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Un document produit en version numйrique par Pierre Palpant, bйnйvole, 17 страница



p.176 Confiance merveilleuse, inexplicable au premier abord, et qui suppose а l’endroit de l’homme une idйe que nous n’avons plus. En effet, on le croyait raisonnable et mкme bon par essence. – Raisonnable, c’est-а-dire capable de donner son assentiment а un principe clair, de suivre la filiиre des raisonnements ultйrieurs, d’entendre et d’accepter la conclusion finale, pour en tirer soi-mкme а l’occasion les consйquences variйes qu’elle renferme: tel est l’homme ordinaire aux yeux des йcrivains du temps: c’est qu’ils le jugent d’aprиs eux-mкmes. Pour eux, l’esprit humain, c’est leur esprit, l’esprit classique. Depuis cent cinquante ans, il rиgne dans la littйrature, dans la philosophie, dans la science, dans l’йducation, dans la conversation, en vertu de la tradition, de l’habitude et du bon goыt. On n’en tolиre pas d’autre, on n’en imagine pas d’autre, et si, dans ce cercle fermй, un йtranger parvient а s’introduire, c’est а la condition d’employer l’idiome oratoire que la raison raisonnante impose а tous ses hфtes, Grecs, Anglais, barbares, paysans et sauvages, si diffйrents qu’ils soient entre eux, et si diffйrents qu’ils soient d’elle-mкme. Dans Buffon, le premier homme, racontant les premiиres heures de sa vie, analyse ses sensations, ses йmotions, ses motifs aussi finement que ferait Condillac lui-mкme. Chez Diderot, Otou l’Otaпtien, chez Bernardin de Saint-Pierre, un demi-sauvage de l’Indoustan et un vieux colon de l’Ile-de-France, chez Rousseau, un vicaire de campagne, un jardinier, un joueur de gobelets, sont des discoureurs et des moralistes accomplis. Chez Marmontel, Florian, dans toute la petite littйrature qui prйcиde ou accompagne la Rйvolution, dans tout le thйвtre tragique ou comique, le personnage, quel qu’il soit, villageois inculte, barbare tatouй, sauvage nu, a pour premier fond le talent de s’expliquer, de raisonner, de suivre avec intelligence et avec attention un discours abstrait, d’enfiler de lui-mкme ou sur les pas d’un guide l’allйe rectiligne des idйes gйnйrales. Ainsi, pour les spectateurs du dix-huitiиme siиcle, la raison est partout, et il n’y a qu’elle au monde. Une forme d’esprit si universelle ne peut manquer de leur sembler naturelle; ils sont comme des gens qui, ne parlant qu’une langue et ayant toujours parlй aisйment, ne conзoivent pas qu’on puisse parler une autre langue, ni qu’il y ait auprиs d’eux des muets ou des sourds. – D’autant plus que la thйorie autorise leur prйjugй. Selon l’idйologie nouvelle, tout esprit est а la portйe de toute vйritй. S’il n’y atteint pas, la faute est а nous qui l’avons mal prйparй; il y arrivera, si nous prenons la peine de l’y conduire. Car il a des sens comme nous, et les sensations rappelйes, combinйes, notйes par des signes, suffisent pour former «non seulement toutes nos idйes, mais encore toutes nos facultйs [430]». Une filiation exacte et continue rattache а nos perceptions les plus simples les sciences les plus compliquйes, et, du plus bas degrй au plus йlevй, on peut poser une йchelle; quand l’йcolier s’arrкte en chemin, c’est que nous avons laissй trop d’intervalle entre deux йchelons; n’omettons aucun intermйdiaire, et il montera jusqu’au sommet. – А cette haute idйe des facultйs de l’homme s’ajoute une idйe non moins haute de son cњur. Rousseau a dйclarй qu’il est bon, et le beau monde s’est jetй dans cette croyance avec toutes les