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CHAPITRE VIII 3 страница

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– Vous parlez comme un acadйmicien, s’йcria le comte en riant; c’est un beau coup de tкte que vous nous racontez lа, mais ce n’est que tous les dix ans que l’on a l’occasion amusante de faire de ces choses piquantes. Un кtre а demi stupide, mais attentif, mais prudent tous les jours, goыte trиs souvent le plaisir de triompher des hommes а imagination. C’est par une folie d’imagination que Napolйon s’est rendu au prudent John Bull, au lieu de chercher а gagner l’Amйrique. John Bull, dans son comptoir, a bien ri de sa lettre oщ il cite Thйmistocle. De tous temps les vils Sancho Panзa l’emporteront а la longue sur les sublimes don Quichotte. Si vous voulez consentir а ne rien faire d’extraordinaire, je ne doute pas que vous ne soyez un йvкque trиs respectй, si ce n’est trиs respectable. Toutefois, ma remarque subsiste; Votre Excellence s’est conduite avec lйgиretй dans l’affaire du cheval, elle a йtй а deux doigts d’une prison йternelle.

 

Ce mot fit tressaillir Fabrice, il resta plongй dans un profond йtonnement. «Etait-ce lа, se disait-il, cette prison dont je suis menacй? Est-ce le crime que je ne devais pas commettre?» Les prйdictions de Blanиs, dont il se moquait fort en tant que prophйties, prenaient а ses yeux toute l’importance de prйsages vйritables.

 

– Eh bien! qu’as-tu donc? lui dit la duchesse йtonnйe; le comte t’a plongй dans les noires images.

 

– Je suis illuminй par une vйritй nouvelle, et au lieu de me rйvolter contre elle, mon esprit l’adopte. Il est vrai, j’ai passй bien prиs d’une prison sans fin! Mais ce valet de chambre йtait si joli dans son habit а l’anglaise! quel dommage de le tuer!

 

Le ministre fut enchantй de son petit air sage.

 

– Il est fort bien de toutes faзons, dit-il en regardant la duchesse. Je vous dirai, mon ami, que vous avez fait une conquкte, et la plus dйsirable de toutes, peut-кtre.

 

«Ah! pensa Fabrice, voici une plaisanterie sur la petite Marietta.» Il se trompait; le comte ajouta:

 

– Votre simplicitй йvangйlique a gagnй le cњur de notre vйnйrable archevкque, le pиre Landriani. Un de ces jours nous allons faire de vous un grand vicaire, et, ce qui fait le charme de cette plaisanterie, c’est que les trois grands vicaires actuels, gens de mйrite, travailleurs, et dont deux, je pense, йtaient grands vicaires avant votre naissance, demanderont, par une belle lettre adressйe а leur archevкque, que vous soyez le premier en rang parmi eux. Ces messieurs se fondent sur vos vertus d’abord, et ensuite sur ce que vous кtes petit-neveu du cйlиbre archevкque Ascagne del Dongo. Quand j’ai appris le respect qu’on avait pour vos vertus, j’ai sur-le-champ nommй capitaine le neveu du plus ancien des vicaires gйnйraux; il йtait lieutenant depuis le siиge de Tarragone par le marйchal Suchet.

 

– Va-t’en tout de suite en nйgligй, comme tu es, faire une visite de tendresse а ton archevкque, s’йcria la duchesse. Raconte-lui le mariage de ta sњur; quand il saura qu’elle va кtre duchesse, il te trouvera bien plus apostolique. Du reste, tu ignores tout ce que le comte vient de te confier sur ta future nomination.

 

Fabrice courut au palais archiйpiscopal; il y fut simple et modeste, c’йtait un ton qu’il prenait avec trop de facilitй; au contraire, il avait besoin d’efforts pour jouer le grand seigneur. Tout en йcoutant les rйcits un peu longs de monseigneur Landriani, il se disait: «Aurais-je dы tirer un coup de pistolet au valet de chambre qui tenait par la bride le cheval maigre?» Sa raison lui disait oui, mais son cњur ne pouvait s’accoutumer а l’image sanglante du beau jeune homme tombant de cheval dйfigurй.

