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Cloche les regardait sans penser а rien; puis il lui vint, plutфt au ventre que dans la tкte, la sensation plutфt que l’idйe qu’une de ces bкtes-lа serait bonne а manger grillйe sur un feu de bois mort.

 

Le soupзon qu’il allait commettre un vol ne l’effleura pas. Il prit une pierre а portйe de sa main, et, comme il йtait adroit, il tua net, en la lanзant, la volaille la plus proche de lui. L’animal tomba sur le cфtй en remuant les ailes. Les autres s’enfuirent, balancйs sur leurs pattes minces, et Cloche, escaladant de nouveau ses bйquilles, se mit en marche pour aller ramasser sa chasse, avec des mouvements pareils а ceux des poules.

 

Comme il arrivait auprиs du petit corps noir tachй de rouge а la tкte, il reзut une poussйe terrible dans le dos qui lui fit lвcher ses bвtons et l’envoya rouler а dix pas devant lui. Et maоtre Chiquet, exaspйrй, se prйcipitant sur le maraudeur, le roua de coups, tapant comme un forcenй, comme tape un paysan volй, avec le poing et avec le genou par tout le corps de l’infirme, qui ne pouvait se dйfendre.

 

Les gens de la ferme arrivaient а leur tour qui se mirent avec le patron а assommer le mendiant. Puis, quand ils furent las de le battre, ils le ramassиrent et l’emportиrent, et l’enfermиrent dans le bыcher pendant qu’on allait chercher les gendarmes.

 

Cloche, а moitiй mort, saignant et crevant de faim, demeura couchй sur le sol. Le soir vint, puis la nuit, puis l’aurore. Il n’avait toujours pas mangй.

 

Vers midi, les gendarmes parurent et ouvrirent la porte avec prйcaution, s’attendant а une rйsistance, car maоtre Chiquet prйtendait avoir йtй attaquй par le gueux et ne s’кtre dйfendu qu’а grand’peine.

 

Le brigadier cria:

 

– Allons, debout!

 

Mais Cloche ne pouvait plus remuer, il essaya bien de se hisser sur ses pieux, il n’y parvint point. On crut а une feinte, а une ruse, а un mauvais vouloir de malfaiteur, et les deux hommes armйs, le rudoyant, l’empoignиrent et le plantиrent de force sur ses bйquilles.

 

La peur l’avait saisi, cette peur native des baudriers jaunes, cette peur du gibier devant le chasseur, de la souris devant le chat. Et, par des efforts surhumains, il rйussit а rester debout.

 

– En route! dit le brigadier. Il marcha. Tout le personnel de la ferme le regardait partir. Les femmes lui montraient le poing; les hommes ricanaient, l’injuriaient: on l’avait pris enfin! Bon dйbarras.

 

Il s’йloigna entre ses deux gardiens. Il trouva l’йnergie dйsespйrйe qu’il lui fallait pour se traоner encore jusqu’au soir, abruti, ne sachant seulement plus ce qui lui arrivait, trop effarй pour rien comprendre.

 

Les gens qu’on rencontrait s’arrкtaient pour le voir passer, et les paysans murmuraient:

 

– C’est quйque voleux!

 

On parvint, vers la nuit, au chef-lieu du canton. Il n’йtait jamais venu jusque-lа. Il ne se figurait pas vraiment ce qui se passait, ni ce qui pouvait survenir. Toutes ces choses terribles, imprйvues, ces figures et ces maisons nouvelles le consternaient.

 

Il ne prononзa pas un mot, n’ayant rien а dire, car il ne comprenait plus rien. Depuis tant d’annйes d’ailleurs qu’il ne parlait а personne, il avait а peu prиs perdu l’usage de sa langue; et sa pensйe aussi йtait trop confuse pour se formuler par des paroles.

 

On l’enferma dans la prison du bourg. Les gendarmes ne pensиrent pas qu’il pouvait avoir besoin de manger, et on le laissa jusqu’au lendemain.

