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L’autographe homicide

Amours d’escale | Postes et tйlйgraphes | Le Post-scriptum ou Une petite femme bien obйissante | Le langage des fleurs | Le Pauvre Bougre et le bon gйnie | Un point d’histoire | Inanitй de la logique | Le bahut Henri II | Un clichй d’arriиre-saison | Un fait-divers |


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  2. SECTION 1. Homicide

J’йtais restй absent de Paris pendant quelques mois, fort pris par un voyage d’exploration dans la rйgion nord-ouest de Courbevoie.

 

Quand je rentrai а Paris, des lettres s’amoncelaient sur le bureau de mon cabinet de travail; parmi ces derniиres, une, bordйe de noir.

 

C’est ainsi que j’йprouvai la douloureuse stupeur d’apprendre le dйcиs de mon pauvre ami Bonaventure Desmachins, trйpassй dans sa vingt-huitiиme annйe.

 

– Comment, m’йcriai-je, Desmachins! Un garзon si bien portant, si vigoureusement constituй!

 

Mais quand j’appris, quelques heures plus tard, de quoi йtait mort Desmachins, ma douloureuse stupeur fit alors place а un si vif йpatement que j’en tombai de mon haut (2 m 08).

 

– Comment, me rйcriai-je, Desmachins! Un garзon si rangй, si vertueux!

 

Le fait est que la chose paraissait invraisemblable.

 

Pauvre Desmachins! Je le vois encore si tranquille, si bien peignй, si bien ordonnй dans son existence.

 

Il avait bien ses petites manies, parbleu! mais qui n’a pas les siennes?

 

Par exemple, il n’aurait pas, pour un boulet de canon, achetй un timbre-poste ailleurs qu’а la Civette du Thйвtre-Franзais. Il prйtendait qu’en s’adressant а cette boutique, il rйalisait des йconomies considйrables de ports de lettres, les timbres de la Civette йtant plus secs, par consйquent plus lйgers et moins idoines а surcharger la correspondance.

 

Innocente manie, n’est-il pas vrai?

 

Si Desmachins n’avait eu que ce petit faible, il vivrait encore а l’heure qu’il est. Malheureusement, il avait une passion d’apparence non dangereuse, mais qui, pourtant, le conduisit а la tombe.

 

Desmachins collectionnait les autographes.

 

Il les collectionnait comme la lionne aime ses petits: farouchement.

 

Et il en avait, de ces autographes! Il en avait! Mon Dieu, en avait-il!

 

De tout le monde, par exemple: de Napolйon Ier, d’Yvette Guilbert, de Chincholle, de Henry Gauthier-Villars, de Charlemagne…

 

Il est vrai que celui de Charlemagne!… J’en savais la provenance, mais, pour ne point dйsoler Desmachins, je gardai toujours, а l’йgard de ce parchemin faussement surannй, un silence d’or.

 

(C’йtait un vieil йlиve de l’Йcole des chartes, tombй dans une vie d’improbitй crapuleuse, qui s’йtait adonnй а la fabrication de manuscrits carlovingiens – ne pas йcrire carnovingiens – et qui fournissait а Desmachins des autographes des йpoques les plus reculйes).

 

L’ami qui m’apprenait le trйpas de Desmachins, en tous ses pйnibles dйtails, semblait lutter contre un dйsir d’aveu.

 

А la fin, il murmura: – Et ce qu’il y a de plus terrible, c’est que je suis un peu son assassin.

 

Du coup, ma douloureuse stupeur se teinta d’йtonnement.

 

– Oui continua-t-il, le pauvre Desmachins est mort sur mon conseil!

 

– Le guillotinй par persuasion, quoi!

 

– Oh! ne ris pas, c’est une йpouvantable histoire, et je vais te la conter.

 

Je pris l’attitude bien connue du gentleman а qui on va conter une йpouvantable histoire, et mon ami – car, malgrй tout, c’est encore mon ami – me narra la chose en ces termes:

 

– Un jour, je rencontrai Desmachins enchantй d’une nouvelle acquisition. Il venait d’acheter un os de mouton sur lequel йtait inscrit, de la main mкme du Prophиte, un verset du Coran.

 

«– Et tu as payй зa?… lui demandai-je.

 

«– Une bouchйe de pain, mon cher. C’est un vieux cheik arabe qui me l’a cйdй. Comme il avait absolument besoin d’argent, j’ai pu avoir l’objet pour 3000 francs.

 

«Mвtin! pensai-je, 3000 francs, une bouchйe de pain! Зa le remet cher la livre!»

