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Chapitre XVII

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Читайте также:
  1. Chapitre I La ligne
  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

Le comte se regardait comme hors du ministиre. «Voyons un peu, se dit-il, combien nous pourrons avoir de chevaux aprиs ma disgrвce, car c’est ainsi qu’on appellera ma retraite.» Le comte fit l’йtat de sa fortune: il йtait entrй au ministиre avec quatre-vingt mille francs de bien; а son grand йtonnement, il trouva que, tout comptй, son avoir actuel ne s’йlevait pas а cinq cent mille francs: «C’est vingt mille livres de rente tout au plus, se dit-il. Il faut convenir que je suis un grand йtourdi! Il n’y a pas un bourgeois а Parme qui ne me croie cent cinquante mille livres de rente; et le prince, sur ce sujet, est plus bourgeois qu’un autre. Quand ils me verront dans la crotte, ils diront que je sais bien cacher ma fortune. Pardieu, s’йcria-t-il, si je suis encore ministre trois mois, nous la verrons doublйe, cette fortune.» Il trouva dans cette idйe l’occasion d’йcrire а la duchesse, et la saisit avec aviditй; mais pour se faire pardonner une lettre dans les termes oщ ils en йtaient, il remplit celle-ci de chiffres et de calculs. «Nous n’aurons que vingt mille livres de rente, lui dit-il, pour vivre tous trois а Naples, Fabrice, vous et moi. Fabrice et moi nous aurons un cheval de selle а nous deux.» Le ministre venait а peine d’envoyer sa lettre, lorsqu’on annonзa le fiscal gйnйral Rassi; il le reзut avec une hauteur qui frisait l’impertinence.

 

– Comment, monsieur, lui dit-il, vous faites enlever а Bologne un conspirateur que je protиge, de plus vous voulez lui couper le cou, et vous ne me dites rien! Savez-vous au moins le nom de mon successeur? Est-ce le gйnйral Conti, ou vous-mкme?

 

Le Rassi fut atterrй; il avait trop peu d’habitude de la bonne compagnie pour deviner si le comte parlait sйrieusement: il rougit beaucoup, вnonna quelques mots peu intelligibles; le comte le regardait et jouissait de son embarras. Tout а coup le Rassi se secoua et s’йcria avec une aisance parfaite et de l’air de Figaro pris en flagrant dйlit par Almaviva:

 

– Ma foi, monsieur le comte, je n’irai point par quatre chemins avec Votre Excellence: que me donnerez-vous pour rйpondre а toutes vos questions comme je ferais а celles de mon confesseur?

 

– La croix de Saint-Paul (c’est l’ordre de Parme), ou de l’argent, si vous pouvez me fournir un prйtexte pour vous en accorder.

 

– J’aime mieux la croix de Saint-Paul, parce qu’elle m’anoblit.

 

– Comment, cher fiscal, vous faites encore quelque cas de notre pauvre noblesse?

 

– Si j’йtais nй noble, rйpondit le Rassi avec toute l’impudence de son mйtier, les parents des gens que j’ai fait pendre me haпraient, mais ils ne me mйpriseraient pas.

 

– Eh bien! je vous sauverai du mйpris, dit le comte, guйrissez-moi de mon ignorance. Que comptez-vous faire de Fabrice?

 

– Ma foi, le prince est fort embarrassй: il craint que, sйduit par les beaux yeux d’Armide, pardonnez а ce langage un peu vif, ce sont les termes prйcis du souverain; il craint que, sйduit par de fort beaux yeux qui l’ont un peu touchй lui-mкme, vous ne le plantiez lа, et il n’y a que vous pour les affaires de Lombardie. Je vous dirai mкme, ajouta Rassi en baissant la voix, qu’il y a lа une fiиre occasion pour vous, et qui vaut bien la croix de Saint-Paul que vous me donnez. Le prince vous accorderait, comme rйcompense nationale, une jolie terre valant six cent mille francs qu’il distrairait de son domaine, ou une gratification de trois cent mille francs йcus, si vous vouliez consentir а ne pas vous mкler du sort de Fabrice del Dongo, ou du moins а ne lui en parler qu’en public.

