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Chapitre XXIII. Chagrins d’un fonctionnaire

Chapitre XII. Un voyage | Chapitre XIII. Les Bas а jour | Chapitre XIV. Les Ciseaux anglais | Chapitre XV. Le Chant du coq | Chapitre XVI. Le Lendemain | Chapitre XVII. Le Premier Adjoint | Chapitre XVIII. Un roi а Verriиres | Chapitre XIX. Penser fait souffrir | Chapitre XX. Les Lettres anonymes | Chapitre XXI. Dialogue avec un maоtre |


Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Il piacete di alzar la testa tutto l’anno и ben pagato da certi quarti d’ora che bisogna passar.

 

CASTI.

 

Mais laissons ce petit homme а ses petites craintes; pourquoi a-t-il pris dans sa maison un homme de cњur, tandis qu’il lui fallait l’вme d’un valet? Que ne sait-il choisir ses gens? La marche ordinaire du XIXe siиcle est que, quand un кtre puissant et noble rencontre un homme de cњur, il le tue, l’exile, l’emprisonne ou l’humilie tellement, que l’autre a la sottise d’en mourir de douleur. Par hasard ici, ce n’est pas encore l’homme de cњur qui souffre. Le grand malheur des petites villes de France et des gouvernements par йlections, comme celui de New York, c’est de ne pas pouvoir oublier qu’il existe au monde des кtres comme M. de Rкnal. Au milieu d’une ville de vingt mille habitants, ces hommes font l’opinion publique, et l’opinion publique est terrible dans un pays qui a la charte. Un homme douй d’une вme noble, gйnйreuse, et qui eыt йtй votre ami, mais qui habite а cent lieues, juge de vous par l’opinion publique de votre ville, laquelle est faite par les sots que le hasard a fait naоtre nobles, riches et modйrйs. Malheur а qui se distingue!

 

Aussitфt aprиs le dоner, on repartit pour Vergy; mais, dиs le surlendemain, Julien vit revenir toute la famille а Verriиres.

 

Une heure ne s’йtait pas йcoulйe, qu’а son grand йtonnement, il dйcouvrit que Mme de Rкnal lui faisait mystиre de quelque chose. Elle interrompait ses conversations avec son mari dиs qu’il paraissait, et semblait presque dйsirer qu’il s’йloignвt. Julien ne se fit pas donner deux fois cet avis. Il devint froid et rйservй; Mme de Rкnal s’en aperзut et ne chercha pas d’explications. Va-t-elle me donner un successeur? pensa Julien. Avant-hier encore, si intime avec moi! Mais on dit que c’est ainsi que ces grandes dames en agissent. C’est comme les rois, jamais plus de prйvenances qu’au ministre qui, en rentrant chez lui, va trouver sa lettre de disgrвce.

 

Julien remarqua que dans ces conversations, qui cessaient brusquement а son approche, il йtait souvent question d’une grande maison appartenant а la commune de Verriиres, vieille, mais vaste et commode, et situйe vis-а-vis l’йglise, dans l’endroit le plus marchand de la ville. Que peut-il y avoir de commun entre cette maison et un nouvel amant! se disait Julien. Dans son chagrin, il se rйpйtait ces jolis vers de Franзois Ier, qui lui semblaient nouveaux, parce qu’il n’y avait pas un mois que Mme de Rкnal les lui avait appris. Alors, par combien de serments, par combien de caresses chacun de ces vers n’йtait-il pas dйmenti!

 

Souvent femme varie,

 

Bien fol qui s’y fie.

 

M. de Rкnal partit en poste pour Besanзon. Ce voyage se dйcida en deux heures, il paraissait fort tourmentй. Au retour, il jeta un gros paquet couvert de papier gris sur la table.

 

– Voilа cette sotte affaire, dit-il а sa femme.

 

Une heure aprиs, Julien vit l’afficheur qui emportait ce gros paquet; il le suivit avec empressement. Je vais savoir le secret au premier coin de rue.

