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Chapitre XXVIII. Une procession

Chapitre XVII. Le Premier Adjoint | Chapitre XVIII. Un roi а Verriиres | Chapitre XIX. Penser fait souffrir | Chapitre XX. Les Lettres anonymes | Chapitre XXI. Dialogue avec un maоtre | Chapitre XXII. Faзons d’agir en 1830 | Chapitre XXIII. Chagrins d’un fonctionnaire | Chapitre XXIV. Une capitale | Chapitre XXV. Le Sйminaire | Chapitre XXVI. Le Monde ou ce qui manque au riche |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Tous les cњurs йtaient йmus. La prйsence de Dieu semblait descendue dans ces rues йtroites et gothiques, tendues de toutes parts, et bien sablйes par les soins des fidиles.

 

YOUNG.

 

Julien avait beau se faire petit et sot, il ne pouvait plaire, il йtait trop diffйrent. Cependant, se disait-il, tous ces professeurs sont gens trиs fins et choisis entre mille; comment n’aiment-ils pas mon humilitй? Un seul lui semblait abuser de sa complaisance а tout croire et а sembler dupe de tout. C’йtait l’abbй Chas-Bernard, directeur des cйrйmonies de la cathйdrale, oщ, depuis quinze ans, on lui faisait espйrer une place de chanoine; en attendant, il enseignait l’йloquence sacrйe au sйminaire. Dans le temps de son aveuglement, ce cours йtait un de ceux oщ Julien se trouvait le plus habituellement le premier. L’abbй Chas йtait parti de lа pour lui tйmoigner de l’amitiй, et, а la sortie de son cours, il le prenait volontiers sous le bras pour faire quelques tours de jardin.

 

Oщ veut-il en venir, se disait Julien? Il voyait avec йtonnement que, pendant des heures entiиres, l’abbй Chas lui parlait des ornements possйdйs par la cathйdrale. Elle avait dix-sept chasubles galonnйes, outre les ornements de deuil. On espйrait beaucoup de la vieille prйsidente de Rubemprй; cette dame, вgйe de quatre-vingt-dix ans, conservait, depuis soixante-dix au moins, ses robes de noce en superbes йtoffes de Lyon, brochйes d’or. Figurez-vous, mon ami, disait l’abbй Chas en s’arrкtant tout court et ouvrant de grands yeux, que ces йtoffes se tiennent droites tant il y a d’or. On croit gйnйralement dans Besanзon que, par le testament de la prйsidente, le trйsor de la cathйdrale sera augmentй de plus de dix chasubles, sans compter quatre ou cinq chapes pour les grandes fкtes. Je vais plus loin, ajoutait l’abbй Chas en baissant la voix, j’ai des raisons pour penser que la prйsidente nous laissera huit magnifiques flambeaux d’argent dorй, que l’on suppose avoir йtй achetйs en Italie, par le duc de Bourgogne Charles le Tйmйraire, dont un de ses ancкtres fut le ministre favori.

 

Mais oщ cet homme veut-il en venir avec toute cette friperie? pensait Julien. Cette prйparation adroite dure depuis un siиcle, et rien ne paraоt. Il faut qu’il se mйfie bien de moi! Il est plus adroit que tous les autres, dont en quinze jours on devine si bien le but secret. Je comprends, l’ambition de celui-ci souffre depuis quinze ans!

 

Un soir, au milieu de la leзon d’armes, Julien fut appelй chez l’abbй Pirard, qui lui dit:

 

– C’est demain la fкte du Corpus Domini (la Fкte-Dieu). M. l’abbй Chas-Bernard a besoin de vous pour l’aider а orner la cathйdrale, allez et obйissez.

 

L’abbй Pirard le rappela, et de l’air de la commisйration, ajouta:

 

– C’est а vous de voir si vous voulez profiter de l’occasion pour vous йcarter dans la ville.

 

Incedo per ignes, rйpondit Julien (j’ai des ennemis cachйs).

