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Les bкtes, chevaux, vaches, porcs et moutons, йtaient grasses, soignйes et propres; et maоtre Lucas, un grand homme qui prenait du ventre, faisait sa ronde trois fois par jour, veillant sur tout et pensant а tout.

 

On conservait, par charitй, dans le fond de l’йcurie, un trиs vieux cheval blanc que la maоtresse voulait nourrir jusqu’а sa mort naturelle, parce qu’elle l’avait йlevй, gardй toujours, et qu’il lui rappelait des souvenirs.

 

Un goujat de quinze ans, nommй Isidore Duval, et appelй plus simplement Zidore, prenait soin de cet invalide, lui donnait, pendant l’hiver, sa mesure d’avoine et son fourrage, et devait aller, quatre fois par jour, en йtй, le dйplacer dans la cфte oщ on l’attachait, afin qu’il eыt en abondance de l’herbe fraоche.

 

L’animal, presque perclus, levait avec peine ses jambes lourdes, grosses des genoux et enflйes au-dessus des sabots. Ses poils, qu’on n’йtrillait plus jamais, avaient l’air de cheveux blancs, et des cils trиs longs donnaient а ses yeux un air triste.

 

Quand Zidore le menait а l’herbe, il lui fallait tirer sur la corde, tant la bкte allait lentement; et le gars, courbй, haletant, jurait contre elle, s’exaspйrant d’avoir а soigner cette vieille rosse.

 

Les gens de la ferme, voyant cette colиre du goujat contre Coco, s’en amusaient, parlaient sans cesse du cheval а Zidore, pour exaspйrer le gamin. Ses camarades le plaisantaient. On l’appelait dans le village Coco-Zidore.

 

Le gars rageait, sentant naоtre en lui le dйsir de se venger du cheval. C’йtait un maigre enfant haut sur jambes, trиs sale, coiffй de cheveux roux, йpais, durs et hйrissйs. Il semblait stupide, parlait en bйgayant, avec une peine infinie, comme si les idйes n’eussent pu se former dans son вme йpaisse de brute.

 

Depuis longtemps dйjа, il s’йtonnait qu’on gardвt Coco, s’indignant de voir perdre du bien pour cette bкte inutile. Du moment qu’elle ne travaillait plus, il lui semblait injuste de la nourrir, il lui semblait rйvoltant de gaspiller de l’avoine, de l’avoine qui coыtait si cher, pour ce bidet paralysй. Et souvent mкme, malgrй les ordres de maоtre Lucas, il йconomisait sur la nourriture du cheval, ne lui versant qu’une demi-mesure, mйnageant sa litiиre et son foin. Et une haine grandissait en son esprit confus d’enfant, une haine de paysan rapace, de paysan sournois, fйroce, brutal et lвche.

 

* * *

 

Lorsque revint l’йtй, il lui fallut aller remuer la bкte dans sa cфte. C’йtait loin. Le goujat, plus furieux chaque matin, partait de son pas lourd а travers les blйs. Les hommes qui travaillaient dans les terres lui criaient, par plaisanterie:

 

– Hй Zidore, tu f’ras mes compliments а Coco.

 

Il ne rйpondait point; mais il cassait, en passant, une baguette dans une haie et, dиs qu’il avait dйplacй l’attache du vieux cheval, il le laissait se remettre а brouter; puis approchant traоtreusement, il lui cinglait les jarrets. L’animal essayait de fuir, de ruer, d’йchapper aux coups, et il tournait au bout de sa corde comme s’il eыt йtй enfermй dans une piste. Et le gars le frappait avec rage, courant derriиre, acharnй, les dents serrйes par la colиre.

 

Puis il s’en allait lentement, sans se retourner, tandis que le cheval le regardait partir de son њil de vieux, les cфtes saillantes, essoufflй d’avoir trottй. Et il ne rebaissait vers l’herbe sa tкte osseuse et blanche qu’aprиs avoir vu disparaоtre au loin la blouse bleue du jeune paysan.

 

Comme les nuits йtaient chaudes, on laissait maintenant Coco coucher dehors, lа-bas, au bord de la ravine, derriиre le bois. Zidore seul allait le voir.