 

Il attendait, impatient, derriиre l’afficheur, qui, avec son gros pinceau, barbouillait le dos de l’affiche. А peine fut-elle en place, que la curiositй de Julien y vit l’annonce fort dйtaillйe de la location aux enchиres publiques de cette grande et vieille maison dont le nom revenait si souvent dans les conversations de M. de Rкnal avec sa femme. L’adjudication du bail йtait annoncйe pour le lendemain а deux heures, en la salle de la commune, а l’extinction du troisiиme feu. Julien fut fort dйsappointй; il trouvait bien le dйlai un peu court: comment tous les concurrents auraient-ils le temps d’кtre avertis? Mais du reste, cette affiche, qui йtait datйe de quinze jours auparavant et qu’il relut tout entiиre en trois endroits diffйrents, ne lui apprenait rien.

 

Il alla visiter la maison а louer. Le portier, ne le voyant pas approcher, disait mystйrieusement а un voisin:

 

– Bah! bah! peine perdue. M. Maslon lui a promis qu’il l’aura pour trois cents francs; et comme le maire regimbait, il a йtй mandй а l’йvкchй, par M. le grand vicaire de Frilair.

 

L’arrivйe de Julien eut l’air de dйranger beaucoup les deux amis, qui n’ajoutиrent plus un mot.

 

Julien ne manqua pas l’adjudication du bail. Il y avait foule dans une salle mal йclairйe; mais tout le monde se toisait d’une faзon singuliиre. Tous les yeux йtaient fixйs sur une table, oщ Julien aperзut, dans un plat d’йtain, trois petits bouts de bougie allumйs. L’huissier criait: Trois cents francs, messieurs!

 

– Trois cents francs! c’est trop fort, dit un homme, а voix basse, а son voisin. Et Julien йtait entre eux deux. Elle en vaut plus de huit cents; je veux couvrir cette enchиre.

 

– C’est cracher en l’air. Que gagneras-tu а te mettre а dos M. Maslon, M. Valenod, l’йvкque, son terrible grand vicaire de Frilair, et toute la clique.

 

– Trois cent vingt francs, dit l’autre en criant.

 

– Vilaine bкte! rйpliqua son voisin. Et voilа justement un espion du maire, ajouta-t-il en montrant Julien.

 

Julien se retourna vivement pour punir ce propos; mais les deux Francs-Comtois ne faisaient plus aucune attention а lui. Leur sang-froid lui rendit le sien. En ce moment, le dernier bout de bougie s’йteignit, et la voix traоnante de l’huissier adjugeait la maison, pour neuf ans, а M. de Saint-Giraud, chef de bureau а la prйfecture de ***, et pour trois cent trente francs.

 

Dиs que le maire fut sorti de la salle, les propos commencиrent.

 

– Voilа trente francs que l’imprudence de Grogeot vaut а la commune, disait l’un.

 

– Mais M. de Saint-Giraud, rйpondait-on, se vengera de Grogeot, il la sentira passer.

 

– Quelle infamie! disait un gros homme а la gauche de Julien: une maison dont j’aurais donnй, moi, huit cents francs pour ma fabrique, et j’aurais fait un bon marchй.

 

– Bah! lui rйpondait un jeune fabricant libйral, M. de Saint-Giraud n’est-il pas de la congrйgation? ses quatre enfants n’ont-ils pas des bourses? Le pauvre homme! Il faut que la commune de Verriиres lui fasse un supplйment de traitement de cinq cents francs, voilа tout.

 

– Et dire que le maire n’a pas pu l’empкcher! remarquait un troisiиme. Car il est ultra, lui, а la bonne heure; mais il ne vole pas.

 

– Il ne vole pas? reprit un autre; non, c’est pigeon qui vole. Tout cela entre dans une grande bourse commune, et tout se partage au bout de l’an. Mais voilа ce petit Sorel; allons-nous-en.

 

Julien rentra de trиs mauvaise humeur; il trouva Mme de Rкnal fort triste.

 

– Vous venez de l’adjudication? lui dit-elle.

 

– Oui, Madame, oщ j’ai eu l’honneur de passer pour l’espion de M. le maire.

