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JACQUES. 23 ANS

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Mon éditeur m'appelle enfin. Mes chiffres de vente ne sont pas fameux. Mes Rats n'ont pas fait la moitié de ce qu'il espérait. Tant de romans sortent chaque année en France, plus de quarante mille, de sorte qu'il est difficile d'attirer l'attention sur un ouvrage en particulier. Pour que mon livre marche, il aurait fallu une invasion de rats à Paris ou alors qu'on entre dans l'année chinoise du Rat. En plus, je ne dispose pas de parrain, aucune célébrité ne s'est entichée de mon livre.

– Ton truc de coopération-réciprocité-pardon, ça t'est venu comment?

– En rêve.

– Ouais, eh bien, je crois que ce n'était pas une très bonne idée. J'ai discuté avec un ami critique qui m'a dit que ça donnait un côté prêchi-prêcha qui énerve. Un rat qui prône le pardon, ça casse la crédibilité de tout ton travail d'éthologie sur les vrais comportements des rats. Un rat, ça ne pardonne pas.

– J'ai essayé d'imaginer comment les rats pourraient évoluer s'ils avaient plus de conscience. Bon, bref, on s'est cassé la figure?

– Hmmm… En effet, c'est raté pour la France, admet Charbonnier, mais contre toute attente, Les Rats sont un très grand succès en Russie. Là-bas, nous en sommes déjà à trois cent mille volumes vendus en un mois.

Voilà autre chose.

– Comment expliquez-vous ça?

– En Russie, la télévision est tellement médiocre que, proportionnellement, la population lit beaucoup plus qu'en France.

Moi qui voulais la gloire, je l'ai mais… pas dans ma langue. Certes, nul n'est prophète en son pays, mais la prochaine fois que je ferai une prière, je préciserai: «Pourvu que ça marche… en France.»

Grâce à mon succès russe, Charbonnier est d'accord pour accepter un autre livre. Ai-je un projet en vue?

– Euh oui… La découverte du Paradis.

J'ignore ce qui m'a pris. Les mots ont jailli tout seuls.

– Et pourquoi ça?

– Encore à cause d'un rêve. Il y avait des gens qui volaient dans le ciel à la recherche d'un paradis dans l'espace. Ça me semble une bonne histoire.

L'éditeur n'est pas d'accord. Les gens ne sont pas mûrs pour entendre parler du Paradis d'une façon laïque. Tous les livres qui évoquent le Paradis ont été rédigés pour «donner la foi». Le sujet est sacré.

Je réponds que justement, ça m'amuserait de désacraliser tout ça car, selon moi, il ne faut pas abandonner aux religions et aux sectes l'exclusivité de parler de la Mort et du Paradis.

Un temps de réflexion au bout du fil et Charbonnier décide de me faire confiance. Quelques jours plus tard, à la devanture d'une librairie poussiéreuse, mon regard est attiré par la couverture d'un livre soldé: Les Thanatonautes. Sur la couverture, une spirale bleue sur fond noir et un nom: Michael Pinson. Lui aussi parle du Paradis, mais son titre, trop tiré par les cheveux, a dû jouer contre lui. Et puis même pour ceux qui comprennent le sens de ce néologisme, «thanatonaute», l'idée de la mort est rédhibitoire. Qui aurait envie d'acheter un livre sur la mort?

Moi. J'achète et je lis. Je m'amuse à chercher la solution à l'énigme qui court tout au long de l'ouvrage: «Comment tracer un cercle et son point central sans lever le stylo?» La solution consiste à plier un coin de la feuille de papier (donc à changer de dimension) puis à tracer une spirale qui déborde sur les deux pans de feuille… Je me suis creusé les méninges avant de découvrir que c'était précisément le motif.de la couverture.

Je me mets en chantier. Je débranche le téléphone. Je choisis pour musique adéquate la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak. Puis je laisse courir mes pensées.