 

– Je m’attendais а mieux que зa, dit le comte; ne pas me mкler de Fabrice c’est me brouiller avec la duchesse.

 

– Eh bien! c’est encore ce que dit le prince: le fait est qu’il est horriblement montй contre Mme la duchesse, entre nous soit dit; et il craint que, pour dйdommagement de la brouille avec cette dame aimable, maintenant que vous voilа veuf, vous ne lui demandiez la main de sa cousine, la vieille princesse Isota, laquelle n’est вgйe que de cinquante ans.

 

– Il a devinй juste, s’йcria le comte, notre maоtre est l’homme le plus fin de ses Etats.

 

Jamais le comte n’avait eu l’idйe baroque d’йpouser cette vieille princesse; rien ne fыt allй plus mal а un homme que les cйrйmonies de cour ennuyaient а la mort.

 

Il se mit а jouer avec sa tabatiиre sur le marbre d’une petite table voisine de son fauteuil. Rassi vit dans ce geste d’embarras la possibilitй d’une bonne aubaine; son њil brilla.

 

– De grвce, monsieur le comte, s’йcria-t-il, si Votre Excellence veut accepter, ou la terre de six cent mille francs, ou la gratification en argent, je la prie de ne point choisir d’autre nйgociateur que moi. Je me ferais fort, ajouta-t-il en baissant la voix, de faire augmenter la gratification en argent ou mкme de faire joindre une forкt assez importante а la terre domaniale. Si Votre Excellence daignait mettre un peu de douceur et de mйnagement dans sa faзon de parler au prince de ce morveux qu’on a coffrй, on pourrait peut-кtre йriger en duchй la terre que lui offrirait la reconnaissance nationale. Je le rйpиte а Votre Excellence; le prince, pour le quart d’heure, exиcre la duchesse, mais il est fort embarrassй, et mкme au point que j’ai cru parfois qu’il y avait quelque circonstance secrиte qu’il n’osait pas m’avouer. Au fond on peut trouver ici une mine d’or, moi vous vendant ses secrets les plus intimes et fort librement, car on me croit votre ennemi jurй. Au fond, s’il est furieux contre la duchesse, il croit aussi, et comme nous tous, que vous seul au monde pouvez conduire а bien toutes les dйmarches secrиtes relatives au Milanais. Votre Excellence me permet-elle de lui rйpйter textuellement les paroles du souverain? dit le Rassi en s’йchauffant, il y a souvent une physionomie dans la position des mots, qu’aucune traduction ne saurait rendre, et vous pourrez y voir plus que je n’y vois.

 

– Je permets tout, dit le comte en continuant, d’un air distrait, а frapper la table de marbre avec sa tabatiиre d’or, je permets tout et je serai reconnaissant.

 

– Donnez-moi des lettres de noblesse transmissible, indйpendamment de la croix, et je serai plus que satisfait. Quand je parle d’anoblissement au prince, il me rйpond: «Un coquin tel que toi, noble? Il faudrait fermer boutique dиs le lendemain; personne а Parme ne voudrait plus se faire anoblir.» Pour en revenir а l’affaire du Milanais, le prince me disait, il n’y a pas trois jours: «Il n’y a que ce fripon-lа pour suivre le fil de nos intrigues; si je le chasse ou s’il suit la duchesse, il vaut autant que je renonce а l’espoir de me voir un jour le chef libйral et adorй de toute l’Italie.»

 

A ce mot le comte respira: «Fabrice ne mourra pas», se dit-il.

 

De sa vie le Rassi n’avait pu arriver а une conversation intime avec le premier ministre: il йtait hors de lui de bonheur; il se voyait а la veille de pouvoir quitter ce nom de Rassi, devenu dans le pays synonyme de tout ce qu’il y a de bas et de vil; le petit peuple donnait le nom de Rassi aux chiens enragйs; depuis peu des soldats s’йtaient battus en duel parce qu’un de leurs camarades les avait appelйs Rassi. Enfin il ne se passait pas de semaine sans que ce malheureux nom ne vоnt s’enchвsser dans quelque sonnet atroce. Son fils, jeune et innocent йcolier de seize ans, йtait chassй des cafйs, sur son nom.