 

L’enfant s’amusait encore а lui jeter des pierres. Il s’asseyait а dix pas de lui, sur un talus, et il restait lа une demi-heure, lanзant de temps en temps un caillou tranchant au bidet, qui demeurait debout, enchaоnй devant son ennemi, et le regardant sans cesse, sans oser paоtre avant qu’il fыt reparti.

 

Mais toujours cette pensйe restait plantйe dans l’esprit du goujat: «Pourquoi nourrir ce cheval qui ne faisait plus rien?» Il lui semblait que cette misйrable rosse volait le manger des autres, volait l’avoir des hommes, le bien du bon Dieu, le volait mкme aussi, lui, Zidore, qui travaillait.

 

Alors, peu а peu, chaque jour, le gars diminua la bande de pвturage qu’il lui donnait en avanзant le piquet de bois oщ йtait fixйe la corde.

 

La bкte jeыnait, maigrissait, dйpйrissait. Trop faible pour casser son attache, elle tendait la tкte vers la grande herbe verte et luisante, si proche, et dont l’odeur lui venait sans qu’elle y pыt toucher.

 

Mais, un matin, Zidore eut une idйe: c’йtait de ne plus remuer Coco. Il en avait assez d’aller si loin pour cette carcasse.

 

Il vint cependant, pour savourer sa vengeance. La bкte inquiиte le regardait. Il ne la battit pas ce jour-lа. Il tournait autour, les mains dans les poches. Mкme il fit mine de la changer de place, mais il renfonзa le piquet juste dans le mкme trou, et il s’en alla, enchantй de son invention.

 

Le cheval, le voyant partir, hennit pour le rappeler; mais le goujat se mit а courir, le laissant seul, tout seul, dans son vallon, bien attachй, et sans un brin d’herbe а portйe de la mвchoire.

 

Affamй, il essaya d’atteindre la grasse verdure qu’il touchait du bout de ses naseaux. Il se mit sur les genoux, tendant le cou, allongeant ses grandes lиvres baveuses. Ce fut en vain. Tout le jour, elle s’йpuisa, la vieille bкte, en efforts inutiles, en efforts terribles. La faim la dйvorait, rendue plus affreuse par la vue de toute la verte nourriture qui s’йtendait par l’horizon.

 

Le goujat ne revint point ce jour-lа. Il vagabonda par les bois pour chercher des nids.

 

Il reparut le lendemain. Coco, extйnuй, s’йtait couchй. Il se leva en apercevant l’enfant, attendant enfin, d’кtre changй de place.

 

Mais le petit paysan ne toucha mкme pas au maillet jetй dans l’herbe. Il s’approcha, regarda l’animal, lui lanзa dans le nez une motte de terre qui s’йcrasa sur le poil blanc, et il repartit en sifflant.

 

Le cheval resta debout tant qu’il put l’apercevoir encore; puis sentant bien que ses tentatives pour atteindre l’herbe voisine seraient inutiles, il s’йtendit de nouveau sur le flanc et ferma les yeux.

 

Le lendemain, Zidore ne vint pas.

 

Quand il approcha, le jour suivant, de Coco toujours йtendu, il s’aperзut qu’il йtait mort.

 

Alors il demeura debout, le regardant, content de son њuvre, йtonnй en mкme temps que ce fыt dйjа fini. Il le toucha du pied, leva une de ses jambes, puis la laissa retomber, s’assit dessus, et resta lа, les yeux fixйs dans l’herbe et sans penser а rien.

 

Il revint а la ferme, mais il ne dit pas l’accident, car il voulait vagabonder encore aux heures oщ, d’ordinaire, il allait changer de place le cheval.

 

Il alla le voir le lendemain. Des corbeaux s’envolиrent а son approche. Des mouches innombrables se promenaient sur le cadavre et bourdonnaient а l’entour.

 

En rentrant il annonзa la chose. La bкte йtait si vieille que personne ne s’йtonna. Le maоtre dit а deux valets:

 

– Prenez vos pelles, vous f’rez un trou lа ous qu’il est.

 

Et les hommes enfouirent le cheval juste а la place oщ il йtait mort de faim.

 

Et l’herbe poussa drue, verdoyante, vigoureuse, nourrie par le pauvre corps.

 

La main[12]

 

On faisait cercle autour de M. Bermutier, juge d’instruction, qui donnait son avis sur l’affaire mystйrieuse de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime affolait Paris. Personne n’y comprenait rien.