Inventer un Paradis. Pas simple. Même si beaucoup de mythologies en parlent, l'endroit reste flou. Comment visualiser un paradis crédible? Une planète? Trop facile. Un cube? Trop géométrique. Un champ d'astéroïdes? Trop éparpillé. Une fois de plus, mon chat m'indique la solution. Mona Lisa Il joue avec le robinet de la baignoire. L'eau coule. Connaissant mes habitudes, Mona Lisa Il fait basculer mon flacon de bain moussant. Mais la bonde n'étant pas fermée, l'eau mousseuse disparaît au fur et à mesure au fond de la baignoire.

Je songe que les âmes sont peut-être semblables à ces bulles de savon. Je les imagine aspirées comme elles par un vortex qui serait celui du Paradis. Les bulles sont emportées par le tourbillon dans des canalisations d'où elles émergeront ailleurs, dans un monde si complexe qu'elles ne peuvent l'imaginer. Comment une bulle subodorerait-elle d'où elle vient et où elle va? Comment une bulle concevrait-elle une baignoire, des humains, une canalisation, une ville, un pays, la Terre? Au mieux, elle perçoit l'eau et la masse tiède de la baignoire… Et puis elle doit être effrayée par ce trou qui l'expédie vers l'inconnu…

Donc voilà ce que me propose Mona Lisa II: un cône inversé, un vortex, une spirale qui aspire tout jusqu'à son tréfonds.

ENFIN

Il me semble que cela fait des mois que nous volons tout droit. J'ai l'impression de nager dans un océan. Heureusement que nous n'avons ni faim, ni soif, ni sommeil. En chemin, Freddy nous raconte des blagues pour nous distraire. Il finit par les raconter plusieurs fois. Nous faisons semblant de ne pas nous en apercevoir.

Nous volons longtemps dans l'univers. Et puis un jour…

– Galaxie à l'horizon! hurle Raoul telle une vigie d'antan.

Une lueur, qui n'est pas une étoile, rayonne au loin. Enfin Andromède! Elle n'est pas en forme de spirale, elle est lenticulaire. Nous sommes sûrement les premiers Terriens, plutôt les premiers «Voie-lactiens», à la voir de si près.

Andromède est une galaxie plus récente que la nôtre, avec des étoiles plus jaunes que celles de la Voie lactée.

– Cette fois, on y est.

Marilyn Monroe pointe son doigt vers le centre de cette galaxie. Elle a repéré quelque chose. Il y a là aussi un trou noir. Serait-ce une règle commune à toutes les galaxies: un trou noir qui sert d'axe et fait tourner la masse des étoiles qui l'étoffe?

Nous piquons vers ce vortex. Nous côtoyons des étoiles, des planètes, des météorites qui sont aspirées par cet orifice céleste! Nous restons à les contempler et, soudain, nous observons une âme filer. Après le premier instant de surprise nous essayons de la poursuivre mais elle fonce trop vite.

Nous nous arrêtons en essayant de comprendre la portée de notre observation. C'était une âme. Donc il y a de la conscience. Donc il y a de la vie intelligente. Voilà qui ouvre d'immenses possibilités…

– Est-ce un dieu ou une âme extraterrestre que nous avons vue fuser? questionne Raoul toujours per suadé de découvrir le royaume des dieux.

Pour notre part, Freddy, Marilyn et moi nous contenterions de rencontrer des extraterrestres…

D'autres ectoplasmes passent. Nous essayons d'en intercepter plusieurs, chaque fois ils filent. Si ce sont des morts, je n'ai jamais vu des âmes aussi pressées d'être jugées.

– Nom d'un chien de nom d'un chien de nom d'un chien! répète Raoul, qui n'en revient toujours pas.

Quelqu'un nous fait enfin signe.

– Qui êtes-vous?

C'est un ectoplasme, mais il rayonne différemment de nous. Notre aura est de tonalité bleutée, la sienne plutôt rosée.

– Des anges de la Terre.

L'allure de cet ange extraterrestre est banale. C'est un maigrichon avec des allures de chef de gare de province. Il paraît aussi interloqué que nous.