 

Le lendemain, dиs le grand matin, Julien se rendit а la cathйdrale, les yeux baissйs. L’aspect des rues et de l’activitй qui commenзait а rйgner dans la ville lui fit du bien. De toutes parts, on tendait le devant des maisons pour la procession. Tout le temps qu’il avait passй au sйminaire ne lui sembla plus qu’un instant. Sa pensйe йtait а Vergy et а cette jolie Amanda Binet qu’il pouvait rencontrer, car son cafй n’йtait pas bien йloignй. Il aperзut de loin l’abbй Chas-Bernard sur la porte de sa chиre cathйdrale; c’йtait un gros homme а face rйjouie et а l’air ouvert. Ce jour-lа, il йtait triomphant: Je vous attendais, mon cher fils, s’йcria-t-il, du plus loin qu’il vit Julien, soyez le bienvenu. La besogne de cette journйe sera longue et rude, fortifions-nous par un premier dйjeuner; le second viendra а dix heures pendant la grand’messe.

 

– Je dйsire, monsieur, lui dit Julien d’un air grave, n’кtre pas un instant seul; daignez remarquer, ajouta-t-il en lui montrant l’horloge au-dessus de leur tкte, que j’arrive а cinq heures moins une minute.

 

– Ah! ces petits mйchants du sйminaire vous font peur! Vous кtes bien bon de penser а eux, dit l’abbй Chas; un chemin est-il moins beau parce qu’il y a des йpines dans les haies qui le bordent? Les voyageurs font route et laissent les йpines mйchantes se morfondre а leur place. Du reste, а l’ouvrage, mon cher ami, а l’ouvrage!

 

L’abbй Chas avait raison de dire que la besogne serait rude. Il y avait eu la veille une grande cйrйmonie funиbre а la cathйdrale; l’on n’avait pu rien prйparer; il fallait donc, en une seule matinйe, revкtir tous les piliers gothiques qui forment les trois nefs d’une sorte d’habit de damas rouge qui monte а trente pieds de hauteur. M. l’йvкque avait fait venir par la malle-poste quatre tapissiers de Paris, mais ces messieurs ne pouvaient suffire а tout, et loin d’encourager la maladresse de leurs camarades bisontins, ils la redoublaient en se moquant d’eux.

 

Julien vit qu’il fallait monter а l’йchelle lui-mкme, son agilitй le servit bien. Il se chargea de diriger les tapissiers de la ville. L’abbй Chas enchantй le regardait voltiger d’йchelle en йchelle. Quand tous les piliers furent revкtus de damas, il fut question d’aller placer cinq йnormes bouquets de plumes sur le grand baldaquin, au-dessus du maоtre-autel. Un riche couronnement de bois dorй est soutenu par huit grandes colonnes torses en marbre d’Italie. Mais, pour arriver au centre du baldaquin, au-dessus du tabernacle, il fallait marcher sur une vieille corniche en bois, peut-кtre vermoulue et а quarante pieds d’йlйvation.

 

L’aspect de ce chemin ardu avait йteint la gaietй si brillante jusque-lа des tapissiers parisiens; ils regardaient d’en bas, discutaient beaucoup et ne montaient pas. Julien se saisit des bouquets de plumes, et monta l’йchelle en courant. Il les plaзa fort bien sur l’ornement en forme de couronne, au centre du baldaquin. Comme il descendait de l’йchelle, l’abbй Chas-Bernard le serra dans ses bras:

 

Optime, s’йcria le bon prкtre, je conterai зa а Monseigneur.

 

Le dйjeuner de dix heures fut trиs gai. Jamais l’abbй Chas n’avait vu son йglise si belle.

 

– Cher disciple, disait-il а Julien, ma mиre йtait loueuse de chaises dans cette vйnйrable basilique, de sorte que j’ai йtй nourri dans ce grand йdifice. La terreur de Robespierre nous ruina; mais, а huit ans que j’avais alors, je servais dйjа des messes en chambre, et l’on me nourrissait le jour de la messe. Personne ne savait plier une chasuble mieux que moi, jamais les galons n’йtaient coupйs. Depuis le rйtablissement du culte par Napolйon, j’ai le bonheur de tout diriger dans cette vйnйrable mйtropole. Cinq fois par an, mes yeux la voient parйe de ces ornements si beaux. Mais jamais elle n’a йtй si resplendissante, jamais les lйs de damas n’ont йtй aussi bien attachйs qu’aujourd’hui, aussi collants aux piliers.

