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Chapitre XV. Le Chant du coq

Chapitre IV. Un pиre et un fils | Chapitre V. Une nйgociation | Chapitre VI. L’Ennui | Chapitre VII. Les Affinitйs йlectives | Chapitre VIII. Petits йvйnements | Chapitre IX. Une soirйe а la campagne | Chapitre X. Un grand cњur et une petite fortune | Chapitre XI. Une soirйe | Chapitre XII. Un voyage | Chapitre XIII. Les Bas а jour |


Читайте также:
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  2. Chapitre II Les camarades
  3. Chapitre II. Entrйe dans le monde
  4. Chapitre II. Un maire
  5. Chapitre III L’Avion
  6. Chapitre III. Le Bien des pauvres
  7. Chapitre III. Les Premiers pas

 

Amour en latin faict amor;

Or donc provient d’amour la mort,

Et, par avant, soulcy qui mord,

Deuil, plours, piиges, forfaits, remords.

 

BLASON D’AMOUR.

 

Si Julien avait eu un peu de l’adresse qu’il se supposait si gratuitement, il eыt pu s’applaudir le lendemain de l’effet produit par son voyage а Verriиres. Son absence avait fait oublier ses gaucheries. Ce jour-lа encore, il fut assez maussade; sur le soir, une idйe ridicule lui vint, et il la communiqua а Mme de Rкnal avec une rare intrйpiditй.

 

А peine fut-on assis au jardin, que, sans attendre une obscuritй suffisante, Julien approcha sa bouche de l’oreille de Mme de Rкnal, et, au risque de la compromettre horriblement, il lui dit:

 

– Madame, cette nuit а deux heures, j’irai dans votre chambre, je dois vous dire quelque chose.

 

Julien tremblait que sa demande ne fыt accordйe; son rфle de sйducteur lui pesait si horriblement que s’il eыt pu suivre son penchant, il se fыt retirй dans sa chambre pour plusieurs jours, et n’eыt plus vu ces dames. Il comprenait que, par sa conduite savante de la veille, il avait gвtй toutes les belles apparences du jour prйcйdent, et ne savait rйellement а quel saint se vouer.

 

Mme de Rкnal rйpondit avec une indignation rйelle, et nullement exagйrйe, а l’annonce impertinente que Julien osait lui faire. Il crut voir du mйpris dans sa courte rйponse. Il est sыr que dans cette rйponse, prononcйe fort bas, le mot fi donc avait paru. Sous prйtexte de quelque chose а dire aux enfants, Julien alla dans leur chambre, et а son retour il se plaзa а cфtй de Mme Derville et fort loin de Mme de Rкnal. Il s’фta ainsi toute possibilitй de lui prendre la main. La conversion fut sйrieuse, et Julien s’en tira fort bien, а quelques moments de silence prиs, pendant lesquels il se creusait la cervelle. Que ne puis-je inventer quelque belle manњuvre, se disait-il, pour forcer Mme de Rкnal а me rendre ces marques de tendresse non йquivoques qui me faisaient croire il y a trois jours qu’elle йtait а moi!

 

Julien йtait extrкmement dйconcertй de l’йtat presque dйsespйrй oщ il avait mis ses affaires. Rien cependant ne l’eыt plus embarrassй que le succиs.

 

Lorsqu’on se sйpara а minuit, son pessimisme lui fit croire qu’il jouissait du mйpris de Mme Derville, et que probablement il n’йtait guиre mieux avec Mme de Rкnal.

 

De fort mauvaise humeur et trиs humiliй, Julien ne dormit point. Il йtait а mille lieues de l’idйe de renoncer а toute feinte, а tout projet, et de vivre au jour le jour avec Mme de Rкnal, en se contentant comme un enfant du bonheur qu’apporterait chaque journйe.

 

Il se fatigua le cerveau а inventer des manњuvres savantes, un instant aprиs il les trouvait absurdes; il йtait en un mot fort malheureux quand deux heures sonnиrent а l’horloge du chвteau.

 

Ce bruit le rйveilla comme le chant du coq rйveilla saint Pierre. Il se vit au moment de l’йvйnement le plus pйnible. Il n’avait plus songй а sa proposition impertinente depuis le moment oщ il l’avait faite; elle avait йtй si mal reзue!

 

Je lui ai dit que j’irais chez elle а deux heures, se dit-il en se levant, je puis кtre inexpйrimentй et grossier comme il appartient au fils d’un paysan, Mme Derville me l’a fait assez entendre, mais du moins je ne serai pas faible.