 

«Et il m’emmena chez lui pour me faire admirer son nouveau classement. Il avait, disait-il, inventй un nouveau classement dont il йtait trиs fier.

 

«La vue d’une lettre de Nйlaton me suggйra une idйe et, machinalement, je lui demandai:

 

«– Tu n’as pas d’autographe de Ricord?

 

«– Ricord?… Qui est-ce?

 

«– Comment! tu ne connais pas Ricord?

 

«Le malheureux… c’est-а-dire, non, le bienheureux… ou plutфt non, le malheureux ne connaissait pas Ricord.

 

«Alors, moi, je lui dis la gloire de Ricord, et Desmachins rйsolut aussitфt d’avoir, en sa collection, un mot du cйlиbre spйcialiste.

 

«Dиs le lendemain, il alla chez ses fournisseurs ordinaires: pas le moindre Ricord.

 

«Chez ses fournisseurs extraordinaires, pas davantage.

 

«Desmachins se dйsolait, s’impatientait. Car lui, si calme d’habitude, tournait facilement au fauve lorsqu’il s’agissait de sa collection.

 

«– Pourtant, rugissait-il, il y a des gens qui en ont, de ces autographes!

 

«– Oui, rйpliquai-je avec douceur, mais ceux qui les dйtiennent sont plus disposйs а les enfouir dans les plus intimes replis de leur portefeuille qu’а en tirer une vanitй frivole.

 

«– Tu me donnes une idйe! Puisque Ricord est mйdecin, je vais aller le trouver, il me fera une ordonnance qu’il signera, et j’aurai un autographe!

 

«– C’est ingйnieux, mais malheureusement… ou plutфt heureusement, tu n’es pas malade.

 

«– J’ai un fort rhume de cerveau… Tu vois, mon nez coule.

 

«– Ton nez…

 

«Je n’achevai pas, ayant toujours eu l’horreur des plaisanteries faciles, mais j’йclairai Desmachins sur le rфle de Ricord dans la sociйtй contemporaine.

 

«Huit jours se passиrent.

 

«Un matin, Desmachins entra chez moi, pвle mais les yeux rйsolus.

 

«– Tu sais, j’y suis dйcidй!

 

«– А quoi?

 

«– А aller chez Ricord.

 

«– Mais, encore une fois, tu n’es pas… malade.

 

«– Je le deviendrai!… Et prйcisйment, je viens te demander des dйtails.

 

«Je crus qu’il plaisantait, mais pas du tout! C’йtait une idйe fixe.

 

«Alors – et ce sera l’йternel remords de ma vie – j’eus la faiblesse de lui fournir quelques explications. Je lui conseillai les Folies Bergиre, par expйrience.

 

«La semaine d’aprиs, Desmachins m’envoyait un petit bleu ainsi conзu:

 

«» Viens me voir. Je suis au lit. Mais qu’importe! JE L’AI!»

 

«Les trois derniers mots triomphalement soulignйs.

 

«Oui, termina tristement le narrateur, il l’avait, et c’est de зa qu’il est mort».

 

Colydor

Son parrain, un maniaque pйpiniйriste de Meaux, avait exigй qu’il s’appelвt, comme lui, Polydore. Mais nous, ses amis, considйrant а juste titre que ce terme de Polydore йtait suprкmement ridicule, avions vite affublй le brave garзon du sobriquet de Colydor, beaucoup plus joli, euphonique et suggestif davantage.

 

Lui, d’ailleurs, йtait ravi de ce nom, et ses cartes de visite n’en portaient point d’autre. Йgalement on pouvait lire en belle gothique Colydor sur la plaque de cuivre de la porte de son petit rez-de-chaussйe, situй au cinquiиme йtage du 327 de la rue de la Source(Auteuil).

 

Il exigeait seulement qu’on orthographiвt son nom ainsi que je l’ai fait: un seul l, un y et pas d’ e а la fin.

 

Respectons cette inoffensive manie.

 

Je ne suis pas arrivй а mon вge sans avoir vu bien des drфles de corps, mais les plus drфles de corps qu’il m’a йtй donnй de contempler me semblent une pвle gnognotte auprиs de Colydor.

 

Quelqu’un, Victor Hugo, je crois, a appelй Colydor le sympathique chef de l’Йcole Loufoque, et il a eu bien raison.

 

Chaque fois que j’aperзois Colydor, tout mon кtre frйmit d’allйgresse jusque dans ses fibres les plus intimes.

 

«Bon, me dis-je, voilа Colydor, je ne vais pas m’embкter».

 

Pronostic jamais dйзu.