 

– Enfin il va me dire son secret, pensa Julien, le voilа qui me parle de lui; il y a йpanchement. Mais rien d’imprudent ne fut dit par cet homme йvidemment exaltй. Et pourtant il a beaucoup travaillй, il est heureux, se dit Julien, le bon vin n’a pas йtй йpargnй. Quel homme! quel exemple pour moi! а lui le pompon. (C’йtait un mauvais mot qu’il tenait du vieux chirurgien.)

 

Comme le Sanctus de la grand’messe sonna, Julien voulut prendre un surplis pour suivre l’йvкque а la superbe procession.

 

– Et les voleurs, mon ami, et les voleurs! s’йcria l’abbй Chas, vous n’y pensez pas. La procession va sortir; l’йglise restera dйserte; nous veillerons, vous et moi. Nous serons bien heureux s’il ne nous manque qu’une couple d’aunes de ce beau galon qui environne le bas des piliers. C’est encore un don de Mme de Rubemprй; il provient du fameux comte son bisaпeul; c’est de l’or pur, mon cher ami, ajouta l’abbй en lui parlant а l’oreille et d’un air йvidemment exaltй, rien de faux! Je vous charge de l’inspection de l’aile du nord, n’en sortez pas. Je garde pour moi l’aile du midi et la grand’nef. Attention aux confessionnaux; c’est de lа que les espionnes des voleurs йpient le moment oщ nous avons le dos tournй.

 

Comme il achevait de parler, onze heures trois quarts sonnиrent, aussitфt la grosse cloche se fit entendre. Elle sonnait а pleine volйe; ces sons si pleins et si solennels йmurent Julien. Son imagination n’йtait plus sur la terre.

 

L’odeur de l’encens et des feuilles de roses jetйes devant le saint sacrement par les petits enfants dйguisйs en saint Jean, acheva de l’exalter.

 

Les sons si graves de cette cloche n’auraient dы rйveiller chez Julien que l’idйe du travail de vingt hommes payйs а cinquante centimes et aidйs peut-кtre par quinze ou vingt fidиles. Il eыt dы penser а l’usure des cordes, а celle de la charpente, au danger de la cloche elle-mкme, qui tombe tous les deux siиcles, et rйflйchir au moyen de diminuer le salaire des sonneurs, ou de les payer par quelque indulgence ou autre grвce tirйe des trйsors de l’Йglise, et qui n’aplatit pas sa bourse.

 

Au lieu de ces sages rйflexions, l’вme de Julien, exaltйe par ces sons si mвles et si pleins, errait dans les espaces imaginaires. Jamais il ne fera ni un bon prкtre, ni un grand administrateur. Les вmes qui s’йmeuvent ainsi sont bonnes tout au plus а produire un artiste. Ici йclate dans tout son jour la prйsomption de Julien. Cinquante, peut-кtre, des sйminaristes ses camarades, rendus attentifs au rйel de la vie par la haine publique et le jacobinisme qu’on leur montre en embuscade derriиre chaque haie, en entendant la grosse cloche de la cathйdrale, n’auraient songй qu’au salaire des sonneurs. Ils auraient examinй avec le gйnie de Barиme si le degrй d’йmotion du public valait l’argent qu’on donnait aux sonneurs. Si Julien eыt voulu songer aux intйrкts matйriels de la cathйdrale, son imagination, s’йlanзant au delа du but, aurait pensй а йconomiser quarante francs а la fabrique, et laissй perdre l’occasion d’йviter une dйpense de vingt-cinq centimes.

 

Tandis que, par le plus beau jour du monde, la procession parcourait lentement Besanзon, et s’arrкtait aux brillants reposoirs йlevйs а l’envi par toutes les autoritйs, l’йglise йtait restйe dans un profond silence. Une demi-obscuritй, une agrйable fraоcheur y rйgnaient; elle йtait encore embaumйe par le parfum des fleurs et de l’encens.

 

Le silence, la solitude profonde, la fraоcheur des longues nefs rendaient plus douce la rкverie de Julien. Il ne craignait point d’кtre troublй par l’abbй Chas, occupй dans une autre partie de l’йdifice. Son вme avait presque abandonnй son enveloppe mortelle, qui se promenait а pas lents dans l’aile du nord confiйe а sa surveillance. Il йtait d’autant plus tranquille, qu’il s’йtait assurй qu’il n’y avait dans les confessionnaux que quelques femmes pieuses; son њil regardait sans voir.