 

M. Bermutier, debout, le dos а la cheminйe, parlait, assemblait les preuves, discutait les diverses opinions, mais ne concluait pas.

 

Plusieurs femmes s’йtaient levйes pour s’approcher et demeuraient debout, l’њil fixй sur la bouche rasйe du magistrat d’oщ sortaient les paroles graves. Elles frissonnaient, vibraient, crispйes par leur peur curieuse, par l’avide et insatiable besoin d’йpouvante qui hante leur вme, les torture comme une faim.

 

Une d’elles, plus pвle que les autres, prononзa pendant un silence:

 

– C’est affreux. Cela touche au «surnaturel». On ne saura jamais rien.

 

Le magistrat se tourna vers elle:

 

– Oui, madame, il est probable qu’on ne saura jamais rien. Quant au mot surnaturel que vous venez d’employer, il n’a rien а faire ici. Nous sommes en prйsence d’un crime fort habilement conзu, fort habilement exйcutй, si bien enveloppй de mystиre que nous ne pouvons le dйgager des circonstances impйnйtrables qui l’entourent. Mais j’ai eu, moi, autrefois, а suivre une affaire oщ vraiment semblait se mкler quelque chose de fantastique. Il a fallu l’abandonner d’ailleurs, faute de moyens de l’йclaircir.

 

Plusieurs femmes prononcиrent en mкme temps, si vite que leurs voix n’en firent qu’une:

 

– Oh! dites-nous cela.

 

M. Bermutier sourit gravement, comme doit sourire un juge d’instruction. Il reprit:

 

– N’allez pas croire, au moins, que j’aie pu, mкme un instant, supposer en cette aventure quelque chose de surhumain. Je ne crois qu’aux causes normales. Mais si, au lieu d’employer le mot «surnaturel» pour exprimer ce que nous ne comprenons pas, nous nous servions simplement du mot «inexplicable», cela vaudrait beaucoup mieux. En tout cas, dans l’affaire que je vais vous dire, ce sont surtout les circonstances environnantes, les circonstances prйparatoires qui m’ont йmu. Enfin, voici les faits:

 

J’йtais alors juge d’instruction а Ajaccio, une petite ville blanche, couchйe au bord d’un admirable golfe qu’entourent partout de hautes montagnes.

 

Ce que j’avais surtout а poursuivre lа-bas, c’йtaient les affaires de vendetta. Il y en a de superbes, de dramatiques au possible, de fйroces, d’hйroпques. Nous retrouvons lа les plus beaux sujets de vengeance qu’on puisse rкver, les haines sйculaires, apaisйes un moment, jamais йteintes, les ruses abominables, les assassinats devenant des massacres et presque des actions glorieuses. Depuis deux ans, je n’entendais parler que du prix du sang, que de ce terrible prйjugй corse qui force а venger toute injure sur la personne qui l’a faite, sur ses descendants et ses proches. J’avais vu йgorger des vieillards, des enfants, des cousins, j’avais la tкte pleine de ces histoires.

 

Or, j’appris un jour qu’un Anglais venait de louer pour plusieurs annйes une petite villa au fond du golfe. Il avait amenй avec lui un domestique franзais, pris а Marseille en passant.

 

Bientфt tout le monde s’occupa de ce personnage singulier, qui vivait seul dans sa demeure, ne sortant que pour chasser et pour pкcher. Il ne parlait а personne, ne venait jamais а la ville, et, chaque matin, s’exerзait pendant une heure ou deux, а tirer au pistolet et а la carabine.

 

Des lйgendes se firent autour de lui. On prйtendit que c’йtait un haut personnage fuyant sa patrie pour des raisons politiques; puis on affirma qu’il se cachait aprиs avoir commis un crime йpouvantable. On citait mкme des circonstances particuliиrement horribles.

 

Je voulus, en ma qualitй de juge d’instruction, prendre quelques renseignements sur cet homme; mais il me fut impossible de rien apprendre. Il se faisait appeler sir John Rowell.

 

Je me contentai donc de le surveiller de prиs; mais on ne me signalait, en rйalitй, rien de suspect а son йgard.

 

Cependant, comme les rumeurs sur son compte continuaient, grossissaient, devenaient gйnйrales, je rйsolus d’essayer de voir moi-mкme cet йtranger, et je me mis а chasser rйguliиrement dans les environs de sa propriйtй.

