes par famille, cela fait chaque annйe plus de dix-huit francs, dix-neuf journйes de travail: nouvel impфt direct, qui, comme la taille, met la main du fisc dans la poche des contribuables et les oblige, comme la taille, а se tourmenter mutuellement. En effet, plusieurs d’entre eux sont nommйs d’office pour rйpartir ce sel de devoir, et, comme les collecteurs de la taille, ils sont «solidairement responsables du prix du sel». Au-dessous d’eux et toujours а l’exemple de la taille, d’autres sont responsables. «Aprиs que les premiers ont йtй discutйs dans leurs personnes et dans leurs biens, le fermier est autorisй а exercer son action en solidaritй contre les principaux habitants de la paroisse.» On a dйcrit tout а l’heure les effets de ce mйcanisme. Aussi bien, «en Normandie, dit le Parlement de Rouen [688], chaque jour on voit saisir, vendre, exйcuter, pour n’avoir pas achetй de sel, des malheureux qui n’ont pas de pain».

Mais, si la rigueur est aussi grande qu’en matiиre de taille, les vexations sont dix fois pires; car elles sont domestiques, minutieuses et de tous les jours. – Dйfense de dйtourner une once des sept livres obligatoires pour un autre emploi que pour «pot et saliиre». Si un villageois a йconomisй sur le sel de sa soupe pour saler un porc et manger un peu de viande en hiver, gare aux commis! Le porc est confisquй et l’amende est de 300 livres. Il faut que l’homme vienne au grenier acheter de l’autre sel, fasse dйclaration, rapporte un bulletin et reprйsente ce bulletin а toute visite. Tant pis pour lui s’il n’a pas de quoi payer ce sel supplйmentaire; il n’a qu’а vendre sa bкte et s’abstenir de viande а Noлl; c’est le cas le plus frйquent, et j’ose dire que, pour les mйtayers а vingt-cinq francs par an, c’est le cas ordinaire. — Dйfense d’employer pour pot et saliиre un autre sel que celui des sept livres. «Je puis citer, dit Letrosne, deux sњurs qui demeuraient а une lieue d’une ville oщ le grenier n’ouvre que le samedi. Leur provision de sel йtait finie. Pour passer trois ou quatre jours jusqu’au samedi, elles firent bouillir un reste de saumure, dont elles tirиrent quelques onces de sel. Visite et procиs-verbal des commis. Аforce d’amis et de protection, il ne leur en a coыtй que 48 livres.» – Dйfense de puiser de l’eau de la mer et des sources salйes, а peine de 20 et 40 livres d’amende. – Dйfense de mener les bestiaux dans les marais et autres lieux oщ il y a du sel, ou de les faire boire aux eaux de la mer, а peine de confiscation et de 300 livres d’amende. — Dйfense de mettre aucun sel dans le ventre des maquereaux au retour de la pкche, ni entre leurs lits superposйs. Ordre de n’employer qu’une livre et demie de sel par baril. Ordre de dйtruire chaque annйe le sel naturel qui se forme en certains cantons de la Provence. Dйfense aux juges de modйrer ou rйduire les amendes prononcйes en matiиre de sel, а peine d’en rйpondre et d’кtre interdits. – Je passe quantitй d’autres ordres et dйfenses: il y en a par centaines. Cette lйgislation tombe sur les contribuables comme un rets serrй aux mille mailles, et le commis qui le lance est intйressй а les trouver en faute. Lа-dessus, vous voyez le pкcheur obligй de dйfaire son baril, la mйnagиre cherchant le bulletin de son jambon, le «gabelou» inspectant le buffet, vйrifiant la saumure, goыtant la saliиre, dйclarant, si le sel est trop bon, qu’il est de contrebande, parce que celui de la ferme, seul lйgitime, est ordinairement avariй et mкlй de gravats.