 

Hier, j’ai reзu la visite de Colydor.

 

– Regarde-moi bien, m’a dit mon ami, tu ne me trouves rien de changй dans la physionomie?

 

Je contemplai la face de Colydor et rien de spйcial ne m’apparut;

 

– Eh bien! mon vieux, reprit-il, tu n’es guиre physionomiste. Je suis mariй!

 

– Ah bah!

 

– Oui, mon bonhomme! Mariй depuis une semaine… Encore mille а attendre et je serai bien heureux!

 

– Mille quoi?

 

– Mille semaines, parbleu!

 

– Mille semaines? А attendre quoi?

 

– Quand je perdrais deux heures а te raconter зa, tu n’y comprendrais rien!

 

– Tu me crois donc bien bкte?

 

– Ce n’est pas que tu sois plus bкte qu’un autre, mais c’est une si drфle d’histoire!

 

Et sur cette allйchance, Colydor se drapa dans un sйpulcral mutisme. Je me sentais dйcidй а tout, mкme au crime, pour savoir.

 

– Alors, fis-je de mon air le plus indiffйrent, tu es mariй…

 

– Parfaitement!

 

– Elle est jolie?

 

– Ridicule!

 

– Riche?

 

– Pas un sou!

 

– Alors quoi?

 

– Puisque je te dis que tu n’y comprendrais rien!

 

Mes yeux suppliants le firent se raviser.

 

Colydor s’assit dans un fauteuil, n’alluma pas un excellent cigare et me narra ce qui suit:

 

– Tu te rappelles le temps infвme que nous prodigua le Seigneur durant tout le joli mois de mai? J’en profitai pour quitter Paris, et j’allai а Trouville livrer mon corps d’albвtre aux baisers d’Amphitrite.

 

«En cette saison, l’immeuble, а Trouville, est pour rien. Moyennant une bouchйe de pain, je louai une maison tout entiиre, sur la route de Honfleur.

 

«Ah! une bien drфle de maison, mon pauvre ami! Imagine-toi un heureux mйlange de palais florentin et de chaumiиre normande, avec un rien de pagode hindoue brochant sur le tout.

 

«Entre deux baisers d’Amphitrite, j’excursionnais vaguement dans les environs.

 

«Un dimanche, entre autres – oh! cet inoubliable dimanche! – je me promenais а Houlbec, un joli petit port de mer, ma foi, quand des flots d’harmonie vinrent me submerger tout а coup.

 

«А deux pas, sur une plage plantйe d’ormes sйculaires, une fanfare, probablement municipale, jetait au ciel ses mugissements les plus mйlodieux.»Et autour, tout autour de ces Orphйe en dйlire, tournaient sans trкve les Houlbecquois et les Houlbecquoises.

 

«Parmi ces derniиres…

 

«Crois-tu au coup de foudre? Non? Eh bien, tu es une sinistre brute!

 

«Moi non plus, je ne croyais pas au coup de foudre, mais maintenant!…

 

«C’est comme un coup qu’on reзoit lа, pan! dans le creux de l’estomac, et зa vous rйpond un peu dans le ventre. Trиs curieux, le coup de foudre!

 

«Parmi ces derniиres, disais-je donc, une grande femme brune, d’une quarantaine d’annйes, tournait, tournait, tournait.

 

«Йtait -elle jolie? Je n’en sais rien, mais а son aspect, je compris tout de suite que c’en йtait fait de moi. J’aimais cette femme, et je n’aimerais jamais qu’elle!

 

«Fiche-toi de moi si tu veux, mais c’est comme зa.

 

«Elle s’accompagnait de sa fille, une grande vilaine demoiselle de vingt ans, anguleuse et sans grвce.

 

«Le lendemain, j’avais lвchй Trouville, mon castel auvergno-japonais, et je m’installais а Houlbec.

 

«Mon coup de foudre йtait la femme du capitaine des douanes, un vieux bougre pas commode du tout et joueur а la manille aux enchиres, comme feu Manille aux enchиres lui-mкme!

 

«Moi qui n’ai jamais su tenir une carte de ma vie, je n’hйsitai pas, pour me rapprocher de l’idole, а devenir le partenaire du terrible gabelou!

 

«Oh! ces soirйes au Cafй de Paris, ces effroyables soirйes uniquement consacrйes а me faire traiter d’imbйcile par le capitaine parce que je lui coupais ses manilles ou parce que je ne les lui coupais pas! Car, а l’heure qu’il est, je ne suis pas encore bien fixй.