exagйrations de la mode et toute la sentimentalitй des salons. On est convaincu que l’homme, surtout l’homme du peuple, est naturellement p.177 sensible, affectueux, que tout de suite il est touchй par les bienfaits et disposй а les reconnaоtre, qu’il s’attendrit а la moindre marque d’intйrкt, qu’il est capable de toutes les dйlicatesses. Les estampes [431] reprйsentent dans une chaumiиre dйlabrйe deux enfants, l’un de cinq ans, l’autre de trois, auprиs de leur grand’mиre infirme, l’un lui soulevant la tкte, l’autre lui donnant а boire; le pиre et la mиre qui rentrent voient ce spectacle touchant, et «ces bonnes gens se trouvent alors si heureux d’avoir de tels enfants qu’ils oublient qu’ils sont pauvres». – «O mon pиre [432], s’йcrie un jeune pвtre des Pyrйnйes, recevez ce chien fidиle qui m’obйit depuis sept ans; qu’а l’avenir il vous suive et vous dйfende; il ne m’aura jamais plus utilement servi.» – Il serait trop long de suivre dans la littйrature de la fin du siиcle, depuis Marmontel jusqu’а Bernardin de Saint-Pierre, depuis Florian jusqu’а Berquin et Bitaubй, la rйpйtition interminable de ces douceurs et de ces fadeurs. – L’illusion gagne jusqu’aux hommes d’Йtat. «Sire, dit Turgot en prйsentant au roi un plan d’йducation politique [433], j’ose vous rйpondre que dans dix ans votre nation ne sera plus reconnaissable, et que, par les lumiиres, les bonnes mњurs, par le zиle йclairй pour votre service et pour celui de la patrie, elle sera au-dessus des autres peuples. Les enfants qui ont actuellement dix ans se trouveront alors des hommes prйparйs pour l’Йtat, affectionnйs а leur pays, soumis, non par crainte, mais par raison, а l’autoritй, secourables envers leurs concitoyens, accoutumйs а reconnaоtre et а respecter la justice.» – Au mois de janvier 1789 [434], Necker, а qui M. de Bouillй montrait le danger imminent et les entreprises immanquables du Tiers, «rйpondait froidement et en levant les yeux au ciel qu’il fallait bien compter sur les vertus morales des hommes». – Au fond, quand on voulait se reprйsenter la fondation d’une sociйtй humaine, on imaginait vaguement une scиne demi-bucolique, demi-thйвtrale, а peu prиs semblable а celle qu’on voyait sur le frontispice des livres illustrйs de morale et de politique. Des hommes demi-nus ou vкtus de peaux de bкtes sont assemblйs sous un grand chкne; au milieu d’eux, un vieillard vйnйrable se lиve, et leur parle «le langage de la nature et de la raison»; il leur propose de s’unir, et leur explique а quoi ils s’obligent par cet engagement mutuel; il leur montre l’accord de l’intйrкt public et de l’intйrкt privй, et finit en leur faisant sentir les beautйs de la vertu [435]. Tous aussitфt poussent des cris d’allйgresse, s’embrassent, s’empressent autour de lui et le choisissent pour magistrat; de toutes parts on danse sous les ormeaux, et la fйlicitй dйsormais est йtablie sur la terre. – Je n’exagиre pas. Les adresses de l’Assemblйe nationale а la nation seront des harangues de ce style. Pendant des annйes, le gouvernement parlera au peuple comme а un berger de Gessner. On priera les paysans de ne plus brыler les chвteaux, parce que cela fait de la peine а leur bon roi. On les exhortera «а l’йtonner par leurs vertus, pour qu’il reзoive plus tфt le prix des siennes [436]». Au plus fort de la Jacquerie, les sages du temps supposeront toujours qu’ils vivent en pleine йglogue, et qu’avec un air de flыte ils vont ramener dans la bergerie la meute hurlante des colиres bestiales et des appйtits dйchaоnйs.