Cependant d’autres commis, ceux des aides, descendent dans la cave. Il n’y en a pas de plus redoutables [689], ni qui saisissent plus вprement tous les prйtextes de dйlit. «Que charitablement un citoyen donne une bouteille de boisson а un pauvre languissant, et le voilа exposй а un procиs et а des amendes excessives... Un pauvre malade, qui intйressera son curй а lui aumфner une bouteille de vin, essuiera un procиs capable de ruiner non seulement le malheureux qui l’a obtenue, mais encore le bienfaiteur qui la lui aura donnйe. Ceci n’est pas une histoire chimйrique.» En vertu du droit de gros manquant, les commis peuvent, а toute heure, faire l’inventaire du vin, mкme chez le vigneron propriйtaire, lui marquer ce qu’il peut en boire, le taxer pour le reste et pour le trop-bu: car la ferme est l’associйe du vigneron et a sa part dans sa rйcolte. — Dans un vignoble а Epernay [690], sur quatre piиces de vin, produit moyen d’un arpent et valant 600 francs, elle perзoit d’abord 30 francs, puis, quand les quatre piиces sont vendues, 75 autres francs. Naturellement, «les habitants emploient les ruses les plus fines et les mieux combinйes pour se soustraire» а des droits si forts. Mais p.268 les commis sont alertes, soupзonneux, avertis, et fondent а l’improviste sur toute maison suspecte; leurs instructions portent qu’ils doivent multiplier leurs visites et avoir des registres assez exacts «pour voir d’un coup d’њil l’йtat de la cave de chaque habitant [691]». — А prйsent que le vigneron a payй, c’est le tour du nйgociant. Celui-ci, pour envoyer les quatre piиces au consommateur, verse encore а la ferme 75 francs. — Le vin part, et la ferme lui prescrit certaines routes; s’il s’en йcarte, il est confisquй, et, а chaque pas du chemin, il faut qu’il paye. «Un bateau de vin du Languedoc [692], Dauphinй ou Roussillon, qui remonte le Rhфne et descend la Loire pour aller а Paris par le canal de Briare, paye en route, sans compter les droits du Rhфne, de trente-cinq а quarante sortes de droits, non compris les entrйes de Paris.» Il les paye «en quinze ou seize endroits, et ces payements multipliйs obligent les voituriers а employer douze ou quinze jours de plus par voyage qu’ils n’en mettraient si tous ces droits йtaient rйunis en un seul bureau». — Les chemins par eau sont particuliиrement chargйs. «De Pontarlier а Lyon, il y a vingt-cinq ou trente pйages; de Lyon а Aigues-Mortes, il y en a davantage, de sorte que ce qui coыte 10 sous en Bourgogne, revient а Lyon а 15 et 18 sous, et а Aigues-Mortes а plus de 25 sous.» — Enfin, le vin arrive aux barriиres de la ville oщ il sera bu. Lа il paye l’octroi, qui est de 47 francs par muid а Paris. — Il entre et va dans la cave du cabaretier ou de l’aubergiste; lа il paye encore de 30 а 40 francs pour droit de dйtail; а Rethel, c’est de 50 а 60 francs pour un poinзon, jauge de Reims. — Le total est exorbitant. АRennes [693], pour une barrique de vin de Bordeaux, les droits des devoirs et le cinquiиme en sus l’impфt, le billot, les 8 sous pour livre et les deniers d’octrois montent а plus de 72 livres, non compris le prix d’achat; а quoi il faut ajouter les frais et droits dont le marchand de Rennes fait l’avance et qu’il reprend sur l’acheteur, sortie de Bordeaux, fret, assurance, droit d’йcluse, droit d’entrйe pour la ville, droits d’entrйe pour les hфpitaux, droits de jaugeage, de courtage, d’inspecteurs aux boissons. Total 200 livres au moins а dйbourser par le cabaretier pour dйbiter une seule barrique de vin.» On devine si, а ce prix, le peuple de Rennes peut en boire, et toutes ces charges retombent sur le vigneron, puisque, si les consommateurs n’achиtent point, il ne vend pas.