 

J’attendis longtemps une occasion. Elle se prйsenta enfin sous la forme d’une perdrix que je tirai et que je tuai devant le nez de l’Anglais. Mon chien me la rapporta; mais, prenant aussitфt le gibier, j’allai m’excuser de mon inconvenance et prier sir John Rowell d’accepter l’oiseau mort.

 

C’йtait un grand homme а cheveux rouges, а barbe rouge, trиs haut, trиs large, une sorte d’hercule placide et poli. Il n’avait rien de la raideur dite britannique et il me remercia vivement de ma dйlicatesse en un franзais accentuй d’outre-Manche. Au bout d’un mois, nous avions causй ensemble cinq ou six fois.

 

Un soir enfin, comme je passais devant sa porte, je l’aperзus qui fumait sa pipe, а cheval sur une chaise, dans son jardin. Je le saluai, et il m’invita а entrer pour boire un verre de biиre. Je ne me le fis pas rйpйter.

 

Il me reзut avec toute la mйticuleuse courtoisie anglaise, parla avec йloge de la France, de la Corse, dйclara qu’il aimait beaucoup cette pays, et cette rivage.

 

Alors je lui posai, avec de grandes prйcautions et sous la forme d’un intйrкt trиs vif, quelques questions sur sa vie, sur ses projets. Il rйpondit sans embarras, me raconta qu’il avait beaucoup voyagй, en Afrique, dans les Indes, en Amйrique. Il ajouta en riant:

 

– J’avй eu bфcoup d’aventures, oh! yes.

 

Puis je me remis а parler chasse, et il me donna des dйtails les plus curieux sur la chasse а l’hippopotame, au tigre, а l’йlйphant et mкme la chasse au gorille.

 

Je dis:

 

– Tous ces animaux sont redoutables.

 

Il sourit:

 

– Oh! nф, le plus mauvais c’йtй l’homme.

 

Il se mit а rire tout а fait, d’un bon rire de gros Anglais content:

 

– J’avй beaucoup chassй l’homme aussi.

 

Puis il parla d’armes, et il m’offrit d’entrer chez lui pour me montrer des fusils de divers systиmes.

 

Son salon йtait tendu de noir, de soie noire brodйe d’or. De grandes fleurs jaunes couraient sur l’йtoffe sombre, brillaient comme du feu.

 

Il annonзa:

 

– C’йtй une drap japonaise.

 

Mais, au milieu du plus large panneau, une chose йtrange me tira l’њil. Sur un carrй de velours rouge, un objet noir se dйtachait. Je m’approchai: c’йtait une main, une main d’homme. Non pas une main de squelette, blanche et propre, mais une main noire dessйchйe, avec les ongles jaunes, les muscles а nu et des traces de sang ancien, de sang pareil а une crasse, sur les os coupйs net, comme d’un coup de hache, vers le milieu de l’avant-bras.

 

Autour du poignet, une йnorme chaоne de fer, rivйe, soudйe а ce membre mal propre, l’attachait au mur par un anneau assez fort pour tenir un йlйphant en laisse.

 

Je demandai:

 

– Qu’est-ce que cela?

 

L’Anglais rйpondit tranquillement:

 

– C’йtй ma meilleur ennemi. Il venй d’Amйrique. Il avй йtй fendu avec le sabre et arrachй la peau avec une caillou coupante, et sйchй dans le soleil pendant huit jours. Aoh, trиs bonne pour moi, cette.

 

Je touchai ce dйbris humain qui avait dы appartenir а un colosse. Les doigts, dйmesurйment longs, йtaient attachйs par des tendons йnormes que retenaient des laniиres de peau par places. Cette main йtait affreuse а voir, йcorchйe ainsi, elle faisait penser naturellement а quelque vengeance de sauvage.

 

Je dis:

 

– Cet homme devait кtre trиs fort.

 

L’Anglais prononзa avec douceur:

 

– Aoh yes; mais je йtй plus fort que lui. J’avй mis cette chaоne pour le tenir.

 

Je crus qu’il plaisantait. Je dis:

 

– Cette chaоne maintenant est bien inutile, la main ne se sauvera pas.

 

Sir John Rowell reprit gravement:

 

– Elle voulй toujours s’en aller. Cette chaоne йtй nйcessaire.

 

D’un coup d’њil rapide j’interrogeai son visage, me demandant:

 

– Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant?