 

III

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Il est triste, quand on s’endort dans une bergerie, de trouver а son rйveil les moutons changйs en loups; et cependant, en cas de rйvolution, on peut s’y attendre. Ce que dans l’homme nous appelons la raison n’est point un don innй, primitif et persistant, mais une acquisition tardive et un composй fragile. Il suffit des moindres notions physiologiques pour savoir qu’elle est un йtat d’йquilibre instable, lequel dйpend de l’йtat non moins instable du cerveau, des nerfs, du sang et de l’estomac. Prenez des femmes qui ont faim et des hommes qui ont bu; mettez-en mille ensemble, laissez-les s’йchauffer par leurs cris, par l’attente, par la contagion mutuelle de leur йmotion croissante; au bout de quelques heures, vous n’aurez plus qu’une cohue de fous dangereux; dиs 1789 on le saura et de reste. – Maintenant, interrogez la psychologie: la plus simple opйration mentale, une perception des sens, un souvenir, l’application d’un nom, un jugement ordinaire est le jeu d’une mйcanique compliquйe, l’њuvre commune et finale [437] de plusieurs millions de rouages qui, pareils а ceux d’une horloge, tirent et poussent а l’aveugle, chacun pour soi, chacun entraоnй par sa propre force, chacun maintenu dans son office par des compensations et des contrepoids. Si l’aiguille marque l’heure а peu prиs juste, c’est par l’effet d’une rencontre qui est une merveille, pour ne pas dire un miracle, et l’hallucination, le dйlire, la monomanie, qui habitent а notre porte, sont toujours sur le point d’entrer en nous. А proprement parler, l’homme est fou, comme le corps est malade, par nature; la santй de notre esprit, comme la santй de nos organes, n’est qu’une rйussite frйquente et un bel accident. Si telle est la chance pour la trame et le canevas grossier, pour les gros fils а peu prиs solides de notre intelligence, quels doivent кtre les hasards pour la broderie ultйrieure et superposйe, pour le rйseau subtil et compliquй qui est la raison proprement dite et se compose d’idйes gйnйrales? Formйes par un lent et dйlicat tissage, а travers un long appareil de signes, parmi les tiraillements de l’orgueil, de l’enthousiasme et de l’entкtement dogmatique, combien de chances pour que, dans la meilleure tкte, ces idйes correspondent mal aux choses! Lа-dessus, dиs а prйsent, il suffit de voir chez nos philosophes, chez nos politiques, l’idylle en vogue. – Si tels sont les esprits supйrieurs, que dirons-nous de la foule, du peuple, des cerveaux bruts et demi-bruts? Autant la raison est boiteuse dans l’homme, autant elle est rare dans l’humanitй. Les idйes gйnйrales et le raisonnement suivi ne se rencontrent que chez une petite йlite. Pour acquйrir l’intelligence des mots abstraits et l’habitude des dйductions suivies, il faut au prйalable une prйparation spйciale, un exercice prolongй, une pratique ancienne, outre cela, s’il s’agit de politique, le sang-froid qui, laissant а la rйflexion toutes ses prises, permet а l’homme de se dйtacher un instant de lui-mкme pour considйrer ses intйrкts en spectateur dйsintйressй. Si l’une de ces conditions manque, la raison, surtout la raison politique, est absente. — Chez le paysan, chez le villageois, chez l’homme appliquй dиs son enfance au travail manuel, non seulement le rйseau des conceptions supйrieures fait dйfaut, mais encore les instruments internes qui pourraient le tisser ne sont pas formйs. Accoutumй au grand air et а l’exercice des membres, s’il reste immobile, au bout d’un quart d’heure son attention dйfaille; les phrases gйnйrales n’entrent plus en lui que comme un bruit; les combinaisons mentales qu’elles devraient provoquer ne peuvent se faire. Il s’assoupit, а moins que la voix vibrante ne rйveille en lui par contagion les instincts de la chair et du sang, les convoitises personnelles, les sourdes inimitiйs qui, contenues par une discipline extйrieure, sont toujours prкtes а se dйbrider. — Chez le demi-lettrй, mкme chez l’homme qui se croit cultivй et lit les journaux, presque toujours les principes sont des hфtes disproportionnйs; ils dйpassent sa comprйhension; en vain il rйcite ses dogmes; il n’en peut mesurer la portйe, il n’en saisit pas les limites, il en oublie les restrictions, il en fausse les applications. Ce sont des composйs de laboratoire qui restent inoffensifs dans le cabinet et sous la main du chimiste, mais qui deviennent terribles dans la rue et sous les pieds du passant. — On ne s’en apercevra que trop bien tout а l’heure, quand les explosions iront se propageant sur tous les points du territoire, quand, au nom de la souverainetй du peuple, chaque commune, chaque attroupement se croira la nation et agira en consйquence, quand la raison, aux mains de ses nouveaux interprиtes, instituera а demeure l’йmeute dans les rues et la jacquerie dans les champs.