 

«Cette prison oщ j’allais m’engloutir, si le cheval eыt bronchй, йtait-elle la prison dont je suis menacй par tant de prйsages?»

 

Cette question йtait de la derniиre importance pour lui, et l’archevкque fut content de son air de profonde attention.

 

CHAPITRE XI

Au sortir de l’archevкchй, Fabrice courut chez la petite Marietta; il entendit de loin la grosse voix de Giletti qui avait fait venir du vin et se rйgalait avec le souffleur et les moucheurs de chandelle, ses amis. La mammacia, qui faisait fonctions de mиre, rйpondit seule а son signal.

 

– Il y a du nouveau depuis toi, s’йcria-t-elle; deux ou trois de nos acteurs sont accusйs d’avoir cйlйbrй par une orgie la fкte du grand Napolйon, et notre pauvre troupe, qu’on appelle jacobine, a reзu l’ordre de vider les Etats de Parme, et vive Napolйon! Mais le ministre a, dit-on, crachй au bassinet. Ce qu’il y a de sыr, c’est que Giletti a de l’argent, je ne sais pas combien, mais je lui ai vu une poignйe d’йcus. Marietta a reзu cinq йcus de notre directeur pour frais de voyage jusqu’а Mantoue et Venise, et moi un. Elle est toujours bien amoureuse de toi, mais Giletti lui fait peur; il y a trois jours, а la derniиre reprйsentation que nous avons donnйe, il voulait absolument la tuer; il lui a lancй deux fameux soufflets, et, ce qui est abominable, il lui a dйchirй son chвle bleu. Si tu voulais lui donner un chвle bleu, tu serais bien bon enfant, et nous dirions que nous l’avons gagnй а une loterie. Le tambour-maоtre des carabiniers donne un assaut demain, tu en trouveras l’heure affichйe а tous les coins de rues. Viens nous voir; s’il est parti pour l’assaut, de faзon а nous faire espйrer qu’il restera dehors un peu longtemps, je serai а la fenкtre et je te ferai signe de monter. Tвche de nous apporter quelque chose de bien joli, et la Marietta t’aime а la passion.

 

En descendant l’escalier tournant de ce taudis infвme, Fabrice йtait plein de componction: «Je ne suis point changй, se disait-il; toutes mes belles rйsolutions prises au bord de notre lac quand je voyais la vie d’un њil si philosophique se sont envolйes. Mon вme йtait hors de son assiette ordinaire, tout cela йtait un rкve et disparaоt devant l’austиre rйalitй. Ce serait le moment d’agir», se dit Fabrice en rentrant au palais Sanseverina sur les onze heures du soir. Mais ce fut en vain qu’il chercha dans son cњur le courage de parler avec cette sincйritй sublime qui lui semblait si facile la nuit qu’il passa aux rives du lac de Cфme. «Je vais fвcher la personne que j’aime le mieux au monde; si je parle, j’aurai l’air d’un mauvais comйdien; je ne vaux rйellement quelque chose que dans de certains moments d’exaltation.»

 

– Le comte est admirable pour moi, dit-il а la duchesse, aprиs lui avoir rendu compte de la visite а l’archevкchй; j’apprйcie d’autant plus sa conduite que je crois m’apercevoir que je ne lui plais que fort mйdiocrement; ma faзon d’agir doit donc кtre correcte а son йgard. Il a ses fouilles de Sanguigna dont il est toujours fou, а en juger du moins par son voyage d’avant-hier; il a fait douze lieues au galop pour passer deux heures avec ses ouvriers. Si l’on trouve des fragments de statues dans le temple antique dont il vient de dйcouvrir les fondations, il craint qu’on ne les lui vole; j’ai envie de lui proposer d’aller passer trente-six heures а Sanguigna. Demain, vers les cinq heures, je dois revoir l’archevкque, je pourrai partir dans la soirйe et profiter de la fraоcheur de la nuit pour faire la route.

 

La duchesse ne rйpondit pas d’abord.

 

– On dirait que tu cherches des prйtextes pour t’йloigner de moi, lui dit-elle ensuite avec une extrкme tendresse; а peine de retour de Belgirate, tu trouves une raison pour partir.