 

– S’il m’avait cru, il eыt fait un voyage.

 

А ce moment, M. de Rкnal parut; il йtait fort sombre. Le dоner se passa sans mot dire, M. de Rкnal ordonna а Julien de suivre les enfants а Vergy, le voyage fut triste. Mme de Rкnal consolait son mari:

 

– Vous devriez y кtre accoutumй, mon ami.

 

Le soir, on йtait assis en silence autour du foyer domestique; le bruit du hкtre enflammй йtait la seule distraction. C’йtait un des moments de tristesse qui se rencontrent dans les familles les plus unies. Un des enfants s’йcria joyeusement:

 

– On sonne! on sonne!

 

– Morbleu! si c’est M. de Saint-Giraud qui vient me relancer sous prйtexte de remerciement, s’йcria le maire, je lui dirai son fait; c’est trop fort. C’est au Valenod qu’il en aura l’obligation, et c’est moi qui suis compromis. Que dire, si ces maudits journaux jacobins vont s’emparer de cette anecdote, et faire de moi un M. Nonante-cinq?

 

Un fort bel homme, aux gros favoris noirs, entrait en ce moment а la suite du domestique.

 

– M. le maire, je suis il signor Geronimo. Voici une lettre que M. le chevalier de Beauvaisis, attachй а l’ambassade de Naples, m’a remise pour vous а mon dйpart; il n’y a que neuf jours, ajouta le signor Geronimo, d’un air gai, en regardant Mme de Rкnal. Le signor de Beauvaisis, votre cousin, et mon bon ami, Madame, dit que vous savez l’italien.

 

La bonne humeur du Napolitain changea cette triste soirйe en une soirйe fort gaie. Mme de Rкnal voulut absolument lui donner а souper. Elle mit toute sa maison en mouvement; elle voulait а tout prix distraire Julien de la qualification d’espion que, deux fois dans cette journйe, il avait entendu retentir а son oreille. Le signor Geronimo йtait un chanteur cйlиbre, homme de bonne compagnie, et cependant fort gai, qualitйs qui, en France ne sont guиre plus compatibles. Il chanta aprиs souper un petit duettino avec Mme de Rкnal. Il fit des contes charmants. А une heure du matin, les enfants se rйcriиrent, quand Julien leur proposa d’aller se coucher.

 

– Encore cette histoire, dit l’aоnй.

 

– C’est la mienne, Signorino, reprit le signor Geronimo. Il y a huit ans, j’йtais comme vous un jeune йlиve du conservatoire de Naples, j’entends j’avais votre вge; mais je n’avais pas l’honneur d’кtre le fils de l’illustre maire de la jolie ville de Verriиres.

 

Ce mot fit soupirer M. de Rкnal, il regarda sa femme.

 

– Le signor Zingarelli, continua le jeune chanteur, outrant un peu son accent qui faisait pouffer de rire les enfants, le signor Zingarelli йtait un maоtre excessivement sйvиre. Il n’est pas aimй au conservatoire; mais il veut qu’on agisse toujours comme si on l’aimait. Je sortais le plus souvent que je pouvais; j’allais au petit thйвtre de San-Carlino, oщ j’entendais une musique des dieux: mais, ф ciel! comment faire pour rйunir les huit sous que coыte l’entrйe du parterre? Somme йnorme, dit-il en regardant les enfants, et les enfants de rire. Le signor Giovannone, directeur de San-Carlino, m’entendit chanter. J’avais seize ans: Cet enfant, il est un trйsor, dit-il.

 

– Veux-tu que je t’engage, mon cher ami? vint-il me dire.

 

– Et combien me donnerez-vous?

 

– Quarante ducats par mois. Messieurs, c’est cent soixante francs. Je crus voir les cieux ouverts.

 

– Mais comment, dis-je а Giovannone, obtenir que le sйvиre Zingarelli me laisse sortir?

 

Lascia fare a me.

 

– Laissez faire а moi! s’йcria l’aоnй des enfants.