 

C’est le souvenir brыlant de tous ces agrйments de sa position qui lui fit commettre une imprudence.

 

– J’ai une terre, dit-il au comte en rapprochant sa chaise du fauteuil du ministre, elle s’appelle Riva, je voudrais кtre baron Riva.

 

– Pourquoi pas? dit le ministre.

 

Rassi йtait hors de lui.

 

– Eh bien! monsieur le comte, je me permettrai d’кtre indiscret, j’oserai deviner le but de vos dйsirs, vous aspirez а la main de la princesse Isota, et c’est une noble ambition. Une fois parent, vous кtes а l’abri de la disgrвce, vous bouclez notre homme. Je ne vous cacherai pas qu’il a ce mariage avec la princesse Isota en horreur; mais si vos affaires йtaient confiйes а quelqu’un d’adroit et de bien payй, on pourrait ne pas dйsespйrer du succиs.

 

– Moi, mon cher baron, j’en dйsespйrais; je dйsavoue d’avance toutes les paroles que vous pourrez porter en mon nom; mais le jour oщ cette alliance illustre viendra enfin combler mes vњux et me donner une si haute position dans l’Etat, je vous offrirai, moi, trois cent mille francs de mon argent, ou bien je conseillerai au prince de vous accorder une marque de faveur que vous-mкme vous prйfйrerez а cette somme d’argent.

 

Le lecteur trouve cette conversation longue; pourtant nous lui faisons grвce de plus de la moitiй; elle se prolongea encore deux heures. Le Rassi sortit de chez le comte fou de bonheur; le comte resta avec de grandes espйrances de sauver Fabrice, et plus rйsolu que jamais а donner sa dйmission. Il trouvait que son crйdit avait raison d’кtre renouvelй par la prйsence au pouvoir de gens tels que Rassi et le gйnйral Conti; il jouissait avec dйlices d’une possibilitй qu’il venait d’entrevoir de se venger du prince: «Il peut faire partir la duchesse, s’йcriait-il, mais parbleu il renoncera а l’espoir d’кtre roi constitutionnel de la Lombardie.» (Cette chimиre йtait ridicule: le prince avait beaucoup d’esprit, mais, а force d’y rкver, il en йtait devenu amoureux fou.)

 

Le comte ne se sentait pas de joie en courant chez la duchesse lui rendre compte de sa conversation avec le fiscal. Il trouva la porte fermйe pour lui; le portier n’osait presque pas lui avouer cet ordre reзu de la bouche mкme de sa maоtresse. Le comte regagna tristement le palais du ministиre, le malheur qu’il venait d’essuyer йclipsait en entier la joie que lui avait donnйe sa conversation avec le confident du prince. N’ayant plus le cњur de s’occuper de rien, le comte errait tristement dans sa galerie de tableaux, quand, un quart d’heure aprиs, il reзut un billet ainsi conзu:

 

Puisqu’il est vrai, cher et bon ami, que nous ne sommes plus qu’amis, il faut ne venir me voir que trois fois par semaine. Dans quinze jours nous rйduirons ces visites, toujours si chиres а mon cњur, а deux par mois. Si vous voulez me plaire, donnez de la publicitй а cette sorte de rupture; si vous vouliez me rendre presque tout l’amour que jadis j’eus pour vous, vous feriez choix d’une nouvelle amie. Quant а moi, j’ai de grands projets de dissipation: je compte aller beaucoup dans le monde, peut-кtre mкme trouverai-je un homme d’esprit pour me faire oublier mes malheurs. Sans doute en qualitй d’ami la premiиre place dans mon cњur vous sera toujours rйservйe; mais je ne veux plus que l’on dise que mes dйmarches ont йtй dictйes par votre sagesse; je veux surtout que l’on sache bien que j’ai perdu toute influence sur vos dйterminations. En un mot, cher comte, croyez que vous serez toujours mon ami le plus cher, mais jamais autre chose. Ne gardez, je vous prie, aucune idйe de retour, tout est bien fini. Comptez а jamais sur mon amitiй.