– De la «Terre»? Pourquoi cela s'appelle la Terre?

– Parce que c'est le matériau qui forme sa surface. Du sable, de la terre.

– Mmm… et c'est où la Terre?…

– Heu… par là, répond Marilyn Monroe en désignant la direction d'où nous venons.

Heureusement que nous communiquons par la pensée, nul besoin d'un interprète.

– Michael Pinson pour vous servir, dis-je.

Il consent à se présenter:

– Mon nom est Zoz. Zoz tout court.

– Enchanté, Zoz.

Nous lui expliquons que nous venons de la galaxie Voie lactée. Zoz digère lentement l'information. Au début, il ne veut pas y croire puis, quand nous lui expliquons les raisons de notre périple, il commence à nous accorder un certain crédit. Il nous avoue même qu'à bien y réfléchir, lui aussi avait repéré des trous dans les curriculum vitae karmiques de ses clients et il s'était déjà demandé si des humains ne se réincarnaient pas ailleurs. Mais il ne s'attendait quand même pas à ce qu'ils émigrent sur une autre galaxie.

Il nous dit qu'ici, la Voie lactée se nomme 511. Curieux, ils utilisent des chiffres tout comme nous. Des ectoplasmes filent au-dessus de nos têtes. Zoz nous dit que ce sont des morts qui vont se faire recycler au Paradis.

Nous lui demandons d'où viennent ces morts. Il signale qu'il n'y a à sa connaissance qu'une seule planète habitée dans la galaxie. Ici, on la désigne non par son matériau, mais par sa couleur, «Rouge». La planète Rouge.

Nous sommes avides d'en savoir plus. Nous l'accablons de questions auxquelles il répond avec l'amabilité d'un bon guide touristique. Il dit que les «Rougiens» mangent du pain, de la soupe, des légumes, de la viande. Ils vivent dans des villes et construisent des maisons. À l'entendre, Rouge est exactement identique à la Terre. Les extraterrestres seraient-ils parfaitement semblables aux humains?

Je réfléchis. Littérature et cinéma nous ont habitués à nous représenter les extraterrestres comme des êtres plus petits ou plus grands, avec plus de bras ou de têtes, avec des tentacules ou des ailes, mais rarement comme nos… semblables.

Nous demandons à faire un tour sur cette planète. Zoz hésite puis accepte de se faire le guide de son monde. Nous voici face au globe étranger. Rouge a l'air plus grande que la Terre.

De l'extérieur, la planète Rouge est entourée d'une épaisse atmosphère. Elle tourne en une large ellipse autour d'un soleil plus grand que le nôtre. Comme la distance est plus considérable par rapport au soleil mais que celui-ci est plus chaud, le climat de Rouge est en fin de compte aussi tempéré que celui de la Terre.

Rouge est une planète «terriennement» viable. Plus nous nous en rapprochons, plus nous apprécions son paysage. La surface solide est rouge magenta, le ciel est mauve, comme illuminé par des couchers de soleil dansants. Les océans sont cyan foncé. Cette teinte n'est pas due aux seuls reflets du ciel, mais aussi aux fonds marins. Joli.

Rouge comporte quatre continents, chacun doté d'une météorologie et de reliefs propres et bien différenciés: un continent montagneux, un continent de plateaux couverts de forêts, un continent de plaines, un continent de déserts. Les mœurs de leurs habitants sont fondées sur l'adéquation à une saison.

Zoz nous décrit les quatre grands peuples de sa planète. Les hivernaux, qui vivent dans les montagnes, disposent d'une haute technologie et ont construit des villes souterraines en raison du froid. Ils ont peu d'enfants. La majeure partie de la population est âgée de plus de quarante ans. Les hivernaux se sont dotés d'un régime démocratique. Tous les citoyens participent au vote des lois grâce à des réseaux électroniques. Points faibles: agriculture en déshérence, croissance démographique en chute libre. Points forts: développement de technologies de pointe avec des robots qui travaillent à leur place. Les hivernaux sont peu sportifs et peu expansifs. Ils vivent renfermés chez eux devant des écrans câblés. Ils sont convaincus que, grâce aux progrès de leur médecine, ils seront bientôt tous cente naires. Leur devise: «L'avenir appartient aux plus intelligents.»