 

«Voici une belle occasion de parler, se dit Fabrice. Mais sur le lac j’йtais un peu fou, je ne me suis pas aperзu dans mon enthousiasme de sincйritй que mon compliment finit par une impertinence; il s’agirait de dire: Je t’aime de l’amitiй la plus dйvouйe, etc. etc., mais mon вme n’est pas susceptible d’amour. N’est-ce pas dire: Je vois que vous avez de l’amour pour moi; mais prenez garde, je ne puis vous payer en mкme monnaie? Si elle a de l’amour, la duchesse peut se fвcher d’кtre devinйe, et elle sera rйvoltйe de mon impudence si elle n’a pour moi qu’une amitiй toute simple… et ce sont de ces offenses qu’on ne pardonne point.»

 

Pendant qu’il pesait ces idйes importantes, Fabrice, sans s’en apercevoir, se promenait dans le salon, d’un air grave et plein de hauteur, en homme qui voit le malheur а dix pas de lui.

 

La duchesse le regardait avec admiration; ce n’йtait plus l’enfant qu’elle avait vu naоtre, ce n’йtait plus le neveu toujours prкt а lui obйir: c’йtait un homme grave et duquel il serait dйlicieux de se faire aimer. Elle se leva de l’ottomane oщ elle йtait assise, et, se jetant dans ses bras avec transport:

 

– Tu veux donc me fuir? lui dit-elle.

 

– Non, rйpondit-il de l’air d’un empereur romain, mais je voudrais кtre sage.

 

Ce mot йtait susceptible de diverses interprйtations; Fabrice ne se sentit pas le courage d’aller plus loin et de courir le hasard de blesser cette femme adorable. Il йtait trop jeune, trop susceptible de prendre de l’йmotion; son esprit ne lui fournissait aucune tournure aimable pour faire entendre ce qu’il voulait dire. Par un transport naturel et malgrй tout raisonnement, il prit dans ses bras cette femme charmante et la couvrit de baisers. Au mкme instant, on entendit le bruit de la voiture du comte qui entrait dans la cour, et presque en mкme temps lui-mкme parut dans le salon; il avait l’air tout йmu.

 

– Vous inspirez des passions bien singuliиres, dit-il а Fabrice, qui resta presque confondu du mot.

 

«L’archevкque avait ce soir l’audience que Son Altesse Sйrйnissime lui accorde tous les jeudis; le prince vient de me raconter que l’archevкque, d’un air tout troublй, a dйbutй par un discours appris par cњur et fort savant, auquel d’abord le prince ne comprenait rien. Landriani a fini par dйclarer qu’il йtait important pour l’йglise de Parme que Monsignore Fabrice del Dongo fыt nommй son premier vicaire gйnйral, et, par la suite, dиs qu’il aurait vingt-quatre ans accomplis, son coadjuteur avec future succession.

 