 

Mais, quand on vint pour l’interroger, au petit matin, on le trouva mort, sur le sol. Quelle surprise!

 

Un parricide[14]

 

L’avocat avait plaidй la folie. Comment expliquer autrement ce crime йtrange? On avait retrouvй un matin, dans les roseaux, prиs de Chatou, deux cadavres enlacйs, la femme et l’homme, deux mondains connus, riches, plus tout jeunes, et mariйs seulement de l’annйe prйcйdente, la femme n’йtant veuve que depuis trois ans.

 

On ne leur connaissait point d’ennemis, ils n’avaient pas йtй volйs. Il semblait qu’on les eыt jetйs de la berge dans la riviиre, aprиs les avoir frappйs, l’un aprиs l’autre, avec une longue pointe de fer.

 

L’enquкte ne faisait rien dйcouvrir. Les mariniers interrogйs ne savaient rien; on allait abandonner l’affaire, quand un jeune menuisier d’un village voisin, nommй Georges Louis, dit Le Bourgeois, vint se constituer prisonnier.

 

А toutes les interrogations, il ne rйpondit que ceci:

 

– Je connaissais l’homme depuis deux ans, la femme depuis six mois. Ils venaient souvent me faire rйparer des meubles anciens, parce que je suis habile dans le mйtier.

 

Et quand on lui demandait:

 

– Pourquoi les avez vous tuйs?

 

Il rйpondait obstinйment:

 

– Je les ai tuйs parce que j’ai voulu les tuer.

 

On n’en put tirer autre chose.

 

Cet homme йtait un enfant naturel sans doute, mis autrefois en nourrice dans le pays, puis abandonnй. Il n’avait pas d’autre nom que Georges Louis, mais comme, en grandissant, il devint singuliиrement intelligent, avec des goыts et des dйlicatesses natives que n’avaient point ces camarades, on le surnomma: «le bourgeois»; et on ne l’appelait plus autrement. Il passait pour remarquablement adroit dans le mйtier de menuisier qu’il avait adoptй. Il faisait mкme un peu de sculpture sur bois. On le disait aussi fort exaltй, partisan des doctrines communistes et mкme nihilistes, grand liseur de romans d’aventures, de romans а drames sanglants, йlecteur influent et orateur habile dans les rйunions publiques d’ouvriers ou de paysans.

 

* * *

 

L’avocat avait plaidй la folie.

 

Comment pouvait-on admettre, en effet, que cet ouvrier eыt tuй ses meilleurs clients, des clients riches et gйnйreux (il le reconnaissait), qui lui avaient fait faire depuis deux ans, pour trois mille francs de travail (ses livres en faisaient foi). Une seule explication se prйsentait: la folie, l’idйe fixe du dйclassй qui se venge sur deux bourgeois de tous les bourgeois et l’avocat fit une allusion habile а ce surnom de LE BOURGEOIS, donnй par le pays а cet abandonnй; il s’йcriait:

 

– N’est-ce pas une ironie, et une ironie capable d’exalter encore ce malheureux garзon qui n’a ni pиre ni mиre? C’est un ardent rйpublicain. Que dis-je? il appartient mкme а ce parti politique que la Rйpublique fusillait et dйportait naguиre, qu’elle accueille aujourd’hui а bras ouverts, а ce parti pour qui l’incendie est un principe et le meurtre un moyen tout simple.

 

Ces tristes doctrines, acclamйes maintenant dans les rйunions publiques, ont perdu cet homme. Il a entendu des rйpublicains, des femmes mкme, oui, des femmes! demander le sang de M. Gambetta, le sang de M. Grйvy; son esprit malade a chavirй; il a voulu du sang, du sang de bourgeois!

 

Ce n’est pas lui qu’il faut condamner, messieurs, c’est la Commune!