 

– Justement, mon jeune seigneur. Le signor Giovannone il me dit: Caro, d’abord un petit bout d’engagement. Je signe: il me donne trois ducats. Jamais je n’avais vu tant d’argent. Ensuite il me dit ce que je dois faire.

 

Le lendemain, je demande une audience au terrible signor Zingarelli. Son vieux valet de chambre me fait entrer.

 

– Que me veux-tu, mauvais sujet? dit Zingarelli.

 

– Maestro, lui fis-je, je me repens de mes fautes; jamais je ne sortirai du conservatoire en passant par-dessus la grille de fer. Je vais redoubler d’application.

 

– Si je ne craignais pas de gвter la plus belle voix de basse que j’aie jamais entendue, je te mettrais en prison au pain et а l’eau pour quinze jours, polisson.

 

– Maestro, repris-je, je vais кtre le modиle de toute l’йcole, credete a me. Mais je vous demande une grвce, si quelqu’un vient me demander pour chanter dehors, refusez-moi. De grвce, dites que vous ne pouvez pas.

 

– Et qui diable veux-tu qui demande un mauvais garnement tel que toi? Est-ce que je permettrai jamais que tu quittes le conservatoire? Est-ce que tu veux te moquer de moi? Dйcampe, dйcampe! dit-il en cherchant а me donner un coup de pied au c… ou gare le pain sec et la prison.

 

Une heure aprиs, le signor Giovannone arrive chez le directeur:

 

– Je viens vous demander de faire ma fortune, lui dit-il, accordez-moi Geronimo. Qu’il chante а mon thйвtre, et cet hiver je marie ma fille.

 

– Que veux-tu faire de ce mauvais sujet? lui dit Zingarelli. Je ne veux pas; tu ne l’auras pas; et d’ailleurs, quand j’y consentirais, jamais il ne voudra quitter le conservatoire; il vient de me le jurer.

 

– Si ce n’est que de sa volontй qu’il s’agit, dit gravement Giovannone en tirant de sa poche mon engagement, carta canta! voici sa signature.

 

Aussitфt Zingarelli, furieux, se pend а sa sonnette: Qu’on chasse Geronimo du conservatoire, cria-t-il, bouillant de colиre. On me chassa donc, moi riant aux йclats. Le mкme soir, je chantai l’air del Moltiplico. Polichinelle veut se marier et compte, sur ses doigts, les objets dont il aura besoin dans son mйnage, et il s’embrouille а chaque instant dans ce calcul.

 

– Ah! veuillez, Monsieur, nous chanter cet air, dit Mme de Rкnal.

 

Geronimo chanta, et tout le monde pleurait а force de rire. Il signor Geronimo n’alla se coucher qu’а deux heures du matin, laissant cette famille enchantйe de ses bonnes maniиres, de sa complaisance et de sa gaietй.

 

Le lendemain, M. et Mme de Rкnal lui remirent les lettres dont il avait besoin а la cour de France.

 

Ainsi, partout de la faussetй, dit Julien. Voilа il signor Geronimo qui va а Londres avec soixante mille francs d’appointements. Sans le savoir-faire du directeur de San-Carlino, sa voix divine n’eыt peut-кtre йtй connue et admirйe que dix ans plus tard… Ma foi, j’aimerais mieux кtre un Geronimo qu’un Rкnal. Il n’est pas si honorй dans la sociйtй, mais il n’a pas le chagrin de faire des adjudications comme celle d’aujourd’hui, et sa vie est gaie.

 

Une chose йtonnait Julien: les semaines solitaires passйes а Verriиres, dans la maison de M. de Rкnal, avaient йtй pour lui une йpoque de bonheur. Il n’avait rencontrй le dйgoыt et les tristes pensйes qu’aux dоners qu’on lui avait donnйs; dans cette maison solitaire, ne pouvait-il pas lire, йcrire, rйflйchir sans кtre troublй? А chaque instant, il n’йtait pas tirй de ses rкveries brillantes par la cruelle nйcessitй d’йtudier les mouvements d’une вme basse, et encore afin de la tromper par des dйmarches ou des mots hypocrites.