«Ce mot m’a effrayй, je l’avoue, dit le comte; c’est aller un peu bien vite, et je craignais une boutade d’humeur chez le prince.» Mais il m’a regardй en riant et m’a dit en franзais: «Ce sont lа de vos coups, monsieur!» – «Je puis faire serment devant Dieu et devant Votre Altesse, me suis-je йcriй avec toute l’onction possible, que j’ignorais parfaitement le mot de “future succession”.» Alors j’ai dit la vйritй, ce que nous rйpйtions ici mкme il y a quelques heures; j’ai ajoutй, avec entraоnement, que, par la suite, je me serais regardй comme comblй des faveurs de Son Altesse, si elle daignait m’accorder un petit йvкchй pour commencer. Il faut que le prince m’ait cru, car il a jugй а propos de faire le gracieux; il m’a dit, avec toute la simplicitй possible: «Ceci est une affaire officielle entre l’archevкque et moi, vous n’y entrez pour rien; le bonhomme m’adresse une sorte de rapport fort long et passablement ennuyeux, а la suite duquel il arrive а une proposition officielle; je lui ai rйpondu trиs froidement que le sujet йtait bien jeune, et surtout bien nouveau dans ma cour; que j’aurais presque l’air de payer une lettre de change tirйe sur moi par l’Empereur, en donnant la perspective d’une si haute dignitй au fils d’un des grands officiers de son royaume lombardo-vйnitien. L’archevкque a protestй qu’aucune recommandation de ce genre n’avait eu lieu. C’йtait une bonne sottise а me dire а moi; j’en ai йtй surpris de la part d’un homme aussi entendu; mais il est toujours dйsorientй quand il m’adresse la parole, et ce soir il йtait plus troublй que jamais, ce qui m’a donnй l’idйe qu’il dйsirait la chose avec passion. Je lui ai dit que je savais mieux que lui qu’il n’y avait point eu de haute recommandation en faveur de del Dongo, que personne а ma cour ne lui refusait de la capacitй, qu’on ne parlait point trop mal de ses mњurs, mais que je craignais qu’il ne fыt susceptible d’enthousiasme, et que je m’йtais promis de ne jamais йlever aux places considйrables les fous de cette espиce avec lesquels un prince n’est sыr de rien. Alors, a continuй Son Altesse, j’ai dы subir un pathos presque aussi long que le premier: l’archevкque me faisait l’йloge de l’enthousiasme de la maison de Dieu. Maladroit, me disais-je, tu t’йgares, tu compromets la nomination qui йtait presque accordйe; il fallait couper court et me remercier avec effusion. Point: il continuait son homйlie avec une intrйpiditй ridicule, je cherchais une rйponse qui ne fыt point trop dйfavorable au petit del Dongo; je l’ai trouvйe, et assez heureuse, comme vous allez en juger: “Monseigneur, lui ai-je dit, Pie VII fut un grand pape et un grand saint; parmi tous les souverains, lui seul osa dire non au tyran qui voyait l’Europe а ses pieds! eh bien! il йtait susceptible d’enthousiasme, ce qui l’a portй, lorsqu’il йtait йvкque d’Imola, а йcrire sa fameuse pastorale du citoyen cardinal Chiaramonti en faveur de la rйpublique cisalpine.”

 

«Mon pauvre archevкque est restй stupйfait, et, pour achever de le stupйfier, je lui ai dit d’un air fort sйrieux: “Adieu, monseigneur, je prendrai vingt-quatre heures pour rйflйchir а votre proposition.” Le pauvre homme a ajoutй quelques supplications assez mal tournйes et assez inopportunes aprиs le mot “adieu” prononcй par moi. Maintenant, comte Mosca della Rovиre, je vous charge de dire а la duchesse que je ne veux pas retarder de vingt-quatre heures une chose qui peut lui кtre agrйable; asseyez-vous lа et йcrivez а l’archevкque le billet d’approbation qui termine toute cette affaire. J’ai йcrit le billet, il l’a signй, il m’a dit: «Portez-le а l’instant mкme а la duchesse.» Voici le billet, madame, et c’est ce qui m’a donnй un prйtexte pour avoir le bonheur de vous revoir ce soir.

 

La duchesse lut le billet avec ravissement. Pendant le long rйcit du comte, Fabrice avait eu le temps de se remettre: il n’eut point l’air йtonnй de cet incident, il prit la chose en vйritable grand seigneur qui naturellement a toujours cru qu’il avait droit а ces avancements extraordinaires, а ces coups de fortune qui mettraient un bourgeois hors des gonds; il parla de sa reconnaissance, mais en bons termes, et finit par dire au comte:

 

– Un bon courtisan doit flatter la passion dominante; hier vous tйmoigniez la crainte que vos ouvriers de Sanguigna ne volent les fragments de statues antiques qu’ils pourraient dйcouvrir; j’aime beaucoup les fouilles, moi; si vous voulez bien le permettre, j’irai voir les ouvriers. Demain soir, aprиs les remerciements convenables au palais et chez l’archevкque, je partirai pour Sanguigna.

 

– Mais devinez-vous, dit la duchesse au comte, d’oщ vient cette passion subite du bon archevкque pour Fabrice?