 

Des murmures d’approbation coururent. On sentait bien que la cause йtait gagnйe pour l’avocat. Le ministиre public ne rйpliqua pas.

 

Alors le prйsident posa au prйvenu la question d’usage:

 

– Accusй, n’avez-vous rien а ajouter pour votre dйfense?

 

L’homme se leva:

 

Il йtait de petite taille, d’un blond de lin, avec des yeux gris, fixes et clairs. Une voix forte, franche et sonore sortait de ce frкle garзon et changeait brusquement, aux premiers mots, l’opinion qu’on s’йtait faite de lui.

 

Il parla hautement, d’un ton dйclamatoire, mais si net que ses moindres paroles se faisaient entendre jusqu’au fond de la grande salle:

 

– Mon prйsident, comme je ne veux pas aller dans une maison de fous, et que je prйfиre mкme la guillotine, je vais tout vous dire.

 

J’ai tuй cet homme et cette femme parce qu’ils йtaient mes parents.

 

Maintenant, йcoutez-moi et jugez-moi.

 

Une femme, ayant accouchй d’un fils, l’envoya quelque part en nourrice. Sut-elle seulement en quel pays son complice porta le petit кtre innocent, mais condamnй а la misиre йternelle, а la honte d’une naissance illйgitime, plus que cela: а la mort, puisqu’on l’abandonna, puisque la nourrice, ne recevant plus la pension mensuelle, pouvait, comme elles font souvent, le laisser dйpйrir, souffrir de faim, mourir de dйlaissement.

 

La femme qui m’allaita fut honnкte, plus honnкte, plus femme, plus grande, plus mиre que ma mиre. Elle m’йleva. Elle eut tort en faisant son devoir. Il vaut mieux laisser pйrir ces misйrables jetйs aux villages des banlieues, comme on jette une ordure aux bornes.

 

Je grandis avec l’impression vague que je portais un dйshonneur. Les autres enfants m’appelиrent un jour «bвtard». Ils ne savaient pas ce que signifiait ce mot, entendu par l’un d’eux chez ses parents. Je l’ignorais aussi, mais je le sentis.

 

J’йtais, je puis le dire, un des plus intelligents de l’йcole. J’aurais йtй un honnкte homme, mon prйsident, peut-кtre un homme supйrieur, si mes parents n’avaient pas commis le crime de m’abandonner.

 

Ce crime, c’est contre moi qu’ils l’ont commis. Je fus la victime, eux furent les coupables. J’йtais sans dйfense, ils furent sans pitiй. Ils devaient m’aimer: ils m’ont rejetй.

 

Moi, je leur devais la vie – mais la vie est-elle un prйsent? La mienne, en tous cas, n’йtait qu’un malheur. Aprиs leur honteux abandon, je ne leur devais plus que la vengeance. Ils ont accompli contre moi l’acte le plus inhumain, le plus infвme, le plus monstrueux qu’on puisse accomplir contre un кtre.

 

– Un homme injuriй frappe; un homme volй reprend son bien par la force. Un homme trompй, jouй, martyrisй, tue; un homme souffletй tue; un homme dйshonorй tue. J’ai йtй plus volй, trompй, martyrisй, souffletй moralement, dйshonorй, que tous ceux dont vous absolvez la colиre.

 

Je me suis vengй, j’ai tuй. C’йtait mon droit lйgitime. J’ai pris leur vie heureuse en йchange de la vie horrible qu’ils m’avaient imposйe.

 

Vous allez parler de parricide! Йtaient-ils mes parents, ces gens pour qui je fus un fardeau abominable, une terreur, une tache d’infamie; pour qui ma naissance fut une calamitй et ma vie une menace de honte? Ils cherchaient un plaisir йgoпste; ils ont eu un enfant imprйvu. Ils ont supprimй l’enfant. Mon tour est venu d’en faire autant pour eux.

 

Et pourtant, derniиrement encore, j’йtais prкt а les aimer.