 

Ce dernier trait fut trop fort pour le courage du comte: il fit une belle lettre au prince pour donner sa dйmission de tous ses emplois, et il l’adressa а la duchesse avec priиre de la faire parvenir au palais. Un instant aprиs, il reзut sa dйmission, dйchirйe en quatre, et, sur un des blancs du papier, la duchesse avait daignй йcrire:Non, mille fois non!

 

Il serait difficile de dйcrire le dйsespoir du pauvre ministre. «Elle a raison, j’en conviens, se disait-il а chaque instant; mon omission du mot “procйdure injuste” est un affreux malheur; elle entraоnera peut-кtre la mort de Fabrice, et celle-ci amиnera la mienne.» Ce fut avec la mort dans l’вme que le comte, qui ne voulait pas paraоtre au palais du souverain avant d’y кtre appelй, йcrivit de sa main le mot “u proprio” qui nommait Rassi chevalier de l’ordre de Saint-Paul et lui confйrait la noblesse transmissible; le comte y joignit un rapport d’une demi-pause qui exposait au prince les raisons d’Etat qui conseillaient cette mesure. Il trouva une sorte de joie mйlancolique а faire de ces piиces deux belles copies qu’il adressa а la duchesse.

 

Il se perdait en suppositions; il cherchait а deviner quel serait а l’avenir le plan de conduite de la femme qu’il aimait. «Elle n’en sait rien elle-mкme, se disait-il; une seule chose reste certaine, c’est que, pour rien au monde, elle ne manquerait aux rйsolutions qu’elle m’aurait une fois annoncйes.» Ce qui ajoutait encore а son malheur, c’est qu’il ne pouvait parvenir а trouver la duchesse blвmable. «Elle m’a fait une grвce en m’aimant, elle cesse de m’aimer aprиs une faute involontaire, il est vrai, mais qui peut entraоner une consйquence horrible; je n’ai aucun droit de me plaindre.» Le lendemain matin, le comte sut que la duchesse avait recommencй а aller dans le monde; elle avait paru la veille au soir dans toutes les maisons qui recevaient. Que fыt-il devenu s’il se fыt rencontrй avec elle dans le mкme salon? Comment lui parler? De quel ton lui adresser la parole? Et comment ne pas lui parler?

 

Le lendemain fut un jour funиbre; le bruit se rйpandait gйnйralement que Fabrice allait кtre mis а mort, la ville fut йmue. On ajoutait que le prince, ayant йgard а sa haute naissance, avait daignй dйcider qu’il aurait la tкte tranchйe.

 

«C’est moi qui le tue, se dit le comte; je ne puis plus prйtendre а revoir jamais la duchesse.» Malgrй ce raisonnement assez simple, il ne put s’empкcher de passer trois fois а sa porte; а la vйritй, pour n’кtre pas remarquй, il alla chez elle а pied. Dans son dйsespoir, il eut mкme le courage de lui йcrire. Il avait fait appeler Rassi deux fois; le fiscal ne s’йtait point prйsentй. «Le coquin me trahit», se dit le comte.

 

Le lendemain, trois grandes nouvelles agitaient la haute sociйtй de Parme, et mкme la bourgeoisie. La mise а mort de Fabrice йtait plus que jamais certaine; et, complйment bien йtrange de cette nouvelle, la duchesse ne paraissait point trop au dйsespoir. Selon les apparences, elle n’accordait que des regrets assez modйrйs а son jeune amant; toutefois elle profitait avec un art infini de la pвleur que venait de lui donner une indisposition assez grave, qui йtait survenue en mкme temps que l’arrestation de Fabrice. Les bourgeois reconnaissaient bien а ces dйtails le cњur sec d’une grande dame de la cour. Par dйcence cependant, et comme sacrifice aux mвnes du jeune Fabrice, elle avait rompu avec le comte Mosca.