 

– Je n’ai pas besoin de deviner; le grand vicaire dont le frиre est capitaine me disait hier: «Le pиre Landriani part de ce principe certain, que le titulaire est supйrieur au coadjuteur», et il ne se sent pas de joie d’avoir sous ses ordres un del Dongo et de l’avoir obligй. Tout ce qui met en lumiиre la haute naissance de Fabrice ajoute а son bonheur intime: il a un tel homme pour aide de camp! En second lieu Mgr Fabrice lui a plu, il ne se sent point timide devant lui; enfin il nourrit depuis dix ans une haine bien conditionnйe pour l’йvкque de Plaisance, qui affiche hautement la prйtention de lui succйder sur le siиge de Parme, et qui de plus est fils d’un meunier. C’est dans ce but de succession future que l’йvкque de Plaisance a pris des relations fort йtroites avec la marquise Raversi, et maintenant ces liaisons font trembler l’archevкque pour le succиs de son dessein favori, avoir un del Dongo а son йtat-major, et lui donner des ordres.

 

Le surlendemain, de bonne heure, Fabrice dirigeait les travaux de la fouille de Sanguigna, vis-а-vis Colorno (c’est le Versailles des princes de Parme); ces fouilles s’йtendaient dans la plaine tout prиs de la grande route qui conduit de Parme au pont de Casal-Maggiore, premiиre ville de l’Autriche. Les ouvriers coupaient la plaine par une longue tranchйe profonde de huit pieds et aussi йtroite que possible; on йtait occupй а rechercher, le long de l’ancienne voie romaine, les ruines d’un second temple qui, disait-on dans le pays, existait encore au Moyen Age. Malgrй les ordres du prince, plusieurs paysans ne voyaient pas sans jalousie ces longs fossйs traversant leurs propriйtйs. Quoi qu’on pыt leur dire, ils s’imaginaient qu’on йtait а la recherche d’un trйsor, et la prйsence de Fabrice йtait surtout convenable pour empкcher quelque petite йmeute. Il ne s’ennuyait point, il suivait ces travaux avec passion; de temps а autre on trouvait quelque mйdaille, et il ne voulait pas laisser le temps aux ouvriers de s’accorder entre eux pour l’escamoter.

 

La journйe йtait belle, il pouvait кtre six heures du matin: il avait empruntй un vieux fusil а un coup, il tira quelques alouettes; l’une d’elles blessйe alla tomber sur la grande route; Fabrice, en la poursuivant, aperзut de loin une voiture qui venait de Parme et se dirigeait vers la frontiиre de Casal-Maggiore. Il venait de recharger son fusil lorsque la voiture fort dйlabrйe s’approchant au tout petit pas, il reconnut la petite Marietta; elle avait а ses cфtйs le grand escogriffe Giletti, et cette femme вgйe qu’elle faisait passer pour sa mиre.

 

Giletti s’imagina que Fabrice s’йtait placй ainsi au milieu de la route, et un fusil а la main, pour l’insulter et peut-кtre mкme pour lui enlever la petite Marietta. En homme de cњur il sauta а bas de la voiture; il avait dans la main gauche un grand pistolet fort rouillй, et tenait de la droite une йpйe encore dans son fourreau, dont il se servait lorsque les besoins de la troupe forзaient de lui confier quelque rфle de marquis.

 

– Ah! brigand! s’йcria-t-il, je suis bien aise de te trouver ici а une lieue de la frontiиre; je vais te faire ton affaire; tu n’es plus protйgй ici par tes bas violets.

 

Fabrice faisait des mines а la petite Marietta et ne s’occupait guиre des cris jaloux du Giletti, lorsque tout а coup il vit а trois pieds de sa poitrine le bout du pistolet rouillй; il n’eut que le temps de donner un coup sur ce pistolet, en se servant de son fusil comme d’un bвton: le pistolet partit, mais ne blessa personne.

 

– Arrкtez donc, f…, cria Giletti au veturino: en mкme temps il eut l’adresse de sauter sur le bout du fusil de son adversaire et de le tenir йloignй de la direction de son corps; Fabrice et lui tiraient le fusil chacun de toutes ses forces. Giletti, beaucoup plus vigoureux, plaзant une main devant l’autre, avanзait toujours vers la batterie, et йtait sur le point de s’emparer du fusil, lorsque Fabrice, pour l’empкcher d’en faire usage, fit partir le coup. Il avait bien observй auparavant que l’extrйmitй du fusil йtait а plus de trois pouces au-dessus de l’йpaule de Giletti: la dйtonation eut lieu tout prиs de l’oreille de ce dernier. Il resta un peu йtonnй, mais se remit en un clin d’њil.