 

Mais la figure demeurait impйnйtrable, tranquille et bienveillante. Je parlai d’autre chose et j’admirai les fusils.

 

Je remarquai cependant que trois revolvers chargйs йtaient posйs sur les meubles, comme si cet homme eыt vйcu dans la crainte constante d’une attaque.

 

Je revins plusieurs fois chez lui. Puis je n’y allai plus. On s’йtait accoutumй а sa prйsence; il йtait devenu indiffйrent а tous.

 

* * *

 

Une annйe entiиre s’йcoula. Or un matin, vers la fin de novembre, mon domestique me rйveilla en m’annonзant que sir John Rowell avait йtй assassinй dans la nuit.

 

Une demi-heure plus tard, je pйnйtrais dans la maison de l’Anglais avec le commissaire central et le capitaine de gendarmerie. Le valet, йperdu et dйsespйrй pleurait devant la porte. Je soupзonnai d’abord cet homme, mais il йtait innocent.

 

On ne put jamais trouver le coupable.

 

En entrant dans le salon de sir John, j’aperзus du premier coup d’њil le cadavre йtendu sur le dos, au milieu de la piиce.

 

Le gilet йtait dйchirй, une manche arrachйe pendait, tout annonзait qu’une lutte terrible avait eu lieu.

 

L’Anglais йtait mort йtranglй! Sa figure noire et gonflйe, effrayante, semblait exprimer une йpouvante abominable; il tenait entre ses dents serrйes quelque chose; et le cou, percй de cinq trous qu’on aurait dits faits avec des pointes de fer, йtait couvert de sang.

 

Un mйdecin nous rejoignit. Il examina longtemps les traces des doigts dans la chair et prononзa ces йtranges paroles:

 

– On dirait qu’il a йtй йtranglй par un squelette.

 

Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux sur le mur, а la place oщ j’avais vu jadis l’horrible main d’йcorchй. Elle n’y йtait plus. La chaоne, brisйe, pendait.

 

Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans sa bouche crispйe un des doigts de cette main disparue, coupй ou plutфt sciй par les dents juste а la deuxiиme phalange.

 

Puis on procйda aux constatations. On ne dйcouvrit rien. Aucune porte n’avait йtй forcйe, aucune fenкtre, aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s’йtaient pas rйveillйs.

 

Voici, en quelques mots, la dйposition du domestique:

 

Depuis un mois, son maоtre semblait agitй. Il avait reзu beaucoup de lettres, brыlйes а mesure.

 

Souvent, prenant une cravache, dans une colиre qui semblait de la dйmence, il avait frappй avec fureur cette main sйchйe, scellйe au mur et enlevйe, on ne sait comment, а l’heure mкme du crime.

 

Il se couchait fort tard et s’enfermait avec soin. Il avait toujours des armes а portйe du bras. Souvent, la nuit, il parlait haut, comme s’il se fыt querellй avec quelqu’un.

 

Cette nuit-lа, par hasard, il n’avait fait aucun bruit, et c’est seulement en venant ouvrir les fenкtres que le serviteur avait trouvй sir John assassinй. Il ne soupзonnait personne.

 

Je communiquai ce que je savais du mort aux magistrats et aux officiers de la force publique, et on fit dans toute l’оle une enquкte minutieuse. On ne dйcouvrit rien.

 

Or, une nuit, trois mois aprиs le crime, j’eus un affreux cauchemar. Il me sembla que je voyais la main, l’horrible main, courir comme un scorpion ou comme une araignйe le long de mes rideaux et de mes murs. Trois fois, je me rйveillai, trois fois je me rendormis, trois fois je revis le hideux dйbris galoper autour de ma chambre en remuant les doigts comme des pattes.

 

Le lendemain, on me l’apporta, trouvй dans le cimetiиre, sur la tombe de sir John Rowell, enterrй lа; car on n’avait pu dйcouvrir sa famille. L’index manquait.

 

Voilа, mesdames, mon histoire. Je ne sais rien de plus.

 

* * *

 

Les femmes, йperdues, йtaient pвles, frissonnantes. Une d’elles s’йcria:

 

– Mais ce n’est pas un dйnouement cela, ni une explication! Nous n’allons pas dormir si vous ne nous dites pas ce qui s’йtait passй, selon vous.