 

– Quelle immoralitй! s’йcriaient les jansйnistes de Parme.

 

Mais dйjа la duchesse, chose incroyable! paraissait disposйe а йcouter les cajoleries des plus beaux jeunes gens de la cour. On remarquait, entre autres singularitйs, qu’elle avait йtй fort gaie dans une conversation avec le comte Baldi, l’amant actuel de la Raversi, et l’avait beaucoup plaisantй sur ses courses frйquentes au chвteau de Velleja. La petite bourgeoisie et le peuple йtaient indignйs de la mort de Fabrice, que ces bonnes gens attribuaient а la jalousie du comte Mosca. La sociйtй de la cour s’occupait aussi beaucoup du comte, mais c’йtait pour s’en moquer. La troisiиme des grandes nouvelles que nous avons annoncйes n’йtait autre en effet que la dйmission du comte; tout le monde se moquait d’un amant ridicule qui, а l’вge de cinquante-six ans, sacrifiait une position magnifique au chagrin d’кtre quittй par une femme sans cњur et qui, depuis longtemps, lui prйfйrait un jeune homme. Le seul archevкque eut l’esprit, ou plutфt le cњur, de deviner que l’honneur dйfendait au comte de rester premier ministre dans un pays oщ l’on allait couper la tкte, et sans le consulter, а un jeune homme, son protйgй. La nouvelle de la dйmission du comte eut l’effet de guйrir de sa goutte le gйnйral Fabio Conti, comme nous le dirons en son lieu, lorsque nous parlerons de la faзon dont le pauvre Fabrice passait son temps а la citadelle, pendant que toute la ville s’enquйrait de l’heure de son supplice.

 

Le jour suivant, le comte revit Bruno, cet agent fidиle qu’il avait expйdiй sur Bologne; le comte s’attendrit au moment oщ cet homme entrait dans son cabinet; sa vue lui rappelait l’йtat heureux oщ il se trouvait lorsqu’il l’avait envoyй а Bologne, presque d’accord avec la duchesse. Bruno arrivait de Bologne oщ il n’avait rien dйcouvert; il n’avait pu trouver Ludovic, que le podestat de Castelnovo avait gardй dans la prison de son village.

 

– Je vais vous renvoyer а Bologne, dit le comte а Bruno: la duchesse tiendra au triste plaisir de connaоtre les dйtails du malheur de Fabrice. Adressez-vous au brigadier de gendarmerie qui commande le poste de Castelnovo…

 

«Mais non! s’йcria le comte en s’interrompant; partez а l’instant mкme pour la Lombardie, et distribuez de l’argent et en grande quantitй а tous nos correspondants. Mon but est d’obtenir de tous ces gens-lа des rapports de la nature la plus encourageante.

 

Bruno ayant bien compris le but de sa mission, se mit а йcrire ses lettres de crйance; comme le comte lui donnait ses derniиres instructions, il reзut une lettre parfaitement fausse, mais fort bien йcrite; on eыt dit un ami йcrivant а son ami pour lui demander un service. L’ami qui йcrivait n’йtait autre que le prince. Ayant ouп parler de certains projets de retraite, il suppliait son ami, le comte Mosca, de garder le ministиre; il le lui demandait au nom de l’amitiй et des dangers de la patrie; et le lui ordonnait comme son maоtre. Il ajoutait que le roi de *** venant de mettre а sa disposition deux cordons de son ordre, il en gardait un pour lui, et envoyait l’autre а son cher comte Mosca.

 

– Cet animal-lа fait mon malheur! s’йcria le comte furieux, devant Bruno stupйfait, et croit me sйduire par ces mкmes phrases hypocrites que tant de fois nous avons arrangйes ensemble pour prendre а la glu quelque sot.

 

Il refusa l’ordre qu’on lui offrait, et dans sa rйponse parla de l’йtat de sa santй comme ne lui laissant que bien peu d’espйrance de pouvoir s’acquitter longtemps encore des pйnibles travaux du ministиre. Le comte йtait furieux. Un instant aprиs on annonзa le fiscal Rassi, qu’il traita comme un nиgre.