 

Voici deux ans, je vous l’ai dit, que l’homme, mon pиre, entra chez moi pour la premiиre fois. Je ne soupзonnais rien. Il me commanda deux meubles. Il avait pris, je le sus plus tard, des renseignements auprиs du curй, sous le sceau du secret, bien entendu.

 

Il revint souvent; il me faisait travailler et payait bien. Parfois mкme il causait un peu de choses et d’autres. Je me sentais de l’affection pour lui.

 

Au commencement de cette annйe il amena sa femme, ma mиre. Quand elle entra, elle tremblait si fort que je la crus atteinte d’une maladie nerveuse. Puis elle demanda un siиge et un verre d’eau. Elle ne dit rien; elle regarda mes meubles d’un air fou, et elle ne rйpondait que oui et non, а tort et а travers, а toutes les questions qu’il lui posait! Quand elle fut partie, je la crus un peu toquйe.

 

Elle revint le mois suivant. Elle йtait calme, maоtresse d’elle. Ils restиrent, ce jour-lа, assez longtemps а bavarder, et ils me firent une grosse commande. Je la revis encore trois fois, sans rien deviner; mais un jour voilа qu’elle se mit а me parler de ma vie, de mon enfance, de mes parents. Je rйpondis: «Mes parents, madame, йtaient des misйrables qui m’ont abandonnй.» Alors elle porta la main sur son cњur, et tomba sans connaissance. Je pensai tout de suite: «C’est ma mиre!» mais je me gardai bien de laisser rien voir. Je voulais la regarder venir.

 

Par exemple, je pris de mon cфtй mes renseignements. J’appris qu’ils n’йtaient mariйs que du mois de juillet prйcйdent, ma mиre n’йtant devenue veuve que depuis trois ans. On avait bien chuchotй qu’ils s’йtaient aimйs du vivant du premier mari, mais on n’en avait aucune preuve. C’йtait moi la preuve, la preuve qu’on avait cachйe d’abord, espйrй dйtruire ensuite.

 

J’attendis. Elle reparut un soir, toujours accompagnйe de mon pиre. Ce jour-lа, elle semblait fort йmue, je ne sais pourquoi. Puis, au moment de s’en aller, elle me dit: «Je vous veux du bien, parce que vous m’avez l’air d’un honnкte garзon et d’un travailleur; vous penserez sans doute а vous marier quelque jour; je viens vous aider а choisir librement la femme qui vous conviendra. Moi, j’ai йtй mariйe contre mon cњur une fois, et je sais comme on en souffre. Maintenant, je suis riche, sans enfants, libre, maоtresse de ma fortune. Voici votre dot.»

 

Elle me tendit une grande enveloppe cachetйe.

 

Je la regardai fixement, puis je lui dis: «Vous кtes ma mиre?»

 

Elle recula de trois pas et se cacha les yeux de la main pour ne plus me voir. Lui, l’homme, mon pиre, la soutint dans ses bras et il me cria: «Mais vous кtes fou!»

 

Je rйpondis: «Pas du tout. Je sais bien que vous кtes mes parents. On ne me trompe pas ainsi. Avouez-le et je vous garderai le secret; je ne vous en voudrai pas; je resterai ce que je suis, un menuisier.»

 

Il reculait vers la sortie en soutenant toujours sa femme qui commenзait а sangloter. Je courus fermer la porte, je mis la clef dans ma poche, et je repris: «Regardez-la donc et niez encore qu’elle soit ma mиre.»

 

Alors il s’emporta, devenu trиs pвle, йpouvantй par la pensйe que le scandale йvitй jusqu’ici pouvait йclater soudain; que leur situation, leur renom, leur honneur seraient perdus d’un seul coup; il balbutiait: «Vous кtes une canaille qui voulez nous tirer de l’argent. Faites donc du bien au peuple, а ces manants-lа, aidez-les, secourez-les!»