Les automnaux vivent en surface sur les plateaux, dans de vastes métropoles polluées entourées de forêts. Ils sont capables de produire leur propre technologie, armement, robots, mais celle-ci n'est pas aussi sophistiquée que celle des hivernaux. Ils ont besoin de l'apport des techniques de pointe de ces derniers mais aussi des fruits et légumes des printaniers et de la viande des estivaux. Pour n'en pas manquer, ils ont mis au point un système d'échanges commerciaux et une diplomatie destinés à ne pas les fâcher avec quiconque. Leur devise: «Nous sommes les amis de tout le monde.» Ils servent les intérêts des hivernaux en leur fournissant les matières premières nécessaires à leur industrie et leur viennent en aide en cas de disette grâce à leurs stocks de nourriture issus du commerce.

Quant aux estivaux et aux printaniers, en échange de leurs fournitures alimentaires, les automnaux les aident à avoir une technologie correcte et des matières premières. Régime politique: république avec assemblée représentative et fréquents changements de Premier ministre.

Les printaniers vivent dans les plaines au sein de villes de tailles réduites. Une agriculture florissante, beaucoup de céréales. Croissance démographique moyenne. Régime politique: monarchique. Technologie: moyenne. Point fort: pas de point fort. Point faible: pas de point faible non plus. Les printaniers sont moyens dans tout ce qu'ils entreprennent. Très liés aux estivaux, ils pensent qu'avec leur aide ils envahiront un jour les hivernaux et les automnaux et s'empareront de leurs technologies. Ainsi ils auront gagné sur tous les tableaux. Devise: «L'équilibre est à mi-chemin entre les deux extrêmes.»

Les estivaux vivent dans de petits villages construits autour des grandes oasis qui transpercent leur désert.

Très peu de technologie. Ils font beaucoup d'enfants. Régime despotique. Tout le monde est aux ordres du Commandeur qui a le droit de vie et de mort sur tous. Point fort: d'immenses cheptels de gros lémuriens alimentés par les céréales des printaniers qu'ils tondent et font grossir pour les manger. Lorsque le taux de croissance démographique se fait trop lourd, le Commandeur lance des croisades en direction des continents voisins afin de conquérir de nouveaux territoires au titre d'espace vital. Même si elles font souvent figure de suicides collectifs, ces croisades ont permis peu à peu aux estivaux de prendre pied sur les trois autres continents où ils ont institué des «zones libérées» qui très lentement grandissent en grignotant les autres territoires. Les croisades se déroulent durant les périodes chaudes car leur adaptation à la canicule favorise les estivaux.

Le sacrifice est considéré comme une valeur essentielle de la culture estivale. Tous les estivaux doivent être capables de se sacrifier pour le rayonnement de leur Commandeur. Devise: «Plus vous souffrirez ici-bas, mieux vous serez récompensés au paradis.»

Malgré la volonté de neutralité des automnaux et des printaniers, les quatre continents sont en permanence en conflit plus ou moins larvé. Les estivaux et les hivernaux sont officiellement en guerre, les automnaux et les printaniers se chargeant de faire pencher alternativement la balance d'un côté ou de l'autre. Le plus souvent, ce sont les conditions météorologiques qui décident du vainqueur.

L'ellipse de Rouge étant plus large que celle de la Terre, les saisons y sont plus longues. Au lieu de durer trois mois, elles s'étendent sur cinquante ans. D'où des années de soixante-treize mille jours, au lieu de trois cent soixante-cinq.

Le demi-siècle d'été profite aux estivaux et contraint les hivernaux à demeurer terrés. Dé même les cinquante ans d'automne bénéficient aux automnaux, les cinquante ans de printemps aux printaniers et les cinquante ans d'hiver aux hivernaux.