C’est qu’а son endroit les philosophes du siиcle se sont mйpris de deux faзons. Non seulement la raison n’est point naturelle а l’homme ni universelle dans l’humanitй; mais encore, dans la conduite de l’homme et de l’humanitй, son influence est petite. Sauf chez quelques froides et lucides intelligences, un Fontenelle, un Hume, un Gibbon, en qui elle peut rйgner parce qu’elle ne rencontre pas de rivales, elle est bien loin de jouer le premier rфle; il appartient а d’autres puissances, nйes avec nous, et qui, а titre de premiers occupants, restent en possession du logis. La place que la raison y obtient est toujours йtroite; l’office qu’elle y remplit est le plus souvent secondaire. Ouvertement ou en secret, elle n’est qu’un subalterne commode, un avocat domestique et perpйtuellement subornй, que les propriйtaires emploient а plaider leurs affaires; s’ils lui cиdent le pas en public, c’est par biensйance. Ils ont beau la proclamer souveraine lйgitime, ils ne lui laissent jamais sur eux qu’une autoritй passagиre, et, sous son gouvernement nominal, ils sont les maоtres de la maison. Ces maоtres de l’homme sont le tempйrament physique, les besoins corporels, l’instinct animal, le prйjugй hйrйditaire, l’imagination, en gйnйral la passion dominante, plus particuliиrement l’intйrкt personnel ou l’intйrкt de famille, de caste, de parti. Nous nous tromperions gravement si nous pensions qu’ils sont bons par nature, gйnйreux, sympathiques, ou, tout au moins, doux, maniables, prompts а se subordonner а l’intйrкt social ou а l’intйrкt d’autrui. Il y en a plusieurs, et des plus forts, qui, livrйs а eux-mкmes, ne feraient que du ravage. — En premier lieu, s’il n’est pas sыr que l’homme soit par le sang un cousin йloignй du singe, du moins il est certain que, par sa structure, il est un animal trиs voisin du singe, muni de canines, carnivore et carnassier, jadis cannibale, par suite chasseur et belliqueux. De lа en lui un fonds persistant de brutalitй, de fйrocitй, d’instincts violents et destructeurs, auxquels s’ajoutent, s’il est Franзais, la gaietй, le rire, et le plus йtrange besoin de gambader, de polissonner au milieu des dйgвts qu’il fait; on le verra а l’њuvre. — En second lieu, dиs l’origine, sa condition l’a jetй nu et dйpourvu sur une terre ingrate oщ la subsistance est difficile, oщ, sous peine de mort, il est tenu de faire des provisions et des йpargnes. De lа pour lui la prйoccupation constante et l’idйe fixe d’acquйrir, d’amasser et de possйder, la rapacitй et l’avarice, notamment dans la classe qui, collйe а la glиbe, jeыne depuis soixante gйnйrations pour nourrir les autres classes, et dont les mains crochues s’йtendent incessamment pour saisir ce sol oщ elles font pousser les fruits; on la verra а l’њuvre. — En dernier lieu, son organisation mentale plus fine a fait de lui, dиs les premiers jours, un кtre imaginatif en qui les songes pullulants se dйveloppent d’eux-mкmes en chimиres monstrueuses, pour amplifier au delа de toute mesure ses craintes, ses espйrances et ses dйsirs. De lа en lui un excиs de sensibilitй, des afflux soudains d’йmotion, de transports contagieux, des courants de passion irrйsistible, des йpidйmies de crйdulitй et de soupзon, bref l’enthousiasme et la panique, surtout s’il est Franзais, c’est-а-dire excitable et communicatif, aisйment jetй hors de son assiette et prompt а recevoir les impulsions йtrangиres, dйpourvu du lest naturel que le tempйrament flegmatique et la concentration de la pensйe solitaire entretiennent chez ses voisins Germains ou Latins; on verra tout cela а l’њuvre. — Voilа quelques-unes des puissances brutes qui gouvernent la vie humaine. En temps ordinaire, nous ne les remarquons pas; comme elles sont contenues, elles ne sous semblent plus redoutables. Nous supposons qu’elles sont apaisйes, amorties; nous voulons croire que la discipline imposйe leur est devenue naturelle, et qu’а force de couler entre des digues elles ont pris l’habitude de rester dans leur lit. La vйritй est que, comme toutes les puissances brutes, comme un fleuve ou un torrent, elles n’y restent que par contrainte; c’est la digue qui, par sa rйsistance, fait leur modйration. Contre leurs dйbordements et leurs dйvastations, il a fallu installer une force йgale а leur force, graduйe selon leur degrй, d’autant plus rigide qu’elles sont plus menaзantes, despotique au besoin contre leur despotisme, en tout cas contraignante et rйpressive, а l’origine un chef de bande, plus tard un chef d’armйe, de toutes faзons un gendarme йlu ou hйrйditaire, aux yeux vigilants, aux mains rudes, qui, par des voies de fait, inspire la crainte et, par la crainte, maintienne la paix. Pour diriger et limiter ses coups, on emploie divers mйcanismes, constitution prйalable, division des pouvoirs, code, tribunaux, formes lйgales. Au bout de tous ces rouages apparaоt toujours le ressort final, l’instrument efficace, je veux dire le gendarme armй contre le sauvage, le brigand et le fou que chacun de nous recиle, endormis ou enchaоnйs, mais toujours vivants, dans la caverne de son propre cњur.