 

Le bonheur serait-il si prиs de moi?… La dйpense d’une telle vie est peu de chose; je puis а mon choix йpouser Mlle Йlisa, ou me faire l’associй de Fouquй… Mais le voyageur qui vient de gravir une montagne rapide s’assied au sommet, et trouve un plaisir parfait а se reposer. Serait-il heureux si on le forзait а se reposer toujours?

 

L’esprit de Mme de Rкnal йtait arrivй а des pensйes fatales. Malgrй ses rйsolutions, elle avait avouй а Julien toute l’affaire de l’adjudication. Il me fera donc oublier tous mes serments, pensait-elle!

 

Elle eыt sacrifiй sa vie sans hйsiter pour sauver celle de son mari, si elle l’eыt vu en pйril. C’йtait une de ces вmes nobles et romanesques, pour qui apercevoir la possibilitй d’une action gйnйreuse, et ne pas la faire, est la source d’un remords presque йgal а celui du crime commis. Toutefois, il y avait des jours funestes oщ elle ne pouvait chasser l’image de l’excиs de bonheur qu’elle goыterait si, devenant veuve tout а coup, elle pouvait йpouser Julien.

 

Il aimait ses fils beaucoup plus que leur pиre; malgrй sa justice sйvиre, il en йtait adorй. Elle sentait bien qu’йpousant Julien, il fallait quitter ce Vergy dont les ombrages lui йtaient si chers. Elle se voyait vivant а Paris, continuant а donner а ses fils cette йducation qui faisait l’admiration de tout le monde. Ses enfants, elle, Julien, tous йtaient parfaitement heureux.

 

Йtrange effet du mariage, tel que l’a fait le XIXe siиcle! L’ennui de la vie matrimoniale fait pйrir l’amour sыrement, quand l’amour a prйcйdй le mariage. Et cependant, dirait un philosophe, il amиne bientфt, chez les gens assez riches pour ne pas travailler, l’ennui profond de toutes les jouissances tranquilles. Et ce n’est que les вmes sиches, parmi les femmes, qu’il ne prйdispose pas а l’amour.

 

La rйflexion du philosophe me fait excuser Mme de Rкnal, mais on ne l’excusait pas а Verriиres, et toute la ville, sans qu’elle s’en doutвt, n’йtait occupйe que du scandale de ses amours. А cause de cette grande affaire, cet automne-lа on s’y ennuya moins que de coutume.

 

L’automne, une partie de l’hiver passиrent bien vite. Il fallut quitter les bois de Vergy. La bonne compagnie de Verriиres commenзait а s’indigner de ce que ses anathиmes faisaient si peu d’impression sur M. de Rкnal. En moins de huit jours, des personnes graves qui se dйdommagent de leur sйrieux habituel par le plaisir de remplir ces sortes de missions lui donnиrent les soupзons les plus cruels, mais en se servant des termes les plus mesurйs.

 

M. Valenod, qui jouait serrй, avait placй Йlisa dans une famille noble et fort considйrйe, oщ il y avait cinq femmes. Йlisa craignant, disait-elle, de ne pas trouver de place pendant l’hiver, n’avait demandй а cette famille que les deux tiers а peu prиs de ce qu’elle recevait chez M. le maire. D’elle-mкme, cette fille avait eu l’excellente idйe d’aller se confesser а l’ancien curй Chйlan et en mкme temps au nouveau, afin de leur raconter а tous les deux le dйtail des amours de Julien.

 

Le lendemain de son arrivй, dиs six heures du matin, l’abbй Chйlan fit appeler Julien:

 

– Je ne vous demande rien, lui dit-il, je vous prie, et au besoin je vous ordonne de ne me rien dire; j’exige que sous trois jours vous partiez pour le sйminaire de Besanзon, ou pour la demeure de votre ami Fouquй, qui est toujours disposй а vous faire un sort magnifique. J’ai tout prйvu, tout arrangй, mais il faut partir, et ne pas revenir d’un an а Verriиres.

 

Julien ne rйpondit point; il examinait si son honneur devait s’estimer offensй des soins que M. Chйlan, qui aprиs tout n’йtait pas son pиre, avait pris pour lui.