 

Ma mиre, йperdue, rйpйtait coup sur coup: «Allons-nous-en, allons-nous-en.»

 

Alors, comme la porte йtait fermйe, il cria: «Si vous ne m’ouvrez pas tout de suite, je vous fais flanquer en prison pour chantage et violence!»

 

J’йtais restй maоtre de moi; j’ouvris la porte et je les vis s’enfoncer dans l’ombre.

 

Alors il me sembla tout а coup que je venais d’кtre fait orphelin, d’кtre abandonnй, poussй au ruisseau. Une tristesse йpouvantable, mкlйe de colиre, de haine, de dйgoыt, m’envahit; j’avais comme un soulиvement de tout mon кtre, un soulиvement de la justice, de la droiture, de l’honneur, de l’affection rejetйe. Je me mis а courir pour les rejoindre le long de la Seine qu’il leur fallait suivre pour gagner la gare de Chatou.

 

– Je les rattrapai bientфt. La nuit йtait venue toute noire. J’allais а pas de loup sur l’herbe, de sorte qu’ils ne m’entendirent pas. Ma mиre pleurait toujours. Mon pиre disait: «C’est votre faute. Pourquoi avez-vous tenu а le voir! C’йtait une folie dans notre position. On aurait pu lui faire du bien de loin, sans se montrer. Puisque nous ne pouvons le reconnaоtre, а quoi servaient ces visites dangereuses?»

 

Alors, je m’йlanзai devant eux, suppliant. Je balbutiai: «Vous voyez bien que vous кtes mes parents. Vous m’avez dйjа rejetй une fois, me repousserez-vous encore?»

 

Alors, mon prйsident, il leva la main sur moi, je vous le jure sur l’honneur, sur la loi, sur la Rйpublique. Il me frappa, et comme je le saisissais au collet, il tira de sa poche un revolver.

 

J’ai vu rouge, je ne sais plus, j’avais mon compas dans ma poche; je l’ai frappй, frappй tant que j’ai pu.

 

Alors elle s’est mise а crier: «Au secours! а l’assassin!» en m’arrachant la barbe. Il paraоt que je l’ai tuйe aussi. Est-ce que je sais, moi, ce que j’ai fait а ce moment-lа?

 

Puis, quand je les ai vus tous les deux par terre, je les ai jetйs а la Seine, sans rйflйchir.

 

Voilа. – Maintenant, jugez-moi.

 

* * *

 

L’accusй se rassit. Devant cette rйvйlation, l’affaire a йtй reportйe а la session suivante. Elle passera bientфt. Si nous йtions jurйs, que ferions-nous de ce parricide?

 

Le petit[15]

 

Lemonnier йtait demeurй veuf avec un enfant. Il avait aimй follement sa femme, d’un amour exaltй et tendre, sans une dйfaillance, pendant toute leur vie commune. C’йtait un bon homme, un brave homme, simple, tout simple, sincиre, sans dйfiance et sans malice.

 

Йtant devenu amoureux d’une voisine qui йtait pauvre, il la demanda en mariage et l’йpousa. Il faisait un commerce de draperie assez prospиre, gagnait pas mal d’argent et ne douta pas une seconde qu’il n’eыt йtй acceptй pour lui-mкme par la jeune fille.

 

Elle le rendit heureux d’ailleurs. Il ne voyait qu’elle au monde, ne pensait qu’а elle, la regardait sans cesse avec des yeux d’adorateur prosternй. Pendant les repas, il commettait mille maladresses pour ne point dйtourner son regard du visage chйri, versait le vin dans son assiette et l’eau dans la saliиre, puis se mettait а rire comme un enfant, en rйpйtant:

 

– Je t’aime trop, vois-tu; cela me fait faire un tas de bкtises.