 

– Ah! tu veux me faire sauter le crвne, canaille! je vais te faire ton compte. Giletti jeta le fourreau de son йpйe de marquis, et fondit sur Fabrice avec une rapiditй admirable. Celui-ci n’avait point d’arme et se vit perdu.

 

Il se sauva vers la voiture, qui йtait arrкtйe а une dizaine de pas derriиre Giletti; il passa а gauche, et saisissant de la main le ressort de la voiture, il tourna rapidement tout autour et repassa tout prиs de la portiиre droite qui йtait ouverte. Giletti, lancй avec ses grandes jambes et qui n’avait pas eu l’idйe de se retenir au ressort de la voiture fit plusieurs pas dans sa premiиre direction avant de pouvoir s’arrкter. Au moment oщ Fabrice passait auprиs de la portiиre ouverte, il entendit Marietta qui lui disait а demi-voix:

 

– Prends garde а toi; il te tuera. Tiens!

 

Au mкme instant, Fabrice vit tomber de la portiиre une sorte de grand couteau de chasse; il se baissa pour le ramasser, mais, au mкme instant il fut touchй а l’йpaule par un coup d’йpйe que lui lanзait Giletti. Fabrice, en se relevant, se trouva а six pouces de Giletti qui lui donna dans la figure un coup furieux avec le pommeau de son йpйe; ce coup йtait lancй avec une telle force qu’il йbranla tout а fait la raison de Fabrice; en ce moment il fut sur le point d’кtre tuй. Heureusement pour lui, Giletti йtait encore trop prиs pour pouvoir lui donner un coup de pointe. Fabrice, quand il revint а soi, prit la fuite en courant de toutes ses forces; en courant, il jeta le fourreau du couteau de chasse et ensuite, se retournant vivement, il se trouva а trois pas de Giletti qui le poursuivait. Giletti йtait lancй, Fabrice lui porta un coup de pointe; Giletti avec son йpйe eut le temps de relever un peu le couteau de chasse, mais il reзut le coup de pointe en plein dans la joue gauche. Il passa tout prиs de Fabrice qui se sentit percer la cuisse, c’йtait le couteau de Giletti que celui-ci avait eu le temps d’ouvrir. Fabrice fit un saut а droite; il se retourna, et enfin les deux adversaires se trouvиrent а une juste distance de combat.

 

Giletti jurait comme un damnй.

 

– Ah! je vais te couper la gorge, gredin de prкtre, rйpйtait-il а chaque instant.

 

Fabrice йtait tout essoufflй et ne pouvait parler; le coup de pommeau d’йpйe dans la figure le faisait beaucoup souffrir, et son nez saignait abondamment; il para plusieurs coups avec son couteau de chasse et porta plusieurs bottes sans trop savoir ce qu’il faisait; il lui semblait vaguement кtre а un assaut public. Cette idйe lui avait йtй suggйrйe par la prйsence de ses ouvriers qui, au nombre de vingt-cinq ou trente, formaient cercle autour des combattants, mais а distance fort respectueuse; car on voyait ceux-ci courir а tout moment et s’йlancer l’un sur l’autre.

 

Le combat semblait se ralentir un peu; les coups ne se suivaient plus avec la mкme rapiditй, lorsque Fabrice se dit: «A la douleur que je ressens au visage, il faut qu’il m’ait dйfigurй.» Saisi de rage а cette idйe, il sauta sur son ennemi la pointe du couteau de chasse en avant. Cette pointe entra dans le cфtй droit de la poitrine de Giletti et sortit vers l’йpaule gauche; au mкme instant l’йpйe de Giletti pйnйtrait de toute sa longueur dans le haut du bras de Fabrice, mais l’йpйe glissa sous la peau, et ce fut une blessure insignifiante.