 

– Eh bien! parce que je vous ai fait noble, vous commencez а faire l’insolent! Pourquoi n’кtre pas venu hier pour me remercier, comme c’йtait votre devoir йtroit, monsieur le cuistre?

 

Le Rassi йtait bien au-dessus des injures; c’йtait sur ce ton-lа qu’il йtait journellement reзu par le prince; mais il voulait кtre baron et se justifia avec esprit. Rien n’йtait plus facile.

 

– Le prince m’a tenu clouй а une table hier toute la journйe; je n’ai pu sortir du palais. Son Altesse m’a fait copier de ma mauvaise йcriture de procureur une quantitй de piиces diplomatiques tellement niaises et tellement bavardes que je crois, en vйritй, que son but unique йtait de me retenir prisonnier. Quand enfin j’ai pu prendre congй, vers les cinq heures, mourant de faim, il m’a donnй l’ordre d’aller chez moi directement, et de n’en pas sortir de la soirйe. En effet, j’ai vu deux de ses espions particuliers, de moi bien connus, se promener dans ma rue jusque sur le minuit. Ce matin, dиs que je l’ai pu, j’ai fait venir une voiture qui m’a conduit jusqu’а la porte de la cathйdrale. Je suis descendu de voiture trиs lentement, puis, prenant le pas de course, j’ai traversй l’йglise et me voici. Votre Excellence est dans ce moment-ci l’homme du monde auquel je dйsire plaire avec le plus de passion.

 

– Et moi, monsieur le drфle, je ne suis point dupe de tous ces contes plus ou moins bien bвtis! Vous avez refusй de me parler de Fabrice avant-hier; j’ai respectй vos scrupules, et vos serments touchant le secret, quoique les serments pour un кtre tel que vous ne soient tout au plus que des moyens de dйfaite. Aujourd’hui, je veux la vйritй: Qu’est-ce que ces bruits ridicules qui font condamner а mort ce jeune homme comme assassin du comйdien Giletti!

 

– Personne ne peut mieux rendre compte а Votre Excellence de ces bruits, puisque c’est moi-mкme qui les ai fait courir par ordre du souverain; et, j’y pense! c’est peut-кtre pour m’empкcher de vous faire part de cet incident qu’hier, toute la journйe, il m’a retenu prisonnier. Le prince, qui ne me croit pas un fou, ne pouvait pas douter que je ne vinsse vous apporter ma croix et vous supplier de l’attacher а ma boutonniиre.

 

– Au fait! s’йcria le ministre, et pas de phrases.

 

– Sans doute le prince voudrait bien tenir une sentence de mort contre M. del Dongo, mais il n’a, comme vous le savez sans doute, qu’une condamnation en vingt annйes de fers, commuйe par lui, le lendemain mкme de la sentence, en douze annйes de forteresse avec jeыne au pain et а l’eau tous les vendredis, et autres bamboches religieuses.

 

– C’est parce que je savais cette condamnation а la prison seulement, que j’йtais effrayй des bruits d’exйcution prochaine qui se rйpandent par la ville; je me souviens de la mort du comte Palanza, si bien escamotйe par vous.

 

– C’est alors que j’aurais dы avoir la croix! s’йcria Rassi sans se dйconcerter; il fallait serrer le bouton tandis que je le tenais, et que l’homme avait envie de cette mort. Je fus un nigaud alors, et c’est armй de cette expйrience que j’ose vous conseiller de ne pas m’imiter aujourd’hui. (Cette comparaison parut du plus mauvais goыt а l’interlocuteur, qui fut obligй de se retenir pour ne pas donner des coups de pied а Rassi.)

 

– D’abord, reprit celui-ci avec la logique d’un jurisconsulte et l’assurance parfaite d’un homme qu’aucune insulte ne peut offenser, d’abord il ne peut кtre question de l’exйcution dudit del Dongo; le prince n’oserait! les temps sont bien changйs! et enfin, moi, noble et espйrant par vous de devenir baron, je n’y donnerais pas les mains. Or, ce n’est que de moi, comme le sait Votre Excellence, que l’exйcuteur des hautes њuvres peut recevoir des ordres, et, je vous le jure, le chevalier Rassi n’en donnera jamais contre le sieur del Dongo.