 

– Demain а pareille heure, j’aurai l’honneur de vous revoir, dit-il enfin au curй.

 

M. Chйlan, qui comptait l’emporter de haute lutte sur un si jeune homme, parla beaucoup. Enveloppй dans l’attitude et la physionomie la plus humble, Julien n’ouvrit pas la bouche.

 

Il sortit enfin, et courut prйvenir Mme de Rкnal, qu’il trouva au dйsespoir. Son mari venait de lui parler avec une certaine franchise. La faiblesse naturelle de son caractиre, s’appuyant sur la perspective de l’hйritage de Besanзon, l’avait dйcidй а la considйrer comme parfaitement innocente. Il venait de lui avouer l’йtrange йtat dans lequel il trouvait l’opinion publique de Verriиres. Le public avait tort, il йtait йgarй par des envieux, mais enfin que faire?

 

Mme de Rкnal eut un instant l’illusion que Julien pourrait accepter les offres de M. Valenod et rester а Verriиres. Mais ce n’йtait plus cette femme simple et timide de l’annйe prйcйdente; sa fatale passion, ses remords l’avaient йclairйe. Elle eut bientфt la douleur de se prouver а elle-mкme, tout en йcoutant son mari, qu’une sйparation au moins momentanйe йtait devenue indispensable. Loin de moi, Julien va retomber dans ses projets d’ambition si naturels quand on n’a rien. Et moi, grand Dieu! je suis si riche! et si inutilement pour mon bonheur! Il m’oubliera. Aimable comme il est, il sera aimй, il aimera. Ah! malheureuse… De quoi puis-je me plaindre? Le ciel est juste, je n’ai pas eu le mйrite de faire cesser le crime, il m’фte le jugement. Il ne tenait qu’а moi de gagner Йlisa а force d’argent, rien ne m’йtait plus facile. Je n’ai pas pris la peine de rйflйchir un moment, les folles imaginations de l’amour absorbaient tout mon temps. Je pйris.

 

Julien fut frappй d’une chose, en apprenant la terrible nouvelle du dйpart а Mme de Rкnal, il ne trouva aucune objection йgoпste. Elle faisait йvidemment des efforts pour ne pas pleurer.

 

– Nous avons besoin de fermetй, mon ami.

 

Elle coupa une mиche de ses cheveux.

 

– Je ne sais pas ce que je ferai, lui dit-elle, mais si je meurs, promets-moi de ne jamais oublier mes enfants. De loin ou de prиs, tвche d’en faire d’honnкtes gens. S’il y a une nouvelle rйvolution, tous les nobles seront йgorgйs, leur pиre s’йmigrera peut-кtre а cause de ce paysan tuй sur un toit. Veille sur la famille… Donne-moi ta main. Adieu, mon ami! Ce sont ici les derniers moments. Ce grand sacrifice fait, j’espиre qu’en public j’aurai le courage de penser а ma rйputation.

 

Julien s’attendait а du dйsespoir. La simplicitй de ces adieux le toucha.

 

– Non, je ne reзois pas ainsi vos adieux. Je partirai; ils le veulent; vous le voulez vous-mкme. Mais, trois jours aprиs mon dйpart, je reviendrai vous voir de nuit.

 

L’existence de Mme de Rкnal fut changйe. Julien l’aimait donc bien, puisque de lui-mкme il avait trouvй l’idйe de la revoir! Son affreuse douleur se changea en un des plus vifs mouvements de joie qu’elle eыt йprouvйs de sa vie. Tout lui devint facile. La certitude de revoir son ami фtait а ces derniers moments tout ce qu’ils avaient de dйchirant. Dиs cet instant, la conduite, comme la physionomie de Mme de Rкnal, fut noble, ferme et parfaitement convenable.

 

M. de Rкnal rentra bientфt; il йtait hors de lui. Il parla enfin а sa femme de la lettre anonyme reзue deux mois auparavant.