p.181 Au contraire, dans la thйorie nouvelle, c’est contre le gendarme que tous les principes sont promulguйs, toutes les prйcautions prises, toutes les dйfiances йveillйes. Au nom de la souverainetй du peuple, on retire au gouvernement toute autoritй, toute prйrogative, toute initiative, toute durйe et toute force. Le peuple est souverain, et le gouvernement n’est que son commis, moins que son commis, son domestique. — Entre eux «point de contrat» indйfini ou au moins durable, «et qui ne puisse кtre annulй que par un consentement mutuel ou par l’infidйlitй d’une des deux parties». — «Il est contre la nature du corps politique que le souverain s’impose une loi qu’il ne puisse jamais enfreindre.» — Point de charte consacrйe et inviolable «qui enchaоne un peuple aux formes de constitution une fois йtablies». — «Le droit de les changer est la premiиre garantie de tous les autres.» — «Il n’y a pas, il ne peut y avoir aucune loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas mкme le contrat social.» — C’est par usurpation et mensonge qu’un prince, une assemblйe, des magistrats se disent les reprйsentants du peuple. «La souverainetй ne peut кtre reprйsentйe, par la mкme raison qu’elle ne peut кtre aliйnйe... Аl’instant qu’un peuple se donne des reprйsentants, il n’est plus libre, il n’est plus... Le peuple anglais pense кtre libre, il se trompe fort; il ne l’est que durant l’йlection des membres du Parlement; sitфt qu’ils sont йlus, il est esclave, il n’est rien... Les dйputйs du peuple ne sont donc ni ne peuvent кtre ses reprйsentants; ils ne sont que ses commissaires, ils ne peuvent rien conclure dйfinitivement. Toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiйe est nulle, ce n’est pas une loi [438].» — «Il ne suffit pas que le peuple assemblй ait une fois fixй la constitution de l’Йtat en donnant sa sanction а un corps de lois; il faut encore qu’il y ait des assemblйes fixes et pйriodiques que rien ne puisse abolir ni proroger, tellement qu’au jour marquй le peuple soit lйgitimement convoquй par la loi, sans qu’il soit besoin pour cela d’aucune autre convocation formelle... Аl’instant que le peuple est ainsi assemblй, toute juridiction du gouvernement cesse, la puissance exйcutive est suspendue», la sociйtй recommence, et les citoyens, rendus а leur indйpendance primitive, refont а leur volontй, pour une pйriode qu’ils fixent, le contrat provisoire qu’ils n’avaient conclu que pour une pйriode fixйe. «L’ouverture de ces assemblйes qui n’ont pour objet que le maintien du traitй social doit toujours se faire par deux propositions qu’on ne puisse jamais supprimer et qui passent sйparйment par les suffrages: la premiиre, s’il plaоt au souverain de conserver la prйsente forme de gouvernement; la seconde, s’il plaоt au peuple d’en laisser l’administration а ceux qui en sont actuellement chargйs.» Ainsi «l’acte par lequel un peuple se soumet а des chefs n’est absolument qu’une commission, un emploi dans lequel, simples officiers du souverain, ils exercent en son nom le pouvoir dont il les a fait dйpositaires et qu’il peut modifier, limiter, reprendre quand il lui plaоt [439]». Non seulement il garde toujours pour lui seul «la puissance p.182 lйgislative qui lui appartient et ne peut appartenir qu’а lui», mais encore il dйlиgue et retire а son grй la puissance exйcutive. Ceux qui l’exercent sont ses employйs. «Il peut les йtablir et les destituer quand il lui plaоt.» Vis-а-vis de lui, ils n’ont aucun droit. «Il n’est point question pour eux de contracter, mais d’obйir»; ils n’ont pas de «conditions» а lui faire; ils ne peuvent rйclamer de lui aucun engagement. – Ne dites pas qu’а ce compte aucun homme un peu fier et bien йlevй ne voudra de nos charges et que nos chefs devront avoir un caractиre de laquais. Nous ne leur laissons pas la libertй de refuser ou d’accepter un office; nous les en chargeons d’autoritй. «Dans toute vйritable dйmocratie, la magistrature n’est pas un avantage, mais une charge onйreuse, qu’on