 

– Et vous ferez sagement, dit le comte en le toisant d’un air sйvиre.

 

– Distinguons! reprit le Rassi avec un sourire. Moi je ne suis que pour les morts officielles, et si M. del Dongo vient а mourir d’une colique, n’allez pas me l’attribuer! Le prince est outrй, et je ne sais pourquoi, contre la Sanseverina (trois jours auparavant le Rassi eыt dit la duchesse, mais, comme toute la ville, il savait la rupture avec le premier ministre).

 

Le comte fut frappй de la suppression du titre dans une telle bouche, et l’on peut juger du plaisir qu’elle lui fit; il lanзa au Rassi un regard chargй de la plus vive haine. «Mon cher ange! se dit-il ensuite, je ne puis te montrer mon amour qu’en obйissant aveuglйment а tes ordres.»

 

– Je vous avouerai, dit-il au fiscal, que je ne prends pas un intйrкt bien passionnй aux divers caprices de Mme la duchesse; toutefois, comme elle m’avait prйsentй ce mauvais sujet de Fabrice, qui aurait bien dы rester а Naples, et ne pas venir ici embrouiller nos affaires, je tiens а ce qu’il ne soit pas mis а mort de mon temps, et je veux bien vous donner ma parole que vous serez baron dans les huit jours qui suivront sa sortie de prison.

 

– En ce cas, monsieur le comte, je ne serai baron que dans douze annйes rйvolues, car le prince est furieux, et sa haine contre la duchesse est tellement vive, qu’il cherche а la cacher.

 

– Son Altesse est bien bonne! qu’a-t-elle besoin de cacher sa haine, puisque son premier ministre ne protиge plus la duchesse? Seulement je ne veux pas qu’on puisse m’accuser de vilenie, ni surtout de jalousie: c’est moi qui ai fait venir la duchesse en ce pays, et si Fabrice meurt en prison, vous ne serez pas baron, mais vous serez peut-кtre poignardй. Mais laissons cette bagatelle: le fait est que j’ai fait le compte de ma fortune; а peine si j’ai trouvй vingt mille livres de rente, sur quoi j’ai le projet d’adresser trиs humblement ma dйmission au souverain. J’ai quelque espoir d’кtre employй par le roi de Naples: cette grande ville m’offrira les distractions dont j’ai besoin en ce moment, et que je ne puis trouver dans un trou tel que Parme; je ne resterais qu’autant que vous me feriez obtenir la main de la princesse Isota, etc.

 

La conversation fut infinie dans ce sens. Comme Rassi se levait, le comte lui dit d’un air fort indiffйrent:

 

– Vous savez qu’on a dit que Fabrice me trompait, en ce sens qu’il йtait un des amants de la duchesse; je n’accepte point ce bruit, et pour le dйmentir, je veux que vous fassiez passer cette bourse а Fabrice.

 

– Mais monsieur le comte, dit Rassi effrayй, et regardant la bourse, il y a lа une somme йnorme, et les rиglements…

 

– Pour vous, mon cher, elle peut кtre йnorme, reprit le comte de l’air du plus souverain mйpris: un bourgeois tel que vous, envoyant de l’argent а son ami en prison, croit se ruiner en lui donnant dix sequins: moi, jeveux que Fabrice reзoive ces six mille francs, et surtout que le chвteau ne sache rien de cet envoi.

 

Comme le Rassi effrayй voulait rйpliquer, le comte ferma la porte sur lui avec impatience. «Ces gens-lа, se dit-il, ne voient le pouvoir que derriиre l’insolence.» Cela dit, ce grand ministre se livra а une action tellement ridicule, que nous avons quelque peine а la rapporter; il courut prendre dans son bureau un portrait en miniature de la duchesse, et le couvrit de baisers passionnйs. «Pardon, mon cher ange, s’йcriait-il, si je n’ai pas jetй par la fenкtre et de mes propres mains ce cuistre qui ose parler de toi avec une nuance de familiaritй, mais, si j’agis avec cet excиs de patience, c’est pour t’obйir! et il ne perdra rien pour attendre!»