 

Giletti йtait tombй; au moment oщ Fabrice s’avanзait vers lui, regardant sa main gauche qui tenait un couteau, cette main s’ouvrait machinalement et laissait йchapper son arme.

 

«Le gredin est mort», se dit Fabrice; il le regarda au visage, Giletti rendait beaucoup de sang par la bouche. Fabrice courut а la voiture.

 

– Avez-vous un miroir? cria-t-il а Marietta. Marietta le regardait trиs pвle et ne rйpondait pas. La vieille femme ouvrit d’un grand sang-froid un sac а ouvrage vert, et prйsenta а Fabrice un petit miroir а manche grand comme la main. Fabrice, en se regardant, se maniait la figure: «Les yeux sont sains, se disait-il, c’est dйjа beaucoup.» Il regarda les dents, elles n’йtaient point cassйes.

 

– D’oщ vient donc que je souffre tant? se disait-il а demi-voix.

 

La vieille femme lui rйpondit:

 

– C’est que le haut de votre joue a йtй pilй entre le pommeau de l’йpйe de Giletti et l’os que nous avons lа. Votre joue est horriblement enflйe et bleue: mettez-y des sangsues а l’instant, et ce ne sera rien.

 

– Ah! des sangsues а l’instant, dit Fabrice en riant, et il reprit tout son sang-froid. Il vit que les ouvriers entouraient Giletti et le regardaient sans oser le toucher.

 

– Secourez donc cet homme, leur cria-t-il; фtez-lui son habit…

 

Il allait continuer, mais, en levant les yeux, il vit cinq ou six hommes а trois cents pas sur la grande route qui s’avanзaient а pied et d’un pas mesurй vers le lieu de la scиne.

 

«Ce sont des gendarmes, pensa-t-il, et comme il y a un homme de tuй, ils vont m’arrкter, et j’aurai l’honneur de faire une entrйe solennelle dans la ville de Parme. Quelle anecdote pour les courtisans amis de la Raversi et qui dйtestent ma tante!»

 

Aussitфt, et avec la rapiditй de l’йclair, il jette aux ouvriers йbahis tout l’argent qu’il avait dans ses poches, il s’йlance dans la voiture.

 

– Empкchez les gendarmes de me poursuivre, crie-t-il а ses ouvriers, et je fais votre fortune; dites-leur que je suis innocent, que cet homme m’a attaquй et voulait me tuer.

 

– Et toi, dit-il au veturino, mets tes chevaux au galop, tu auras quatre napolйons d’or si tu passes le Pф avant que ces gens lа-bas puissent m’atteindre.

 

– Зa va! dit le veturino; mais n’ayez donc pas peur, ces hommes lа-bas sont а pied, et le trot seul de mes petits chevaux suffit pour les laisser fameusement derriиre.

 

Disant ces paroles il les mit au galop.

 

Notre hйros fut choquй de ce mot “peur” employй par le cocher: c’est que rйellement il avait eu une peur extrкme aprиs le coup de pommeau d’йpйe qu’il avait reзu dans la figure.

 

– Nous pouvons contre-passer des gens а cheval venant vers nous, dit le veturino prudent et qui songeait aux quatre napolйons, et les hommes qui nous suivent peuvent crier qu’on nous arrкte.

 

Ceci voulait dire: Rechargez vos armes…

 

– Ah! que tu es brave, mon petit abbй! s’йcriait la Marietta en embrassant Fabrice.

 

La vieille femme regardait hors de la voiture par la portiиre: au bout d’un peu de temps elle rentra la tкte.

 

– Personne ne vous poursuit, monsieur, dit-elle а Fabrice d’un grand sang-froid; et il n’y a personne sur la route devant vous. Vous savez combien les employйs de la police autrichienne sont formalistes: s’ils vous voient arriver ainsi au galop, sur la digue au bord du Pф, ils vous arrкteront, n’en ayez aucun doute.

 

Fabrice regarda par la portiиre.

 

– Au trot, dit-il au cocher. Quel passeport avez-vous? dit-il а la vieille femme.