 

Cependant sa distraction fut а demi vaincue par l’aspect de deux femmes fort bien mises qui йtaient а genoux, l’une dans un confessionnal, et l’autre, tout prиs de la premiиre, sur une chaise. Il regardait sans voir; cependant, soit sentiment vague de ses devoirs, soit admiration pour la mise noble et simple de ces dames, il remarqua qu’il n’y avait pas de prкtre dans ce confessionnal. Il est singulier, pensa-t-il, que ces belles dames ne soient pas а genoux devant quelque reposoir, si elles sont dйvotes; ou placйes avantageusement au premier rang de quelque balcon, si elles sont du monde. Comme cette robe est bien prise! quelle grвce! Il ralentit le pas pour chercher а les voir.

 

Celle qui йtait а genoux dans le confessionnal dйtourna un peu la tкte en entendant le bruit des pas de Julien au milieu de ce grand silence. Tout а coup elle jeta un petit cri, et se trouva mal.

 

En perdant ses forces, cette dame а genoux tomba en arriиre; son amie, qui йtait prиs d’elle, s’йlanзa pour la secourir. En mкme temps, Julien vit les йpaules de la dame qui tombait en arriиre. Un collier de grosses perles fines en torsade, de lui bien connu, frappa ses regards. Que devint-il en reconnaissant la chevelure de Mme de Rкnal! c’йtait elle. La dame qui cherchait а lui soutenir la tкte et а l’empкcher de tomber tout а fait йtait Mme Derville. Julien, hors de lui, s’йlanзa; la chute de Mme de Rкnal eыt peut-кtre entraоnй son amie, si Julien ne les eыt soutenues. Il vit la tкte de Mme de Rкnal pвle, absolument privйe de sentiment, flottant sur son йpaule. Il aida Mme Derville а placer cette tкte charmante sur l’appui d’une chaise de paille; il йtait а genoux.

 

Mme Derville se retourna et le reconnut:

 

– Fuyez, Monsieur, fuyez! lui dit-elle avec l’accent de la plus vive colиre. Que surtout elle ne vous revoie pas. Votre vue doit en effet lui faire horreur, elle йtait si heureuse avant vous! Votre procйdй est atroce. Fuyez; йloignez-vous, s’il vous reste quelque pudeur.

 

Ce mot fut dit avec tant d’autoritй, et Julien йtait si faible dans ce moment, qu’il s’йloigna. Elle m’a toujours haп, se dit-il en pensant а Mme Derville.

 

Au mкme instant, le chant nasillard des premiers prкtres de la procession retentit dans l’йglise; elle rentrait. L’abbй Chas-Bernard appela plusieurs fois Julien, qui d’abord ne l’entendit pas: il vint enfin le prendre par le bras derriиre un pilier oщ Julien s’йtait rйfugiй а demi mort. Il voulait le prйsenter а l’йvкque.

 

– Vous vous trouvez mal, mon enfant, lui dit l’abbй en le voyant si pвle et presque hors d’йtat de marcher; vous avez trop travaillй. L’abbй lui donna le bras. Venez, asseyez-vous sur ce petit banc du donneur d’eau bйnite, derriиre moi; je vous cacherai. Ils йtaient alors а cфtй de la grande porte. Tranquillisez-vous, nous avons encore vingt bonnes minutes avant que Monseigneur ne paraisse. Tвchez de vous remettre; quand il passera, je vous soulиverai, car je suis fort et vigoureux, malgrй mon вge.

 

Mais quand l’йvкque passa, Julien йtait tellement tremblant, que l’abbй Chas renonзa а l’idйe de le prйsenter.

 

– Ne vous affligez pas trop, lui dit-il, je retrouverai une occasion.

 

Le soir, il fit porter а la chapelle du sйminaire dix livres de cierges йconomisйs, dit-il, par les soins de Julien, et la rapiditй avec laquelle il avait fait йteindre. Rien de moins vrai. Le pauvre garзon йtait йteint lui-mкme; il n’avait pas eu une idйe depuis la vue de Mme de Rкnal.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 88 | Нарушение авторских прав


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