 

Elle souriait, d’un air calme et rйsignй; puis dйtournait les yeux, comme gкnйe par l’adoration de son mari, et elle tвchait de le faire parler, de causer de n’importe quoi; mais il lui prenait la main а travers la table, et la gardait dans la sienne en murmurant:

 

– Ma petite Jeanne, ma chиre petite Jeanne!

 

Elle finissait par s’impatienter et par dire:

 

– Allons, voyons, sois raisonnable; mange, et laisse-moi manger.

 

Il poussait un soupir et cassait une bouchйe de pain, qu’il mвchait ensuite avec lenteur.

 

Pendant cinq ans, ils n’eurent pas d’enfants. Puis tout а coup elle devint enceinte. Ce fut un bonheur dйlirant. Il ne la quitta point de tout le temps de sa grossesse; si bien que sa bonne, une vieille bonne qui l’avait йlevй et qui parlait haut dans la maison, le mettait parfois dehors et fermait la porte pour le forcer а prendre l’air.

 

Il s’йtait liй d’une intime amitiй avec un jeune homme qui avait connu sa femme dиs son enfance, et qui йtait sous-chef de bureau а la Prйfecture. M. Duretour dоnait trois fois par semaine chez M. Lemonnier, apportait des fleurs а madame, et parfois une loge de thйвtre; et, souvent, au dessert, ce bon Lemonnier attendri s’йcriait, en se tournant vers sa femme:

 

– Avec une compagne comme toi et un ami comme lui, on est parfaitement heureux sur la terre.

 

Elle mourut en couches. Il en faillit mourir aussi. Mais la vue de l’enfant lui donna du courage: un petit кtre crispй qui geignait.

 

Il l’aima d’un amour passionnй et douloureux, d’un amour malade oщ restait le souvenir de la mort, mais oщ survivait quelque chose de son adoration pour la morte. C’йtait la chair de sa femme, son кtre continuй, comme une quintessence d’elle. Il йtait, cet enfant, sa vie mкme tombйe en un autre corps; elle йtait disparue pour qu’il existвt. – Et le pиre l’embrassait avec fureur. – Mais aussi il l’avait tuйe, cet enfant, il avait pris, volй cette existence adorйe, il s’en йtait nourri, il avait bu sa part de vie. – Et M. Lemonnier reposait son fils dans le berceau, et s’asseyait auprиs de lui pour le contempler. Il restait lа des heures et des heures, le regardant, songeant а mille choses tristes ou douces. Puis, comme le petit dormait, il se penchait sur son visage et pleurait dans ses dentelles.

 

* * *

 

L’enfant grandit. Le pиre ne pouvait plus se passer une heure de sa prйsence; il rфdait autour de lui, le promenait, l’habillait lui-mкme, le nettoyait, le faisait manger. Son ami, M. Duretour, semblait aussi chйrir ce gamin, et il l’embrassait par grands йlans, avec ces frйnйsies de tendresse qu’ont les parents. Il le faisait sauter dans ses bras, le faisait danser pendant des heures а cheval sur une jambe, et soudain, le renversant sur ses genoux, relevait sa courte jupe et baisait ses cuisses grasses de moutard et ses petits mollets ronds. M. Lemonnier, ravi, murmurait:

 

– Est-il mignon, est-il mignon!

 

Et M. Duretour serrait l’enfant dans ses bras en lui chatouillant le cou de sa moustache.

 

Seule, Cйleste, la vieille bonne, ne semblait avoir aucune tendresse pour le petit. Elle se fвchait de ses espiиgleries, et semblait exaspйrйe par les cвlineries des deux hommes. Elle s’йcriait:

 

– Peut-on йlever un enfant comme зa! Vous en ferez un joli singe.

 

Des annйes encore passиrent, et Jean prit neuf ans. Il savait а peine lire, tant on l’avait gвtй, et n’en faisait jamais qu’а sa tкte. Il avait des volontйs tenaces, des rйsistances opiniвtres, des colиres furieuses. Le pиre cйdait toujours, accordait tout. M. Duretour achetait et apportait sans cesse les joujoux convoitйs par le petit, et il le nourrissait de gвteaux et de bonbons.