 

– Trois au lieu d’un, rйpondit-elle, et qui nous ont coыtй chacun quatre francs: n’est-ce pas une horreur pour de pauvres artistes dramatiques qui voyagent toute l’annйe! Voici le passeport de M. Giletti, artiste dramatique, ce sera vous; voici nos deux passeports а la Mariettina et а moi. Mais Giletti avait tout notre argent dans sa poche, qu’allons-nous devenir?

 

– Combien avait-il? dit Fabrice.

 

– Quarante beaux йcus de cinq francs, dit la vielle femme.

 

– C’est-а-dire six de la petite monnaie, dit la Marietta en riant; je ne veux pas que l’on trompe mon petit abbй.

 

– N’est-il pas tout naturel, monsieur, reprit la vieille femme d’un grand sang-froid, que je cherche а vous accrocher trente-quatre йcus? Qu’est-ce que trente-quatre йcus pour vous? Et nous, nous avons perdu notre protecteur; qui est-ce qui se chargera de nous loger, de dйbattre les prix avec les veturini quand nous voyageons, et de faire peur а tout le monde? Giletti n’йtait pas beau, mais il йtait bien commode, et si la petite que voilа n’йtait pas une sotte, qui d’abord s’est amourachйe de vous, jamais Giletti ne se fыt aperзu de rien, et vous nous auriez donnй de beaux йcus. Je vous assure que nous sommes bien pauvres.

 

Fabrice fut touchй; il tira sa bourse et donna quelques napolйons а la vieille femme.

 

– Vous voyez, lui dit-il, qu’il ne m’en reste que quinze, ainsi il est inutile dorйnavant de me tirer aux jambes.

 

La petite Marietta lui sauta au cou, et la vieille lui baisait les mains. La voiture avanзait toujours au petit trot. Quand on vit de loin les barriиres jaunes rayйes de noir qui annoncent les possessions autrichiennes, la vieille femme dit а Fabrice:

 

– Vous feriez mieux d’entrer а pied avec le passeport de Giletti dans votre poche; nous, nous allons nous arrкter un instant, sous prйtexte de faire un peu de toilette. Et d’ailleurs, la douane visitera nos effets. Vous, si vous m’en croyez, traversez Casal-Maggiore d’un pas nonchalant; entrez mкme au cafй et buvez le verre d’eau-de-vie; une fois hors du village, filez ferme. La police est vigilante en diable en pays autrichien: elle saura bientфt qu’il y a eu un homme de tuй: vous voyagez avec un passeport qui n’est pas le vфtre, il n’en faut pas tant pour passer deux ans en prison. Gagnez le Pф а droite en sortant de la ville, louez une barque et rйfugiez-vous а Ravenne ou а Ferrare; sortez au plus vite des Etats autrichiens. Avec deux louis vous pourrez acheter un autre passeport de quelque douanier, celui-ci vous serait fatal; rappelez-vous que vous avez tuй l’homme.

 

En approchant а pied du pont de bateaux de Casal-Maggiore, Fabrice relisait attentivement le passeport de Giletti. Notre hйros avait grand-peur, il se rappelait vivement tout ce que le comte Mosca lui avait dit du danger qu’il y avait pour lui а rentrer dans les Etats autrichiens; or, il voyait а deux cents pas devant lui le pont terrible qui allait lui donner accиs en ce pays, dont la capitale а ses yeux йtait le Spielberg. Mais comment faire autrement? Le duchй de Modиne qui borne au midi l’Etat de Parme lui rendait les fugitifs en vertu d’une convention expresse; la frontiиre de l’Etat qui s’йtend dans les montagnes du cфtй de Gкnes йtait trop йloignйe; sa mйsaventure serait connue а Parme bien avant qu’il pыt atteindre ces montagnes; il ne restait donc que les Etats de l’Autriche sur la rive gauche du Pф. Avant qu’on eыt le temps d’йcrire aux autoritйs autrichiennes pour les engager а l’arrкter, il se passerait peut-кtre trente-six heures ou deux jours. Toutes rйflexions faites, Fabrice brыla avec le feu de son cigare son propre passeport; il valait mieux pour lui en pays autrichien кtre un vagabond que d’кtre Fabrice del Dongo, et il йtait possible qu’on le fouillвt.


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