 

«Et puis, je ne me rappelais jamais que c’йtait le *dix* le plus fort а ce jeu-lа. Oh! ma tкte, ma pauvre tкte!

 

«Un jour enfin, au bout d’une semaine environ, ma constance fut rйcompensйe. Le gabelou m’invita а dоner.

 

«Charmante, la capitaine, et d’un accueil exquis. Mon cњur flamba comme braise folle. Je mis tout en њuvre pour arriver а mes dйtestables fins, mais je pus me fouiller dans les grandes largeurs!

 

«Je commenзais а me sentir tout calamiteux, quand un soir – oh! cet inoubliable soir!… – nous йtions dans le salon, je feuilletais un album de photographies, et elle, l’idole, me dйsignait: mon cousin Chose, ma tante Machin, une belle-sњur de mon mari, mon oncle Untel, etc., etc.

 

«– Et celle-ci, la connaissez-vous?

 

«– Parfaitement, c’est Mlle Claire.

 

«– Eh bien, pas du tout! C’est moi а vingt ans.

 

«Et elle me conta qu’а vingt ans, elle ressemblait exactement а Claire, sa fille, si exactement qu’en regardant Claire elle s’imaginait se considйrer dans son miroir d’il y a vingt ans.

 

«Йtait -ce possible!

 

«Comment cette adorable crйature, potelйe si dйlicieusement, avait-elle pu кtre une telle fille sиche et maigre?

 

«Alors, mon pauvre ami, une idйe me vint qui m’inonda de clartйs et de joies.

 

«Enfin, je tenais le bonheur!

 

«»Si la mиre a ressemblй si parfaitement а la fille, me dis-je, il est certain qu’un jour la fille ressemblera parfaitement а la mиre».

 

«Et voilа pourquoi j’ai йpousй Claire, la semaine derniиre.

 

«Aujourd’hui, elle a vingt ans, elle est laide.

 

Mais dans vingt ans, elle en aura quarante, et elle sera radieuse comme sa mиre!

 

«J’attendrai, voilа tout!»

 

Et Colydor, йvidemment trиs fier de sa combinaison, ajouta:

 

– Tu ne m’appelleras plus loufoque, maintenant… hein!

 

Phares

L’Eure est probablement un des rares dйpartements terriens franзais, et certainement le seul, qui possиde un phare maritime.

 

А la suite de quelles louches intrigues, de quelles basses dйmarches, de quelles nausйeuses influences ce dйpartement d’eau douce est-il arrivй а faire йriger en son sein un phare de premiиre classe? Voilа ce que je ne saurais dire, voilа ce que je ne voudrais jamais chercher а savoir.

 

Quelques petits jeunes gens des Ponts et Chaussйes me rйpondront d’un air suffisant qu’un phare йlevй en terre ferme peut йclairer une portion de mer sise pas trop loin de lа. Soit!

 

Il n’en est pas moins humiliant, quand on habite Honfleur (des Honfleurais fondиrent Quйbec en 1608) et qu’un ami, O’Reilly ou un autre, vous prie de lui faire visiter un phare de la premiиre classe, il n’en est pas moins humiliant, dis-je, de le trimballer dans un dйpartement voisin dont le plus intrйpide navigateur est tanneur а Pont-Audemer.

 

Non pas que le voyage en soit regrettable, oh! que non pas! La route est charmante d’un bout а l’autre, peuplйe de vieilles sempiterneuses qui tricotent, de jeunes filles qui attendent а la fontaine que leur siau se remplisse. Ah! combien exquises, ces Danaпdes normandes, une surtout, un peu avant Ficquefleur!

 

Alors, on arrive а Fatouville: c’est lа le phare.

 

Un gardien vous accueille, c’est le gardien-chef, ne l’oublions pas, un gardien-chef de premiиre classe, comme il a soin de vous en aviser lui-mкme.

 

On gravit un escalier qui compte un certain nombre de marches (sans cela serait-il un escalier? a si bien fait observer le cruel observateur Henry Somm).

 

Ces marches, j’en savais le nombre hier; je l’ignore aujourd’hui. L’oubli, c’est la vie.

 

Parvenu lа-haut, on jouit d’une vue superbe, comme disent les gens. On dйcouvre (j’ai encore oubliй ce quantum) une foule considйrable de lieues carrйes de territoire. Pourquoi des lieues carrйes dans un panorama circulaire?

 

– Quel est ce petit phare? demande une de nos compagnes en dйsignant un point de la basse Seine.

 

– Un phare зa! Vous appelez зa un phare? fait le gardien vaguement indignй.

 

Notre compagne, confuse, en pique un (de fard).