ne peut justement imposer а un particulier plutфt qu’а un autre.» Nous mettons la main sur nos magistrats; nous les prenons au collet pour les asseoir sur leurs siиges. De grй ou de force, ils sont les corvйables de l’Йtat, plus disgraciйs qu’un valet ou un manњuvre, puisque le manњuvre travaille а conditions dйbattues et que le valet chassй peut rйclamer ses huit jours. Sitфt que le gouvernement sort de cette humble attitude, il usurpe, et les constitutions vont proclamer qu’en ce cas l’insurrection est non seulement le plus saint des droits, mais encore le premier des devoirs. – Lа-dessus la pratique accompagne la thйorie, et le dogme de la souverainetй du peuple, interprйtй par la foule, va produire la parfaite anarchie, jusqu’au moment oщ, interprйtй par les chefs, il produira le despotisme parfait.

 

IV

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Car la thйorie a deux faces, et, tandis que d’un cфtй elle conduit а la dйmolition perpйtuelle du gouvernement, elle aboutit de l’autre а la dictature illimitйe de l’Йtat. Le nouveau contrat n’est point un pacte historique, comme la Dйclaration des Droits de 1688 en Angleterre, comme la Fйdйration de 1579 en Hollande, conclu entre des hommes rйels et vivants, admettant des situations acquises, des groupes formйs et des institutions йtablies, rйdigй pour reconnaоtre, prйciser, garantir et complйter un droit antйrieur. Antйrieurement au contrat social, il n’y a pas de droit vйritable; car le droit vйritable ne naоt que par le contrat social, seul valable, puisqu’il est le seul qui soit dressй entre des кtres parfaitement йgaux et parfaitement libres, кtre abstraits, sortes d’unitйs mathйmatiques, toutes de mкme valeur, toutes ayant le mкme rфle, et dont nulle inйgalitй ou contrainte ne vient troubler les conventions. C’est pourquoi, au moment oщ il se conclut, tous les autres pactes deviennent nuls. Propriйtй, famille, Йglise, aucune des institutions anciennes ne peut invoquer de droit contre l’Йtat nouveau. L’emplacement oщ nous le bвtissons doit кtre considйrй comme vide; si nous y laissons subsister une partie des vieilles constructions, ce sera en son nom et а son profit, pour les enfermer dans son enceinte et les approprier а son usage; tout le sol humain est а lui. – D’autre part, il n’est pas, selon la doctrine amйricaine, une compagnie d’assurance mutuelle, une sociйtй semblable aux autres, bornйe dans son objet, restreinte dans son office, limitйe dans ses pouvoirs, et par laquelle les individus, conservant pour eux-mкmes la meilleure part de leurs biens et de leurs personnes, se cotisent afin d’entretenir une armйe, une marйchaussйe, des tribunaux, des grandes routes, des йcoles, bref les plus gros instruments de sыretй et d’utilitй publiques, mais rйservent le demeurant des services locaux et gйnйraux, spirituels et matйriels, а l’initiative privйe et aux associations spontanйes qui se formeront au fur et а mesure des occasions et des besoins. Notre Йtat n’est point une simple machine utilitaire, un outil commode а la main, dont l’ouvrier se sert sans renoncer а l’emploi indйpendant de sa main ou а l’emploi simultanй d’autres outils. Premier-nй, fils unique et seul reprйsentant de la raison, il doit, pour la faire rйgner, ne rien laisser hors de ses prises. – En ceci l’ancien rйgime conduit au nouveau, et la pratique йtablie incline d’avance les esprits vers la thйorie naissante. Dйjа, depuis longtemps, par la centralisation administrative, l’Йtat a la main partout [440]. «Sachez, disait Law au marquis d’Argenson, que ce royaume de France est gouvernй par trente intendants. Vous n’avez ni Parlement, ni Йtats, ni gouverneurs; ce sont trente maоtres des requкtes, commis aux provinces, de qui dйpendent le bonheur ou le malheur de ces provinces, leur abondance ou leur stйrilitй.» En fait, le roi, souverain, pиre et tuteur universel, conduit par ses dйlйguйs les affaires locales, et intervient par ses lettres de cachet ou par ses grвces jusque