 

Aprиs une longue conversation avec le portrait, le comte, qui se sentait le cњur mort dans la poitrine, eut l’idйe d’une action ridicule et s’y livra avec un empressement d’enfant. Il se fit donner un habit avec des plaques, et fut faire une visite а la vieille princesse Isota; de la vie il ne s’йtait prйsentй chez elle qu’а l’occasion du jour de l’an. Il la trouva entourйe d’une quantitй de chiens, et parйe de tous ses atours, et mкme avec des diamants comme si elle allait а la cour. Le comte, ayant tйmoignй quelque crainte de dйranger les projets de Son Altesse, qui probablement allait sortir, l’Altesse rйpondit au ministre qu’une princesse de Parme se devait а elle-mкme d’кtre toujours ainsi. Pour la premiиre fois depuis son malheur le comte eut un mouvement de gaietй. «J’ai bien fait de paraоtre ici, se dit-il, et dиs aujourd’hui il faut faire ma dйclaration.» La princesse avait йtй ravie de voir arriver chez elle un homme aussi renommй par son esprit et un premier ministre; la pauvre vieille fille n’йtait guиre accoutumйe а de semblables visites. Le comte commenзa par une prйface adroite, relative а l’immense distance qui sйparera toujours d’un simple gentilhomme les membres d’une famille rйgnante.

 

– Il faut faire une distinction, dit la princesse: la fille d’un roi de France, par exemple, n’a aucun espoir d’arriver jamais а la couronne; mais les choses ne vont point ainsi dans la famille de Parme. C’est pourquoi nous autres Farnиse nous devons toujours conserver une certaine dignitй dans notre extйrieur; et moi, pauvre princesse telle que vous me voyez, je ne puis pas dire qu’il soit absolument impossible qu’un jour vous soyez mon premier ministre.

 

Cette idйe par son imprйvu baroque donna au pauvre comte un second instant de gaietй parfaite.

 

Au sortir de chez la princesse Isota, qui avait grandement rougi en recevant l’aveu de la passion du premier ministre, celui-ci rencontra un des fourriers du palais: le prince le faisait demander en toute hвte.

 

– Je suis malade, rйpondit le ministre, ravi de pouvoir faire une malhonnкtetй а son prince.

 

«Ah! ah! vous me poussez а bout, s’йcria-t-il avec fureur, et puis vous voulez que je vous serve! mais sachez, mon prince, qu’avoir reзu le pouvoir de la Providence ne suffit plus en ce siиcle-ci, il faut beaucoup d’esprit et un grand caractиre pour rйussir а кtre despote.»

 

Aprиs avoir renvoyй le fourrier du palais fort scandalisй de la parfaite santй de ce malade, le comte trouva plaisant d’aller voir les deux hommes de la cour qui avaient le plus d’influence sur le gйnйral Fabio Conti. Ce qui surtout faisait frйmir le ministre et lui фtait tout courage, c’est que le gouverneur de la citadelle йtait accusй de s’кtre dйfait jadis d’un capitaine, son ennemi personnel, au moyen de l’aquetta de Pйrouse.

 

Le comte savait que depuis huit jours la duchesse avait rйpandu des sommes folles pour se mйnager des intelligences а la citadelle; mais, suivant lui, il y avait peu d’espoir de succиs, tous les yeux йtaient encore trop ouverts. Nous ne raconterons point au lecteur toutes les tentatives de corruption essayйes par cette femme malheureuse: elle йtait au dйsespoir, et des agents de toute sorte et parfaitement dйvouйs la secondaient. Mais il n’est peut-кtre qu’un seul genre d’affaires dont on s’acquitte parfaitement bien dans les petites cours despotiques, c’est la garde des prisonniers politiques. L’or de la duchesse ne produisit d’autre effet que de faire renvoyer de la citadelle huit ou dix hommes de tout grade.

 


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