À chaque saison qui le favorise, le peuple concerné tente de s'imposer une fois pour toutes. Chacun aimerait avoir le pouvoir d'arrêter le temps et de fixer le climat sur la période à laquelle il est adapté. Mais, inexorablement, le temps s'écoule et contraint les détenteurs momentanés du leadership mondial à laisser la place aux suivants.

Zoz nous invite à continuer à descendre vers Rouge pour voir les capitales des quatre continents. Celle des hivernaux a été construite en altitude, tout en haut d'une montagne. On distingue peu de formes au sol puisque les gens vivent retranchés dans des galeries souterraines climatisées où ils circulent à la lumière de néons. Pour les femmes, la mode est aux minijupes et aux seins exhibés au travers de découpes dans les chemisiers et les vestes, le tout ressemblant beaucoup aux vêtements qui prévalaient sur Terre à l'époque minoenne en Crète.

Le mode de locomotion des hivernaux est un métro dont les rames desservent tous leurs quartiers.

Les automnaux ont construit leur capitale sur un plateau rocailleux qu'ils ont couvert de gratte-ciel. Leurs rues sont obstruées par des embouteillages monstrueux. Ici l'automobile règne en maître. Les gens sont très nerveux. La mode est aux vêtements moulants fabriqués dans une matière plastique commode pour la course à pied et la pratique des sports en général.

Les printaniers ont érigé leur capitale dans une vallée entourée de champs cultivés aux fleurs mauves. Leurs maisons sont des demi-sphères de ciment. Les habitants se pressent sur de grands marchés où le commerce est florissant. Les fermières arborent de grandes jupes pleines de poches où elles entassent le produit de leurs courses. Il y a de nombreux jardins et beaucoup de circulation dans les rues. Le mode de locomotion des printaniers est à base d'attelages tirés par des quadrupèdes ressemblant à des tapirs.

La capitale des estivaux s'étale au milieu d'une oasis. Les multiples plates-formes de l'immense palais du Commandeur surplombent les résidences de ses épouses et des membres de sa famille qui sont souvent ses ministres. Tout autour, les casernes militaires des «volontaires de la mort», lesquelles servent d'abris à la fois à l'armée, à la police et aux redoutables services secrets. Des prisons surpeuplées longent les casernes.

Vient ensuite la ville proprement dite. Les bâtisses sont de plus en plus délabrées. Les quartiers périphériques respirent la misère.

– C'est ici, nous confie Zoz, que le Commandeur recrute l'essentiel de ses «volontaires de la mort» pour ses guerres. Le Commandeur a persuadé les plus pauvres que leur misère était due à l'arrogance des hivernaux. Si bien que les estivaux vivent soudés dans la haine des montagnards.

Dans la capitale estivale tout le monde circule à pied. Pour les hommes et pour les femmes, la mode est au treillis militaire. Les femmes ont le visage marqué de motifs compliqués peints à même la peau…

Freddy s'enquiert s'il y a des juifs sur Rouge.

– Juifs?

Zoz ignore le mot. Le rabbin lui explique tant bien que mal à quoi le terme pourrait correspondre. Zoz est intrigué. Il répond qu'il existe en effet une tribu nomade dotée d'une culture ancienne et qui vit disséminée sur les quatre continents.

– Comment se nomme ce peuple?

– Les relativistes, parce que leur religion est le «relativisme».

Elle prétend que les vérités sont multiples et qu'elles changent selon le temps et l'espace. Politiquement, cette croyance agace les autochtones. Les quatre blocs sont tous assurés de détenir la vérité unique et considèrent les relativistes comme autant de fauteurs de troubles. Ainsi, tous, lors de périodes de croissance, se sont livrés à des persécutions à leur encontre afin de renforcer le nationalisme ambiant. Lorsque les relati-vistes sont persécutés, c'est toujours un signe précurseur d'une confrontation entre deux blocs.

Freddy se tait, soucieux. Je sais ce qu'il pense. Il se demande si l'espèce humaine terrestre ou extraterrestre n'aurait pas où qu'elle soit une grille de rôles sociaux liée à des peuples.