Aussi bien, parmi les petits cultivateurs, il est le plus digne de pitiй; au tйmoignage d’Arthur Young, vigneron et misйrable sont alors deux termes йquivalents. Sa rйcolte manque souvent, et «toute rйcolte hasardeuse ruine l’homme qui n’a pas de capital». En Bourgogne, en Berry, dans le Soissonnais, dans les Trois-Evкchйs, en Champagne [694], je trouve par tous les rapports qu’il manque de pain et qu’il est а l’aumфne. En Champagne, les syndics de Bar-sur-Aube йcrivent [695] que plus d’une fois les habitants de La Fertй, pour йchapper aux droits, ont jetй leurs vins а la riviиre, et l’assemblйe provinciale dйclare que «dans la majeure partie de la province, la plus lйgиre augmentation des droits ferait dйserter les terres а tous les cultivateurs». –; Telle est l’histoire du vin sous l’ancien rйgime. Depuis le vigneron qui produit jusqu’au cabaretier qui dйbite, que de gens vexйs et quelles extorsions! – Quant а la gabelle, de l’aveu d’un contrфleur gйnйral [696], elle entraоne chaque annйe 4 000 saisies domiciliaires, 3 400 empri­sonnements, 500 condamnations au fouet, au bannissement, aux galиres. – Si jamais il y eut deux impфts bien combinйs, non seulement pour dйpouiller, mais encore pour irriter les paysans, les pauvres et le peuple, ce sont ces deux-lа.

 

VI

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Il est donc manifeste que la pesanteur de l’impфt est la principale cause de la misиre; de lа des haines accumulйes et profondes contre le fisc et ses agents, receveurs, officiers des greniers, gens des aides, gens de l’octroi, douaniers et commis. – Mais pourquoi l’impфt est-il si pesant? La rйponse n’est pas douteuse, et tant de communes qui plaident chaque annйe contre messieurs tels ou tels pour les soumettre а la taille l’йcrivent tout au long dans leurs requкtes. Ce qui rend la charge accablante, c’est que les plus forts et les plus capables de la porter sont parvenus а s’y soustraire, et la misиre a pour premiиre cause l’йtendue des exemptions.

Suivons-les d’impфt en impфt. – En premier lieu, non seulement les nobles et les ecclйsiastiques sont exempts de la taille personnelle, mais encore, ainsi qu’on l’a dйjа vu, ils sont exempts de la taille d’exploitation pour les domaines qu’ils exploitent eux-mкmes ou par leurs rйgisseurs. En Auvergne [697], dans la seule йlection de Clermont, on compte cinquante paroisses oщ, grвce а cet arrangement, toutes les terres des privilйgiйs sont exemptes, en sorte que toute la taille retombe sur les taillables. Bien mieux, il suffit aux privilйgiйs de prйtendre que leur fermier n’est qu’un rйgisseur: c’est le cas, en Poitou, dans plusieurs paroisses; le subdйlйguй et l’йlu n’osent y regarder de trop prиs. De cette faзon, le privilйgiй s’affranchit de la taille, lui et tout son bien, y compris ses fermes. – Or, c’est la taille qui, toujours accrue, fournit par ses dйlйgations spйciales а tant de services nouveaux. Il suffit de repasser l’histoire de ses crues pйriodiques pour montrer а l’homme du Tiers que, seul ou presque seul, il a payй et paye [698] pour la construction des ponts, chaussйes, canaux et palais de justice, pour le rachat des offices, pour l’йtablissement et l’entretien des maisons de refuge, des asiles d’aliйnйs, des pйpiniиres, des postes aux chevaux, des acadйmies d’escrime et d’йquitation, pour l’entreprise des boues et pavйs de Paris, pour les appointements des lieutenants gйnйraux, gouverneurs et commandants de province, pour les honoraires des baillis, sйnйchaux et vice-baillis, pour les traitements des bureaux de finances, des bureaux d’йlection et des commissaires envoyйs dans les provinces, pour les salaires de la marйchaussйe, des chevaliers du guet, et pour je ne sais combien d’autres choses. – Dans les pays d’Йtats, oщ la taille semble devoir кtre mieux rйpartie, l’inйgalitй est pareille. En Bourgogne [699], toutes les dйpenses de la marйchaussйe, des haras et des fкtes publiques, toutes les sommes affectйes aux cours de chimie, botanique, anatomie et accouchements, а l’encouragement des arts, а l’abonnement des droits du sceau, а l’affranchissement des ports de lettres, aux gratifications des chefs et subalternes du commandement, aux appointements des officiers des йtats, au secrйtariat du ministre, aux frais de perception et mкme aux aumфnes, bref 1 800 000 livres dйpensйes en services publics, sont а la charge du Tiers; les deux premiers ordres n’en payent pas un sou.


Дата добавления: 2015-09-30; просмотров: 27 | Нарушение авторских прав







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