 

Cйleste alors s’emportait, criait:

 

– C’est une honte, monsieur, une honte. Vous faites le malheur de cet enfant, son malheur, entendez-vous. Mais il faudra bien que cela finisse; oui, oui, зa finira, je vous le dis, je vous le promets, et pas avant longtemps encore.

 

M. Lemonnier rйpondait en souriant:

 

– Que veux-tu, ma fille? je l’aime trop, je ne sais pas lui rйsister; il faudra bien que tu en prennes ton parti.

 

* * *

 

Jean йtait faible, un peu malade. Le mйdecin constata de l’anйmie, ordonna du fer, de la viande rouge et de la soupe grasse.

 

Or, le petit n’aimait que les gвteaux et refusait toute autre nourriture; et le pиre, dйsespйrй, le bourrait de tartes а la crиme et d’йclairs au chocolat.

 

Un soir, comme ils se mettaient а table en tкte-а-tкte, Cйleste apporta la soupiиre avec une assurance et un air d’autoritй qu’elle n’avait point d’ordinaire. Elle la dйcouvrit brusquement, plongea la louche au milieu, et dйclara:

 

– Voilа du bouillon comme je ne vous en ai pas encore fait; il faudra bien que le petit en mange, cette fois.

 

M. Lemonnier, йpouvantй, baissa la tкte. Il vit que cela tournait mal.

 

Cйleste prit son assiette, l’emplit elle-mкme, la reposa devant lui.

 

Il goыta aussitфt le potage et prononзa:

 

– En effet, il est excellent.

 

Alors la bonne s’empara de l’assiette du petit et y versa une pleine cuillerйe de soupe. Puis elle recula de deux pas et attendit.

 

Jean flaira, repoussa l’assiette et fit un «pouah» de dйgoыt. Cйleste, devenue pвle, s’approcha brusquement et, saisissant la cuiller, l’enfonзa de force, toute pleine, dans la bouche entrouverte de l’enfant.

 

Il s’йtrangla, toussa, йternua, cracha, et, hurlant, empoigna а pleine main son verre qu’il lanзa contre la bonne. Elle le reзut en plein ventre. Alors, exaspйrйe, elle prit sous son bras la tкte du moutard, et commenзa а lui entonner coup sur coup des cuillerйes de soupe dans le gosier. Il les vomissait а mesure, trйpignait, se tordait, suffoquait, battait l’air de ses mains, rouge comme s’il allait mourir йtouffй.

 

Le pиre demeura d’abord tellement surpris qu’il ne faisait plus un mouvement. Puis, soudain, il s’йlanзa avec une rage de fou furieux, йtreignit sa servante а la gorge et la jeta contre le mur. Il balbutiait:

 

– Dehors!… dehors!… dehors!… brute!

 

Mais elle, d’une secousse, le repoussa et, dйpeignйe, le bonnet dans le dos, les yeux ardents, cria:

 

– Qu’est-ce qui vous prend, а c’t’ heure? Vous voulez me battre parce que je fais manger de la soupe а c’t’ enfant que vous allez tuer avec vos gвteries!…

 

Il rйpйtait, tremblant de la tкte aux pieds:

 

– Dehors!… va-t’en… va-t’en, brute!…

 

Alors, affolйe, elle revint sur lui et, l’њil dans l’њil, la voix tremblante:

 

– Ah!… vous croyez… vous croyez que vous allez me traiter comme зa, moi, moi?… Ah! mais non… Et pour qui, pour qui… pour ce morveux qui n’est seulement point а vous… Non… point а vous!… Non… point а vous!… point а vous!… point а vous!… Tout le monde le sait, parbleu! exceptй vous… Demandez а l’йpicier, au boucher, au boulanger, а tous, а tous…

 

Elle bredouillait, йtranglйe par la colиre; puis, elle se tut, le regardant.