 

– Je veux la porter au Casino, montrer а tous qu’elle est de cet infвme Valenod, que j’ai pris а la besace pour en faire un des plus riches bourgeois de Verriиres. Je lui en ferai honte publiquement, et puis me battrai avec lui. Ceci est trop fort.

 

Je pourrais кtre veuve, grand Dieu! pensa Mme de Rкnal. Mais presque au mкme instant, elle se dit: Si je n’empкche pas ce duel, comme certainement je le puis, je serai la meurtriиre de mon mari.

 

Jamais elle n’avait mйnagй sa vanitй avec autant d’adresse. En moins de deux heures, elle lui fit voir, et toujours par des raisons trouvйes par lui, qu’il fallait marquer plus d’amitiй que jamais а M. Valenod, et mкme reprendre Йlisa dans la maison. Mme de Rкnal eut besoin de courage pour se dйcider а revoir cette fille, cause de tous ses malheurs. Mais cette idйe venait de Julien.

 

Enfin, aprиs avoir йtй mis trois ou quatre fois sur la voie, M. de Rкnal arriva, tout seul, а l’idйe financiиrement bien pйnible, que ce qu’il y aurait de plus dйsagrйable pour lui, ce serait que Julien, au milieu de l’effervescence et des propos de tout Verriиres, y restвt comme prйcepteur des enfants de M. Valenod. L’intйrкt йvident de Julien йtait d’accepter les offres du directeur du dйpфt de mendicitй. Il importait au contraire а la gloire de M. de Rкnal que Julien quittвt Verriиres pour entrer au sйminaire de Besanзon ou а celui de Dijon. Mais comment l’y dйcider, et ensuite comment y vivrait-il?

 

M. de Rкnal, voyant l’imminence du sacrifice d’argent, йtait plus au dйsespoir que sa femme. Pour elle, aprиs cet entretien, elle йtait dans la position d’un homme de cњur qui, las de la vie, a pris une dose de stramonium; il n’agit plus que par ressort, pour ainsi dire, et ne porte plus d’intйrкt а rien. Ainsi il arriva а Louis XIV mourant de dire: Quand j’йtais roi. Parole admirable!

 

Le lendemain, dиs le grand matin, M. de Rкnal reзut une lettre anonyme. Celle-ci йtait du style le plus insultant. Les mots les plus grossiers applicables а sa position s’y voyaient а chaque ligne. C’йtait l’ouvrage de quelque envieux subalterne. Cette lettre le ramena а la pensйe de se battre avec M. Valenod. Bientфt son courage alla jusqu’aux idйes d’exйcution immйdiate. Il sortit seul, et alla chez l’armurier prendre des pistolets qu’il fit charger.

 

Au fait, se disait-il, l’administration sйvиre de l’empereur Napolйon reviendrait au monde, que moi je n’ai pas un sou de friponneries а me reprocher. J’ai tout au plus fermй les yeux, mais j’ai de bonnes lettres dans mon bureau qui m’y autorisent.

 

Mme de Rкnal fut effrayйe de la colиre froide de son mari, elle lui rappelait la fatale idйe de veuvage qu’elle avait tant de peine а repousser. Elle s’enferma avec lui. Pendant plusieurs heures elle lui parla en vain, la nouvelle lettre anonyme le dйcidait. Enfin elle parvint а transformer le courage de donner un soufflet а M. Valenod en celui d’offrir six cents francs а Julien pour une annйe de sa pension dans un sйminaire. M. de Rкnal, maudissant mille fois le jour oщ il avait eu la fatale idйe de prendre un prйcepteur chez lui, oublia la lettre anonyme.

 

Il se consola un peu par une idйe, qu’il ne dit pas а sa femme: avec de l’adresse, et en se prйvalant des idйes romanesques du jeune homme, il espйrait l’engager, pour une somme moindre, а refuser les offres de M. Valenod.

 

Mme de Rкnal eut bien plus de peine а prouver а Julien que, faisant aux convenances de son mari le sacrifice d’une place de huit cents francs que lui offrait publiquement le directeur du dйpфt, il pouvait sans honte accepter un dйdommagement.