– Les relativistes ont subi des persécutions, dit Zoz. Plusieurs fois, nous avons cru qu'ils allaient dis paraître complètement. Mais régulièrement, les survivants ont muté en rendant leur culture de plus en plus relativiste.

Raoul a soudain une intuition:

– Peut-être que les juifs ou les relativistes sont comme les truites dans les filtrages d'eau douce.

– Les truites? s'étonne le rabbin.

– Bien sûr, dans les systèmes de filtrage d'eau douce on met des truites parce que ce sont les animaux les plus sensibles à la pollution. Dès qu'il y a un produit toxique, les truites sont les premiers poissons à mourir. C'est une sorte de signal d'alerte.

– Je ne vois pas le rapport.

– Les juifs, par leur paranoïa due aux persécutions passées, sont plus sensibles. Du coup, ils réagissent plus rapidement aux totalitarismes montants. Ensuite, c'est un cercle vicieux. Parce que les tyrans savent que les juifs vont les détecter les premiers, ils essaient de s'en débarrasser avant.

Marilyn Monroe enchaîne:

– Raoul a raison. Pour les nazis, les juifs étaient de dangereux gauchistes. Pour les communistes, c'étaient d'arrogants capitalistes. Pour les anarchistes, c'étaient des bourgeois décadents. Pour les bourgeois, des anar chistes déstabilisants. Il est étonnant que dès qu'un pouvoir centralisé et hiérarchisé s'installe, quelle que soit son étiquette, il commence par persécuter les juifs. Nabuchodonosor, Ramsès Il, Néron, Isabelle la Catho lique, Saint Louis, les tsars, Hitler, Staline… Intuitivement les chefs totalitaires savent que, là où il y a des juifs, il y a des individus difficiles à endoctriner car leur pensée est née il y a cinq mille ans et est basée non pas sur le culte d'un chef guerrier charismatique mais sur un livre d'histoires symboliques.

Freddy hésite. J'essaie d'enfoncer le clou:

– C'est peut-être aussi parce qu'ils sont les «truites détectrices de totalitarisme» qu'ils ont survécu. Après tout, c'est le seul peuple de l'Antiquité qui ait gardé presque intacte sa culture alors que tous les grands empires, égyptien, romain, grec, hittite, mongol, qui ont tenté l'expérience totalitaire et qui les ont persécutés ont disparu. Cette culture a un rôle à jouer.

– Comme toutes les cultures ont leur rôle. Les Japonais, les Coréens, les Chinois, les Arabes, les Tsiganes, les Amérindiens, tous ceux qui ont survécu jusqu'à nos jours ont donc une fonction précise dans la masse humaine. Et il faut maintenir cet équilibre délicat entre elles.

Zoz est amusé par nos théories. Freddy demande à voir les temples relativistes et nous allons visiter l'un de ces endroits étranges. Ici pas de statues, pas d'extravagances. Par leur sobriété les temples relativistes font aussi penser aux temples protestants.

Zoz nous emmène ensuite sur un terrain de combat où les armées estivales luttent contre les armées hivernales. Au début les robots hivernaux ont le dessus mais, submergés par la masse des enfants kamikazes qui se font sauter au milieu de leurs ennemis, les robots sont décimés.

– Hé oui! pour l'instant les humains ont encore le dessus sur les machines, signale notre guide.

Déjà, des vagues d'enfants, portant des explosifs dans des sacs à dos, se précipitent sur les fortins hivernaux protégés par des tourelles à tir automatique.

Est-ce cela l'avenir de la guerre?

Un ange d'un rose plus lumineux volette vers Zoz, sans doute son instructeur personnel, l'«Edmond Wells» local.

– Zut, mon mentor, bafouille l'ange de Rouge.

En effet, l'autre paraît plutôt mécontent.

– Qu'est-ce que tu fiches? Tes clients sont en train d'en faire de belles! Retourne immédiatement Voccu-per d'eux!