 

Il ne bougeait plus, livide, les bras ballants. Au bout de quelques secondes, il balbutia d’une voix йteinte, tremblante, oщ palpitait pourtant une йmotion formidable:

 

– Tu dis?… tu dis?… Qu’est-ce que tu dis?

 

Elle se taisait, effrayйe par son visage. Il fit encore un pas, rйpйtant:

 

– Tu dis?… Qu’est-ce que tu dis?

 

Alors, elle rйpondit, d’une voix calmйe:

 

– Je dis ce que je sais, parbleu! ce que tout le monde sait.

 

Il leva les deux mains et, se jetant sur elle avec un emportement de bкte, essaya de la terrasser. Mais elle йtait forte, quoique vieille, et agile aussi. Elle lui glissa dans les bras et, courant autour de la table, redevenue soudain furieuse, elle glapissait:

 

– Regardez-le, regardez-le donc, bкte que vous кtes, si ce n’est pas tout le portrait de M. Duretour; mais regardez son nez et ses yeux, les avez-vous comme зa, les yeux? et le nez? et les cheveux? les avait-elle comme зa aussi, elle? Je vous dis que tout le monde le sait, tout le monde, exceptй vous! C’est la risйe de la ville! Regardez-le…

 

Elle passait devant la porte, elle l’ouvrit, et disparut.

 

Jean, йpouvantй, demeurait immobile, en face de son assiette а soupe.

 

* * *

 

Au bout d’une heure, elle revint, tout doucement, pour voir. Le petit, aprиs avoir dйvorй les gвteaux, le compotier de crиme et celui des poires au sucre, mangeait maintenant le pot de confitures avec sa cuiller а potage.

 

Le pиre йtait sorti.

 

Cйleste prit l’enfant, l’embrassa et, а pas muets, l’emporta dans sa chambre, puis le coucha. Et elle revint dans la salle а manger, dйfit la table, rangea tout, trиs inquiиte.

 

On n’entendait aucun bruit dans la maison, aucun. Elle alla coller son oreille а la porte de son maоtre. Il ne faisait aucun mouvement. Elle posa son њil au trou de la serrure. Il йcrivait, et semblait tranquille.

 

Alors elle retourna s’asseoir dans sa cuisine pour кtre prкte en toute circonstance, car elle flairait bien quelque chose.

 

Elle s’endormit sur une chaise, et ne se rйveilla qu’au jour.

 

Elle fit le mйnage, comme elle avait coutume, chaque matin; elle balaya, elle йpousseta, et, vers huit heures, prйpara le cafй de M. Lemonnier.

 

Mais elle n’osait point le porter а son maоtre ne sachant trop comment elle allait кtre reзue; et elle attendit qu’il sonnвt. Il ne sonna point. Neuf heures, puis dix heures passиrent.

 

Cйleste, effarйe, prйpara son plateau et se mit en route, le cњur battant. Devant la porte elle s’arrкta, йcouta. Rien ne remuait. Elle frappa; on ne rйpondit pas. Alors, rassemblant tout son courage, elle ouvrit, entra, puis, poussant un cri terrible, laissa choir le dйjeuner qu’elle tenait aux mains.

 

M. Lemonnier pendait au beau milieu de sa chambre, accrochй par le cou а l’anneau du plafond. Il avait la langue tirйe affreusement. La savate droite gisait, tombйe а terre. La gauche йtait restйe au pied. Une chaise renversйe avait roulй jusqu’au lit.

 

Cйleste, йperdue, s’enfuit en hurlant. Tous les voisins accoururent. Le mйdecin constata que la mort remontait а minuit.

 

Une lettre adressйe а M. Duretour fut trouvйe sur la table du suicidй. Elle ne contenait que cette ligne:


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 32 | Нарушение авторских прав


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