 

– Mais, disait toujours Julien, jamais je n’ai eu, mкme pour un instant, le projet d’accepter ces offres. Vous m’avez trop accoutumй а la vie йlйgante, la grossiиretй de ces gens-lа me tuerait.

 

La cruelle nйcessitй, avec sa main de fer, plia la volontй de Julien. Son orgueil lui offrait l’illusion de n’accepter que comme un prкt la somme offerte par le maire de Verriиres, et de lui en faire un billet portant remboursement dans cinq ans avec intйrкts.

 

Mme de Rкnal avait toujours quelques milliers de francs cachйs dans la petite grotte de la montagne.

 

Elle les lui offrit en tremblant, et sentant trop qu’elle serait refusйe avec colиre.

 

– Voulez-vous, lui dit Julien, rendre le souvenir de nos amours abominable?

 

Enfin Julien quitta Verriиres. M. de Rкnal fut bien heureux; au moment fatal d’accepter de l’argent de lui, ce sacrifice se trouva trop fort pour Julien. Il refusa net. M. de Rкnal lui sauta au cou les larmes aux yeux. Julien lui ayant demandй un certificat de bonne conduite, il ne trouva pas dans son enthousiasme de termes assez magnifiques pour exalter sa conduite. Notre hйros avait cinq louis d’йconomies et comptait demander une pareille somme а Fouquй.

 

Il йtait fort йmu. Mais а une lieue de Verriиres, oщ il laissait tant d’amour, il ne songea plus qu’au bonheur de voir une capitale, une grande ville de guerre comme Besanзon.

 

Pendant cette courte absence de trois jours, Mme de Rкnal fut trompйe par une des plus cruelles dйceptions de l’amour. Sa vie йtait passable, il y avait entre elle et l’extrкme malheur cette derniиre entrevue qu’elle devait avoir avec Julien. Elle comptait les heures, les minutes qui l’en sйparaient. Enfin, pendant la nuit du troisiиme jour, elle entendit de loin le signal convenu. Aprиs avoir traversй mille dangers, Julien parut devant elle.

 

De ce moment, elle n’eut plus qu’une pensйe, c’est pour la derniиre fois que je le vois. Loin de rйpondre aux empressements de son ami, elle fut comme un cadavre а peine animй. Si elle se forзait а lui dire qu’elle l’aimait, c’йtait d’un air gauche qui prouvait presque le contraire. Rien ne put la distraire de l’idйe cruelle de sйparation йternelle. Le mйfiant Julien crut un instant кtre dйjа oubliй. Ses mots piquйs dans ce sens ne furent accueillis que par de grosses larmes coulant en silence, et des serrements de main presque convulsifs.

 

– Mais, grand Dieu! comment voulez-vous que je vous croie? rйpondait Julien aux froides protestations de son amie; vous montreriez cent fois plus d’amitiй sincиre а Mme Derville, а une simple connaissance.

 

Mme de Rкnal, pйtrifiйe, ne savait que rйpondre:

 

– Il est impossible d’кtre plus malheureuse… J’espиre que je vais mourir… Je sens mon cњur se glacer…

 

Telles furent les rйponses les plus longues qu’il put en obtenir.

 

Quand l’approche du jour vint rendre le dйpart nйcessaire, les larmes de Mme de Rкnal cessиrent tout а fait. Elle le vit attacher une corde nouйe а la fenкtre sans mot dire, sans lui rendre ses baisers. En vain Julien lui disait:

 

– Nous voici arrivйs а l’йtat que vous avez tant souhaitй. Dйsormais vous vivrez sans remords. А la moindre indisposition de vos enfants, vous ne les verrez plus dans la tombe.

 

– Je suis fвchйe que vous ne puissiez pas embrasser Stanislas, lui dit-elle froidement.

 

Julien finit par кtre profondйment frappй des embrassements sans chaleur de ce cadavre vivant; il ne put penser а autre chose pendant plusieurs lieues. Son вme йtait navrйe, et avant de passer la montagne, tant qu’il put voir le clocher de l’йglise de Verriиres, souvent il se retourna.


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