– Mais… mais…, bégaie Zoz. Mes compagnons sont des anges d'une autre galaxie. Il existe donc un autre Paradis! Et il y a une vie extrarougienne! Vous vous imaginez!

L'instructeur n'est nullement impressionné par cette annonce.

– Ce que tu ignores, Zoz, c'est que cette information, tu n'étais pas encore autorisé à en prendre connaissance. Pour toi et tes semblables, elle doit demeurer secrète et j'espère que tu sauras tenir ta langue.

Si Zoz est doté d'un ange instructeur qui connaît l'existence de la Terre, cela signifie du même coup qu'Edmond Wells, mon mentor à moi, connaît probablement lui aussi l'existence de Rouge.

– Vous ne seriez pas un 7, par hasard? demande Raoul.

L'ange instructeur nous jette un œil réprobateur.

– Vous aussi, vous êtes bien loin de vos clients et devriez rentrer.

– Nos clients sont très débrouillards, dit Raoul.

– Hum…, en êtes-vous si certains? Un proverbe rougien assure que «c'est lorsqu'on ne regarde pas la casserole que le lait déborde». Vous n'êtes pas placés sous ma responsabilité- et je n'ai donc pas de conseil à vous donner, mais en ce qui concerne Zoz, il est hors de question que vous me le dévergondiez. Tu as compris, Zoz? Que l'idée ne te traverse jamais de descendre te promener sur leur «Terre».

Zoz baisse humblement les yeux, nous adresse un timide signe d'adieu et s'éloigne aux côtés de son instructeur qui, par-dessus son épaule, nous lance:

– Récréation terminée! Il est temps pour tout le monde de reprendre le travail.

162. ENCYCLOPÉDIE

EXTRATERRESTRE: Le plus ancien texte occidental mentionnant des extraterrestres est attribué à Démocrite, au quatrième siècle avant J.-C. Il fait allusion à une rencontre entre explorateurs terriens et explorateurs non terriens sur une autre Terre située au milieu des étoiles. Au deuxième siècle, Épi-cure note qu'il est logique qu'il existe d'autres mondes similaires peuplés de quasi-humains. Par la suite, ce texte inspira Lucrèce qui, dans son poème De natura rerum, évoque la possibilité de l'existence de peuples non terriens vivant très loin de la Terre.

Le texte de Lucrèce ne tomba pas dans l'indifférence générale. Aristote et plus tard saint Augustin tinrent à affirmer que la Terre était la seule planète habitée par des êtres vivants et qu'il ne pouvait en exister aucune autre car Dieu l'avait voulu ainsi et que c'était un cadeau unique.

Abondant dans ce sens, en 1277, le pape Jean XXI autorisa la condamnation à mort de toute personne mentionnant l'éventualité d'autres mondes habités, et il fallut attendre quatre cents ans pour que les extraterrestres cessent d'être un sujet tabou. Le philosophe Giordano Bruno, par exemple, fut envoyé au bûcher en 1600 pour avoir, entre autres, soutenu cette thèse.

Cyrano de Bergerac écrit en 1657 son Histoire comique des États et Empires de la Lune, Fontenelle y revient en 1686 avec ses Entretiens sur la pluralité des mondes et Voltaire en 1752 avec Micromégas (Petit-grand), grand voyageur de l'espace descendu de Saturne en touriste sur la Terre.

En 1898, H.G. Wells tire les extraterrestres de l'anthropomorphisme en leur donnant dans sa Guerre des mondes des aspects de monstres terrifiants aux allures de pieuvres montées sur vérins hydrauliques. En 1900, l 'astronome américain Per-cival Lowell annonce avoir vu des réseaux de canaux d'irrigation sur Mars, preuve de l'existence d'une civilisation intelligente. Dès lors, le terme d'extraterrestre perd de son côté fantasmagorique. Il faudra cependant attendre Steven Spielberg et son E.T. pour qu'ils deviennent synonymes de compagnons acceptables.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome IV.


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