 

Le magistrat sourit avec sйvйritй:

 

– Oh! moi, mesdames, je vais gвter, certes, vos rкves terribles. Je pense tout simplement que le lйgitime propriйtaire de la main n’йtait pas mort, qu’il est venu la chercher avec celle qui lui restait. Mais je n’ai pu savoir comment il a fait, par exemple. C’est lа une sorte de vendetta.

 

Une des femmes murmura:

 

– Non, зa ne doit pas кtre ainsi.

 

Et le juge d’instruction, souriant toujours, conclut:

 

– Je vous avais bien dit que mon explication ne vous irait pas.

 

Le gueux[13]

 

Il avait connu des jours meilleurs, malgrй sa misиre et son infirmitй.

 

А l’вge de quinze ans, il avait eu les deux jambes йcrasйes par une voiture sur la grand’route de Varville. Depuis ce temps-lа, il mendiait en se traоnant le long des chemins, а travers les cours des fermes, balancй sur ses bйquilles qui lui avaient fait remonter les йpaules а la hauteur des oreilles. Sa tкte semblait enfoncйe entre deux montagnes.

 

Enfant trouvй dans un fossй par le curй des Billettes, la veille du jour des Morts, et baptisй pour cette raison, Nicolas Toussaint, йlevй par charitй, demeurй йtranger а toute instruction, estropiй aprиs avoir bu quelques verres d’eau-de-vie offerts par le boulanger du village, histoire de rire, et, depuis lors vagabond, il ne savait rien faire autre chose que tendre la main.

 

Autrefois la baronne d’Avary lui abandonnait pour dormir, une espиce de niche pleine de paille, а cфtй du poulailler, dans la ferme attenante au chвteau: et il йtait sыr, aux jours de grande famine, de trouver toujours un morceau de pain et un verre de cidre а la cuisine. Souvent il recevait encore lа quelques sols jetйs par la vieille dame du haut de son perron ou des fenкtres de sa chambre. Maintenant elle йtait morte.

 

Dans les villages, on ne lui donnait guиre: on le connaissait trop; on йtait fatiguй de lui depuis quarante ans qu’on le voyait promener de masure en masure son corps loqueteux et difforme sur ses deux pattes de bois. Il ne voulait point s’en aller cependant, parce qu’il ne connaissait pas autre chose sur la terre que ce coin de pays, ces trois ou quatre hameaux oщ il avait traоnй sa vie misйrable. Il avait mis des frontiиres а sa mendicitй et il n’aurait jamais passй les limites qu’il йtait accoutumй de ne point franchir.

 

Il ignorait si le monde s’йtendait encore loin derriиre les arbres qui avaient toujours bornй sa vue. Il ne se le demandait pas. Et quand les paysans, las de le rencontrer toujours au bord de leurs champs ou le long de leurs fossйs, lui criaient:

 

– Pourquoi qu’tu n’vas point dans l’s autes villages, au lieu d’ bйquiller toujours par ci?

 

Il ne rйpondait pas et s’йloignait, saisi d’une peur vague de l’inconnu, d’une peur de pauvre qui redoute confusйment mille choses, les visages nouveaux, les injures, les regards soupзonneux des gens qui ne le connaissaient pas, et les gendarmes qui vont deux par deux sur les routes et qui le faisaient plonger, par instinct, dans les buissons ou derriиre les tas de cailloux.

 

Quand il les apercevait au loin, reluisants sous le soleil, il trouvait soudain une agilitй singuliиre, une agilitй de monstre pour gagner quelque cachette. Il dйgringolait de ses bйquilles, se laissait tomber а la faзon d’une loque, et il se roulait en boule, devenait tout petit, invisible, rasй comme un liиvre au gоte, confondant ses haillons bruns avec la terre.

 

Il n’avait pourtant jamais eu d’affaires avec eux. Mais il portait cela dans le sang, comme s’il eыt reзu cette crainte et cette ruse de ses parents, qu’il n’avait point connus.

 

Il n’avait pas de refuge, pas de toit, pas de hutte, pas d’abri. Il dormait partout, en йtй, et l’hiver il se glissait sous les granges ou dans les йtables avec une adresse remarquable. Il dйguerpissait toujours avant qu’on se fыt aperзu de sa prйsence. Il connaissait les trous pour pйnйtrer dans les bвtiments; et le maniement des bйquilles ayant rendu ses bras d’une vigueur surprenante, il grimpait а la seule force des poignets jusque dans les greniers а fourrages oщ il demeurait parfois quatre ou cinq jours sans bouger, quand il avait recueilli dans sa tournйe des provisions suffisantes.