 

– Ce n’est pas un phare, madame, c’est un feu

 

Il nous dit mкme le nom du feu, mais je l’ai oubliй comme le reste.

 

Quand nous avons dйcouvert assez de territoire, nous descendons le nombre de marches qui constituent l’escalier dont j’ai parlй plus haut.

 

Un registre nous tend les bras, pour que nous y tracions nos noms de visiteurs.

 

Je signe modestement Francisque Sarcey, en ajoutant dans la colonne Observations cette phrase ingйnieuse:

 

La phrase que j’ai inscrite s’est йvadйe de ma mйmoire, comme tant d’autres histoires.

 

Je feuillette le registre, et je n’en reviens pas de la stupiditй de mes contemporains.

 

Comme les gens sont bкtes, mon Dieu! comme ils sont bкtes!

 

La colonne Observations du registre de Fatouville constitue certainement le plus beau monument de bкtise humaine qu’on puisse contempler en ce bas monde.

 

Tout un firmament de lunes n’en donnerait qu’une faible idйe.

 

J’en excepte un quatrain vieux de quelques mois, de Georges Lorin, et une rйflexion de Pierre Delcourt.

 

Le quatrain de Lorin est а sextuple dйtente; quant а la phrase de Delcourt, elle fait se retirer toutes seules les йchelles;

 

Voici le quatrain:

 

Comme il est des femmes gentilles,

Il est des calembours amers:

Le phare illumine les mers,

Le fard enlumine les filles!

 

А Delcourt, maintenant:

 

Le phare de Fatouville n’est, а tout prendre, qu’une vaste chandelle. Il en a, toutes proportions gardйes, la forme et le pouvoir йclairant.

 

Puis nous nous retirвmes.

 

Nous allions monter en voiture, quand une espиce de petit bonhomme tout drфle, pas trиs vieux, mais pas extraordinairement jeune non plus, fort sec, nous demanda poliment si nous rentrions а Honfleur. Sur l’assurance qu’en effet c’est notre but, le drфle de bonhomme nous demande une toute petite place dans notre vйhicule, ce а quoi nous consentоmes de la meilleure grвce du monde.

 

En route, il nous confia qu’il йtait inventeur, et qu’il allait rйvolutionner toute l’administration des phares:

 

– Vous occupez-vous de phares, messieurs? fit-il.

 

– Oh! vous savez, nous nous en occupons sans nous en occuper.

 

– Vous avez tort, car c’est lа une question bien intйressante.

 

J’avais bien envie de prier l’inventeur de nous procurer la paix. Nous descendions la cфte, а travers un paysage magnifique dans lequel un clйment octobre jetait son or discret. Je me sentais plus disposй а jouir de cette vue qu’а entendre divaguer mon vieux type. Mais mon vieux type reprit, plein d’ardeur:

 

– Les phares, c’est bon quand le temps est clair; mais le temps est-il jamais clair?

 

– Pourtant, j’ai vu des fois…

 

– Le temps n’est jamais clair! Alors…

 

– Nous avons la sirиne qui beugle dans la brume.

 

– La sirиne, c’est de la blague. Je dйfie а un navigateur qui voyage dans la brume de me dire, а 30 degrйs prиs, la direction d’une sirиne, s’il en est йloignй de quelques milles. Alors, j’ai inventй autre chose. Puisqu’on ne voit pas le feu du phare, puisqu’on se trompe sur la direction du son de la sirиne, j’ai imaginй le phare odorifйrant. Йcoutez-moi bien.

 

– Allez-y!

 

– Chaque phare a son odeur, soigneusement indiquйe sur les cartes marines. J’ai des phares а la rose, des phares au citron, des phares au musc. Au sommet des phares, un puissant vaporisateur projette ces odeurs vers la mer. Rien de plus simple, alors, pour se diriger. En temps de brume, le capitaine ouvre les narines et constate, par exemple, qu’une odeur de girofle lui arrive par N.-N.-O. et une odeur de rйsйda par S.-E. En consultant sa carte, il dйtermine ainsi sa situation exacte. Hein?…

 

– Йpatant! Et puis il y a une chose а laquelle vous n’avez pas pensй. Je vous donne l’idйe pour rien: quand il s’agira d’un phare situй sur des rochers, en mer, construisez-le en fromage de Livarot, on le sentira de loin; et si quelque tempкte, comme il arrive souvent, empкche d’aller le ravitailler, eh bien, les gardiens ne mourront pas de faim: ils mangeront leur phare!

 

Le drфle de bonhomme me regarda d’un air mйprisant, et causa d’autre chose.

 


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