dans les affaires privйes. Sur cet exemple et dans cette voie, les imaginations s’йchauffent depuis un demi-siиcle. Rien de plus commode qu’un tel instrument pour faire les rйformes en grand et d’un seul coup. C’est pourquoi, bien loin de restreindre le pouvoir central, les йconomistes ont voulu l’йtendre. Au lieu de lui opposer des digues nouvelles, ils ont songй а dйtruire les vieux restes de digues qui le gкnaient encore. «Dans un gouvernement, disent Quesnay et ses disciples, le systиme des contre-forces est une idйe funeste... Les spйculations d’aprиs lesquelles on a imaginй le systиme des contrepoids sont chimйriques... Que l’Йtat comprenne bien ses devoirs, et alors qu’on le laisse libre... Il faut que l’Йtat gouverne selon les rиgles de l’ordre essentiel, et, quand il en est ainsi, il faut qu’il soit tout-puissant.» – Aux approches de la Rйvolution, la mкme doctrine reparaоt, sauf un nom remplacй par un autre. Аla souverainetй du roi, le Contrat social substitue la souverainetй du peuple. Mais la seconde est encore plus absolue que la premiиre, et, dans le couvent dйmocratique que Rousseau construit sur le modиle de Sparte et de Rome, l’individu n’est rien, l’Йtat est tout.

En effet, «les clauses du contrat social se rйduisent toutes а une seule [441], savoir, l’aliйnation totale de chaque associй avec tous ses droits а la communautй». Chacun se donne tout entier, «tel qu’il se trouve actuellement, lui et toutes ses forces, dont les biens qu’il possиde font partie». Nulle exception ni rйserve; rien de ce qu’il йtait ou de ce qu’il avait auparavant ne lui appartient plus en propre. Ce que dйsormais il sera et aura ne lui sera dйvolu que par la dйlйgation du corps social, propriйtaire universel et maоtre absolu. Il faut que l’Йtat ait tous les droits et que les particuliers n’en aient aucun; sinon, il y aurait entre eux et lui des litiges, et, «comme il n’y a aucun supйrieur commun qui puisse prononcer entre eux et lui», ces litiges ne finiraient pas. Au contraire, par la donation complиte que chacun fait de soi, «l’union est aussi parfaite que possible»; ayant renoncй а tout et а lui-mкme, «il n’a plus rien а rйclamer».

Cela posй, suivons les consйquences. — En premier lieu, je ne suis propriйtaire de mon bien que par tolйrance et de seconde main; car, par le contrat social, je l’ai aliйnй [442], «il fait maintenant partie du bien public»; si en ce moment j’en conserve l’usage, c’est par une concession de l’Йtat qui m’en fait le «dйpositaire». — Et ne dites pas que cette grвce soit une restitution. «Loin qu’en acceptant les biens des particuliers, la sociйtй les en dйpouille, elle ne fait que changer l’usurpation en vйritable droit, la jouissance en propriйtй.» Avant le contrat social, j’йtais possesseur, non de droit, mais de fait, et mкme injustement si ma part йtait large; car «tout homme a naturellement droit а tout ce qui lui est nйcessaire»; et je volais les autres hommes de tout ce que je possйdais au delа de ma subsistance. C’est pourquoi, bien loin que l’Йtat soit mon obligй, je suis le sien, et ce n’est pas mon bien qu’il me rend, c’est son bien qu’il m’octroie. D’oщ il suit qu’il peut mettre des conditions а son cadeau, limiter а son grй l’usage que j’en ferai, restreindre et rйgler ma facultй de donner, de tester. «Par nature [443], le droit de propriйtй ne s’йtend pas au delа de la vie du propriйtaire; а l’instant qu’un homme est mort, son bien ne lui appartient plus. Ainsi, lui prescrire les conditions sous lesquelles il peut disposer, c’est au fond moins altйrer son droit en apparence que l’йtendre en effet.» En tout cas, comme mon titre est un effet du contrat social, il est prйcaire comme ce contrat lui-mкme; une stipulation nouvelle suffira pour le restreindre ou le dйtruire. «Le souverain [444] peut lйgitimement s’emparer des biens de tous, comme cela se fit а Sparte au temps de Lycurgue.» Dans notre couvent laпque, tout ce que chaque moine possиde est un don rйvocable du couvent.