 

Julien avait raison de s’applaudir de son courage, jamais il ne s’йtait imposй une contrainte plus pйnible. En ouvrant sa porte, il йtait tellement tremblant que ses genoux se dйrobaient sous lui, et il fut forcй de s’appuyer contre le mur.

 

Il йtait sans souliers. Il alla йcouter а la porte de M. de Rкnal, dont il put distinguer le ronflement. Il en fut dйsolй. Il n’y avait donc plus de prйtexte pour ne pas aller chez elle. Mais, grand Dieu! qu’y ferait-il? Il n’avait aucun projet, et quand il en aurait eu, il se sentait tellement troublй qu’il eыt йtй hors d’йtat de les suivre.

 

Enfin, souffrant plus mille fois que s’il eыt marchй а la mort, il entra dans le petit corridor qui menait а la chambre de Mme de Rкnal. Il ouvrit la porte d’une main tremblante et en faisant un bruit effroyable.

 

Il y avait de la lumiиre, une veilleuse brыlait sous la cheminйe; il ne s’attendait pas а ce nouveau, malheur. En le voyant entrer, Mme de Rкnal se jeta vivement hors de son lit. Malheureux! s’йcria-t-elle. Il y eut un peu de dйsordre. Julien oublia ses vains projets et revint а son rфle naturel; ne pas plaire а une femme si charmante lui parut le plus grand des malheurs. Il ne rйpondit а ses reproches qu’en se jetant а ses pieds, en embrassant ses genoux. Comme elle lui parlait avec une extrкme duretй, il fondit en larmes.

 

Quelques heures aprиs, quand Julien sortit de la chambre de Mme de Rкnal, on eыt pu dire, en style de roman, qu’il n’avait plus rien а dйsirer. En effet, il devait а l’amour qu’il avait inspirй et а l’impression imprйvue qu’avaient produite sur lui des charmes sйduisants une victoire а laquelle ne l’eыt pas conduit toute son adresse si maladroite.

 

Mais, dans les moments les plus doux, victime d’un orgueil bizarre, il prйtendit encore jouer le rфle d’un homme accoutumй а subjuguer des femmes: il fit des efforts d’attention incroyables pour gвter ce qu’il avait d’aimable. Au lieu d’кtre attentif aux transports qu’il faisait naоtre, et aux remords qui en relevaient la vivacitй, l’idйe du devoir ne cessa jamais d’кtre prйsente а ses yeux. Il craignait un remords affreux et un ridicule йternel, s’il s’йcartait du modиle idйal qu’il se proposait de suivre. En un mot, ce qui faisait de Julien un кtre supйrieur fut prйcisйment ce qui l’empкcha de goыter le bonheur qui se plaзait sous ses pas. C’est une jeune fille de seize ans, qui a des couleurs charmantes, et qui, pour aller au bal, a la folie de mettre du rouge.

 

Mortellement effrayйe de l’apparition de Julien, Mme de Rкnal fut bientфt en proie aux plus cruelles alarmes. Les pleurs et le dйsespoir de Julien la troublaient vivement.

 

Mкme quand elle n’eut plus rien а lui refuser, elle repoussait Julien loin d’elle, avec une indignation rйelle, et ensuite se jetait dans ses bras. Aucun projet ne paraissait dans toute cette conduite. Elle se croyait damnйe sans rйmission, et cherchait а se cacher la vue de l’enfer en accablant Julien des plus vives caresses. En un mot, rien n’eыt manquй au bonheur de notre hйros, pas mкme une sensibilitй brыlante dans la femme qu’il venait d’enlever, s’il eыt su en jouir. Le dйpart de Julien ne fit point cesser les transports qui l’agitaient malgrй elle, et ses combats avec les remords qui la dйchiraient.

 

Mon Dieu! кtre heureux, кtre aimй, n’est-ce que зa? Telle fut la premiиre pensйe de Julien, en rentrant dans sa chambre. Il йtait dans cet йtat d’йtonnement et de trouble inquiet oщ tombe l’вme qui vient d’obtenir ce qu’elle a longtemps dйsirй. Elle est habituйe а dйsirer, ne trouve plus quoi dйsirer, et cependant n’a pas encore de souvenirs. Comme le soldat qui revient de la parade, Julien fut attentivement occupй а repasser tous les dйtails de sa conduite.

 

– N’ai-je manquй а rien de ce que je me dois а moi-mкme? Ai-je bien jouй mon rфle?

 

Et quel rфle? celui d’un homme accoutumй а кtre brillant avec les femmes.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 46 | Нарушение авторских прав


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