 

Il vivait comme les bкtes des bois, au milieu des hommes, sans connaоtre personne, sans aimer personne, n’excitant chez les paysans qu’une sorte de mйpris indiffйrent et d’hostilitй rйsignйe. On l’avait surnommй «Cloche», parce qu’il se balanзait, entre ses deux piquets de bois ainsi qu’une cloche entre ses portants.

 

Depuis deux jours, il n’avait point mangй. Personne ne lui donnait plus rien. On ne voulait plus de lui а la fin. Les paysannes, sur leurs portes, lui criaient de loin en le voyant venir:

 

– Veux-tu bien t’en aller, manant! V’lа pas trois jours que j’tai donnй un morciau d’ pain!

 

Et il pivotait sur ses tuteurs et s’en allait а la maison voisine, oщ on le recevait de la mкme faзon.

 

Les femmes dйclaraient, d’une porte а l’autre:

 

– On n’ peut pourtant pas nourrir ce fainйant toute l’annйe.

 

Cependant le fainйant avait besoin de manger tous les jours.

 

Il avait parcouru Saint-Hilaire, Varville et les Billettes, sans rйcolter un centime ou une vieille croыte. Il ne lui restait d’espoir qu’а Tournolles; mais il lui fallait faire deux lieues sur la grand’route, et il se sentait las а ne plus se traоner, ayant le ventre aussi vide que sa poche.

 

Il se mit en marche pourtant.

 

C’йtait en dйcembre, un vent froid courait sur les champs, sifflait dans les branches nues; et les nuages galopaient а travers le ciel bas et sombre, se hвtant on ne sait oщ. L’estropiй allait lentement, dйplaзant ses supports l’un aprиs l’autre d’un effort pйnible, en se calant sur la jambe tordue qui lui restait, terminйe par un pied bot et chaussй d’une loque.

 

De temps en temps, il s’asseyait sur le fossй et se reposait quelques minutes. La faim jetait une dйtresse dans son вme confuse et lourde. Il n’avait qu’une idйe: «manger», mais il ne savait par quel moyen.

 

Pendant trois heures, il peina sur le long chemin; puis, quand il aperзut les arbres du village, il hвta ses mouvements.

 

Le premier paysan qu’il rencontra, et auquel il demanda l’aumфne, lui rйpondit:

 

– Te r’voilа encore, vieille pratique! Je s’rons donc jamais dйbarrassйs de tй?

 

Et Cloche s’йloigna. De porte en porte on le rudoya, on le renvoya sans lui rien donner. Il continuait cependant sa tournйe, patient et obstinй. Il ne recueillit pas un sou.

 

Alors il visita les fermes, dйambulant а travers les terres molles de pluie, tellement extйnuй qu’il ne pouvait plus lever ses bвtons. On le chassa de partout. C’йtait un de ces jours froids et tristes oщ les cњurs se serrent, oщ les esprits s’irritent, oщ l’вme est sombre, oщ la main ne s’ouvre ni pour donner ni pour secourir.

 

Quand il eut fini la visite de toutes les maisons qu’il connaissait, il alla s’abattre au coin d’un fossй, le long de la cour de maоtre Chiquet. Il se dйcrocha, comme on disait pour exprimer comment il se laissait tomber entre ses hautes bйquilles en les faisant glisser sous ses bras. Et il resta longtemps immobile, torturй par la faim, mais trop brute pour bien pйnйtrer son insondable misиre.

 

Il attendait on ne sait quoi, de cette vague attente qui demeure constamment en nous. Il attendait au coin de cette cour, sous le vent glacй, l’aide mystйrieuse qu’on espиre toujours du ciel ou des hommes, sans se demander comment, ni pourquoi, ni par qui elle lui pourrait arriver. Une bande de poules noires passait, cherchant sa vie dans la terre qui nourrit tous les кtres. А tout instant, elles piquaient d’un coup de bec un grain ou un insecte invisible, puis continuaient leur recherche lente et sыre.


Дата добавления: 2015-11-14; просмотров: 32 | Нарушение авторских прав


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