En second lieu, ce couvent est un sйminaire. Je n’ai pas le droit d’йlever mes enfants chez moi et de la faзon qui me semble bonne. «Comme on ne laisse pas la raison [445] de chaque homme unique arbitre de ses devoirs, on doit d’autant moins abandonner aux lumiиres et aux prйjugйs des pиres l’йducation des enfants, qu’elle importe а l’Йtat encore plus qu’aux pиres.» — «Si l’autoritй publique, en prenant la place des pиres et en se chargeant de cette importante fonction, acquiert leurs droits en remplissant leurs devoirs, ils ont d’autant moins de sujet de s’en plaindre qu’а cet йgard ils ne font proprement que changer de nom et qu’ils auront en commun, sous le nom de citoyens, la mкme autoritй sur leurs enfants qu’ils exerзaient sйparйment sous le nom de pиres.» En d’autres termes, vous cessez d’кtre pиre, mais, en йchange, vous devenez inspecteur des йcoles; l’un vaut l’autre; de quoi vous plaignez-vous? C’йtait le cas dans l’armйe permanente qu’on appelle Sparte; lа les enfants, vrais enfants de troupe, obйissaient tous йgalement а tous les hommes faits. «Ainsi l’йducation publique, dans des rиgles prescrites par le gouvernement, et sous des magistrats йtablis par le souverain, est une des maximes fondamentales du gouvernement populaire ou lйgitime.» – C’est par elle qu’on forme d’avance le citoyen. «C’est elle [446] qui doit donner aux вmes la forme nationale. Les peuples sont а la longue ce que le gouvernement les fait кtre: guerriers, citoyens, hommes quand il le veut, populace, canaille quand il lui plaоt», et c’est par l’йducation qu’il les faзonne. «Voulez-vous prendre une idйe de l’йducation publique, lisez la Rйpublique de Platon [447]... Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dйnaturer l’homme, lui фter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unitй commune, en sorte que chaque particulier ne se croie plus un, mais partie de l’unitй, et ne soit plus sensible que dans le tout. Un enfant, en ouvrant les yeux, doit voir la patrie, et, jusqu’а la mort, ne doit voir qu’elle... On doit l’exercer а ne jamais regarder son individu que dans ses relations avec le corps de l’Йtat.» Telle йtait la pratique de Sparte et l’unique but du «grand Lycurgue». – «Tous йtant йgaux par la constitution, ils doivent кtre йlevйs ensemble et de la mкme maniиre.» – «La loi doit rйgler la matiиre, l’ordre et la forme de leurs йtudes.» А tout le moins, ils doivent tous prendre part aux exercices publics, aux courses а cheval, aux jeux de force et d’adresse instituйs «pour les accoutumer а la rиgle, а l’йgalitй, а la fraternitй, aux concurrences», pour leur apprendre «а vivre sous les yeux de leurs concitoyens et а dйsirer l’approbation publique». Par ces jeux, dиs la premiиre adolescence, ils sont dйjа dйmocrates, puisque, les prix йtant dйcernйs, non par l’arbitraire des maоtres, mais par les acclamations des spectateurs, ils s’habituent а reconnaоtre pour souveraine la souveraine lйgitime, qui est la dйcision du peuple assemblй. Le premier intйrкt de l’Йtat sera toujours de former les volontйs par lesquelles il dure, de prйparer les votes qui le maintiendront, de dйraciner dans les вmes les passions qui lui seraient contraires, d’implanter dans les вmes des passions qui lui seront favorables, d’йtablir а demeure, dans ses citoyens futurs, les sentiments et les prйjugйs dont il aura besoin [448]. S’il ne tient pas les enfants, il n’aura pas les adultes. Dans un couvent, il faut que les novices soient йlevйs en moines; sinon, quand ils auront grandi, il n’y aura plus de couvent.


Дата добавления: 2015-09-30; просмотров: 23 | Нарушение авторских прав







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